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ETRE SPECTATEUR LES FORMATIONS DU TADORNE PETITE ENFANCE

Quels théâtres pour Charlie?

Le désir n’y est pas. Depuis le 7 janvier 2015, mon engagement pour le théâtre a perdu de sa superbe. En période « normale », la vie culturelle marseillaise est souvent terne. Depuis quelques semaines, elle me paraît anecdotique, comme si l’art était réduit à des chiffres de fréquentation et ne trouvait sa légitimité que dans un rapport publié en 2013, vantant la contribution du secteur culturel à la bonne santé de l’économie française.

Depuis le 7 janvier 2015, ma relation à l’art s’est déplacée vers les processus complexes de la liberté d’expression. Je ne me reconnais plus, pour l’instant,  dans celle revendiquée par les artistes, trop liée aux lois du marché et dépendante du réseau de l’entre soi. Comme me le faisait remarquer Romain à propos des attentats : « la réalité a dépassé la fiction ». Cette liberté, je l’ai ressentie quand des millions de Français ont tendu un crayon comme seule réponse. J’y ai vu un symbole pour que s’invite, enfin, le temps du sens. J’y ai perçu un geste de revendication pour que l’art (ici celui de la caricature) puisse nous relier et qu’il s’inscrive dans le sens de nos actes quotidiens. Ce geste a étouffé la parole d’acteurs culturels toujours prompts à nous faire la leçon sur la fonction de l’art, réduite dans un rapport condescendant entre ceux qui « savent » et ceux qui devraient ne rien « rater » de ce qu’il leur est si « gentiment » proposé. Le sens de ce crayon est allé bien au-delà de notre douleur collective. Pendant un court instant, ce crayon a effacé avec sa gomme, notre égocentrisme tant célébré par les réseaux sociaux et certains artistes qui occupent le plateau comme d’autres coupent la parole pour avoir le dernier mot.  Cette douleur collective est allée bien au-delà d’un entre-soi culturel qui se croit encore visionnaire parce qu’il tire les ficelles de la programmation artistique. Le sens a émergé dans ce nouage créatif entre douleur personnelle, art et liberté d’expression pour venir nourrir nos visions asséchées par des spécialistes qui pensent dans un rapport vertical, l’interaction avec le peuple.

Inutile ici de revenir sur les créations théâtrales vues à Marseille depuis le 7 janvier. Toutes ennuyeuses, déplacées, sans vision. Ce que je ressens est au mieux confus, au pire vissé à une approche verticale d’une représentation du monde (probablement inspirée d’un dogme mélanchonien, très en vogue dans le monde artistique). Ce théâtre de l’offre vissé aux années quatre-vingt ne peut rencontrer ma demande d’un art plus interactif, propice à m’accompagner dans ma réflexion sur la complexité. Comment analyser autrement notre modèle sociétal après les attentats ? Comment repenser la laïcité comme paradigme majeur pour créer de nouvelles solidarités collectives ? De tout cela, le monde artistique n’en dit rien :  a-t-il seulement effleuré le sujet ? Les gestes de la chorégraphe Maguy Marin manquent cruellement, tout comme les répliques salvatrices du théâtre de chair et de sang des metteurs en scène Pippo Delbono et Angélica Liddell.

Comme consultant, je pars avec ma valise, remplie de livres d’art et de programmes de théâtres. Elle m’accompagne dans tous mes déplacements. Je pose tout sur la table. Aux professionnels du travail social, de l’éducation, de la culture, du sport, de la toute petite enfance, d’évoquer leurs désirs de projet en reliant leur contexte aux visions de Picasso, Matta, Miro, Bagouet, Preljocaj, Forsythe. À eux de parcourir les programmes culturels, de les déconstruire,  pour nous proposer leur festival de la créativité, leur festival « des arts en mouvement », leur projet artistique global pour relier l’art et les citoyens. À eux d’écrire sur leur dynamique de changement et de proposer un article pour Charlie Hebdo. À eux de proposer un art participatif capable de faire dialoguer leurs visions et les visées du management. À eux de créer leurs œuvres avec trois bouts de ficelles, une pelote de laine et des images pour donner à penser la complexité de leur projet global, celui où l’art décloisonne, où il est le vecteur d’une liberté d’expression retrouvée contre les murs de glace imposés par des manageurs sans visées.

À eux de penser autrement la place des enfants dans une éducation artistique qui englobe éducateurs et parents.

À eux, professionnels de la relation humaine,  de nous aider à formuler un projet culturel ascendant, celui qui reliera nos crayons, les artistes et le peuple sensible.

Pascal Bély – Tadorne

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG PETITE ENFANCE

Avignon OFF- Etre professionnel de la toute petite enfance est un art.

