Dans l’émission «Hors-Champs» sur France Culture, à la question de Laure Adler, «est-ce qu’un film peut transformer le rapport aux autres?», Catherine Deneuve hésite : ‘Transformer, peut-être pas. Changer le regard… oui, c’est possible, s’il y a une vraie rencontre ». Pour évoquer cette rencontre à Avignon l’été dernier, j’ai choisi d’attendre. Car, il n’est de rencontre que celle qui résiste à l’immédiateté d’en rendre compte…
Juillet 2014 : alors que je suis envoûté par le tourbillon des spectacles du festival d’Avignon, je n’ai pas pris le temps d’aller m’enfermer dans l’ancienne prison Sainte-Anne de la ville qui accueillait l’exposition de la Collection Lambert « La Disparition des Lucioles ».
Quelques semaines plus tard, je retourne en Avignon pour consacrer une journée à cette exposition. Et ce ne fut pas de trop pour les quelques deux cents œuvres présentées provenant aussi bien de la Collection Lambert que de la prestigieuse collection privée d’Enea Righi (à laquelle s’ajoutent d’autres grandes collections). C’est une expérience assez glaçante que de franchir les portes et les murs d’une prison, d’y longer ses immenses couloirs et de pénétrer dans des cellules exiguës où l’on croise encore les fantômes des prisonniers à travers leurs graffitis et leurs photographies laissées sur les murs. L’enfermement carcéral est perceptible aussi à travers les œuvres choisies: on est accueilli dans les couloirs de la prison par le néon clignotant de Ross Sinclair qui annonce la couleur « Abandonnez tout espoir, vous qui entrez ici » et par les sculptures en résine de Xavier Veilhan représentant cinq policiers à taille humaine et au visage livide montant la garde. Le parcours de l’exposition nous amène ensuite à passer d’une cellule à une autre pour découvrir les foisonnantes propositions artistiques et pour accomplir un chemin de croix douloureux avec ses moments de compassion et d’espérance.
Les œuvres exposées parviennent bien souvent à faire revivre l’espace dans lequel elles se trouvent. Ainsi en voyant les visages inquiétants des photographies en noir et blanc de Roger Ballen on pense aussitôt aux visages meurtris et déshumanisés des prisonniers. Dans ce lieu lugubre, l’accès à certaines cellules est parfois interdit et le contact avec les œuvres ne peut se faire que par des judas : la distance qui nous est alors imposée se marie tout à fait aux sujets exposés comme la silhouette sculptée par Kiki Smith d’une petite fille qui est condamnée par un couperet sphérique flottant au-dessus d’elle et qui tente de nouer un dialogue solitaire. Nul besoin d’ailleurs d’intégrer un quelconque éclairage artificiel pour cette exposition : les œuvres d’art se suffisent à elles-mêmes.
Dans ce lieu voué à l’enfermement, les échappées restent possibles même si les vagues de l’installation de Massimo Bartolini ne parviennent pas à déborder et à s’extraire du bassin dans lequel elles se trouvent et qu’elles sont soumises à un perpétuel recommencement.
Pourtant l’installation de Claude Lévêque représentant une ligne serpentine de néons rouges évoluant dans un brouillard diffus ne vient-elle pas tracer une évasion mentale dans ce long couloir sombre où elle se trouve placée ? À moins que son titre avec toute son ironie « J’ai rêvé d’un autre monde » ne suggère que l’œuvre est bien à sa place dans le couloir de cette prison et qu’elle véhicule une tout autre expérience qu’au dernier étage de l’Hôtel de Caumont où elle se trouvait jusqu’à présent confinée. Quoi qu’il en soit les lucioles de l’espoir parviennent à scintiller, plus particulièrement dans la cour des Isolés de la prison à travers les lamelles en plexiglas torsadées de l’artiste polonais Miroslaw Balka suspendues à un grillage qui s’agitent au gré du vent et reflètent à travers des gouttes de lumière notre visage à l’infini qui peut lui-même tourner, s’envoler, s’élever dans les airs pour rejoindre les « Hurleurs » du rocher des Doms (situé au dessus de la prison d’Avignon) photographiés par Mathieu Pernot qui flottent eux aussi dans la ville.
Ce lieu où respire habituellement la désolation se voit ainsi transfiguré non seulement par la poésie inscrite dans les œuvres mêmes, mais aussi parce qu’il parvient grâce à cette exposition à dégager une certaine poésie. D’ailleurs les grands poètes tels que Verlaine y sont convoqués avec l’original de son poème «Le ciel par dessus le toit… » qui vient en écho aux Hurleurs propageant une « rumeur […] qui vient de la ville » et qui suggère que même si l’on est prisonnier notre image peut toutefois s’élever. Ainsi les deux dernières cellules de l’exposition consacrées aux œuvres réalisées dans le cadre d’ateliers de peinture par les actuels détenus de la prison du Pontet révèlent tout comme l’ensemble de l’exposition que l’art a bien sa place dans la prison et qu’il procure aussi aux visiteurs une réelle sensation de Liberté !
Pippo Delbono, Avignon, ma Tante, Sophie Calle, la Rage, Pina Bausch, la Mère de Pippo, son souffle, la mélancolie, son corps, la mort, ses cris, chaque année ou presque depuis sa découverte, l’oeuvre de Pippo Delbono est là, en moi. Mais pour de multiples raisons qui s’entremêlent de façon abrupte, évidente et troublante, il me faut assister à l’exposition qu’il propose à la Maison Rouge, à Paris, “Ma Mère et les autres”. Que ce soit ce jour-là, jeudi 18 septembre.
Dans les entrelacs de l’existence, l’art est un phare qui oriente le parcours des démunis, égarés face aux énigmes de la vie et de la mort. Il joue de clair-obscur pour révéler l’éclat de la noirceur, transforme les ombres en signes révélateurs.
Depuis plusieurs jours, des images, flashs, explosent dans mon esprit, mais peu de mots, peu d’idées. Démuni.
Nous sommes là, petit groupe de fidèles, à attendre l’ouverture de l’exposition. Il faut inscrire son nom sur une feuille pour y assister.
Ce moment suspendu permet à l’esprit de vagabonder : “Ma Mère et les autres” de Pippo Delbono – Rachel, Monique, de Sophie Calle au Festival d’Avignon en 2012 ; La Maison Rouge – le Cloître des Célestins d’Avignon ; septembre 2014 – juillet 2012 ; Armelle Héliot du Figaro (Eh oui elle était là !) – mes amis Tadorne (Pascal Bély et Sylvie Lefrère) ; la Mère de Pippo Delbono – ma Tante.
C’est le moment de descendre…dans les profondeurs de la Maison Rouge. Il faut baisser la tête, il fait sombre. Nous entrons dans un ventre maternel ou bien sommes-nous au purgatoire…Un long couloir mène à une salle de déjeuner. La Maison Rouge se transforme en hôpital psychiatrique italien. Gauche, droite, le long du couloir, des voiles blancs et flottants empêchent d’entrer dans les pièces et même de percevoir ce qui s’y trouve. Il me revient à l’esprit cette image de La Belle et La Bête de Jean Cocteau, où la Belle toute en grâce ophélienne, court le long d’un couloir en flottant sur le sol pour rejoindre la Bête. Elle est effleurée par les voiles blancs qui couvrent les fenêtres. Elle craint la Bête morte, faute d’être revenue à temps au palais. Pippo – sa Mère ; la Maison Rouge – le château ; la Belle – la Bête ; la mort causée par l’oubli – la vie renaissante grâce à la beauté.
