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Bilan du Festival d’Avignon 2012 : nos présences, nos absences et leur indignité.

Qu’un festival ne soit plus populaire, qu’il ne me permette plus de m’inscrire dans un mouvement, est inquiétant. Sur toute la durée de cette 66ème édition, j’ai vu 38 spectacles pour un coût total de 1850 € (830€ de places et 1020€ de location d’appartement). Seulement neuf d’entre elles m’ont éclairé, enthousiasmé, tourmenté. Respecté, j’ai eu envie d’écrire. Passionnément. Neuf, soit moitié moins que les années précédentes. Neuf soit vingt-neuf propositions où j’ai, au mieux erré, au pire sombré dans le néant.

Cette proportion est inquiétante et signe une crise de sens, de valeurs, de propos. Trop rares ont été les moments où j’ai pu penser, faire mon chemin. Me revient alors le jugement éclairé d’un spectateur, posté sur sa page Facebook: «Cette année le public est absent d’Avignon. Vous ne comprenez pas la différence entre tenir compte du gout du public et simplement tenir compte de sa présence…».

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Notre présence.

Le public était présent. J’étais là pour «La Mouette» mise en scène par Arthur Nauzyciel. Rarement, je n’ai vu une telle humanité en jeu dans cette cour qui écrase tout. Ici, l’art a repris ses droits et les artistes ont dansé pour caresser les murs et calmer cet espace autoritaire. Ils ont accueilli mes fragilités pour me restituer une vision sur la place de l’art dans une société en crise. J’en suis sorti plus fort, plus habité. Mouette.

Sophie Calle n’est pas une artiste de théâtre. Elle expose. Et pourtant, elle a créé la scène autour de sa mère, décédée en 2006, jusqu’à lire quotidiennement son journal intime. «Rachel, Monique» était à l’Église des Célestins .Tel un rendez-vous avec une chanson de Barbara, nous y sommes revenus plusieurs fois comme un besoin vital de ressentir une nostalgie créative. Le 28 juillet à 17h, nous étions présents alors qu’elle lisait les dernières pages. Sophie Calle a créé le rituel pour nous rassembler, celui qui nous a tant manqué pendant le festival.

Le chorégraphe Olivier Dubois est arrivé le 25 juillet et a provoqué le séisme que nous attendions. Avec «Tragédie», nous étions spectateurs et acteurs de notre humanité en mouvement. Nous avons ovationné ces dix-huit danseurs. Pas un seul n’a échappé à mon empathie. Processus identique avec Jérôme Bel où dans «Disabled Theater» des acteurs handicapés mentaux ont réduit la distance pour que la danse fasse lien au-delà des codes usés de la représentation. Avec «33 tours et quelques secondes», Lina Saneh et Rabih Mroué ont tenté de renouveler ces codes à partir d’un dispositif sans comédien. Sans ma présence, cette pièce ne pouvait exister. J’étais là parce que l’absence a donné une âme au théâtre .

En nous convoquant sous la scène du Palais des Papes, le performeur sud-africain Steven Cohen nous a plongés au sens propre dans les bas fonds de l’humanité pour y vivre l’horreur de l’extermination des juifs. On ne s’en sortira jamais. Un regret: peu de spectateurs ont vu cette performance (jauge d’à peine 50 places) et n’auront fait connaissance avec cet artiste hors du commun qu’avec «Le Berceau de l’humanité», oeuvre bien moins aboutie.

Avec «Conte d’amour», le suédois Markus Öhrn nous a lui aussi donné rendez-vous au sous-sol pour y vivre, par caméra interposée, l’effroi de l’amour incestueux. Rarement je n’ai senti un public aussi présent face à une bâche de plastique qui nous séparait des acteurs. Même présence pour «Disgrâce», mise en scène par Kornel Mundruczo qui m’a donné envie de lire cet été, le roman de J.M Coetzee. Du théâtre vers l’écrit pour lire autrement.

Au cours de ce festival, j’ai parfois ressenti l’effondrement de notre civilisation. Seul Roméo Castellucci pouvait s’emparer de ce trou noir qui pourrait nous sauver. «The Four Seasons Restaurant» n’était qu’une initiation. Un autre monde est à venir.

 Le goût du public.

Festival d’Avignon, festival de création ? Pas si sûr…Comme tant de théâtres en saison, il s’est moulé dans le consensus mou qui ne fait émerger aucune idée, à peine incarnée par des acteurs. Les logiques de coproduction priment sur des prises de risque assumées comme si la responsabilité des deux programmateurs d’Avignon se diluait dans des contrats à multiples feuillets.

Il y avait d’ailleurs une certaine indécence à nous proposer «Les contrats du commerçant. Une comédie économique» de Nicolas Stemann à 36 euros la place, prix à payer pour subir un délire de clichés rabâchés sur la crise financière et la possibilité de quitter le spectacle pour la buvette installée pour l’occasion. Le public aisé (présent ou absent, là n’était plus la question !) a beaucoup aimé. Moi pas. .

Autre propos démagogue. Celui de Thomas Ostermeier (artiste associé du festival en 2004) qui m’avait habitué à plus de rigueur. Son théâtre participatif autour d’ «Un ennemi du peuple» d’Henrik Ibsen n’était qu’une énième reproduction d’un système de pensée que l’on répète à l’infini. Ce théâtre bourgeois sans vision va à coup sûr plaire aux programmateurs qui trouveront là, à moindres frais, de quoi faire de leur établissement un lieu de citoyenneté! Est-ce du niveau du Festival d’Avignon ?

Le public aime Christoph Marthaler (artiste associé du festival en 2008). Était-ce bien judicieux de nous proposer «My Fair Lady, un laboratoire de langues», spectacle certes très drôle, mais si vain. Le public aime Joseph Nadj (artiste associé du festival en 2006). Certes. Mais «Atem le souffle» était une oeuvre venue d’en haut vers le bas. Si Avignon est une chapelle, je n’ai pas choisi d’être pénitent ou pèlerin.

Additionnées, ces propositions ont provoqué  une censure sourde qui n’autorise presque plus aucune élévation de la pensée. La danse a nourri ce processus jusqu’à servir d’appât, elle qui stimulait il y a seulement quelques années, des débats sans fin. Romeu Runa produit par les Ballets C de La B (fournisseur officiel annuel du Festival. Je fais le pari qu’ils seront programmés en 2013), Sidi Larbi Cherkaoui, et Régine Chopinot. n’ont été que des «produits» d’appel: une danse du vide pour un trop-plein de clichés et de déjà vu. J’ai regretté l’échec de la proposition de Nacera Belaza: «Le trait» n’était finalement qu’une courbe s’épuisant sur elle-même. Tout comme ais-je été déçu par le peu d’énergie dans «C’est l’oeil que tu protèges qui sera perforé» de Christian Rizzo: le mouvement était au service d’une «installation» où l’on est passé trop vite d’un «ici» à un «là».

À mes remarques, une affirmation est revenue, comme seule réponse: «oui, mais il y avait de belles images». En tant qu’artiste associé, Simon McBurney nous a imposé sa critique du théâtre: peut-il aujourd’hui transcender sans l’image? Dans «Le maitre et Marguerite» à la Cour d’Honneur, il nous  infligé un surtitrage aberrant, permettant au théâtre d’abdiquer face au poids de l’image. Le public a aimé. Et alors ?

Notre dignité, notre potentiel, notre rôle.

Dans un article publié dans Libération en mars dernier, le philosophe Bernard Stiegler et l’acteur Robin Renucci écrivaient: «Jean Vilar a inventé une place pour le spectateur en affirmant sa dignité, son potentiel et son rôle. Réinventons dans notre contexte la relation entre l’art et la société dans un souci d’élévation permanente». Tout au long du festival, cette relation a souffert.  L’artiste associé, Simon McBurney, y a largement participé: il nous a imposé son réseau qui nous a négligés. La palme revient à Katie Mitchell qui a démissionné avec une oeuvre radiophonique («Les anneaux de saturne») et une conférence sur le réchauffement climatique («Ten billion»)! Mais de quel théâtre de création s’agit-il? Avec «La négation du temps», William Kentridge a recyclé sur scène son installation actuellement exposée à la Documenta de Kassel. Mais quel ennui ! Avec «L’orage à venir», le collectif Forced Entertainment m’a bien fait marré la première heure, mais à la seconde, j’ai décroché: s’interroger sur la narration au théâtre aurait pu les amener quelque part sauf qu’ils n’ont cessé de recommencer. Mais pour qui nous prend-on? La palme de l’oeuvre indigne revient probablement à Katya et John Berger pour «Est-ce que tu dors?». Cette proposition de médiation culturelle au musée était obscène. Le père et la fille ne se rendant pas compte que leur dissertation d’un niveau terminale sur l’oeuvre d’Andréa Mantegna («la chambre d’amour») ne visait finalement qu’à se coucher dans le même lit. Personne n’a quitté la Chapelle des Pénitents Blancs pour autant à la différence de “Conte d’amour“!

Les Français Sandrine Buring et Stéphane Olry n’ont pas été en reste. Avec «Ch(ose) / Hic Sunt Leones», ils ont osé nous faire dormir sur des transats pour mieux nous enfumer sur leur incapacité à finir une oeuvre dans les temps. Pourquoi les avoir programmés ?

Les enfants? Ils n’existent toujours pas dans ce festival. C’est un non-public, jusqu’à leur infliger «Les animaux et les enfants envahissent la rue» de Suzanne Andrade et Paul Barritt. Trois comédiens se baladent dans une bande dessinée projetée en vidéo avec pour seul horizon, l’histoire d’un quartier où les gamins sont voués à ne jamais sortir de leur misère. C’était un spectacle à la pauvreté scénique déconcertante, bête et dépressif.