« Etre dans la virgule »

En ce matin gris et froid du 10 juillet 2014, date de la 1ère Offinité du Festival Off d’Avignon, elles sont toutes à l’heure. Elles, ce sont les 30 professionnelles de la petite enfance qui arrivent de Martigues, Marseille, Les Pennes-Mirabeau, Vitrolles, Montpellier et Pont-de-Claix. Elles ont fait le choix de s’engager dans un même processus temps, accompagnées en cela par le groupe des Tadornes – Pascal Bély, Sylvie Lefrère et Sylvain Saint-Pierre.

Au départ, dans la cour de la Maison du Théâtre pour enfants de Monclar, nous leur demandons un geste pour poser le socle de la journée, celui du mouvement de la rencontre entre l’art et la petite enfance.

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Très vite, ces femmes, qui ne se connaissent pas, se mettent en lien. Un groupe déhiérarchisé et décomplexé. Les mots suivent la dynamique et donnent de la visibilité aux projets. Leurs danses commencent, mine de rien, dans un pas, une rotation, un regard. Ainsi, tout a débuté par une, trois, six d’entre elles, pour finir ensemble dans les mains de Philippe Lafeuille, danseur chorégraphe, au Majic Circus du Village du Off.

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Mais avant d’en arriver là, deux spectacles les ont aidées à créer leur danse. « Marche ou rêve» de la Compagnie Lunatik a offert une vision tournée vers le grandir. Deux comédiennes jouent avec les mots, en lien avec leurs chants rythmés. Elles sont l’enfant explorateur d’entrailles de bambous, chercheurs de trésor. Elles vont lutter contre vents et marées, en équilibre permanent entre réalité et rêve.

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Dans « Us-band», 4 hommes nous attendent sur le plateau. Ils ont chacun leur singularité et sont réunis dans une élégance complice. Ils ressemblent à ces enfants qui évoluent en crèche : ils jouent à se pousser, à se jauger, à courir, à se rencontrer dans ce qu’ils sont dans un espace donné. Ils sont eux, ils sont nous. Adultes, enfants. Samuel Mathieu a dû finement observer l’enfance pour une restitution de cette qualité. Le corps des enfants est omniprésent dans ses touchers, ses déplacements, ses regards. Les jeux déploient le plaisir et la dynamique. Une claque sur la cuisse engage cette énergie, le mouvement.

Ces mises en scène réunissent pleinement les spectatrices de la petite enfance, inspirent leurs restitutions chorégraphiées qui ponctuent à de nombreuses reprises la journée. C’est la construction d’un projet, d’une utopie, en cherchant, en marchant. Patiemment…

Car, au-fur-et-à-mesure des spectacles vus et joués par ces femmes, émergent ces questions : comment relier le monde de l’art et celui de la petite enfance ? Qu’est-ce que le geste révèle comme mouvement de fond ? Durant leur travail chorégraphique mené la journée, elles ont établi des liens entre des ressentis communs à ces deux univers : l’enthousiasme, le retour sur soi, la vision de l’autre dans le groupe, la vision globale au sein du groupe, la vision esthétique, l’ouverture vers l’Autre, au-delà du groupe, et enfin le lâcher prise. Sans que cela ait été prévu initialement, ces chorégraphies, mises bout à bout, procèdent du même éveil progressif que celui qui conduit l’enfant à prendre conscience de son humanité. Leur mouvement d’ensemble mène au lâcher-prise…qui amorce en retour une circularité créatrice, puisqu’il nourrit l’enthousiasme, le retour sur soi, et ainsi de suite : le point d’arrivée devient point de départ. L’adulte professionnel, par l’art, retrouve l’enfance, le corps-sujet, le décloisonnement, l’impulsion immédiate et la relation. Il faut ré-enchanter, ré-enfanter les structures d’accueil de la jeunesse, de la même manière que le philosophe Bernard Stiegler considère qu’il faut « amateuriser » les pratiques professionnelles (amateur venant d’ « amor », ce qui veut dire « aimer »), qu’elles soient critiques, artistiques ou autres.

A plusieurs reprises, notre cordon de spectatrices s’est étiré à travers la ville. Les pas se sont emboités avec ceux des tracteurs. Des relations, des questionnements, des idées ont jailli. Le temps a été notre censeur, en mouvement à toujours nous courir après ou nous rattraper.

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Au village du Off, ces femmes vont se saisir de tous ces ingrédients respirés dans la journée et les mettre en émulsion grâce à Philippe Lafeuille, notre monsieur loyal créatif. Le public ne va pas en croire ses yeux : des rires et des mouvements fusent en tous sens, tout en étant recentrés sur l’essence même de leur projet commun. Le centre du chapiteau Majic Mirror laisse résonner le bruit de leurs pas engagés et de leur soif de liberté qu’elles libèrent pleinement dans leur élan collectif de lâcher prise.