On nous demande de nous asseoir à la table. Des assiettes et des gobelets en plastique (signes d’un temps de crise, nous dit Pippo Delbono), un vieux poste de télévision ne diffusant rien d’autre que du gris. Nous, apôtres psychiatriques, élus dérisoires, attablés pour vivre un repas de nourritures célestes. Nous sommes à l’écoute de Pippo. Sa parole est un corps qui nous enveloppe et nous contraint. Son souffle est peut-être encore plus beau que ses mots. Il nous raconte son histoire, celle de Bobo, et nous fait vivre des coups d’accélérateurs émotionnels. Des blocs d’intensité qui reposent sur des affects à la puissance démultipliée. Les hautes solitudes, la pauvreté, la misère. De la vieillesse, de la maladie. Des hommes et femmes abandonnés, perdus. Pippo nous dit que c’est précisément au moment où il était le plus mal, dans la nuit de la maladie, étreint par l’idée de ne plus parler, qu’il a fait la découverte de Bobo (enfermé en 1952 un hôpital psychiatrique, Pippo Delbono l’en fait sortir en 1996. Il est depuis l’acteur principal de ses créations). Il en a tiré ce trésor : les épreuves les plus douloureuses révèlent et métamorphosent les individus. Tout est relation, mouvement, durée vécue qui se déploie et transforme le donné, même le plus atroce. Sans maladie, pas de Bobo. Je pense alors longuement à ma tante d’Avignon.
On nous convie dans la deuxième pièce : quelques sièges, un fauteuil vide, mal éclairé par une lampe récalcitrante, et un écran. La séquence vidéo projetée est celle du film “Amore e Carne” et de la pièce “Orchidées”. La mère de Pippo est filmée agonisante sur son lit d’hôpital. Il filme au plus près, la petite caméra mouvante est à l’image de la vie qui tente d’absorber la mort : « Il faut regarder la mort pour regarder la vie ». Plonger dans le corps souffrant pour y trouver la beauté humaine. Lorsque leurs mains se croisent et se caressent, on croirait voir la croix du Christ. Il n’y a pas de négatif, il n’y a que des regards. Cette vieille femme mourante déploie la vie comme personne. En elle, je vois ma Tante d’Avignon.
Il nous faut à présent entrer dans le troisième tableau du triptyque. Pris dans la boucle, nous revenons sur nos pas et nous retrouvons le couloir. Les voiles blancs sont désormais relevés et ne masquent plus les pièces. Elles sont meublées d’écrans de télévisions qui donnent tous à voir Bobo. Bobo clownesque, farcesque. Bobo-Charlot, Bobo-Sindy Sherman, singeant les grands archétypes : héros de western, de policier, etc., exhibant tout son talent. L’exposition était tombeau de la mère ; elle devient sacre de Bobo. Ce qui relie les deux est la puissance de vie, l’amour, incarné par la danse de Bobo, ultime hommage à Pina Bausch.
Je ne cesse de penser à ma Tante.
Ma Tante habitait Avignon. C’était une femme pauvre, malade, qui vivait seule, après avoir accompagné jusqu’au bout son mari, malade d’un cancer de l’estomac. Elle n’avait pas fait d’études supérieures, se disait volontiers inculte bien qu’elle connût parfaitement la littérature et qu’elle aimât tout particulièrement Giono, Hugo, et Céline, par-dessous tout. Elle aurait eu sa place parmi les personnages célébrés par Pippo Delbono, d’une générosité incroyable, d’une humanité bouleversante, orageuse bien que démunie. Elle m’a fait aimer le Festival d’Avignon, me parlant des premières pièces de Villar, avec Gérard Philippe, Maria Casares jusqu’à Béjart. Ensuite, la maladie, la vieillesse l’empêchèrent d’assister aux pièces. Elle perdait la vue mais pas le sens des choses, des êtres et des valeurs. Ma tante, le Festival d’Avignon, la recherche de deux théâtres intimes humains, qui se reliaient parfaitement dans mon esprit. Voilà trois jours, elle s’est éteinte, laissant blanches derrière elle les pages du livre Avignon, détachant les fils multiples qui nous unissaient.
D’Avignon à Paris, de la Mère de Pippo à Bobo, de Pippo à ma Tante, tout s’achève et s’ouvre dans un même mouvement paradoxal et nécessaire, d’extinction et de redéploiement.
En cet instant si particulier, la vieille du vendredi 19 septembre, jour qui verra cette papesse quitter définitivement la cité terrestre, Pippo Delbono est pour moi ce que Bobo fut pour lui : « Dans le moment le plus sombre et noir de la vie, ce qui permet de surmonter le désespoir, c’est la relations aux autres, l’amour, la vie. » (Pippo Delbono).
Sylvain Saint-Pierre – Tadorne
L’Exposition de Pippo Delbono, Ma Mère et les autres – 5 au 21 septembre à la Maison Rouge – Fondation Antoine de Galbert.
Comment ouvrir les lieux d’art pour les projeter dans de nouvelles articulations au profit de projets innovants? Comment relier l’art à d’autres systèmes complexes? Comment désacraliser le rapport à l’art (enfermé dans l’expression clivante de culture) pour l’inclure dans une relation au sensible ? Depuis un an, deux associations qui fédèrent les structures médico-sociales (FNARS PACA et URIOPSS) élaborent avec mon cabinet (TRIGONE), un projet, « L’art et la manière pour un management créatif ». La finalité est d’offrir un espace pour penser le management à partir des pratiques créatives des manageurs et de leurs équipes dans un contexte qui appelle des projets transversaux et une communication circulaire.
Avant l’été, nous avions fait le pari de présenter la formation dans un lieu d’exposition d’art contemporain, car nous voulions poser un postulat : ce projet ne peut s’inscrire que dans une interaction créative.
C’est ainsi qu’une douzaine de manageurs intéressés par la formation ont répondu à notre invitation et ont arpentés les différents espaces cloisonnés de l’exposition Art-O-Rama à la Friche Belle de Mai à Marseille avec une question : « quelles oeuvres symboliseraient une formation sur l’art et le management ? ». Intrigués, les médiateurs culturels d’Art-O-Rama observent ces visiteurs d’un nouveau genre sans toutefois oser se mêler à eux.
Trente minutes plus tard, la visite commence. Deux manageurs présentent trois œuvres et posent déjà les premières bases de la formation qui débutera le 20 novembre 2014.
Au flou ressenti de l’œuvre de Florian et Michael Quistrebert (symbolisant la difficulté d’appréhender concrètement le contenu de la formation), répond la sculpture rassurante de Mick Peter, métaphore du pédagogue en mouvement, en dialogue avec le positionnement créatif des participants. Je rappelle qu’au cours de la formation, le flou, le non-savoir, sont à l’origine de la rencontre : nous n’avons rien à transmettre, mais tout à co-construire.
«L’art et la manière de manager» s’appuie donc sur une approche systémique, pour une approche de la créativité à partir de l’art, afin d’ouvrir les langages techniques qui peinent à traduire les processus complexes du management (à l’image du dessin de Dog Républic).
Il s’agira d’aller puiser les ressentis des stagiaires, informations du contexte de chacun, pour les mettre en lien, et qui, par la magie que procure l’art permettront d’ouvrir des espaces de « jeu » à l’image de l’installation de Peter Robinson. Celle-ci symbolise l’ensemble des outils du manageur des plus techniques, aux plus relationnels, en passant par ceux offerts par le contexte qui, mis en lien, relient, assemblent, développent la créativité des équipes.