 Notre absence.

Le théâtre français a incarné un «système» sans vision qui s’enferme dans un entre soi parisien terrifiant. Ce que j’ai vu à Avignon fut profondément mortifère, ancré dans un théâtre où la forme, les effets visuels prenaient le pas sur tout le reste. À chaque représentation, je me suis ressenti déconnecté, pas là. Consommateur, mais jamais sujet.

Éric Vigner pour«La faculté», Stéphane Braunschweig pour«Six personnages en quête d’auteur», Guillaume Vincent pour «La nuit tombe» et Séverine Chavrier pour «Plage ultime» ont pollués ce festival avec leur théâtre insignifiant.

À côté Bruno Meyssat avec «15%» et Jean-François Matignon avec «W/GB84» avaient un propos pour le Festival : sauf qu’ils nous ont perdus en route. L’un par excès poétique, l’autre par excès d’ambition.

Le 28 juillet, je décidais de me rendre aux dernières heures de la performance de Sophie Calle pour revoir ensuite «Tragédie» d‘Olivier Dubois et assister de nouveau au deuxième acte avec les acteurs de «La mouette» d’Arthur Nauzyciel.

Le 28 juillet fut mon festival. Comme une réponse aux programmateurs qui sont devenus, comme tant d’autres,  des techniciens du spectacle.

Sans projet.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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Bilan du Festival d’Avignon 2011.

– «C’était bien le festival d’Avignon ?

– Euh…je ne sais pas…

– D’accord, mais c’était bien ?

– Euh…ni bien, ni mal…»

Comme un dialogue de sourds. Je n’arrive plus à répondre. Le Festival est ce que j’en fais. D’édition en édition, il n’est plus un programme. Il est une toile où je tisse les fils qui dégagent des lignes de force. Cela requiert de s’émanciper d’une relation codifiée avec les directeurs du Festival (dit autrement, ne plus avoir d’attentes) et s’affirmer comme un festivalier «en travail» qui veut penser le changement sociétal, non comme un progrès linéaire mais comme un processus chaotique et créatif.

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En deux épisodes, retour sur mon festival…

Épisode 1 : on n’est pas spectateur, on le devient…

Elle n’a donné lieu à aucun article dans la presse écrite. Pourtant, «This situation» de Tino Seghal, performance jouée à la Salle Franchet pendant toute la durée du Festival, fut un moment unique: le public assista un brin interloqué à un«théâtre des idées» avec six «philosophes » debout ou couchés chorégraphiant la dynamique de leur pensée! En entrant et sortant, nous redonnions de l’énergie jusqu’à participer pour éviter l’entre soi. Tout mon corps fut sollicité pris dans un mouvement artistique ouvert et tendre envers celui qui ose penser la complexité.

Quelques rues plus loin, «Unwort, objets chorégraphiques» deWilliam Forsythe poursuivait le mouvement : au cœur de l’Église des Célestins, sculptures et danseurs m’entrainèrent à questionner, par le corps, notre métamorphose.

Autre mouvement, d’introspection. Arthur Nauzyciel, dans « Jan Karski (mon nom est une fiction)” m’a permis de questionner mon lien à la Shoah. En reprenant les trois parties du livre de l’écrivain Yannick Haenel, Nauzyciel proposa un cheminement qui allait au-delà d’un devoir de mémoire qui immobilise. En forçant notre écoute, Arthur Nauzyciel nous a guidés vers le corps de Jan Karski, résistant polonais, interprété par le magistral Laurent Poitrenaux. Cette pièce fut une épreuve inoubliable.

Autre épreuve. Celle d’assister à 4h30 du matin à « Cesena», chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker. Au final, 6000 spectateurs ont osé surmonter le sommeil et le froid pour vivre un instant unique, poser un acte politique radical en célébrant la force de l’art dans une société en perte totale de valeurs collectives. Entre une pièce créée pour la Cour d’Honneur et notre désir de danse, il y a eu un espace de dialogue qui a dépassé le clivage construit par des journalistes paresseux entre l’art chorégraphique et théâtral, entre théâtre populaire et savant.

La danse a osé questionner les codes de la représentation. Avec “Low Pieces“, Xavier Le Roy a tenté d’interroger notre rapport au spectacle vivant. Il nous a permis de «dialoguer» avec la danse, loin des simplifications dont elle fait l’objet quand nous la confondons avec une mécanique des mouvements…On aurait aimé un prolongement dans Violet” de Meg Stuart où la transe de cinq danseurs fut perturbée lors de la première par une spectatrice entrée par effraction dans la dramaturgie. Elle fut reconduite et pourtant : elle signifia qu’à cet endroit, le public pouvait lui aussi se faire…transe. Mais Meg Stuart n’est pas allé jusque-là…À l’inverse de Roméo Castellucci qui avec «Sur le concept du visage du fils de Dieu», a sollicité notre corps en diffusant une odeur d’excréments. La scène fut un miroir inversé pour nous interroger sur notre façon de regarder le monde…

Avec Katie Mitchell et Léo Warner de la Schaubüne Berlin, j’ai vécu un moment jubilatoire avec leur théâtre cinématographique composé d’ombres, d’objets et de ficelles. Leur « Mademoiselle Julie» restera dans les annales pour avoir métamorphosé la vidéo en obscur objet de désir.

Et le monde dans tout ça ? Avec «Yahia Yaïch – Amnesia»,Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi nous ont interpellés sur la fonction du théâtre dans la révolution tunisienne. La danse-théâtre de Pina Bauch a été célébrée, prouvant une fois de plus la modernité des révolutions arabes alors que nous sombrons peu à peu dans la résignation.

Car, comment réinterroger pour voir autrement et se projeter? En interprétant différemment «Hamlet», Vincent Macaigne a bouleversé. «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» n’a rien dit sur cette tragédie que nous ne savions déjà. Sauf qu’il a changé la focale, décalé ce qui était figé dans nos représentations sur le pouvoir et métamorphosé la scène est espace quasi liquide. Un travail exceptionnel pour des spectateurs désireux de ne plus se laisser manipuler par des esthétiques sans fond.

Si bien qu’à côté…

«Mademoiselle Julie» de Fréderic Fisbach avec Juliette Binoche est apparue fade parce que tout y était à distance.

«Le suicidé» de Patrick Pineau…si loin parce que dépassé dans cette façon d’introspsecter notre société avec de vieilles ficelles…

« Courts-circuits» de François Verret…« Oncle Gourdin» deSophie Perez et Xavier Boussiron…si binaires que je m’interroge encore sur leurs intentions: sont-ils à ce point réactionnaires pour croire un seul instant que l’on puisse accepter un tel discours aussi clivant ?

Je suis le vent” de Patrice Chéreau…Sang et Roses” de Guy Cassiers, si mécaniques et calculés comme si les corps ne pouvaient s’affranchir d’une machinerie théâtrale prétentieuse.

Exposition Universelle” de Rachid Ouramdane si hermétique que je me questionne encore sur la transparence de sa  visée de chorégraphe….

Olivia GranvilleBoris Charmatz (avec “Levée des conflits“), Cécilia Bengoléa et François Chaignaud ont finit par former un clan.

«Des femmes : les trachiniennes, Antigone, Electre» de Sophocle par Wajdi Mouawad…si raté parce que l’art du vide (l’absence de Bertrand Cantat) n’est pas donné à tout le monde.

Episode 2: le Festival, un jeu d’enfant?

Le thème de l’enfance avait été annoncé par le chorégraphe Boris Charmatz, l’artiste associé. Nous avons vu beaucoup d’enfants sur les plateaux, mais était-ce suffisant pour que cela soit au “centre”, d’autant plus que le théâtre dit «jeune public» est toujours absent de la programmation. Pour évoquer le statut de l’enfance, encore faudrait-il que nous partagions avec eux les émotions de la scène. Avec « Enfant», Boris Charmatz a été le seul à chorégraphier ce lien, métaphore de notre désir d’utopie réparatrice et de ce  nous lui faisons subir. Ce fut un beau moment de prise de conscience collective: le bonheur des enfants est à (re)penser. Cela suffira-t-il à amplifier la présence du «théâtre pour bébés» et pour jeunes enfants dans les lieux culturels ?

À côté, le regard sur l’enfance de Cyril Teste (« Sun») m’est apparu «fabriqué», sous l’emprise d’un dispositif technologique manipulant l’imaginaire des deux enfants. Tout comme dans «Le petit projet de la matière» d’Anne-Karine Lescop d’après la chorégraphie d’Odile Duboc et Françoise Michel. Les minots du quartier Montclar ont «exécuté» avec présence la consigne. Mais il a manqué leur créativité et le plaisir d’y être…à l’image de l’intrusion d’une chorale d’enfants interprétant Bashung chez Pascal Rambert dans «Clôture de l’Amour». Est-ce à croire que les artistes préfèrent voir les enfants sur scène, en rang et obéissants ?

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L’Espagnole Angelica Liddell était attendue après son succès en 2010. Cet été, «Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation» a déçu. Ici leur présence amusante dès le premier tableau était un prétexte pour démolir l’image concensuelle de la famille («espace de l’idiotie où l’on empêche les enfants de grandir en les privant de livres»). En déroulant son alphabet, Angelica Liddell précisa: à force d’avoir pactisé avec le diable du divertissant et du médiatique, nous avons placé les violeurs au sein même des familles. Sa conclusion («comment peut-on imaginer qu’un bon enfant fasse un bon adulte?”) figea bon nombre de spectateurs.