Le processus temps de la journée a permis à ces femmes de révéler le potentiel qu’elles portent en elles. Elles ont contribué à façonner une nouvelle relation critique, au cœur même du village du Off. Une pensée critique en acte, en mouvement, joyeuse, libérée. En un mot : incarnée.

Le 10 juillet, l’émerveillement du spectacle était dedans, dehors, partout, dans une vision globale de spectateurs-acteurs passionnés.

Sylvie Lefrère – Sylvain Saint-Pierre – Le Tadorne

« Le Grand Off du Tout-Petit » dans le cadre des Offinités du Tadorne, le 10 juillet 2014.

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PETITE ENFANCE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Les amoureux du banc public sont en Bretagne.

C’est à l’auditorium de Quimper. Je m’imaginais une grande salle. C’est finalement une église, transformée en lieu de spectacle comme il en existe tant dans le sud de la France (à Marseille, à Avignon). Ce choix n’a rien du hasard: on entre ici, non pour se recueillir, mais pour s’accueillir, spectateurs de passage, adolescents et adultes, en transit entre ici et là-bas. L’oeuvre «A la renverse» est la pause nécessaire, le temps de s’interroger sur sa route, sa trajectoire de vie ; de penser à ses amours de papier, de ronces et de brindilles, de brumes et d’aurores ; de ressentir la Bretagne comme une terre de tous les possibles, où l’infini est un horizon à sa portée ; où savoir rêvasser sur un banc bleu est aussi précieux que de s’abandonner à la poésie, à la mélancolie, en attendant que ma joie revienne.

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L’autrice Karin Serres et la metteure en scène Pascale Daniel-Lacombe nous donnent rendez-vous pour ce spectacle minutieux, d’une profonde intimité, d’une grâce infinie, loin des bavardages et autres effets spécieux dont on nous abreuve ailleurs pour nous faire croire que nous pensons par nous-mêmes. Ici, le texte de Karin Serres est une introspection à multiples facettes avec pour compagnons de route, deux gosses, Sardine et Gabriel. L’une habite en Bretagne, au bord de la mer, «là où il ne neige jamais». L’autre vient d’Alsace, là où la mer, à bout de souffle, ne peut arriver.. L’un est en déséquilibre permanent pour perdre pieds et poings liés, l’une est à la recherche d’un infini pour s’y voir toujours petite. L’un est axe, l’autre est galaxie. L’un me ressemble, l’autre m’assemble. Chaque été, ils se retrouvent sur le banc bleu, face à l’océan. La puissance évocatrice des rochers dessine New York, la destination où la Bretagne serait une de ses terres qu’une faille aurait séparées. Mais quel est donc cet espace béant entre ici et là-bas , entre elle et lui, entre moi spectateur et nous public?

Chaque hiver, il revient pour le carnaval. Pour tomber à nouveau le masque. Pour se rêver breton, serré comme une Sardine à fluide. Elle, en tutu noir, se voit déjà dans sa robe de ballerine à crier « New York ! » telle une petite princesse qui dessinerait enfin son mouton dans le ciel. Peu à peu, de saison en saison, de paradis en enfers, de chansons rock en ballades folk, nous traversons leur vie d’amour où les pleurs se confondent avec l’écume, où la brume véhicule les rêves les plus fous, où le vent est un souffle vital pour s’émanciper, même de celui que l’on aime. Peu à peu, j’assiste médusé à une vie, où la séparation n’est qu’apparente, car tout finit par se lier, se croiser, se mêler : on ne peut rien contre un fil d’Ariane, même dans le cosmos. Ils ont tout l’espace pour eux : celui de la Bretagne, de la Voie lactée où Sardine, doctorat de physique en main, décolle pour y chercher d’autres rochers d’Amérique. Entre temps, il faiblira…elle sera là. Entre temps, il y croira…elle sera loin. Entre temps, il la retiendra…elle filera rejoindre la robe de la ballerine céleste.

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Ces deux acteurs (Elisa Ruschke, Carol Cadilhac) sont des magiciens de la rencontre et réussissent le tour de force de métamorphoser une petite scène positionnée en bi-frontal en miroir grossissant de notre carte de vie d’où surgit le désir…celui de vivre, de rêver, de regarder au loin, de parier sur l’improbable, de résister à la fatalité de destins déjà écrits. «À la renverse» transporte d’autant plus qu’ici, le technicien plateau (Etienne Kimes), se déplace au grès des changements de temps et d’espace: sa présence nous offre un ballet de fantômes qui s’invite à la noce, sur la piste aux étoiles.

Sardine et Gabriel finissent par rejoindre leur quai des brumes. De mon côté, je quitte l’église et me plaque contre un mur au soleil. Ce théâtre-là m’a propulsé sur la trajectoire de ma ligne de vie ; celle de ma main, ouverte par des artistes marins.