Mais cela requiert de changer de point de vue, d’appréhender les systèmes humains à partir d’une approche globale, transversale et relationnelle de l’action. La formation proposera une approche multidimensionnelle (théorie de la communication, de la complexité ; méthodologie du projet global) pour développer les regards (à l’image de l’oeuvre photographique de Constant Dullaartoù c’est en se déplaçant que l’œuvre se dévoile sous des aspects à chaque fois différents).
C’est ce déplacement qui permet d’accroître la capacité d’un système à proposer des choix et la possibilité pour l’individu d’affronter ces choix et tolérer consciemment ceux des autres. C’est ce déplacement qui nous aide à questionner autrement des bouteilles qui serait soit à moitié vide, soit à moitié pleine ; une poêle trouée qui n’est plus une poêle, mais un dialogue entre ses trous et nos ouvertures ; un gros cube à priori inamovible, mais qui produit du mouvement si nous acceptons la possibilité que l’art nous déplace par un dialogue continu entre forme et matière.
Ainsi, la formation questionnera la construction de « l’œuvre » où les savoirs de chacun se situent en position de ressource et non d’expertise et alimentent l’espace relationnel du groupe (équipe, service, institution…)
Cette interaction entre l’individu et le groupe est le fondement de notre travail : « l’art et la manière » permettra aux manageurs d’apprendre sur le collectif en institution à partir des processus du groupe en formation que nous travaillerons tout au long des huit journées du cycle. Ainsi, à l’image des avions de Samuel Trenquier (« Missiles »), nous apprendrons à relier ce qui à priori séparé, à assembler des matières improbables afin d’aider l’encadrement à retrouver le geste de créer.
Au final, à l’image de l’œuvre d’Erica Baum, la formation sera un cabinet des curiosités (partie droite de la photo) qui, mobilisées, offrira au manageur de nouvelles perspectives car l’art est notre réel.
Pascal Bély, consultant, TRIGONE, Marseille.
« L’art et la manière : une formation pour relier l’art et le management », du 20 novembre 2014 à avril 2015, organisée par la FNARS PACA et l’URIOPSS. Conception: Catherine Méhu et Pascal Bély.
Dans quelques semaines, Bernard de Bretagne, Sylvain de Paris, Sylvie de Montpellier et moi-même, animerons «Les Offinités du Tadorne» au Festival Off d’Avignon. Au total, huit rendez-vous avec des groupes de spectateurs reliés par une thématique, un enjeu. Nous débuterons avec des professionnels de la toute petite enfance le 10 juillet pour clôturer le cycle avec des spectateurs du « in » et du « off » qui croiseront leurs regards le 24 juillet 2014 (les inscriptions se font ici).
Pour préparer ce projet estival, nous nous sommes réunis à Marseille les 12 et 13 avril pour ressentir ce que nous allions vivre avec les spectateurs Tadornes d’Avignon : comment un parcours artistique peut-il questionner notre place dans un environnement où l’on enferme la culture dans ce qu’elle rapporte, où l’on réduit le public à une somme de consommateurs qu’il faut séduire à tout pris via un marketing abrutissant ?
Trois expositions ont jalonné notre rencontre : «Ricciotti architecte» et «ASCO and friends : Exiled Portraits» à la Friche Belle de Mai puis « Visages » à la Vieille Charité. À l’issue de ce cheminement, face au MUCEM, nous avons écrit ce texte, tel un manifeste, tel un droit de réponse à ceux qui font de la culture un espace de chasse gardée.
Dans une société française moulée dans le béton désarmé, nous sommes des spectateurs Tadornes, éléments d’un puzzle qui donnent une vision à l’art sous toutes ses formes. Nous sommes des explorateurs, banc de poissons pris dans la dentelle d’un filet de pêcheurs. En toute liberté, notre parole critique oscille dans les mailles et les flots du MUCEM de Rudy Ricciotti.
À l’image du collectif d’artistes Chicanos de 1972 à 1987 ASCO, les spectateurs Tadornes sont reliés dans une même démarche, en mouvement. Nos singularités dialoguent dans un même engagement critique. Soudés tel un corps vivant, réceptacle d’émotions et de rébellions, nous passons par les quatre coins cardinaux où nous traversons des chutes et des ascensions. Nous ouvrons une porte sur l’art, y créons des passerelles qui offrent de la transparence, de la porosité, de l’esthétisme et de la chaleur humaine.
Les spectateurs Tadornes sont des artisans compagnons de l’art, ouverts sur de nouveaux horizons à imaginer ensemble.
Quand on s’adresse à eux, ils offrent leur écoute et tissent en reliant le monde proposé à la construction du leur. L’être là d’un spectateur est un mouvement, une respiration vitalisée ; l’art se construit et devient œuvre quand la rencontre des différences se fait écho d’histoire de vie.
De notre week-end marseillais, nous retiendrons ceci…le retour à l’enjeu du visage. Celui d’une amitié, celui d’un face à face avec des œuvres, celui du projet des Offinités d’Avignon. Le visage comme porte d’entrée à des enjeux humains, au croisement du champ artistique.
Le visage d’un collectif, le groupe ASCO, qui nous regarde comme nous le regardons. Le visage de la volonté et du lâcher-prise, celui de Riciotti.
Le visage encore indéterminé du spectateur des Offinités 2014, que nous accueillerons cet été.
« Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau » (Paul Valéry) : ce qui est le plus hostile au cloisonnement, c’est le visage.
Au Off, plus de 1000 spectacles, près de 200.000 spectateurs, et des visages que nous tenterons de révéler; auxquels nous donnerons corps et voix avec l’aide du chorégraphe Philippe Lafeuille.
Il nous reste à explorer toute la matière de nos liens dont nous ignorons, à l’image du béton du MUCEM de Rudy Ricciotti, ce qu’il deviendra. Nous savons qu’il nous faudra entrer dans le difficile, le rugueux, le nauséabond, pour y trouver les ressorts de notre aimable rébellion.
À la Vieille Charité, il existe une salle où l’on ose les liens entre l’archéologie, l’art contemporain et le corps créatif du spectateur.
À la Vieille Charité, il existe au centre de la cour, une chapelle où le spectateur peut créer sa vision circulaire de l’art.
À l’image de l’exposition «Visages», nous pensons que tout chemin ouvre sur la complexité et pas sur autre chose !
C’est à cette complexité du vivant que nous osons parier quand d’autres rêveraient de réduire notre parole: notre détermination est sans faille, notre vision est dentelle.
Sylvie Lefrère, Bernard Gaurier, Sylvain Saint-Pierre, Pascal Bély – Tadorne
« Les offinités du Blog du Tadorne » au Festival Off d’Avignon du 10 au 24 juillet 2014.
« Visages » à la Vieille Charité à Marseille jusqu’au 22 juin 2014.
« Ricciotti architecte » jusqu’au 18 mai 2014 et et « ASCO and friends : Exiled Portraits » jusqu’au 6 juillet 2014 à la Friche Belle de Mai.
L’après 2013 sur le territoire métropolitain de Marseille donne déjà quelques signes d’inquiétude. Point de rendez-vous marquant pour les semaines à venir; place toujours aussi minimaliste de la danse dans les programmations ; Le Merlan, scène nationale, toujours sans projet… 2013 semble ne rien avoir changé structurellement. En parcourant ma page Facebook, je lis ce qui se joue ailleurs et ne viendra probablement jamais ici.
Comment s’accrocher pour ne pas perdre le fil qui me relie au monde de l’art ? Il y a eu la Biennale d’Art Contemporain lors de mes vacances en Martinique. J’ai du longuement chercher pour trouver les espaces d’expositions à Morne Rouge. Je n’ai croisé aucun visiteur. Seul. Et pourtant : des belles œuvres, des propos artistiques assumés, une scénographie ouverte et accueillante.