L’enfance vu par le «Nature Theater of Oklahoma» dans « Life and times» fut sur un tout autre registre et dérouta le public. En deux parties (cinq heures trente au total!), ces acteurs hors-normes ont retranscrit la vie de Krinstin tirée d’un enregistrement téléphonique. Rien ne nous a été épargné : ni les «hum», ni les «genre». La partition fut totale: chorégraphique, chantée et musicale. Jubilatoire. Du premier cri de la naissance aux premiers boutons sulfureux de l’adolescence,  les moindres détails de la famille furent passés en revue. Pour porter un regard sur l’enfance, encore faut-il accepter que nous lâchions notre vision normée. le «Nature Theater of Oklahoma» y est parvenu.

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En programmant «Du printemps» du chorégraphe Thierry Thieû Niang, le Festival avait-il imaginé un «pont» entre l’enfance et le troisième âge ? Cette oeuvre réunissant des séniors amateurs fut un immense succès, pour seulement deux dates et une petite jauge. On aurait pu rêver d’un lien avec “Enfant de Boris Charmatz sur le plateau de la Cour d’Honneur, tant le sujet de l’émancipation traverse les âges. Tant l’enfance et la vieillesse questionnent la métamorphose. Mais le miracle n’a pas eu lieu : aux enfants la Cour, aux vieux un gymnase…

Un jour, le festival et les artistes feront confiance aux enfants pour qu’ils nous renvoient une vision. Encore faut-il que nous accueillions leur imaginaire chaotique pour à côté du Petit Prince, écouter l’ogre qui est en eux, qui est en nous…

Pascal Bély, Le Tadorne.

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Bilan du Festival d’Avignon 2010.

Le Festival d’Avignon est un festival de langages. Depuis 2004, le binôme de direction Hortence ArchambaultVincent Baudriller a fait voler en éclat la frontière entre danse et théâtre, posant le langage comme seul repère au risque de s’entendre reprocher que « cela ne parle pas ».

Pour l’édition 2010, cela m’a parlé parce qu’il a été question du corps dans l’espace intime, social et politique, pour imaginer l’inimaginable. Premier bilan pour s’en reparler?

La douleur est politique.

Elle est venue d’Espagne pour crier « gare » ! Angelica Liddell a provoqué la stupeur et les tremblements avec « La casa de la fuerza». Quatre heures d’un théâtre où la douleur intime nous a propulsés vers le corps politique. Ce chef d’oeuvre place Angelica Liddell comme l’une de nos plus grandes dramaturges.

Stupeur aussi avec Christoph Marthaler. « Schutz vor der Zukunft » (« se protéger de l’avenir ») proposé dans le très catholique collège Champfleury a sidéré. Parce que le sort réservé aux fous traverse les siècles et dit tant sur nos capacités à nous civiliser. Avec Marthaler, les fous nous ont fixés droit dans les yeux. Intimement. Politiquement. Moment inoubliable, malheureusement vu par un cercle de privilégiés…

Il en fut tout autrement avec Alain Platel qui, avec «Out of context», a esthétisé le langage du fou en dehors de toute conscience politique. Les rires du public ont signé l’errance de ce chorégraphe dont on se demande s’il n’est pas prêt à tout faire danser. Pourtant, avec « Gardenia », co-écrit avec Frank Van Laeke, il s’est autorisé bien des audaces avec ces vieux travestis de retour sur scène. Lorsque le corps dans sa douleur se donne un genre, c’est magnifique et profondément émouvant.

À côté, « Trust » de Falk Richter et Anouk van Dijk est apparu comme une oeuvre séduisante dans sa forme, mais froide. En prenant à témoin nos corps pour métaphoriser l’impact de la crise sur nos comportements relationnels, la danse a fait le spectacle. Mais de l’intime au politique, il y a le corps et ses stigmates. Ici, rien. C’était trop beau pour ne pas y croire.

Le corps épuré

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De la terre comme plateau. La lumière du soleil couchant comme seul éclairage. Tout n’était qu’épure pour une danse innommable. Avec « en atendant », Anne Teresa de Keersmaeker a signé un chef d’oeuvre en retirant à son langage chorégraphique des élisions dangereuses pour placer des traits d’union entre des danseurs majestueux et des spectateurs respectueux.

Autre épure avec Gisèle Vienne dont la forêt sur scène nous a embrumé jusqu’à soulever l’humus posé sur des corps violentés. « This is how you will disappear » restera pour longtemps une très belle  ?uvre chorégraphique et musicale.

Le corps langage qui laisse des traces?

Il y a eu le corps qui trace. Le chorégraphe Joseph Nadj s’est trempé jusqu’au cou dans une encre (de Chine ?) pour faire voler ses «corbeaux » au dessus de nos têtes. Sublime.

Dans la « lignée », entre le corps qui trace sur le sol, et la lumière, matière pour traces chorégraphiées, Cindy Van Acker avec quatre solos (« Lanx / Obvie », « Nixe / Obtus ») a provoqué le « syndrome de Florence » au c?ur d’Avignon. Palpitant.

À l’opposé, la Canadienne Julie André T avec « Rouge » et «Not Waterproof» a signé deux propositions sincères où le corps trace pour faire beau et en souffrir. Sauf que par la suite, cela m’est apparu  délébile?

Faustin Linyekula avec « pour en finir avec Bérénice », n’a pas réussi non plus à donner corps aux traces laissées par la colonisation de la langue Française dans son pays, le Congo. Sa danse-théâtre a manqué de force.

Sur un tout autre registre, le duo Suisse Zimmermann et de Perrot nous a proposé de belles envolées dans «Chouf Ouchouf» (regarde et regarde encore) avec le cirque acrobatique de Tanger. Ici, le corps dessine des traces politiquement correctes dans nos imaginaires déjà colonisés par les tours opérateurs Marocains et Européens. Je cherche encore les raisons de sa programmation dans le festival d’Avignon.

Le collectif fait corps sur la convention et le jeu.

« Papperlapapp » de Christoph Marthaler et Anna Viebrock a été une oeuvre injustement décriée par une partie du public et de la presse. Donné dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, ils nous ont proposé un théâtre où le collectif d’acteurs fait « corps » pour conter l’histoire des papes. Vu comme un spectacle chorégraphique et musical, «Papperlapapp» fut un beau moment de drôlerie, de poésie et de provocation au c?ur de cet édifice qui n’est pas adapté aux remises en cause?

Autre collectif. Celui réuni autour de l’acteur Laurent Poitrenaux dans « Un nid pour quoi faire » d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde. Pièce jubilatoire où le groupe pour maintenir leur roi déchu au pouvoir, fait corps sur la musique rock and classe de Rodolphe Burger. Toute ressemblance avec ?

Laurent Poitrenaux aurait pu en être. Quand un chorégraphe (Pierre Rigal) réunit sur scène un groupe de rock, cela prend corps dans « Micro ». Le rock et ses conventions ont trouvé leur langage. Réjouissant.

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Un paradoxe.

Le Festival d’Avignon est au coeur d’un paradoxe :  il développe de nouveaux langages pour faciliter notre compréhension de la complexité. Mais certaines propositions vont à l’encontre de ce processus. Dit autrement, le festival amplifie le clivage au coeur de l’ouverture.  Il affiche la diversité comme une valeur de programmation au détriment d’une cohérence: il prend d’un côté, ce qu’il donne de l’autre.

Peut-on à la fois proposer une mise en scène risquée, un texte lourd de sens avec « Der Prozess » d’Andreas Kriegenburg («Le procès» de Franz Kafka) et m’infliger une pièce mineure d’Eugène Ionesco (“Délire à deux“) poussivement interprétée par Valérie Dréville et Didier Galas dans une “mise en espace” datée de Christophe Feutrier ?

Peut-on à la fois attendre que « je travaille » (attente formulée par Guy Cassiers sur France Culture au sujet de « l’homme sans qualités I » pour justifier la difficulté  d’entrer dans le jeu des acteurs) et m’enfermer dans la mise en scène académique de « Richard II » par Jean-Baptiste Sastre jouée dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes ?

Comment expliquer que « 1973 », pièce « légère » de Massimo Furlan sur le Concours Eurovision de la Chanson, ne trouve aucun prolongement, aucun écho dans le reste de la programmation? C’est posé là, comme une cerise sans gâteau. Autre isolement,  l’auteur et metteur en scène Christophe Huysman qui, avec «L’orchestre perdu», s’est égaré dans un délire textuel totalement incompréhensible. Dans la même veine (quoique plus réussie!), à quoi bon mettre en valeur le texte dans «Un mage en été » d’Olivier Cadiot pour nous y perdre ?

Est-ce bien pertinent de nous offrir un voyage poétique, empli de tendresse avec « Big Bang » de Philippe Quesne, où le spectateur est encouragé à lâcher toute velléité narrative puis de proposer le collectif GRDA qui, avec ses « Singularités Ordinaires », empile les histoires, les illustre et finit par donner un prêt à penser indigeste ?

Comment expliquer que « Baal » de Bertolt Brecht, mise en scène par François Orsoni, est manqué à ce point de rythme à l’opposé d’un Boris Charmatz qui sait raconter Merce Cunningham avec « Flipbook » ?

Au final, subsiste un malaise, comme une incompréhension: pour mettre en valeur des langages innovants, la direction du festival néglige le théâtre dit contemporain comme s’il y avait incompatibilité entre textes et corps. Là où le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles réussit plutôt cette articulation, Avignon oppose et provoque toujours les mêmes réactions clivées de la presse et du public.
À moins que le problème soit ailleurs : et si le théâtre contemporain français était durablement dépassé par la vitalité des metteurs en scène européens ? Et si notre modèle cloisonné de production et de diffusion empêchait toute possibilité d’enrichir le langage ?
Il y a là un véritable enjeu pour l’édition 2011 : offrir une visée sur l’importance de renouveler les formes tout en ne perdant pas la vision, celle d’accompagner les artistes français à se renouveler.
Au risque de finir par bégayer et de développer des tics de langage?