Arcade Fire – Afterlife – Live du Grand Journal

Le lendemain, au bord de la mer d’Iroise, sur un banc vert, j’ai dansé sur “Afterlife” d’Arcade Fire. Pour graver à jamais dans le granit, ce théâtre de rock and rouleaux.

Pascal Bély – Le Tadorne

Crédit photo: Xavier Cantat.

«À la renverse» de Karine Serres, mise en scène par Pascale Daniel-Lacombe (Théâtre du Rivage) au Festiva «Théâtre à tout âge» de Quimper du 17 au 20  décembre 2013.
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PETITE ENFANCE Vidéos

À Mantova, j’ai trouvé une brebis dans un kinder surprise.

Rendez-vous m’a été donné par Cristina Cazzola, directrice artistique du festival «Segni d’Infanzia» à Mantova. Nous nous étions rencontrés à «Petits et grands» à Nantes. Avec une détermination qui force le respect, elle anime depuis plusieurs années un festival pour les enfants dans un contexte économique particulièrement délicat en Italie. Afin d’amplifier la lisibilité de la programmation, elle propose au public et aux professionnels, d’entendre différents regards, d’où qu’ils viennent (de spectateurs et de journalistes). Six critiques internationaux ont donc été invités à débattre, démontrant pour l’occasion que le théâtre dit «jeune public» suscite un échange de qualité capable de transcender le clivage entre critique professionnel et amateur. Les contributeurs du Tadorne aimeraient que cet exemple soit suivi en France…

Quelles visions émergent de ce festival? Globalement, la parole est fortement présente sur les plateaux. Certaines propositions font le pari d’une approche didactique à partir d’une pédagogie créative de la différence entre forme et matière tandis que d’autres utilisent des effets de mise en scène au détriment du jeu de l’acteur. À l’enfant souvent bruyant dans la salle, répondent certaines oeuvres qui le sont tout autant parce que l’esthétique s’efface au profit de la démonstration. À la saturation de l’imaginaire des enfants par la société consumériste, répond sur scène une avalanche d’effets et de mots où l’objet tout puissant gomme le sujet. Le poids de la crise et la fatigue d’une civilisation sont palpables: corps courbés, habits des années soixante-dix, mécanismes de répétition, logiques de domination. Le tout dégage parfois un parfum nostalgique, voire mélancolique pour rejeter notre époque.

La créativité est alors la seule ressource pour résister, l’unique solution pour redonner une autre parole, trop longtemps confisquée comme dans « Pour la petite histoire » de la compagnie Sémaphore, où l’on questionne la manière de  raconter les histoires tout en y invitant le théâtre. Le dialogue entre la narratrice et “Scribout » (petite souris) est une occasion de renouveller le genre : au traditionnel Petit Chaperon Rouge, vient se substituer un petit prince né dans un livre qui se met en mouvement sur différents écrans vidéos de papiers mobiles et fragiles. L’histoire est un paysage de passages dans laquelle le tout-petit et son éducateur sont du voyage. On aurait aimé une chorégraphie pour fluidifier les liens entre les beaux moments de vidéo et la scène : car au-delà des mots, c’est le corps qui est langage. Mais là, c’est une tout autre histoire…

Avec « The House » par les Britanniques Sofie Krog et David Faraco, les plus grands sont gâtés. Cette compagnie anglaise nourrit le genre hitchcockien avec pour protagonistes les habitants d’une maison…hantée par la mort. Sujet délicat, mais abordé avec malice par des marionnettes aussi adroites que leur désir d’en découdre avec l’art funéraire ! Sur le plateau, la maison en miniature en impose et voit s’affronter des morts-vivants, des croque-morts, des cambrioleurs apeurés par leurs ombres…L’histoire trouve ses ressorts dans un rythme qui ne faiblit jamais et joue avec nos fantasmes sur la mort. Le public rit d’autant plus que la maison se dévoile là où l’on ne l’attend pas toujours. Mais j’aurais aimé une pause, une fragilité, une émotion : évoquer la mort n’exclut pas la profondeur poétique d’une tristesse.

Nous la trouvons dans « La bicicletta rossa » par la compagnie Attivo Teatro, l’un des spectacles les plus forts du festival. Ici, l’appartement d’une famille pauvre est aussi unité de production de boules en plastique où se cache une surprise. Les enfants connaissent bien cette friandise martelée à coup de publicités avant leur dessin animé préféré. Sauf qu’ici, le jeu a un gout amer : la famille s’épuise dans ce travail et doit produire toujours plus pour satisfaire un homme à l’allure berlusconnienne qui contrôle également les ressorts de leur imaginaire. Tandis que le plus petit rêve d’une bicyclette pour se promener dans la voie lactée, les plus grands s’appuient sur le système économique pour le corrompre de l’intérieur et appeler les enfants à la révolution ! La mise en scène est majestueuse, car elle sait humaniser la mécanique des corps, poétiser le désir d’émancipation, incarner le rêve par un dispositif vidéo particulièrement inventif.