Le corps y occupe une place majeure entre les photographies tranchées de Lalla Essaydi, « les poupées noires » de cire et de son de Mirtho Linguet et les têtes mémorielles de Ledelle Moe. La représentation du corps est bel et bien politique et il revient aux artistes de nous la renvoyer : entre fantasmes, lâcheté et fantôme, notre vision du corps féminin est l’axe central de notre visée politique.
A quelques mètres de là, une œuvre m’a littéralement bouleversé : Nyugen E. Smith représente un bateau, monumental parce qu’il dévoile les âmes qui ne sont jamais revenues de leurs embarcations de fortune. «Boat» est un trésor d’humanité : tout y est pour nous rappeler que la terre n’est qu’un bateau à la dérive, charriant les morts de nos génocides économiques et idéologiques. Dans «Boat», l’homme noir dévoile ici ses mains tandis que le reste de son corps git probablement en moi, dans ma conscience d’homme blanc dominant.
La question du corps semble vouloir me poursuivre jusqu’à Paris…Une amie m’invite au Théâtre de la Bastille pour «Notre corps utopique» par le collectif F71. Comment mettre en scène un texte de Michel Foucault ? Six femmes prennent à bras le corps ce défi un peu fou comme s’il y avait une urgence au moment où les réactionnaires de tout poil (incluant les publicitaires) se donnent rendez-vous pour faire du corps leur joujou idéologique. Pendant plus d’une heure, elles s’essayent à dévoiler ce territoire : corps dansant, titubant, éructant, vomissant…corps à la dérive des sentiments…corps pinceau pour toile d’une origine du monde…corps mots à mots pour faire entendre le corps social…C’est un flot qui m’a parfois englouti (le texte de Foucault s’articule difficilement avec les métaphores florissantes du groupe!) et souvent repêché quand elles font appel aux spectateurs pour dessiner une fresque corporelle vivante, interactive, de sueurs et de larmes. C’est peut-être là où ce collectif réussit son pari : nous inclure dans la question du corps en mobilisant notre sensibilité, notre gout du jeu…en s’appuyant sur nos territoires que nous avons peu à peu gagné contre la mer(e) envahissante de sainte mère l’Église. Mais rien n’est acquit : comment repositionner le corps entre réel et virtuel ? Comment le repenser ? Au final, nous sommes sortis habités par ce spectacle, mais avec un goût d’inachevé comme si le théâtre français peinait à incarner le corps comme un territoire qui embarquerait le spectateur dans une utopie partagée, celle d’un corps politiquement libéré, où la chair et le texte cesseraient leur combat esthétique stérile.
Cap sur Marseille où «Purge» de François-Michel Pesenti me fait l’effet d’une douche revigorante, tel un retour aux fondamentaux. Ici point d’histoire ; à peine un dispositif. Juste des acteurs, des comédiens, des femmes et des hommes avec leurs hauts et leurs bas qui filent. Ils entrent et sortent pour créer le jeu de l’amour et du hasard. Je ne perçois que le corps de l’acteur dans toute sa puissance évocatrice. C’est parfois brut, souvent habillé de textes complexes et de réponses d’acteurs aux consignes données par François-Michel Pensenti lui-même, homme-orchestre pour baguette tragique. J’ai ressenti la puissance de ce que le théâtre peut faire : m’embarquer loin, très loin, sans violence, mais avec détermination. Me débarquer sur la rive pour que je saisisse un geste, que j’entende une évocation, que je construise un lien. Car ce théâtre n’est peut-être que cela : le lien entre l’acteur et le spectateur, débarrassé du narratif pour que s’écoute ce qu’il se joue.
Les acteurs sont exceptionnels (Peggy Péneau, Frédéric Poinceau, Karine Porciero, Maxime Reverchon, Laurent de Richemond). Chacun d’eux est une composante de mon rapport au théâtre, expliquant pourquoi je me suis tant accroché à eux !
En quittant les Bernardines, je suis habité. C’est dedans, c’est profond. Je me ressens un homme honnête, presque purgé de quelque chose d’indéfinissable. François-Michel Pesenti fait ce trail unique et remarquable : celui de raviver la conscience du spectateur. Le théâtre n’est que travail. Sur soi. Pour que vive l’acteur.
Pour que nos corps utopiques s’incarnent.
Pascal Bély – Le Tadorne
La Biennale d’Art Contemporain de Martinique – du 23 novembre 2013 au 15 janvier 2014.
« Notre corps utopique », d’après « Le corps utopique » de Michel Foucault par le collectif F71 au Théâtre de la Bastille de Paris du 7 au 22 janvier 2014.
« Purge » de François-Michel Pesenti au Théâtre des Bernardines de Marseille du 14 au 25 janvier 2014.
Pendant le Festival d’Avignon, il y a des lieux où tout le monde se presse. Le potager derrière la Cour d’Honneur, le bar du In…Du technicien, à l’artiste, toute la profession au sens large se retrouve, entre soi. Avoir le carton d’invitation, sésame pour y entrer, est tout un art, celui du reseautage des plus malins. Heureusement, dans la ville, les rencontres sont partout, de la terrasse de café à la file d’attente.
La plasticienne Sophie Calle, à l’Hôtel de La Mirande, nous propose un rendez vous particulier. Nous pénétrons dans le corridor de son intimité…qui miroite avec le notre. Nous montons un grand escalier. A l’étage, une jeune femme de chambre nous accueille. Elle a un tablier blanc. Je me retrouve projetée dans un livre de la comtesse de Ségur. L’agitation de la ville est loin. Tout est feutré. Sophie apparaît en déshabillé de soie couleur chair, éventail à la main. Désinvolte, elle nous dit de rentrer car il y a peu de monde. Sommes nous visiteurs, spectateurs? Je me sens invitée…communiante dans un parcours qui me ressemble.
L’attention est extrême. Mon regard caresse les fleurs de la tapisserie, le lisse des boiseries. Je rentre dans un jeu de l’oie où dans chaque case, j’interagis dans ma mémoire. Les petits mots numérotés sont les années qui passent. Un mot maladroit d’une mère envahissante, une décision imposée du père, un jeu d’enfants pervers dans la cour de l’école, les pensées qui ne nous quittent pas de nos chers disparus, et toutes les relations amoureuses toujours présentes dans nos corps et nos esprits…
Dans ce cheminement de vie féminin, je suis une âme qui plane sous les lustres.
Chaque mot, chaque objet sont comme un fragment de ma vie intérieure, mes petites pensées intimes. Dans le couloir, j’étais un bloc et petit à petit je me déconstruis. Lavée de souvenirs dans la salle de bain, vidée par le manuel dans les WC, éclairée dans le couloir, cachée dans les robes des placards, pour enfin pénétrer dans son antre. La pièce fourmille d’informations et d’objets. C’est une scénographie de nos lobes cérébraux, des contours de nos chairs. Un soutien gorge noir accroché sur le bras du luminaire fait frissonner vers les nuits passées, les dragées ont un goût de fruit défendu, le chat empaillé est le compagnon de nos secrets d’enfant, le matelas brulé noircis des deuils des amours passés… Mais la présence lascive de Sophie illumine le parcours. Elle est la madone que nous venons célébrer, la forme généreuse qui absorbe nos confidences. Elle anime l’atmosphère musicale en choisissant avec nos propositions. Elle choisit de changer la bande-son pour écouter Manu Chao «Me llaman calle», car c’est son nom. Elle nous contient jusque dans les ondes.
Les hommes l’observent avec soif, pendant que les femmes, elles, sont intimidées. Un tabouret est disposé près de son lit pour ceux qui veulent lui confier une part d’histoire, de mémoire, de secret.