Pascal Bély – Le Tadorne

 

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Bilan du Festival d’Avignon 2009: la crise?

La 63ème édition du Festival d’Avignon s’achève et l’amertume est palpable chez les spectateurs qui osent formuler un avis éclairé. L’attente était-elle trop forte après que la co-direction promette un « festival créatif et insolent, énervé et enthousiaste, en aucun cas résigné »? Le festival vivrait-il une crise systémique, de recherche de sens, dans un contexte de perte des valeurs qui l’engloberait aussi ? L’uniformisation des propos contestataires et nostalgiques, la dilution de la narration dans des esthétiques gloutonnes, la censure insidieuse de la parole différente du spectateur et la pensée unique de la critique, provoquent un état de crise latent, mais qui pourrait bien s’inscrire dans la durée. D’autre part, des jauges importantes ont dilué la confrontation et augmenté le risque des réactions provocantes et extrêmes. D’autant plus que cette programmation ne fut que cases, empilements de formes sans articulations les unes aux autres, dont le seul lien ne semble être que les réseaux d’affinités et d’artistes. Ils ont eu du mal à faire émerger une nouvelle vague comme l’a connue le cinéma.

Loin du chahut de 2005 qui questionnait les formes, 2009 signe peut-être une inquiétante perte d’influence du Festival d’Avignon. Il est en crise ; serait-il temps d’en revoir les fondements ?

Trop de certitudes véhiculées, trop d’émotions instrumentalisées.

Que ce soit avec Jan Fabre et son « Orgie de la tolérance », avec Thierry Bédard et Jean-Luc Raharimanana pour «Les cauchemars du Gecko», ou Christoph Marthaler et son « Riesenbutzbach », l’approche binaire et cloisonnante de la crise prime sur toute autre vision du chaos dans lequel nous sommes plongés. C’est une dénonciation permanente sans que soit énoncés une ouverture, un processus incluant. Il y a de quoi se sentir exclu, voir culpabilisé, par ces discours bien pensants qui confèrent à l’artiste une position haute à laquelle nous n’étions pas habitués dans ce festival.

Ces certitudes sont souvent véhiculées par des esthétiques rigides réduisant le théâtre à un objet. Tout a commencé avec le cinéaste Amos Gitaï qui nous a imposé une mise en espace pour une lecture statique malgré Jeanne Moreau. Cela s’est poursuivi avec un autre cinéaste, Christophe Honoré,  dont « Angelo, tyran de Padoue », fait par et pour la télévision, a rendu téléspectateurs bon nombre de festivaliers. Avec l’Argentin Federico Leon, le théâtre a observé le cinéma au profit d’un propos alambiqué et sans profondeur sur la transmission entre générations (inutile de penser le futur, il est déjà écrit !). Une compagnie suisse (Oskar Gomez Mata) a joué avec les codes de la représentation pour distiller un propos simpliste et démagogique sur la place de l’art dans notre société. Avec Stefan Kaegi et « Radio Muezzin », le théâtre d’amateurs s’est institutionnalisé tout en provoquant une régression de sa fonction critique.

C’est toute une esthétique du loisir, où la forme prime sur le fond, qui a fait son entrée au Festival avec le dispositif scénique laid et compliqué de Wajdi Mouawad dans « Ciels », puis avec Jan Lauwers dans « La maison des cerfs » où l’imaginaire de Wall Disney en a déconcerté plus d’un. Dans « Casimir et Caroline » de Johan Simons et Paul Hoek, cette esthétique a carrément gommé le propos politique; Au final, ce « théâtre réduit » à l’objet a empêché la contemplation.

Trois oeuvres ont eu des esthétiques un peu plus habitées. Avec « Photo romance », le couple d’acteurs libanais Lina Saneh et Rabih Mroué a donné corps à la place de l’art au Liban à partir d’une forme circulaire reliant politique et artiste, ce que bien d’acteurs occidentaux semblent avoir du mal à opérer. Avec « Les inepties volantes », la poésie de Dieudonné Niangouna a fait résonner le bruit et les horreurs de la guerre avec justesse  malgré une mise en scène minimaliste.  Les marionnettes d’« Une fête pour Boris » de Denis Marleau ont interpellé sur le sort que nous réservons aux handicapés malgré l’essoufflement d’une esthétique théâtrale pourtant osée.

Des auteurs enfermés.

Peut-on mettre en scène son discours ? Hubert Colas avec “Le livre d’or de Jan” s’y est essayé sans beaucoup de succès. Il s’est enfermé dans les codes culturels de son milieu l’empêchant d’aller jusqu’à l’indécence de son propos. Avec “Sous l’oeil d’oedipe“,  Joël Jouanneau s’est muré dans son désir d’auteur en désarticulant son audace d’écrivain et sa créativité de metteur en scène. Quant à Wajdi Mouawad, il s’est fait voler “Ciels” par l’acteur et lui-même metteur en scène, Stanislas Nordey.

Ces auteurs nous ont narré le mensonge, la lâcheté et la terreur sans que cela nous atteigne. On avait les ressorts de la narration qui transcende, mais nous sommes restés collés à terre, dans la démonstration.

Des oeuvres fondatrices pour une sortie de crise.

C’est un théâtre qui refuse le consensus, mais qui s’appuie sur le sensible.

C’est un théâtre où le temps s’étire pour « dépolluer » notre regard formaté par le rythme médiatique.

C’est un théâtre où le temps laisse la place au sens.

C’est un théâtre qui vient  chercher le spectateur pour le déshabiller, le bousculer avec respect et l’inviter à faire confiance à ses émotions pour découvrir une esthétique du divers.

C’est un théâtre qui fait entrer le passé dans les ouvertures du futur.

C’est un théâtre qui s’en remet au fou pour traverser le chaos.

C’est un théâtre qui créée le collectif de spectateurs parce qu’il fait corps avec lui.

C’est un théâtre qui ne lâche rien.

C’est un théâtre où toute la danse est là.

« Description d’un combat » de Maguy Marin.

« Un peu de tendresse, bordel de merde ! » de Dave St Pierre.

La trilogie de Wajdi Mouawad pour une nuit au Palais des Papes (« Littoral », « Incendies », « Forêts »).

« La Menzogna » de Pipo Delbono

« Ode maritime » de Claude Régy

« El final de este estado de cosas, redux » d’Israel Galván

« Des témoins ordinaires » de Rachid Ouramdane

« Le cri » de Nacera Belaza.

« (A)pollonia » de Krzysztof Warlikowski

Ils sont neuf, comme les muses et tel des oiseaux, ils laissent leurs petites empreintes sur un sol où tant de chemins sont déjà tout tracés. Sauf que ces oeuvres-là sont les seules à nous avoir ouvert des possibles quand tant d’autres routes ne sont que des ronds-points.

Pascal Bély – le Tadorne

 

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Bilan du Festival d’Avignon 2008: la traversée politiquement correcte.

Pour leur cinquième année à la Direction du Festival d’Avignon, le tandem Vincent Baudriller et Hortense Archambault a reçu les félicitations de la presse et d’une partie du public sur la cohérence de leur programmation. Ils ont pris de l’assurance, nourris des échanges avec les artistes qu’ils associent à leur réflexion. Ils nous avaient invités à « traverser » le festival, à mettre en résonance les oeuvres pour en dégager le sens global.
Critiques et spectateurs s’accordent pour célébrer une édition «équilibrée». J’aurais préféré le chaos, du désordre, du débat à la place de ces files d’attente bien silencieuses. Alors que le pouvoir UMP fait chaque jour preuve d’une talentueuse médiocrité, le Festival d’Avignon m’est apparu comme un lieu protégé, où l’on peut évoquer le «sens» sans se faire rejeter. Mais est-il encore un espace politique capable d’éclairer sur les enjeux futurs sans réduire la complexité à de futiles slogans ?
Stanislas Nordey avec « Das System » (photo) a séduit un public de gauche nostalgique toujours prompt à dénoncer, mais a profondément agacé ceux qui croient à autre chose qu’aux discours belliqueux contre Bush et la mondialisation. Quant à Lola Arias et Stefan Kaegi avec «Airport Kids», ils nous ont donné une vision bien réduite du monde globalisé en recourant à un procédé éthiquement contestable : faire parler des gosses de riches comme des adultes. Belle forme pour propos un peu creux. Même constat avec le collectif Superamas qui avec « Empire (art et politics) » s’est ridiculisé (comme l’an dernier d’ailleurs) à vouloir accuser les empires actuels tout en utilisant les ficelles identiques d’un système qu’ils dénoncent. Consternant.
La danse pouvait-elle faire mieux ? Sidi Larbi Cherkaoui a créé l’événement avec «Sutra» et les moines du Temple Shaolin. Beaucoup de bruits et de belles formes, mais une vision du monde réduite à une passerelle fragile entre Occident et Asie, entre démocratie et religion. De son côté, Roméo Castellucci avec « Inferno » a transformé la Cour d’Honneur en enfer bien sage pour public sidéré par des effets sensationnels mais qui le referme un peu plus sur sa condition de spectateur consommateur d’images.
On aurait pu attendre une belle surprise de la part de Joël Pommerat avec « Je tremble (1) et (2) ». Si le premier volet a convaincu par la justesse du propos, la deuxième partie s’est perdue dans des digressions métaphoriques un peu vaines, où l’esthétique prenait le pas sur le fond. Décevant et peu engageant.
Politique le Festival d’Avignon ? Oui, quand il interroge nos modes de pensée, déplace notre regard. À défaut de proposer une vision, certains artistes ont évoqué le pouvoir dans toute sa complexité en revisitant la mythologie, en introduisant les technologies d’aujourd’hui, en rendant poreuse la distance entre spectateurs et acteurs. J’ai parfois eu l’impression de lire un livre d’histoire pour repenser totalement ma conception du pouvoir. Le Belge Guy Cassiers avec «Atropa» et « Wolfskers » (photo) est devenu maître en la matière : décrypter les rouages du pouvoir actuel, avec les outils d’aujourd’hui (vidéo, images de synthèse) et les engrenages d’hier. Convainquant même si cela n’a pas empêché certains raccourcis et une difficulté en entrer dans une scénographie très complexe où le surtitrage du néerlandais vers le Français n’a rien arrangé. Thomas Ostermeir aura provoqué enthousiasme et malaise en nous proposant un « Hamlet », miroir saisissant de nos lâchetés et de nos égocentrismes.
Ivo Van Hove est allé plus loin avec « Les Tragédies Romaines » en immergeant le spectateur dans les rouages actuels du pouvoir ou politique et médiatique forment un tout pour le moins troublant. Convié sur la scène, le public a expérimenté une place inhabituelle pour appréhender Shakespeare autrement. Un théâtre assurément postmoderne, stimulant et ouvert. La révélation de ce festival.
Sur un tout autre registre, Philippe Quesne a déplacé le spectateur vers un champ totalement processuel : pour comprendre « La mélancolie des dragons », nous étions invités à lâcher pour nous plonger dans un espace politique très éloigné du «travailler plus pour gagner plus», de la performance à tout prix. Un bel acte de résistance. Ce travail était à rapprocher du duo Mathilde Monnier et Philippe Katerine qui avec «
2008 Vallée » nous a offert un spectacle intelligent en questionnant les valeurs de notre société tout en esquissant un nouvel espace du « vivre ensemble ». Stimulant.
Finalement, peut-on parler d’une édition politique ? Il a manqué l’oeuvre « citoyenne », celle qui percute pour interroger notre posture politique. Je l’ai trouvé dans le « off ». Pièce quasiment ignorée par la presse française. Elle nous venait du Luxembourg et de Finlande (toujours le nord…) : « Je suis Adolf Eichmann » de Jari Juutinen. Il fallait oser. Ils l’ont fait.