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Changement radical de registre avec « Ode Alla Vita » par la compagnie Rodisio. Un couple âgé, habillé façon Deschiens (que l’on imagine parent avec la famille de la «bicicletta rosa»), débarque lentement sur scène, plié en deux, de fatigue, mais aussi de rire ! Ces deux-là veulent en découdre avec cette fin inéluctable que leur promettent leurs corps cassés. Leur créativité les guide vers un imaginaire florissant où la fête est une danse. Ils ne reculent devant aucune de leur invention pourvu qu’elle provoque amour, gloire et beauté ! C’est parfois répétitif parce que l’autre en redemande jusqu’à plus soif…Le public est convié à ce délire sénile, rit beaucoup, mais je me questionne encore : la vieillesse est-elle un retour à la liberté créative de l’enfant ? Ce spectacle rencontre-t-il le monde de l’enfance ? N’est-il pas une façon pour les adultes de se justifier d’être si peu créatifs,  de se rattraper de leurs erreurs présentes, de se promettre un futur joyeux ? J’ai eu l’étrange impression que les enfants étaient spectateurs passifs d’un rendez-vous entre adultes. J’ai moi-même attendu une «bicicletta rosa» qui n’est jamais venue…

«La pecora nera» du Teatro Distinto a réussi le pari de réunir petits et grands avec une œuvre d’une belle qualité d’écriture. Ils sont deux, tel Laurel et Hardy : moi le petit blanc chauve avec une cloche autour du cou, toi le grand noir avec grosse touffe de cheveux. L’un protège ses brebis blanches ; l’autre accueille un cochon dans son pré capillaire ! L’un semble avoir le pouvoir ; l’autre la puissance créative. À ce petit jeu sans parole où la danse et le jazz se taillent la part du lion (!), rien d’étonnant à ce que l’un impose à l’autre sa vision de l’animalité: ce cochon sera recouvert de laine! Après d’âpres négociations et de batailles, il sera brebis mi-blanche, mi-noire. La scène métaphorise à merveille le cloisonnement entre les genres, l’antagonisme entre deux approches de l’humanité : biologique et culturelle. Je n’ai pu m’empêcher de faire le lien avec le récent débat autour du mariage pour tous. La force de «La pecora nera» est de nous proposer un langage artistique qui transcende les différences, qui offre une vision dynamique de la mondialisation où la diversité crée l’unité pourvu que le lien soit au service du sens. C’est rondement bien interprété, joliment scénographié, musicalement astucieux. Ce spectacle est un tour de force parce qu’il invite petits et grands à questionner leur image du village global là où le politique leur promet de faire sienne une maxime populiste : «chacun sa brebis, les cochons seront bien gardés».

Pascal Bély – Le Tadorne.

« La pecora nera » du Teatro Distinto ;  « Ode Alla Vita » par la compagnie Rodisio ; « La bicicletta rossa » par la compagnie Attivo Teatro ; « The House » par Sofie Krog et David Faraco ; « Pour la petite histoire » de la compagnie Sémaphore ; au Festival Segni d’Infanzia à Mantova du 30 octobre au 3 novembre 2013.

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FESTIVAL D'AVIGNON PETITE ENFANCE Vidéos

Avignon Off 2013 – Pinocchio vous recherche.

Nous avons tous à l’esprit les images édulcorées du dessin animé de la firme Walt Disney. Certains d’entre nous songeront également à la version stylisée de Joël Pommerat. Si ce dernier, par sa réécriture, restait à, ce qu’il nous semble être aujourd’hui la surface du conte, Lee Hall nous plonge dans la complexité de l’histoire de Pinocchio. Loin des idées (fausses) sur ce monstre de littérature de jeunesse décrit par Carlo Collodi.

L’adaptation scénique par Marie Mellier du Caliband théâtre retrace, de façon chirurgicale, l’histoire du célèbre pantin. Avec ses mots et sa direction de comédiens aux scalpels, elle nous immerge dans les entrailles de l’âme. Le récit commence à la morgue. Le corps inanimé du pantin est retrouvé pendu à un arbre. Pourquoi? Comment? Par qui? Conduite par un Monsieur Loyal, le conte prend alors la forme d’une enquête policière qui se transforme peu à peu en un véritable cabaret de poche. On y croise tour à tour un criquet, une chatte, un renard, une fée bleue, un lapin de la mort, Gepetto et Pinocchio (une sorte de double et son contraire), le «pays des nigauds» ou encore le «champ des miracles». Le burlesque, omniprésent, désamorce la noirceur du propos. C’est un univers en mouvement parfaitement rythmé: l’espace scénique se disloque, se tend, s’étend, se réduit grâce aux jeux de lumière et au décor en mouvement. La matière théâtrale, ingénieusement travaillée avec ses casiers-cachettes, ménage de nombreuses surprises. Ouvertures, fermetures…comme les paupières des spectateurs. Ainsi, plusieurs lieux s’agencent dans cet espace clos. Seulement quatre sur scène, les comédiens jouent une grande variété de rôles, du professeur au médecin, etc. et cohabitent dans différents styles : du roman noir au cabaret, de la mythologie à la science-fiction… (Gabriella Meroni parfaite en Pinocchio, David-Jeanne Comello avec sa palette de jeu à l’infini, Mathieu Létuvé et Jean-François Levistre, formidables compères, avec une pensée spéciale à «la chatte»).