La rencontre devient religieuse, comme devant un confessionnal ouvert. Les petits fragments de vie se rassemblent, plongés dans son décolleté. Je lui délivre une part de mon vécu de ses expositions. Derrière ses lunettes de soleil, elle se protège des éclats émotionnels envoyés. Elle appuie sur le bouton de son petit magnétophone. Je suis dans sa boite. Je l’ai autorisé.
La pièce est remplie de personnes que je n’ai pas vu arriver. Je ne vois plus mon amie. Je quitte la pièce sur la pointe des pieds comme si je voulais partir en douce.
En début de Festival, je pensais au ciel d’Avignon qui m’attendait pour alimenter de nouvelles visions. Je découvre que c’est aussi un lieu ressource, de rencontres et d’émotions improbables, dont nous sommes les chefs d’orchestre intuitifs.
Je suis statue d’argile, patinée, posée dans un coin de la mémoire de Sophie. Nous nous sommes rassemblées, au cœur de la ville, dans nos émois.
Sylvie Lefrère – Tadorne.
"Chambre 20" par Sophie Calle à l'Hôtel de la Mirande - Festival d'Avignon - du 15 au 19 juillet 2013.
En cette fin de printemps, les nuages sont une fois de plus de sortie, mais qu’importe…nous avons rendez-vous au Musée Réattu d’Arles pour «Nuage», l’une des expositions phares de Marseille Provence 2013. Elle est notre point de ralliement pour finaliser notre projet d’Offinités Publiques, où spectateurs, lecteurs et contributeurs du blog «Le Tadorne» créeront les jours pairs au Festival Off d’Avignon, un espace critique ouvert et vivant. En entrant dans le Musée, nous ignorons encore que nous y resterons la journée…
Au commencement, nous contemplons longuement l’œuvre de Jaume Plensa installée dans la cour du Musée où un amalgame de signes construit de la matière d’où la poésie émerge. L’universalité prend corps dans la transparence. L’écriture d’Asie, les chiffres d’Égypte, la calligraphie arabe se mêlent et nous donne le canevas de la communication ouverte. Notre regard se met en dynamique: d’une vue globale, il s’affine dans des trouées.
De ces puits de lumière, il éclaire notre vision et les points cardinaux changent de repères.«Nuage» nous projettera donc dans un univers de langages qui traversera nos corps et nous donnera l’assise qui autorise toutes les pensées, pourvu qu’elles ouvrent, relient les mots et poétisent nos liens. « Nuage IV » de Jaume Plensa est l’œuvre qui métaphorise notre projet pour Avignon.
Nous avons finalement investi le lieu pendant plus de cinq heures : debout pour arpenter les 26 salles ; assis sur la moquette nuageuse pour réfléchir et écrire entourés des corps célestes d’Inigo Manglano-Ocalle (deux «peintures» reproduisant l’ADN d’un couple); couchés dans des coussins en forme de galets de l’installation de Céleste Boursier-Mougenot pour regarder autrement le rivage du Rhône, projeté sur les murs, comme une ouverture vers de nouvelles perspectives.
En nous installant dans le musée, nous avons osé sortir du cadre (celui où le visiteur passe de salle en salle sans se (re)poser pour élaborer) à l’image de la troublante œuvre de Corinne Mercadier (“Black Screen Drawing”). Notre cheminement dans ce lieu nous a donné la vision des liens que nous souhaitons instaurer avec les spectateurs d’Avignon. N’est-ce pas là, une des fonctions de l’art ?
Aujourd’hui, nos systèmes déconnectent le sens de l’action. En nous invitant à donner un grand coup de masse dans les deux gongs de Matter/Spirit de Jaume Plensa, celui de l’esprit et l’autre de la matière, nous ressentons les vibrations de la co-construction qui les rapprochent, en transversalité, du bas vers le haut, de la terre vers le ciel. Fatigués par la lourdeur d’une profonde crise de la pensée, nous aspirons à la légèreté des Tranches de nuage de Jean Arp où le poids se confronte à l’air, où le minéral solide s’oppose au gaz pour créer une nouvelle matière vivante à l’image du Nuage prenant racine de Christian Rothacher…
Telle sera notre finalité à Avignon: nous ferons sonner les gongs au commencement de chaque offinité pour relier l’esprit du spectateur à la matière foisonnante du Festival Off (plus de 1200 spectacles !).
En se laissant porter par les vents, la condensation des gouttelettes d’eau se réunit et fabrique les nuages . Le ciel se dessine grâce à leurs fragments qui se forment, se deforment. Des vents nouveaux réorganisent la composition du ciel. Le temps se métamorphose, du singulier au collectif. L’évaporation des plus petits bâtit de nouveaux horizons. Éphémère phénomène météo qui façonne le paysage, dégage de la vision où les ombres sur la terre laissent passer les rayons du soleil à l’image des photographies envoutantes d’Edward Weston (Dunes). Lors des Offinités, nous créerons les nuages à partir des paroles parsemées qui, par l’effet du collectif réuni, formeront un paysage d’ombres et de lumières.
Le cheminement proposé par la commissaire Michèle Moutashar nous emmène à notre insu vers de nouveaux territoires à l’image de la La machine à Poèmes de Marcel Broodthaers où l’ imaginaire spirituel se relie avec le réel et lui donne une force clairvoyante. Le promenoir à nuages de Françoise Coutant nous propulse encore plus loin dans ce désir de s’affranchir de la mécanique pour la poétiser. Pour nos offinités, nous aspirons à introduire le regard poétique dans un espace public et ouvert : les spectateurs critiques disposeront de promenoirs…Ainsi, le ciel et la terre se reflètent comme dans un miroir. Du figé apparaît le mouvement et nos échelles de valeurs nous élève vers l’utopie symbolisée par Le Cloud Cleaner de Robert et Shana ParkeHarrison. Nos offinités nourriront l’utopie de Jean Vilar pour qui « le public est l’artisan de son théâtre ».
Au fur et à mesure, l’exposition nous donne de l’énergie, et de notre projet apparait l’œuvre de Michael Sailstorfer, «Cumulus». Nous contemplons la rotation de la matière actionnée par la machine qui, peu à peu, dévoile sa poésie, entre mère et ciel, liens et formes, projet et sens. Notre ciel d’Avignon se dévoile, parsemés de spectateurs-nuages, fruit de la condensation de nos sensibilités croisées, pour des écrits-paysages qui seront publiés quotidiennement sur le blog.
La journée s’achève sous le soleil. Ce musée est un lieu d’art où se relient les projets…un lieu de rencontres, sans éducation, où l’on se nourrit d’interactions et de convivialité. Nos offinités publiques seront nuage, car l’art est brume.
Sylvie Lefrère et Pascal Bély – Tadornes.
Crédit photo: Gazull.
" Nuage" au musée Reattu à Arles du 16 mai au 31 octobre 2013
"Les offinités publiques du Tadorne" au Village du Off du Festival d'Avignon, de 11h30 à 13h, les jours pairs du 8 au 30 juillet 2013.
Comment accueillir l’art contemporain dans une ville ? Peut-elle faire «œuvre» ? Est-ce suffisant d’installer à quelques coins de rue, dans la cour d’une mairie, des œuvres et d’y poster quelques «médiateurs» chargés de diffuser la «bonne parole», le «bon regard»? Aix en Provence est l’une des collectivités de l’ensemble hétéroclite «Marseille Provence 2013», capitale européenne de la culture. Depuis le 12 février, un «parcours d’art contemporain» est proposé, imaginé par le commissaire d’exposition Xavier Douroux. Mais dans cette ville dirigée par le maire UMP Maryse Joissains, rien n’est offert sans arrière-pensée politique au moment même où elle mène une offensive médiatique pour refuser le projet de métropole marseillaise voulu par le gouvernement.