Pascal Bély – Le Tadorne

 

 

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Ivo Van Hove,

Tragédies Romaines

Philippe Quesne,

La mélancolie des dragons

Valérie Dréville, …,

Le partage de midi“.

Benjamin Verdonck,

Wewilllivestrom

Stanislas Nordey,

Das system”

Sujet à vif – Julia Cima et Denis Lavant. Supermas, “Empire
Thomas Ostermeier,

Hamlet

Arthur Nauzyciel, “Ordet Guy Cassiers, “Wolfskers  Virgilio Seini, “Osso” François Tanguy, “Ricercar Sujet à vif – Sonia Brunelli et Simon Vincenzi. Claire Lasne Darcueil,

La mouette

Wajdi Mouawad,

Seuls

Alvis Hermanis, “Sonia“. Joël Pommerat,

“Je tremble” (1 et 2)

Ricardo Bartis, “La pesca”. Romeo Castellucci, “Inferno Sujet à vif – I-Fang Lin – Christian Rizzo.
Heiner Goebbels, “Stifters Dingue Guy Cassiers, “Atropa Sidi Larbi Cherkaoui, “Sutra Emio greco, “Hell”
Cirque ici, “Secret” Mathilde Monnier, Philippe Katerine, “2008 Vallée Kris Verdonck, “Variation IV Emio Greco, “Popopera

Olivier Dubois, “Faune(s)

La 25ème heure – Benedicte Lelamer et Florent Manneveau, “Guardamunt 55 Jan Fabre, “Another sleepy dusty delta day D.Jeanneteau/ M-C Soma, “Feux”
Sujet à vif – Laurent Poitrenaux et Sylvain Prunenec. Johanne Saunier et Jim Clayburg,

ERASE – E (X) parts 1,2,3,4,5,6 

Sujet à vif – Isabelle Wéry et Ludor Citrik. Lola Arias et Stefan Kaegi, “Airport Kids
Sujet à vif – Virgilio Sieni. Sujet à Vif – Marta Izquierdo Munoz et Mark Tompnonkins.
Sujet à vif – Massimo Furlan et Marielle Pinsard.
La 25ème heure – Frans Poelstra, son dramaturge et Bach.

 

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Le bilan du Festival d’Avignon 2007.

 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Pour cette 61e édition, le spectateur a dû chercher la cohérence d’une programmation hétérogène, sans ligne conductrice où la fonction d’artiste associé n’a pas joué pleinement son rôle.

En effet, il fut difficile de cerner le projet de ce festival, écartelé entre les expérimentations (approximations ?) artistiques des « amis » de Frédéric Fisbach et les metteurs en scène confirmés porteurs d’un propos engagé et engageant (Ariane Mnouchkine, Jean-Pierre Vincent,KrzysztofWarlikowski, Guy Cassiers). Est-ce pour cette raison que le Festival fut étonnamment calme comme si le théâtre ne parvenait plus à se faire entendre, d’autant plus que la billetterie bureaucratique et les petites jauges ont privé de nombreux spectateurs de places (107000 billets vendus cette année contre 133 000 l’an dernier et 150 000 en 2002). Cette baisse sensible, est le signe d’un repli, d’un système qui s’auto-alimente (jusqu’à voir des amateurs de la région sur le plateau des « Feuillets d’Hypnos ») alors que le « Off » semble avoir retrouvé sa vitalité avec plus de 700 000 festivaliers !

Le rapport, de 1 à 7, continue d’être ignoré : jusqu’à quand ce clivage, ce mur de Berlin, cette anomalie de la pensée qui voudrait qu’une partie ne soit pas reliée à l’autre pour former un tout ? C’est au spectateur à faire lui-même les liens, à faire pression par son ouverture sur les institutions, pour que des passerelles se créent entre les deux manifestations. 2007 a peut-être été l’année où il a dû faire son propre cheminement, prémices d’un changement progressif de posture.

Il ne fallait pas compter sur la presse pour nous guider : seule la polémique entre Brigitte Salino du « Monde » et Frédéric Fisbach au sujet des « Feuillets d’Hypnos » a fait débat pour mieux masquer l’absence de la vente à la criée des journaux. Ce silence n’annonçait-il pas un désengagement grandissant des groupes de médias à l’égard du spectacle vivant? Cette interrogation fut au coeur de la table ronde organisée le 11 juillet au Cloïtre Saint-Louis par le Syndicat de la Critique à laquelle j’étais convié en tant « qu’outsider » bloggeur (aux côtés du metteur en scène Arthur Nauzyciel, d’Arnaud Laporte de France Culture, de Frédéric Ferney de France 5, Jean-Pierre Leonardini de l’Humanité). Nous n’avons rien appris de ce que nous savions déjà: baisse croissante des lecteurs pour les journaux payants, montée en puissance des gratuits, perte de l’esprit critique, brouillage persistant entre information et communication. « Le culte des amateurs » via les blogs fut dénoncé («qui remet en cause la compétence de la critique»). La place des journalistes au sein des institutions culturelles fut contestée lorsqu’ils bafouent les règles déontologiques de la profession. Deux modèles ont donc émergé: une critique qui doit «résister» face aux pressions économiques en s’appuyant sur la légitimité de son expertise; une approche plus transversale du regard critique (qui pourrait prendre en compte le processus de création d’une oeuvre), des articulations entre journalistes et bloggeurs à créer, une mise en réseau des festivals pour décloisonner les disciplines. Cette table ronde démontrait à quel point le critique doit opérer sa mue, le bloggeur sortir de sa toile, à l’instar du spectacle vivant qui a du intégrer de nouvelles formes artistiques et inventer d’autres liens (plus ouverts) avec le spectateur-sujet (lire à ce sujet l’article de Rue89).
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« Le Théâtre des Idées » (crée il y a quatre ans par l’actuelle direction du Festival et animé par Nicolas Truong de «Philosophie Magazine») fut le prolongement naturel de cette table ronde et plus généralement le lieu pour aider le spectateur à relier par le sens. C’est ainsi que la venue le 17 juillet du sociologue et théoricien de la compléxité Edgar Morin pour évoquer « les résistances d’aujourd’hui » fut un véritable événement: plus de 1000 personnes se sont pressées à l’intérieur du gymnase et au dehors!  Pendant deux heures, nous écoutâmes, médusés, le récit de son parcours de résistant (de 1941, année où il intégra l’improbabilité de la victoire allemande à aujourd’hui où l’improbable n’est pas l’impossible lorsqu’il invoque un nouvel ordre écologique). Résister n’est pas un positionnement défensif, mais une recherche permanente de liens, d’une foi sans faille dans les vertus de l’incertitude.

Cet homme, au regard lumineux, nous invita à s’opposer aux modes de pensée qui réduisent tout au calcul («c’est une forme de barbarie contemporaine», précisa-t-il), de défendre les minorités opprimées («elles sont notre avenir», «c’est aux marges de la société qu’existe la régénération de notre espèce »). C’est ainsi «qu’un système incapable de traiter ses problèmes fondamentaux se désintègre ou alors crée un système plus large telle la chenille qui s’autodétruit pour devenir papillon». Ne pouvait-on pas voir dans cette métaphore deux approches du chaos proposées par le festival : une où le spectateur à parfois eu des difficultés à repérer les processus régénérateurs (« Norden » de Franck Castorf, « Insideout » de Sacha Waltz, « Nine Finger » d’Alain Platel ou « Bleue. Saignante. A point » de Rodrigo Garcia), l’autre où il a dû détruire, reconstruire son rapport aux mots comme dans «L’acte inconnu» de Novarina.