Il nous semblerait injuste de reprocher à la pièce la noirceur du propos. Les dimensions initiatiques et éducatives sont très présentes : pour les enfants, aller à l’école, travailler, apprendre…l’inverse de ce que fait Pinocchio. Cette morale repose sur l’idée cruelle que la naïveté se paye au prix fort et que les simples d’esprit ne sauraient être bienheureux. Cette pièce serait comme une fable moderne de La Fontaine: elle enseigne une éthique de la lucidité, à ne pas être dupe des faux semblants.

Surtout, la cruauté à l’œuvre relie le drame à l’absurde, mais aussi à la société actuelle: urbaine, sombre, misérable et miséreuse. En un mot, frappée par la crise économique. Les héros sont des chercheurs d’or dérisoires et pathétiques, mus par la nécessité de manger plus que par une quelconque concupiscence. La force de cette mise en scène réside donc dans l’entre-deux : noirceur et insouciance, âge adulte et enfance, bande dessinée de Winshluss (pour la cruauté à l’œuvre) et celle de Disney… La pièce tient cet équilibre, lui permettant d’être vue par le plus grand nombre, sans exclusion, et surtout sans risque d’être taxée de mièvrerie ou de complaisance dans la noirceur.

Et si toutefois, vous vous mettez à parler à la manière de Pinocchio, une fois sorti de la salle, laissez-vous aller, l’enfant qui est en vous est réveillé…

Sylvain Saint-Pierre – Laurent Bourbousson – Tadornes.

Pinocchio, par le Caliband Théâtre, du 8 au 31 juillet (relâche le 20 juillet), à la Présence Pasteur à 12h20.
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PETITE ENFANCE

Bébé danseur.

Par Sylvie Lefrere.

En qualité de professionnelle de la petite enfance, je ne pouvais faire l’impasse sur la deuxième édition du festival «Petits et grands» à Nantes. Il y a deux ans, «Le bal des bébés» du Théâtre de la Guimbarde me faisait déjà rêver. Reprogrammé cette année, je voulais absolument le vivre.

Je suis donc partie trois jours en vacances, sur les côtes de Loire Atlantique,  pour y découvrir un autre Océan : celui de l’art et du tout petit. Ma motivation fait suite à la rareté dans ma région des propositions pour les enfants de moins de trois ans. Je savais que j’allais retrouver les acteurs du festival Méli Mélo de Reims, ceux qui m’avaient sensibilisé il y a quelques années. Ma programmation s’est articulée autour de tranches d’âges différentes afin de suivre l’évolution du théâtre jeune public. Ce festival est important pour mes projets à venir. Il me permet de sentir la créativité, de rencontrer des artistes, d’observer les touts petits et leurs parents, de me mettre en réseau  et partager des visions.

Depuis quelques années, j’ai compris les bénéfices de la relation entre le tout petit et l’art sous toutes ses formes. Les corps se libèrent, la parole se délie, les interactions se fluidifient. Les rencontres s’opèrent entre les petits et les grands, sur un champ de découvertes partagées. Tout est déhiérarchisé afin que le regard change de point de vue vers des horizons communs. Ce regard offert est celui de la première fois, comme si sans l’art, on ne se serait jamais rassemblé à ce point. Au lieu de l’éducatif, nous touchons le vécu sensible, le partage de l’instant. La sensibilisation des sens vers les arts nous entraîne vers la recherche créative, et met notre pensée en mouvement.