Celle qui déclarait «illégitime» François Hollande le soir de son élection…
Celle qui a mené une guerre sans merci contre les Roms…
Celle qui fustigeait en 2003 les intermittents jusqu’à porter plainte contre eux…
Celle qui écrivait dernièrement, «les valeurs qu’à Marine Le Pen, je les ai toujours défendues»…
Celle qui a menacé à plusieurs reprises de retirer ses billes de l’Association Marseille 2013…
Celle qui est largement responsable de l’éviction de Benjamin Stora du commissariat de l’exposition sur Albert Camus…
Celle qui, sur des panneaux 4 par 3 ose écrire à l’occasion de ses vœux, «notre territoire est unique, préservons-le» (c’est-à-dire de ces gueux Marseillais)…
Celle qui déploie une banderole contre la métropole à l’endroit même où est exposée l’œuvre de Xavier Veilhan…
Celle qui…
Je déambule dans la ville en tentant de faire abstraction d’un climat politique qui a abimé son image et détérioré le lien social. Mais je peine à séparer une manifestation d’art contemporain de son contexte comme si l’un ne répondait plus à l’autre. Certes, il y a les platanes colorés de petits pois par Yahoi Kusama qui métamorphose radicalement la perspective du Cour Mirabeau : cette artère commerçante et mythique tombe le masque et dévoile par magie des arbres-girafes qui élèvent mon regard au-delà du clinquant et du paraitre.
Il y a bien la statue de Thomas Houseago sur la place de l’Université pour nous rappeler que nous sommes fragilité, un corps à multiples faces partie prenante d’une humanité qui s’effondre. Mais le reste du parcours est en résonance avec la vision d’une politique qui positionne l’art comme une variable d’ajustement économique. À la Cour d’Appel fermée comme une huitre, répondent les œuvres carcérales en acier de Sofia Taboas dans lesquelles il est interdit de pénétrer…Où est la perspective ? Au Palais de Justice juché sur ses grandes marches, répondent derrière des grilles, la vision sans profondeur du bon droit de Franz West. Où est le projet ?
Mais c’est dans la Cour de l’Hôtel de Ville que la vision politique de l’art contemporain de Maryse Joissains prend tout son sens. Dépassé la banderole (imaginerait-on le même accueil sur le fronton d’un musée?), l’installation de Xavier Veilhan souffre. D’abord de notre regard. Les visiteurs s’y prennent en photo: ce geste compte finalement plus que le sens de l’oeuvre. Puis du rôle joué par une «médiatrice» de Marseille Provence 2013 qui rappelle l’interdiction d’y monter dessus même si l’artiste nous invite «à l’habiter». Alors que j’entame le dialogue, je m’effondre peu à peu en écoutant ses arguments :
– «on n’y monte plus parce que les gens l’ont abîmé»…
-«Je pense que les conditions météo détériorent plus l’œuvre que les visiteurs”
-«Non, ce n’est pas vrai»
-“Mais alors, pourquoi l’artiste nous invite à l’habiter?”
-“L’artiste n’a pas prévu que les visiteurs abîmeraient l’œuvre”.
-“Ah,…Mais quelle représentation se fait-il de « l’habitation » ? Vous et moi, habitons les lieux et leur détérioration fait partie d’un processus vital. Savez-vous qu’une maison qui n’est pas habitée se détériore?”
-“Euh…Dans tous les cas, c’est interdit.”
-“Finalement, l’œuvre posée au cœur d’une institution culturelle refuse l’interaction alors qu’elle la sollicite. Quel paradoxe ! L’art ne veut plus du lien social pour se préserver. Mais se protéger de quoi ? Ne croyez-vous pas que ce qui détériore l’œuvre est plus la banderole militante qui nous accueille que le désir des spectateurs ? Comment Marseille Provence 2013 a-t-il pu laisser valider un tel message politique?”.
Le dialogue tourne court.
Entre l’interdiction et la banderole…l’art est un objet…contre.
«Conte d’amour», le titre fait immanquablement penser aux variations littéraires autour de ce genre habituellement destiné aux enfants. On le sait, les contes sont rarement innocents; qu’ils soient merveilleux, rouges, bleus, cruels ou tragiques, ils recèlent toujours une part énigmatique qui échappe à la lecture en surface. Ce sont les miroirs déformants de nos fantasmes et désirs que la raison raisonnante tend habituellement à museler. Par-delà le plaisir du divertissement, ils interrogent les structures fondamentales de la parenté, l’élaboration psychique d’une mythologie personnelle, le lien de tout individu avec un récit fondateur.
Lorsque l’on se prépare à assister à «Conte d’amour» de Markus Öhrn au Théâtre de Gennevilliers, on se dit alors que le titre sera doublement trompeur. De conte et d’amour, il risque de ne pas y avoir de trace durant le long trajet de la représentation (3 heures). La pièce, inspirée par le comble de l’horreur (l’histoire de ce père autrichien qui séquestra des années durant sa fille et lui fit des enfants), suscite en elle-même de nombreuses appréhensions. Je repense à l’expérience cinématographique de Salo ou les 120 journées de Sodome, dernier film tourné par Pasolini avant sa mort : l’enfer carcéral ; la réduction de l’humain au rang d’animal, d’objet du désir, puis sacrificiel ; le lien établi entre désir et fascisme, possession d’autrui et pulsion de mort. Mais surtout, la beauté froide et absolue, rigoureusement planifiée, qui émane de l’horreur la plus abjecte. C’est-à-dire, le trouble provoqué par le film lorsqu’il nous met face à l’ambigüité de notre propre désir, opérant alors la seule véritable transgression : l’abolition de la frontière entre «eux» et «nous», les acteurs et les spectateurs, la barbarie et la culture, la fiction et le réel. Durant le trajet, je repense également à d’autres expériences théâtrales qui, avec plus ou moins de bonheur, avaient tenté le parti-pris de la radicalité lors des dernières éditions du Festival d’Avignon : les spectacles de Jan Fabre, Pippo Delbono, d’Angélica Liddell, de Steven Cohen. En un mot, je m’attends à soutenir une décharge d’intensité peu commune, loin de ce que l’anti-titre laisse supposer.
Bien entendu, le conte, au sens propre, vole en éclats lorsqu’il s’agit de théâtre. Il se retrouve alors disséminé en objets de mise en scène. Celle-ci repose sur un dispositif ingénieux qui mêle les supports visuels : un écran géant sur la gauche ; la reconstitution d’une banale maison sur deux étages, l’un visible, l’autre opaque, car recouvert d’une bâche ; et enfin, deux autres grands écrans. Le travail de plasticien de Markus Öhrn est perceptible, sans pour autant qu’il s’agisse là d’une innovation absolue. Dans la perspective du Festival d’Avignon par exemple, rappelons que l’ouverture à la vidéo date de 1967 et la diffusion de La Chinoise dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. L’hybridation des formes était déjà à l’œuvre l’année précédente avec Le Boléro de Ravel mis en scène par Béjart et le sera l’année suivante avec l’irruption du Living Theatre.