Sur le même registre, « Le silence des communistes » mis en scène par Jean-Pierre Vincent a touché le spectateur comme s’il lui montrait le chemin pour naviguer dans ce chaos (créatif) pour réinventer la gauche. Impératif d’autant plus urgent qu’un nouveau totalitarisme menace le spectacle vivant, où l’histoire pourrait bien bégayer à l’image de dernière scène du magnifique «Méfisto for ever» de Guy Cassiers.

À côté, la nouvelle génération peine à nous proposer un modèle ouvert et trébuche sur des effets de formes où le fond se noie: Gildas Millin avec «Machine sans cible»,  le groupe franco-autrichien Superamas avec «Big 3rd episode, Roméo Castelluci avec «Hey Girl !». Pour ces trois oeuvres, on est étonné, face à une telle audace esthétique, de n’y trouver qu’un propos si plat.

Seuls deux metteurs en scène, Éléonore Weber avec« Rendre une vie vivable n’a rien d’une question vaine » et Genèse n°2, par le Bulgare Galin Stoev se sont peut-être le plus appuyé sur un concept développé par Edgar Morin: l’émergence. En agençant les mots, la vidéo, la musique, le rationnel et l’irrationnel, ils ont créé une oeuvre qui “présente un caractère de nouveauté par rapport aux qualités ou propriétés des composants considérés isolément ou agencés différemment dans un autre type de système”.

C’est ainsi que la pensée d’Edgar Morin a irrigué la programmation. N’est-il pas alors logique, lors des questions du public, de lui dire : « vous êtes l’artiste associé du festival ! ».

 2ème partie : Le poids des mots.

Le metteur en scène Frédéric Fisbach, l’artiste associé du Festival, a fait du rapport au spectateur une question centrale jusqu’à le faire jouer en amateur dans le très controversé « Les feuillets d’Hypnos », 237 poèmes de René Char. Si les résistants de l’époque n’étaient pas des professionnels, les acteurs d’aujourd’hui se sont montrés pour le moins «amateurs» en massacrant ce qui aurait pu être un beau moment de poésie. Fisbach a poursuivi son idée d’impliquer le public en l’invitant à partager les journées de répétition (petit déjeuner inclus avec les comédiens) dans le loft installé sur la scène de la Cour d’Honneur. Mais entre ses louables intentions et la réalité, je cherche encore le sens d’une telle démarche. Certes, les amateurs ont sauvé (ce qui pouvait l’être) des « Feuillets d’Hypnos » ; mais pour le reste? Fisbach a fini par cliver le public (ceux qui ont vécu l’expérience et les autres) jusqu’à commettre un non-sens : pour comprendre son théâtre, il faut s’intégrer dans son processus de création, ingurgiter ses explications pédagogiques, voir les coulisses. Un peu court pour masquer l’absence de talent.

De son côté, Christophe Fiat avec La jeune fille à la bombe, a disqualifié le public en le forçant à écouter son roman, sous couvert de performance, où les arts du spectacle vivant (danse et chant) n’ont été que des faire-valoir. Rodrigo Garcia avec « Approche de l’idée de méfiance » a cru bon s’affranchir d’avoir un propos comptant sur la complaisance d’une partie des spectateurs. Dans le cadre du « Sujet à vif », le danseur Yves Genot est allé jusqu’à jouer avec la frontière (sans la contenir), entre artistes et public avec « la descendance ». Trois créateurs décalés qui n’ont pas compris que la créativité était une démarche constructive…

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Indispensable Théâtre des Idées…
C’est « Le Théâtre des Idées » qui une fois de plus aura remis du sens pour évaluer avec plus de distance certaines propositions artistiques. La philosophe Marie-José Mondzain et le critique Hans-Thies Lehman ont débattu sur «l’éthique, l’esthétique et la politique de la représentation». Passionnants échanges où Lehman a pu développer sa définition du théâtre post dramatique («espace ouvert, en phase avec l’époque, incluant la dramaturgie du spectateur»), où Mondzain a défini avec clarté ce qui fait sens aujourd’hui. Pour elle, « l’oeuvre doit donner la parole, des possibles pour que symboliquement le spectateur puisse intervenir » où « ce qui est reçu est encore plus grand que ce qui est donné ». Dans un contexte où le citoyen est noyé dans les stratégies Sarkoziennes, « Les éphémères » par le Théâtre du Soleil et « Le silence des communistes » par Jean-Pierre Vincent auront incontestablement positionné le spectateur comme sujet, où chacun a pu penser à partir de son ressenti. Ces deux oeuvres ont donné un socle à ce Festival sans quoi une nouvelle crise identique à 2005 se profilait. Sur un autre registre, Valère Novarina avec « L’acte inconnu »peuvent couper la parole » ! Citons « Claire » a rendu aux mots leur puissance de résistance face au rouleur compresseur de l’uniformisation et donné au public la force de croire encore et toujours au théâtre ! Les mots ont donc envahi cette 61e édition et comme le souligne fort justement Marie-José Mondzain, certains «  d’Alexis Forestier ou il aura fallu l’aplomb d’une spectatrice pour signifier notre désaccord avec cette interprétation de Réné Char. L’échange » de Paul Claudel par « Julie Brochen a anesthésié le public par son théâtre bourgeois! « Hypolythe » par Robert Cantarella n’a pas fait mieux avec ce texte du 16ème siècle anéantit par une mise en scène dépassée par des effets de style prétentieux. L’Afrique n’a pas convaincu non plus (on aurait pu attendre plus d’audace de la part du jeune Congolais Faustin Linyekula avec Le festival des mensonges et «Dinozord : the dialogue series III où son théâtre dansé n’a pas décollé du propos. À côté, le solo dépouillé de Dieudonné Niangouna dans « Attitude clando » aura ému par la justesse des mots et la singularité d’une mise en scène qui aura rapproché, le temps d’une soirée, une assemblée de spectateurs autour de la question des sans-papiers.

Au Nord…

Un certain théâtre semble ne plus avoir d’avenir, ne s’inscrivant pas dans une approche de cocompréhension entre acteurs et public et où le texte prend toute la place sans ouverture vers d’autres langages. La jeune garde présentée cet été n’a pas réussi (à l’exception notable d’Eleonore Weber et de Galin Stoev). Au pire, les expérimentations ont transformé le public en objet devant gober, au mieux  nous aurons eu droit à un théâtre consensuel, sans prise de risque et incapable de nous aider à comprendre ce monde global et complexe (“Le Roi Lear” de Jean-François Sivadier, «Richard III» de Ludovic Lagarde, «Tendre jeudi» de Mathieu Bauer ). Autrement dit, on est en droit de se demander si certains metteurs en scène n’ont pas pris le parti d’infantiliser le public.

Ce sont les pays du Nord qui, une fois de plus, ont montré la voie avec brio: : « Angels in América » par le polonais Krzysztof Warlikowski, « Méfisto for ever » du flamand Guy Cassiers et « Nine Finger » du belge Alain Platel. Outre une scénographie à couper le souffle, ces trois metteurs en scène font du théâtre processuel : nous sommes constamment reliés aux acteurs, car nous sommes aussi les protagonistes d’une histoire toujours en marche: le sida avec Warlikowski, le totalitarisme avec Cassiers et les enfants soldats avec Platel.

La danse..in – out.

Mais Avignon aura vu la marginalisation de la danse, repliée dans des bulles jugées trop hermétiques : Raimund Hoghe, incompris, avec « 36 avenue Georges Mendel » ; Sacha Waltz, audacieuse avec « InsideOut » ; Alain Platel, percutant avec «Nine Finger» ; Julie Guibert, sublime dans “Devant l’arrière-pays”. Malgré tout, la danse fut à la marge du projet de cette édition (Fréderic Fisbach n’aura pas eu un seul mot à son égard lors de ses nombreuses interventions). Or, comment comprendre le processus dans un festival, sans son langage? J’ai eu l’impression que les efforts des programmateurs français pour faire une place de choix à la danse, se sont trouvés disqualifiés. Mais surtout, est-ce faire part de modernité que de priver le spectateur d’un langage qui lui donne tant la parole ?

Pascal Bély, Le Tadorne.

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Festival d’Avignon 2006: le bilan.

La presse aime les raccourcis. Ici et là, elle évoquait une 60e édition du Festival d’Avignon « apaisée ». Que peut bien signifier ce vocable concernant le théâtre? Au lieu de rappeler la continuité avec 2005 à partir d’une réflexion globale, les critiques choisissent la rupture : 2006 est différent ! Je préfère y voir un prolongement, inclus dans le projet de la Direction du
Festival. Elle a d’ailleurs toujours souhaité être évaluée sur la totalité de son mandat (2004 – 2007).En 2005, Jan Fabre était l’artiste associé. D’innovantes formes théâtrales ont fait leur apparition comme c’est le cas depuis plus de dix ans en Belgique. La programmation du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles l’atteste. La plupart d’entre elles furent contestées, souvent par principe (le théâtre c’est du texte ; tout le reste n’est que manipulation). Les certitudes du public sur le langage du corps furent ébranlées sans accompagnement de la part des artistes et de la Direction du Festival.
Malgré tout, cette rupture dans l’architecture habituelle du Festival a familiarisé de nombreux spectateurs aux nouvelles expressions artistiques transdisciplinaires. Josef Nadj, le Directeur associé en 2006, n’avait plus qu’à ramasser la mise. Le public était prêt comme le prouvent le nombre record de billets vendus et les discussions toujours enflammées dans les files
d’attente. Avec un peu de recul, je vous propose un regard sur cette 60e édition. Apaisée ? Non, toujours aussi provocante…

L’Art traversé.