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«Le bal des bébés» est un temps suspendu proposé aux parents et aux bébés. La consigne : avoir moins d’un an ou ne pas marcher. L’accueil est feutré. Nous sommes attendus et introduits dans le lieu par les artistes. Coussins et matelas au sol sont nos terrains d’exploration. Nous déposons nos chaussures et nos couches de vêtements du dehors pour laisser nos corps respirer. Le regard, de la douzaine de petits invités, est puissant. L’interrogation transpire. Que va-t-il nous arriver…

Une violoncelliste et son binôme percussionniste, chanteur et joueur de carillon, ouvrent le bal. Ils sont dans l’alcôve de la grande cheminée du château d’où ils diffusent leur chaleur. Chaque parent garde son enfant sur les genoux et observe intensément les grands qui se déplacent sur le sol : quels sont ces drôles d’humains rampants ? Puis l’invitation se met en mouvement, et du sol, les enfants sont transportés doucement dans les airs pour rencontrer l’autre dans une forme de légèreté. Petit à petit, les enfants se délient dans une liberté corporelle. En parallèle, les parents commencent à lâcher prise. Les enfants investissent l’espace, en confiance. Les premiers babilles se font entendre. Le tout petit part à l’aventure contenue, par le regard accompagnant de son parent et des deux artistes. Les genoux protecteurs sont quittés pour se déplacer vers l’autre. La séparation nécessaire se joue. Les enfants qui étaient en posture de résistance, épanouissent leur visage d’une expression de plaisir.

Le parent interrogateur se laisse émerveiller par la magie de l’instant. Le temps va être suspendu dans une atmosphère collective de bien-être partagé. Les parents en couple semblent se retrouver, unis, autour de leur enfant au centre. C’est un moment unique d’accompagnement à la parentalité. Des pas de danse, des vols de tissus, nous mettent en lien ouvert. Dans ce jeu de va-et-vient, une vague nous emporte ensemble. Aucune contrainte n’est palpable. Protégés comme dans espace ouatiné, utérin, libre de corps et d’esprit. Valorisés dans la relation. De un, nous sommes devenus deux, puis trois, puis tous ensemble à l’unisson, réuni sous un halo léger de lumière, recouverts d’un grand tissu rose, métaphore de la légèreté de nos pensées.

La séance se termine en douceur. Chacun peut utiliser la salle comme il le souhaite, sans consigne particulière. Les discussions s’animent pour certains ; une maman allaite son bébé, calée contre un pilier de pierre. Nous sortons lentement de cette bulle, chacun à notre rythme.

Nous sortons du spectacle comme nous y sommes rentrés, dans un temps sans rupture : persuadés d’avoir passé un moment rare.

Sylvie LefrereTadorne

“Le bal des bébés” par le Théâtre de la Guimbarde au festival “Petits et grands” de Nantes du 11 au 14 avril 2013.

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ETRE SPECTATEUR OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE Vidéos

Petits et grands: en corps !

Imaginons un instant que l’art soit au centre des projets éducatifs. Rêvons qu’ils permettent aux éducateurs, aux enfants et à leurs parents de se projeter dans un décloisonnement où l’art relierait les savoirs fondamentaux, l’apprentissage de la vie collective et la construction d’un socle de valeurs communes.

Imaginons que la dernière édition du Festival «Petits et Grands» de Nantes soit cet espace qui formerait ce tout dont nous avons tant besoin.

Imaginons…Fermons les yeux…Tout commencerait à la crèche, incluse dans un grand service public de la toute petite enfance. Imaginons…des artistes y seraient en résidence. Après plusieurs jours passés à observer et entrer en relation avec les tout-petits, ils présenteraient leur création, «Caban».

Ouvrons les yeux…Ils ont métamorphosé l’espace… Parents, tout-petit et éducateurs tâtonnent…Cherchent où aller…Progressivement, l’espace nourrit les relations à partir de différents chemins au croisement de plusieurs esthétiques : danse, théâtre, musique et œuvres plastiques. Peu à peu, le tout-petit se métamorphose en acteur et s’inclut dans la troupe parce qu’à cet endroit-là, émergent la scène et la dramaturgie du passage. Peu à peu, un nouveau langage se fait jour, celui de l’imaginaire tout-puissant qui étire le temps pour que l’humain prenne son temps, pour que le parent ai confiance dans son lâcher-prise au profit de rencontres inattendues entre artistes, parents, observateurs solitaires…Rosalie danse…Marylou se cache dans la cabane…C’est son théâtre où le jazz fait écho à ses cris de plaisir et de peurs. Imaginons que le Teater De Spiegel habite toutes les crèches de France pour les métamorphoser en cabane…futurs théâtres ouverts sur les projets éducatifs.

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Imaginons…nourris de cette expérience, parents, tout-petits et éducateurs iraient au théâtre pour «Plis / Sons» de Laurent Dupont. Rêvons…quelques adolescents d’un centre aéré les accompagneraient. Ils auraient la mission de traduire, à partir d’objets créatifs qu’ils confectionneraient, leurs ressentis sur cette proposition artistique pour les 10 mois-3 ans. Probablement qu’ils prendraient plaisir à observer Marie Frashina créer la rencontre entre le corps et le papier, matière de l’art. Tout y est : la musique, le cinéma, la sculpture, le théâtre, les arts plastiques.  Pris dans une spirale, tous nos sens se multiplient pour se soustraire à la raison ! Peu à peu, ce petit espace scénique dévoile ce que l’art procure : la puissance qui autorise tous les rêves, où le fond est au service de la forme…