L’image inaugurale de la pièce a valeur de programme : l’écran de gauche diffuse longuement l’édification d’un mur de briques grises. Pendant ce temps, le père, à l’étage, fornique des poupées gonflables, tourne en rond, semble une bête en cage et en rage. Le son, particulièrement désagréable, accompagne l’image : le contact grinçant de la truelle et de la brique glace le sang. Le mouvement est continu, implacable. On se doute que la vidéo illustre l’enfermement des enfants dans la cave, voire du père dans sa folie. On imagine également que le dispositif est destiné à s’étendre aux spectateurs, désormais cloîtrés dans l’espace de la représentation. Le mur est visible, Markus Öhrn joue cartes sur table. Mais pour visible qu’il soit, il ne se situe pas forcément là où le spectateur (ni le metteur en scène ?) le pense.
La séquence s’achève, le père déplace un meuble, découvre une petite porte de sortie camouflée. Tel un insecte, il s’y engouffre et disparaît de notre champ de vision direct. Le jeu théâtral sera à présent l’objet d’une médiation par l’image : un dispositif de caméra surveillance et une mini-caméra maniée par les comédiens auront la charge de capter l’action. Celle-ci est diffusée sur les deux écrans du haut. Le dispositif devrait être anxiogène, d’autant que la pièce est plongée dans l’obscurité la plus totale. Mais le mur de brique, la médiation par l’image, l’absence de parole, tout concourt à la mise en place progressive d’un théâtre de la distanciation dont l’effet serait d’amortir le choc de la cruauté annoncée. Le père ne vient pas les mains vides : il apporte lumière et nourriture à ses créatures. En un mot, il est porteur de vie dans ce lieu mortifère (est-ce une crypte ?). Lorsqu’il descend l’escalier, une voix d’enfant entonne : «Les enfants ont faim. Les enfants ont soif». Peu à peu, de la pénombre, émergent leurs corps. Immobiles ou s’adonnant à la répétitivité d’une gestuelle frénétique, ils créent le malaise. Bizarrement, cette impression n’est pas morale, mais est esthétique : pourquoi donc faire interpréter la jeune fille par un comédien travesti pour l’occasion ? Et le bébé par un adulte ? Une nouvelle fois, l’illusion réaliste est balayée d’un revers de main pour laisser place à une mise à distance. Mais contrairement aux enfants de ce père, la créature va échapper au metteur en scène. L’irruption de l’esthétique queer dans ce contexte apparaît comme un placage de stéréotypes sur l’homosexualité (le rose, la pose, etc.) Pourquoi donc s’attarder complaisamment à exhiber à ces signaux ? Le père donne à manger à ses enfants de la junk food, symbole de la société capitaliste. La dénonciation du nihilisme contemporain est déjà une vieille antienne, le problème se corse avec sa traduction scénique. Elle mise sur l’étirement des scènes, l’attention portée au détail insignifiant, le passage du silence au cri. Markus Öhrn critique la macdonaldisation des corps et des esprits en nous montrant, de longues minutes durant, des hamburgers. La distanciation, alors, devient incontrôlable : malgré le mur, je sors de la pièce, et j’observe, de loin, la manipulation opérer à vide.
Et pourtant, la musique joue son rôle, les positions parent/enfants, bourreau/victimes s’intervertissent, les moments obscènes finissent bien par arriver, le chaos par jaillir sur scène. Les actions s’enchaînent, la théâtralité perd en substance et prend au fur et à mesure la forme d’une performance scénique. L’aléatoire semble régner sur scène, les objets du quotidien sont détournés de leur fonction première et agissent comme révélateur de pulsions enfouies. Les corps sont mis à nu et ça crie beaucoup. Dès lors, je m’interroge sur un dispositif qui globalement m’apparaît comme boiteux : est-ce la cruauté qui pervertit la distanciation ou au contraire la mise à distance qui atténue la portée des moments crus ? La coexistence des deux, en tout cas, pose question. Et le discours n’en finit pas de patiner, les rares fois où le verbe prend corps. Toute la pièce oscillera entre mise à distance et mise à l’épreuve, sans pour autant que le propos gagne en consistance ou qu’une esthétique vienne rehausser le spectacle. Je m’échappe en sautant le mur et sors profondément déçu…
Je repense alors à un autre travail, celui, intitulé « Anticorps », et présenté actuellement par Antoine d’Agata, à BAL à Paris. Lui aussi travaille les images, cette fois en tant que photographe. Mais enfermer son œuvre dans cette appellation serait en limiter la portée. L’exposition se déroule en deux temps : le premier, au rez-de-chaussée du BAL, donne à voir un film sans image. Nous fixons le noir comme étendue, comme épaisseur mentale, morale, cosmique. Seules les paroles comptent. Ce sont celles, délicatement littéraires, de prostituées racontant les affres de leur rencontre avec la drogue. Pas d’image autre que celle issue du verbe.
Puis, à la manière du père de Conte d’amour, nous prenons l’escalier pour descendre dans la pièce centrale. Chambre mortifère ? Crypte ? Cette pièce unique, entièrement recouverte sur les quatre côtés de photographies d’Antoine d’Agata, impressionne d’emblée : nous voilà pris au piège. Mais moins celui de la manipulation que de la beauté convulsive. Les corps sont là, ouverts au sexe, à la drogue ou à la guerre. Les visages sont crus, et quand ils nous regardent, ils le font froidement. L’univers tremble dans cet espace clos. Les images aussi : photographie, peinture, cri, tout est flux qui se recompose en se décomposant. Tout est poreux. La médiation de l’appareil photo est elle-même atteinte par cette perforation : tout s’expose au-dehors. L’artiste en premier, qui met sa peau sur la table, littéralement. Son corps est une présence exacerbée, morcelée, sacrifiée. Ses photographies sont au présent, car on pressent que la mort rôde et qu’elle le renifle ; l’enfermement de cette salle n’est qu’une protection illusoire.
Aucune volonté de distanciation. Les corps sont des lieux de passage : du temps, de la drogue, de la mort…de la vie. Alors, la photographie arrache des morceaux de chair avant la putréfaction. Des morceaux de vie avant la fin. Mais ce trésor est de feu, et n’en finit pas de brûler son support. Les photographies dansent autour de nous. Elles brûlent. Car, et cela saute aux yeux, tout est porté par une irrépressible nécessité : celle de voir, de vivre, de sentir, de montrer. Nécessité, le mot est là. Ou, pour reprendre l’aphorisme que Robert Bresson applique au cinéma, mais que nous pourrions étendre à ce travail époustouflant, de révéler «la force éjaculatrice de l’œil». (Notes sur le cinématographe).
Et si, le vrai conte d’amour se trouvait au BAL…et les « anticorps » à Gennevilliers ?
"Conte d'Amour" de Markus Öhrn au Théâtre de Gennevilliers du 2 au 7 février 2013.
"ANTICORPS" d’ANTOINE D’AGATA Le Bal, 6, impasse de la Défense, 75018. Jusqu’au 14 avril 2013.
Au lendemain du week-end d’ouverture de Marseille Provence 2013, le journal de 7h30 de France Inter fait le bilan. Après une semaine de grève, l’envoyé spécial de la station semble bien bien mal diposé pour oser faire un tel bilan (à écouter, en bas de cet article). Notre réponse à ce reportage baclé…
Nous débutons ce week-end d’ouverture par l’exposition «Ici, ailleurs » à la Friche Belle de Mai. Ce choix n’a rien du hasard. C’est un lieu brut où tout se reconstruit, à l’image d’une ville en chantier, en métamorphose. À peine entré, notre regard sur l’art est partout: les murs investis par les grapheurs, le bleu de l’escalier, l’ouverture des fenêtres sur le dehors, les œuvres plastiques sur la terrasse…Nous désirons découvrir autrement la ville et nous reviennent ces habitants d’Istanbul, emmenés par la plasticienne Sophie Calle, qui voyaient la mer pour la première fois. Nous avons peut-être le même regard qu’eux…
Il y a foule, celle des grands jours. Nous semblons tous assoiffés d’art comme si nous étions privés depuis trop longtemps de ces rassemblements qui font l’âme d’une ville. Nous sommes excités d’être là : nous avons tant attendu!