Le Festival d’Avignon m’a permis de traverser l’œuvre d’art pour atteindre une nouvelle dimension. Les formes classiques ont été bousculées, le regard s’est déplacé. Un processus de sublimation s’est joué comme si d’un espace fragmenté, j’avais «recollé » les morceaux à un autre niveau.

Sur ce point, «Paso doble» (Josef Nadj – Miquel Barcelo)  et « VSPRS » (Alain Platel) ont été deux propositions majeures. En permettant de dépasser le réel (l’argile pour le premier, la folie pour l’autre et les jugements de valeurs qui l’accompagne), j’ai accédé à de nouvelles formes du sacré. Le langage du corps a facilité ce changement. Suite à l’édition de 2005, j’étais prêt…

Sur un tout autre registre, «Les poulets n’ont pas de chaises» de Copi mis en scène par Marcial Di Fonzo Bo m’a permis de traverser le dessin. De statique, il s’est animé. Cette belle et touchante mise en mouvement a donné un sens presque universel aux dessins de Copi publiés dans le Nouvel Observateur dans les années 60-80.

Un langage théâtral renouvellé.

L’édition de 2005 s’est poursuivie en 2006 par la découverte de nouveaux langages qui décloisonnent les arts de la scène.  Deux auteurs – metteurs en scène ont créé l’événement par leur audace et leur contribution à moderniser l’art théâtral :

– Joël Pommerat avec «Au monde» et «Les marchands» a conféré au théâtre des airs de cinéma. Je n’avais pas compris l’an dernier le théâtre sans texte d’ombres et de lumières de Roméo Castelluci. Avec le temps, j’ai pu intégrer le suggestif dans une mise en scène. J’étais donc prêt pour accueillir le langage théâtral de Pommerat. Je me suis imprégné de cet univers où le texte ne prend sens que par la forme donnée par l’auteur (lumières, langage du corps, silence). Une belle découverte.

– Christophe Huysman avec «Human» nous a donné à voir et à entendre ! La poésie mise en scène à partir des arts du cirque a produit d’extraordinaires articulations entre le texte et le corps. Huysman a voulu recréer un nouvel espace horizontal pour le collectif loin des schémas linéaires usés et fatigués!

Quatre propositions n’ont pas réussi à renouveler le langage :
– «Mnemopark» du Suisse Stefan Kaegi a fortement séduit un public et une presse en quête de nouveauté pour faire tendance. Identifiée comme un «théâtre documentaire», cette proposition m’a beaucoup interpellé. Je suis encore étonné d’être quasiment le seul à m’interroger sur les messages douteux qu’elle véhicule.
– Le chorégraphe François Verret avec «Sans retour» a enfermé la danse et les arts du cirque dans une traduction linéaire d’un langage métaphorique.
– Le chorégraphe – auteur – plasticien – musicien – metteur en scène flamand Jan Lauwers a semé le désordre avec «Le bazar du Homard». Il n’a pas réussi, en déconstruisant l’histoire (il n’y a ni début, ni fin),  à transcender le chaos. Déconstruire, pourquoi pas. Encore faut-il que le propos artistique suive.
– Le russe Anatoli Vasiliev avec «Mozart et Salieri. Requiem» et «Iliade chant XXIII» a rencontré un public nostalgique d’un certain langage théâtral qui positionne l’acteur et le metteur en scène comme figure charismatique. Ce théâtre est dépassé : il est incapable de relier les nouvelles formes d’expressions artistiques et ne permet pas de comprendre les problématiques complexes du monde. Dans le cadre du projet de la Direction du Festival, je n’ai toujours pas repéré la pertinence d’avoir donné à Vassiliev une place si importante dans un lieu qui ne l’est pas moins (La Carrière de Boulbon).

Redevenir horizontal.
Entre récit autobiographique et devoir de mémoire, plus d’un tiers des spectacles visaient à redonner du sens à l’existence. La famille fut souvent interpellée dans ses secrets ;  l’Histoire officielle fut contestée dans ses mensonges. Le devoir de mémoire a fait lien entre le public, l’acteur et l’Histoire. Au final, ce fut un théâtre bruyant entre chroniques familiale, sociale et politique, loin du vacarme médiatique…

– «Rouge décanté» de Guy Cassiers fut le spectacle le plus fort, tant sur la forme que sur le fond.. Une œuvre rare.
– «Faut qu’on parle!» de Guy Alloucherie et Hamid Ben Mahi fut le coup de cœur de nombreux festivaliers. Nous étions tous un morceau de l’histoire d’Hamid, enfant d’immigré. Bouleversant.
– En reliant ses pièces (dont beaucoup furent présentées au Festival) au récit autobiographique, «Récit de juin» de Pipo Delbono a touché. Le concept de «lecture – spectacle» crée par Delbono fut magnifique et novateur.

Deux spectacles n’ont pas résonné chez moi, alors que leurs qualités artistiques étaient incontestables. Étrange comme commentaire, non ?
– «La poursuite du vent» d’après le récit autobiographique de Claire Goll, mise en scène par Jan Lauwers et interprétée par Viviane de Munck. Entre elle et moi, ce n’est pas passé…
–  «Le journal d’inquiétude» de Thierry Baë. Vu en 2005 lors du Festival « Danse à Aix », je n’ai pas revu ce spectacle dans le cadre d’Avignon. Entre lui et moi, ce n’était pas passé…
Deux spectacles, loin de faciliter l’horizontalité, le lien, ont au contraire soit perdu le spectateur par une mise en scène compliquée («Gens de Séoul» de Frédéric Fisbach), soit séduit le public par une lecture démagogique et parfois réactionnaire de la vie d’un homme («L’énigme Vilar» par Olivier Py).

Des messages universels.

Trois metteurs en scène ont donné au Festival d’Avignon une forte dimension politique : Arthur Nauzyciel pour «Combat de nègres et de chiens», Peter Brook pour «Sizwe Banzi est mort» et Alain Françon pour «Chaise»  et «Si ce n’est toi». Acteurs américains, Sud-Africains, auteur britannique ont repoussé les frontières de la langue, du temps (le passé raciste est toujours là), de l’espace géographique (les sans-papiers d’Afrique du Sud sont les mêmes qu’en Europe) pour nous offrir un théâtre de  témoignages alors que la société tend à se déshumaniser. À l’issue de chaque spectacle, je me suis ressenti Citoyen du monde.

Une esthétique du théâtre.

Cette édition a consacré le plaisir de voir du théâtre ! Loin du divertissement qui abrutit, trois metteurs en scène, par leur parti pris esthétique, ont offert des moments inoubliables:

– Joël Pommerat avec «Au monde» et «Les marchands»
– «La tour de la Défense» de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
– «Les Barbares» de Gorki par Eric Lacascade.
– «Pluie d’été» de Marguerite Duras par Éric Vignier.
Entre dispositif bifrontal, acteurs extraordinaires (Marina Foïs chez Copi, Nicolas Marchand chez Duras) et troupes de comédiens unis par le plaisir de jouer, le Festival n’a pas faillit à sa mission : proposer une certaine forme de théâtre populaire.
À côté, «Asobu» de Josef Nadj m’est apparu hermétique comme s’il n’était pas donné à tout le monde d’entrer dans le monde imaginaire de cet artiste génial.

À côté, si près, si loin.
Si loin: «Battuta» de Bartabas au Domaine de Roberty à 10 km du centre ville d’Avignon.  Si l’affluence a été record, je me questionne encore : en quoi Bartabas a-t-il contribué au Festival d’Avignon ? Sa présence a posé la question fatale:  à quoi sert Avignon ?

Si près: Le Festival Contre – Courant géré par la CCAS sur l’Île de la Bartelasse. Je ne connaissais pas cette manifestation et ce fut une agréable surprise. Au cœur de son projet social, elle a programmé des oeuvres en complémentarité avec le Festival («Le numéro d’équilibre» d’Edward Bond ; «Eva Perron» par Martial Di Fonzo Bo). Vilar aurait été plutôt fier de ce festival !

Très loin:«5 minutes avant l’aube». Dans la nuit du 16 au 17 juillet, le Ministère de la Culture avait organisé une manifestation pour fêter le 60e anniversaire du festival. Dans le Verger des Doms, chaque spectateur rencontrait individuellement trois comédiens qui lui faisait part d’un secret né de la littérature ou du théâtre. J’avais quitté le jardin troublé, ému et profondément seul ! Avec qui pouvais-je partager cette émotion ? Le théâtre n’est-il pas avant tout une rencontre collective? En individualisant le lien, le Ministère a signé sa politique : une culture pour l’individu, dans sa bulle, loin du théâtre de masse. À oublier. Vilar aurait eu honte de cette manifestation.

Si loin: «Depuis hier, 4 habitants» de Michel Laubu au Jardin des Doms. Tout était en place pour une belle rencontre entre ce théâtre d’objets et le public. Dans le cadre d’Avignon, le sens n’a pas émergé. Intraitable festival !
Si près:Les Rencontres de la Chartreuseà Villeneuve lez Avignon. La programmation était de qualité comme l’a prouvé Christophe Huysman en résidence dans ce lieu exceptionnel. Hors festival, ces rencontres nous ont réservé une belle surprise («Lever les yeux au ciel» de Michel Beretti).  Programmation à suivre de beaucoup plus près en 2007!

Si près: Le sujet à vif nous a permis de faire la connaissance de deux beaux danseurs : le portugais Joao Pereira Dos Santos et l’Éthiopien Junaid Jemal Sendi. Le chorégraphe Olivier Dubois a enchanté le public. A eux trois, ils nous ont donné une énergie communicative !
Décidément, la danse est vivace, créative et questionne toujours le sens.
Seule note négative ; le duo affligeant deKarine PontiésetNicole Moussouxqu’on avait connues plus inspirées…

À côté : Le Festival « Off ».
Avec plus de 800 pièces, j’ai bien tenté deux incursions.
– L’une réussie au Théâtre des Hivernales pour la dernière création de la Compagnie Kubilai Khan Investigations avec
Gyrations of barbarous tribes“. Une chorégraphie rare à voir de toute urgence lors de sa tournée.
– L’autre ennuyeuse avec «Le cul de Judas» interprété et mis en scène par François Duval. Une heure trente d’un long monologue écrit pourtant par Antonio Lobo Antunes. Ce spectacle était recommandé par « Le masque et la plume »…

Trop loin : la Direction du Festival.
En 2004, Hortense Archambault et Vincent Baudriller étaient visibles partout, à chaque coin de rue. En 2005, j’arrivais à les apostropher pour leur donner mes ressentis. Cette année,  je n’ai jamais pu les approcher : absents, lointains…On est très loin de la proximité qu’a la Direction du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles avec son public. En 2004, le chorégraphe Jérôme Bel avait imaginé une émission de télévision fictive où il recevait acteurs, direction et spectateurs (actifs!) sur un plateau. J’avais beaucoup aimé ces moments de libre échange encadré dans un jeu de rôles. Le Festival d’Avignon pourrait réfléchir à d’autres modalités que ces rencontres du matin au Cloître Saint Louis. Il n’y vient que les vacanciers et les professionnels; l’estrade rigidifie des rapports qui mériteraient d’être un peu plus fluides.
À noter aussi, l’absence d’articles de la blogosphère dans la revue de presse quotidienne du Festival.
Encore une édition en 2007 pour créer de nouveaux liens…

Pascal Bély – Le Tadorne.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Bilan du Festival d’Avignon 2005.

Le 58ème festival symbolisait la transition : de la crise de 2003 à la reconquête du public ; de Faivre d’Arcier au duo Archambault – Baudriller associé à Thomas Ostermeier ; de la France à l’Europe. Ce fut une incontestable réussite, marqué par le sceau du lien : avec le public, les artistes, les techniciens et les critiques. Je me souviens avoir quitté le Festival heureux, apaisé, avec de beaux moments de théâtre en tête.

Il en est tout autrement pour la 59ème édition, marquée par le changement. Un processus s’est donc joué pour que je finisse épuisé à la fin du mois de juillet. Pour la première fois, les créations m’ont questionnées personnellement sans qu’il me soit toujours possible d’échanger sur le terrain de l’intime avec d’autres spectateurs. Ce questionnement n’a jamais été ponctuel mais continu, sans véritable pause réparatrice. La réussite de cette édition est d’avoir provoqué un changement de positionnement: du consommateur culturel, je suis devenu « sujet » dans un lien plus intime avec les créateurs

Les amis.

 

 

 

 

 

 

 

Le lien fut très fort avec Olivier Py (« Les vainqueurs »), Jean François SivadierLa mort de Danton » («  ; « La vie de Galilée »), Jan Fabre (« L’empereur de la perte ») et Arne Sierens (« Marie éternelle consolation »). J’etais en terrain connu (le théâtre) et pour chacun d’entre eux, c’etait un lien d’amitié, de reconnaissance, presque d’empathie avec ces metteurs en scène talentueux et quatre acteurs magnifiques : Christophe Maltot, Nicolas Bouchaud, Dirk Roofthooft et Johan Heldenbergh. Ce fut quatre moments de théâtre où tous mes sens etaient en éveil, éblouis par tant de talent, comme un enfant qui découvrait la première fois un numéro de cirque.

Le choc .

Il en fut tout autrement avec Thomas Ostermeier (« Aneantis »), Roméo Castellucci (« B.≠03 Berlin » ; « B.≠04 Bruxelles »), William Forsythe You made me a monster ») et Jean Lambert-Wild (« My story is not a loft »). Dans ces quatre situations, point d’empathie mais un choc émotionnel. Entre les images métaphoriques de Castellucci sur les forces du mal, la parabole de la guerre en Yougoslavie chez Ostermeier, l’évocation du cancer chez Forsythe,  et le sadisme chez Lambert – Wild il y avait de quoi se sentir en souffrance. Certains  spectateurs avaient du mal à s’exprimer quand d’autres refuser de voir certaines évidences. Ces metteurs en scène ont quelque part changé mon regard au monde, m’ont aidé à repérer des processus universels et à travailler mes résonances.
Les liens d’amour.

Avec Marina Abramovic (« The biography Remix » et « Brutal Education »), j’ose évoquer le lien d’amour. Je ne connaissais pas cette artiste Serbe, encore moins ses performances et son histoire personnelle. Trés ému, j’ai trouvé chez cette artiste une force créative et vitale incroyable. Cette rencontre sera mémorable. Et puis il y avait Mathilde Monnier. J’aime cette chorégraphe intimiste, exigeante et  intelligente. Je l’avais rencontré au Théâtre de Cavaillon où, après le spectacle (« Publique »),  elle nous avez parlé à mots couverts de sa future création (« Frère et sœur »). J’etais persuadé que la Cour d’Honneur etait faite pour elle. Inutile de revenir sur son ratage. J’ai retrouvé ce lien lors de « La place du singe » avec Christine Angot. Je ressentais la souffrance de Monnier, la détermination d’Angot. Je les remercie de m’avoir aidé à voir la bourgeoisie autrement, loin des clichés véhiculés par certains idéologues. Ce fut un grand moment où la littérature a rencontrée la danse, où la pluridisciplinarité tant voulue par la Direction du Festival a merveilleusement fonctionné.

La pluridisciplinarité !

Ce lien entre disciplines n’a pas toujours été évident à l’image du spectacle deWim Vandekeybus (« Puur ») où la vidéo a alourdie une chorégraphie déjà chargée en symboles. Je ne parle même pas de Jan Fabre (« L’histoire des larmes ») qui n’arrive même plus à relier le théâtre, la danse, la performance et les arts plastiques…Quand à Jan Decorte (« Dieu et les esprits vivants »), entre sa poésie métaphysique, ses chants et la danse d’Anne Teresa de Keersmaeker, il a bien fallut chercher la cohérence et le lien…Peine perdue ! Comme d’ailleurs avec Lambert – Wild (« Mue, première Mélopée») qui est allé nous perdre au Château de Saumane.

La vidéo a parfois produit de beaux effets  comme chez Jean-François PeyretLe cas de Sophie K ») et Louis Castel (« Federman’s ») mais la maîtrise parfaite de l’articulation entre le théâtre et l’outil vidéo s’est parfois faite au détriment de l’émotion. Au contraire de Joseph Nadj qui avec « Last Landscape » a une nouvelle fois démontré que la danse, la vidéo et le Jazz, faisaient merveille lorsqu’ils étaient porteur de sens.

Mélange des genres que maîtrise toujours à merveille Jan LauwersNeedlapb 10 ») même si la magie de « La chambre d’Isabella » n’a pas pu se reproduire. Le concept même du Needlapb en a dérouté plus d’un (expérimenter des fragments de création sur le public !).

Dans tous les cas, la pluridisciplinarité m’a obligée à dépasser mes résistances, à être acteur du lien. Où est donc l’imposture que denoncait une certaine presse…

Les imposteurs.

Pascal Rambert (« After / Before ») a focalisé sur ce sujet toutes les aigreurs. Il y avait de quoi ! Je continue à penser que cette création a fait basculer le festival vers la crise! Toujours dans cette catégorie, citons : Jacques Décuvellerie (« Anathème »), Jean –Michel Bruyère (« L’insulte faite au paysage »), et Gisèle Vienne« Une belle enfant blonde » et « I Apologize »). Ces quatre auteurs ont manipulés le public, l’ont disqualifié, en jouant avec les limites de l’acceptable (les poupées et le sado masochisme chez Vienne ; des êtres humains sujet d’exposition chez Bruyère).  Etait-il normal que je me sente si nul à la fin de ces spectacles ?

Concernant le sentiment de manipulation, mention toute spéciale à la Direction du Festival. En programmant Jean-Louis Trintignant (“Apollinaire »), elle  interdisait toute critique objective d’une prestation quelque peu ennuyeuse et sans autre intérêt artistique que de calmer les esprits.

La palme !

L’édition 2005 laissera trois bijoux : “Les vainqueurs” d’Olivier Py, “Soit le puits etait profond, soit ils tombaient très lentement, car ils eurent le temps de regarder tout autour » de Christian Rizzo et  « Kroum » de Krzysztof Warlikowski. Ces trois artistes m’ont éblouis par leur mise en scène avant-gardiste, comme une nouvelle façon de concevoir l’espace scénique, fuir la linéarité et proposer aux spectateurs d’autres angles de vues.

 Le criquet pèlerin.

Etonnez-vous à la lecture de ce bilan que je sois épuisé ! Et je ne compte pas sur le soutien de la Direction du Festival (Vincent Baudriller et Hortense Archambault) pour me réconforter ! Ils ont complètement échoués en traitant les spectateurs réfractaires de « pèlerins », en alignant les chiffres de fréquentation comme seule réponse au désarroi du public.

Quel paradoxe ! Nous n’aurions pas eu ce festival hors normes sans eux, et c’est par leurs maladresses  que le clivage d’un festival qui se voulait pluridisciplinaire est apparu.

Il a manqué le lien…

Pascal Bély – Le Tadorne.