«Ici, ailleurs» est un chemin qui, d’étage en étage, nous conduit sur une terrasse, espace de reliance entre la mer et l’art. L’exposition nous immerge dans la pensée méditerranéenne, celle qui autorise tous les liens pour appréhender autrement le monde. Elle est composée d’archipels où nous accostons. À l’entrée, les aquarelles sur papier d’Etel Adnan, de Bouland al-Haidari et d’Issam Mahfouz accueillentdes poèmes arabes qui, telles des partitions de musique, invitent à relier tous les arts…
Les boules de verre soufflées de Mona Hatoum séduisent les enfants qui osent les toucher. Le rouge de ces cœurs palpitants et légers déborde des cages d’où ils refusent d’être enfermés. La case de la norme est refoulée, tel un appel du large, à l’image de l’exceptionnelle vidéo d’Ange Leccia («Traversée»). Du bateau qui relie le continent à la Corse, nous longeons les côtes pour entrer dans les terres brûlées de la Syrie, pour écouter la profondeur de la voie démocratique des chanteurs corses…Cette traversée nous trouble tandis qu’apparaissent des images de femme – madones, conférant à ce voyage un caractère quasi spirituel : la méditerranée se rêve, se défend, se prie,…
Elle est une pensée qui accouche, à l’image de la «Virgo Mater» de Javier Pérez, l’une des œuvres les plus fortes de cette exposition. Composée de résine et de boyaux de porc séchés, elle vient vers nous, prête à se dévoiler. L’espoir est là : nos conquêtes laïques, sociales et culturelles ont métamorphosé le religieux. Comment ne pas voir dans ces tissus de porcs, le biologique prêt se fondre dans la culture ? Oui, au mariage pour tous…!
Oui, à la jeune démocratie tunisienne ! Même si sa force révèle une fragilité qui fait frémir. Le cube de confettis de l’Italienne Lara Favaretto peut à tout moment s’effondrer. Hommage à la Tunisie, cette œuvre côtoie les glaçantes chaises de Jannis Kounellis. Certains visiteurs passent à côté d’elles, fascinés par le cube. Pourtant, la nuit des longs couteaux menace…
Le même effroi nous saisit tandis que nous approchons de «la Mer échevelée» d’Annette Messager où un bateau prêt à échouer s’engouffre dans cette étendue menaçante. Des ventilateurs provoquent les vagues, à moins qu’ils n’animent les cœurs essoufflés de Nona Hatoum. Cette œuvre forcément vivante évoque la mort de ceux qui ne sont pas revenus des voyages entre les rives. Bouleversant…
À la sortie, nous voilà penseurs méditerranéens ! Mais il nous faut maintenant partir. Une course commence pour rejoindre le centre-ville et ses clameurs de 19h. Tels des lapins blancs de Lewis Carroll, nous ne cessons de scruter notre montre. Stratégie oblige, nous abandonnons la voiture pour nous engouffrer dans les tunnels du métro pour respirer ensuite sous le ciel noir de l’hiver. L’air frais glisse sous nos joues rosies par l’excitation. Des panneaux roses parsèment notre trajet. L’humain est partout ! Ponctuellement nous échangeons avec des personnes au gilet rouge qui nous donnent des programmes et des explications ; le public venu d’ici, ailleurs côtoie des gendarmes presque souriants, habillés comme des Robocops.
Nous longeons la côte, comme si c’était la première fois, fascinés comme des enfants par ces bâtiments éclairés (La cathédrale de la Major, la Villa Méditerranée, le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée –Mucem-,…). Les grues nous tirent, le paquebot nous embarque, les nouvelles constructions nous invitent et l’espace piétonnier nous englobe tous dans une même dynamique : un vivre ensemble joyeux.
Le MUCEM dessiné par l’architecte Rudy Riccioti nous évoque le cube de confettis de Lara Favaretto…À moins qu’il ne soit le cœur battant de Mona Hattoum sous la mer échevelée d’Annette Messager. Il englobe déjà le propos artistique de la Friche ! Sa dentelle de béton prête à fondre se pare de lumières et nous laisse entrevoir qu’il sera l’un des plus beaux musées du monde. La mer est d’art et l’œuvre est mer tandis que les bateaux semblent hésiter entre accostage et traversées. Ange Leccia est du voyage…
Nous poursuivons. L’air est léger et nous décidons d’accoster, dans le Panier, pour y écouter la clameur des minots. Car ici et comme dans de nombreux quartiers, artistes et habitants se sont préparés pendant de longs mois pour que leur clameur fasse disjoncter la ville ! Accoudés à un mur, nous attendons ce que ces enfants ont à nous envoyer comme signal…À 19h, de leur mégaphone de papier roulé en cône symbolisant différents animaux, ils hurlent en suivant les indications de leur chef d’orchestre, Miss Paillette. Mais on aurait pu créer d’autres musicalités nées de l’imaginaire des enfants. Le black-out de la ville prévu par les organisateurs est amoindri, mais les claquements des feux d’artifice illuminent le ciel de part et d’autre. Les pieds ancrés dans le sol, nous sommes aspirés vers le ciel où les étoiles sont autant de rêves pour le futur.
Sur le port, la foule nous emporte, puis nous fait très vite barrage. Nous trouvons un havre pour nous restaurer, chez Annie. Plat unique: la pizza. Le patron est soutenu derrière le zinc de son bar. Le pastis semble avoir eu raison de lui. L’œil brillant, il nous dit oui à tout. Et nous attendons nos boissons….une demi-heure…Puis la faim se fait sentir. L’allégresse de la fête est plus forte et nous engageons de joyeux échanges avec nos voisins, jusqu’à toucher tous les clients du restaurant. Rassemblés dans cette attente, nous patientons en dynamique…Nous sommes bien à MarseillEU, où on prend le temps…1h30 après, la pizza arrive, arrosée d’applaudissements et de rires. La griserie du vin nous porte ensuite vers la place du cours d’Étienne d’Orves, où des anges de la compagnie Studios de Cirque nous guettent du haut de leur mat…Ils glissent le long de filins et nous déversent copieusement des plumes blanches. Les Tadornes ont le cou tendu, vers ces aiguilleurs de projets, reliants, fédérateurs… Dans notre Europe en crise, dans la ville phocéenne, le temps se suspend, en levant tous les soucis. Cette place se transforme, dans un lent processus, en parc immaculé. Les lumières nous éclairent, tout comme la villa Méditerranée. Sommes-nous à Marseille, Istanbul, Rome, ou Lisbonne? Nous voilà immergés dans une Méditerranée universelle. L’ange Bibendum flotte, comme pour nous protéger et absorber nos craintes.
Du sol, du ciel, la profusion des duvets explose, autant que les fusées des feux d’artifice ; autant que nos désirs…Nous sommes recouverts de blanc, tels de jeunes volatiles, près pour les premiers battements d’ailes; la légèreté nous épouse et pousse nos corps à bouger dans un bal collectif. Au son de la musique, nous ondulons ensemble et dansons sans fin.
Le cap de l’année culturelle est lancé: soyons libres et légers, vers des vols nouveaux ! Marseille, port de tous les voyages. Ici, ailleurs…
Sylvie Lefrere – Pascal Bély – Tadornes.
à partir de 7’15
“Ici, ailleurs”, Exposition inaugurale de la Tour-Panorama et l’année Capitale à la Friche Belle de Mai, du 12 janvier au 31 mars 2013