Imaginons nos adolescents exposer leurs œuvres dans les crèches, symboles des valeurs qui relient leurs singularités revendiquées à nos utopies communes. Probablement qu’elles nous conduiraient à nouveau vers les contrées artistiques de Laurent Dupont. Avec «En corps», on en redemanderait ! Imaginez petits et grands prenant un malin plaisir à observer le jeu de cache-cache entre deux hommes et une femme avec les symboles de la tauromachie pour dessiner un paysage pictural et musical au croisement du flamenco, de Velasquez et de Picasso. Ici, l’outil numérique est au service du corps créatif, vecteur de plaisir et d’un lâcher-prise salvateur. Ici, l’énergie traverse tout le plateau…une énergie durable où le génie de l’un sert la liberté de l’autre. Ici, l’expression « univers artistique » prend tout son sens tant le désir d’ouvrir l’espace de l’imaginaire est contagieux. Laurent Dupont travaille le désir du spectateur en évitant de s’excuser d’être aussi barré. Ici, aucune culpabilité pour poser la créativité comme un combat entre pulsion de mort et anarchie du vivant.  La salle exulte…La Caban de Laurent Dupont est une orgie des arts pour une humanité confiante dans la folie créative des artistes…

Imaginons…Petits et grands sont maintenant prêts à penser autrement la culture : elle n’est  plus seulement un socle de savoirs constitués, mais elle englobe des pratiques sociales prolongées par des pratiques artistiques ! Le rock and roll peut donc faire son entrée dans l’éducation! Avec «The WackiDs», trois musiciens donnent un concert inoubliable. De leur caban, émergent des instruments de musique qui ne sont pas à leur taille : comme quoi, se mettre à la hauteur d’un plus petit que soi procure l’énergie du Rock and roll ! Avec ces trois gugusses, la culture rock se transmet dans la joie et la furie d’apprendre ! De Ray Charles, aux Beatles, en passant par les Rolling Stones, nous voilà tous reliés entre ceux qui ont connus l’époque et ceux prêts à la célébrer pour imaginer leur futur ! Ces trois-là parviennent à créer la pédagogie par le corps, par le jeu, par les valeurs du groupe, par la récompense partagée…

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Libérés par un tel concert, tout semble maintenant possible. Petits, grands, éducateurs, peuvent apprivoiser sereinement l’histoire déconstruite, sans début et sans fin, de Philippe Dorin, «Sœur, je ne sais pas quoi frère». Ensemble, nous nous projetons dans l’espace transversal d’une fratrie de 5 sœurs (de 9 à 75 ans) où l’histoire de l’une est enchevêtrée dans celle de l’autre. Tout se sépare et se relie, dans le mouvement continu du sens qui traverse chaque scène. Nous voilà tous réunis à vivre ce moment théâtral comme une allégorie de la complexité et de la relation créative au profit de l’émancipation pour une autonomie du groupe. Nous rions et tremblons parfois. Nous ressentons les tours que peut nous jouer l’art : nous prendre par surprise à cacher ce que nous peinons à révéler.

«En corps!» crions-nous lors des applaudissements ! Mais un étrange bruit de papier à nos oreilles nous invite à rejoindre nos cabans, car nous n’en n’avons pas fini d’explorer le patrimoine légué par notre toute petite enfance.

Imaginons ce projet éducatif global : avouez qu’il a l’énergie du rock and roll…

Pascal Bély – Le Tadorne.

Festival “Petits et Grands” à Nantes du 11 au 14 avril 2013.

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS ETRE SPECTATEUR PETITE ENFANCE

«Médiasoeurs, pour quoi frère ?»

À ma descente d’avion, la poésie s’invite : «il pleut sur Nantes». Heureux présage ? Alors que nous questionnons le projet de ce blog, le festival «Petits et grands» arrive à point nommé. L’un de ses codirecteurs, Cyrille Planson, a  sollicité Pascal Bély comme consultant et blogueur pour animer une séquence de formation en direction de médiateurs culturels et participer à des «causeries critiques» organisées chaque matin. Intuitivement, nous ressentons que tout va se lier et prendre sens, car le théâtre «jeune public» questionne en continu la place du spectateur, le positionnement des éducateurs et des institutions. Il est un projet global, car l’art et  le jeune enfant enchevêtrent nos questionnements dans la complexité.

Rendez-vous au Grand T, lieu unique de Nantes ! T comme transversalité…Une chapelle, une yourte, une grande salle de briques et de bois constituent cet ensemble culturel chaleureux. «Sœur, je ne sais pas quoi frère» de Philippe Dorin ouvre cette journée mémorable.

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Dix classes de primaires s’incluent dans ce public hétérogène. Sur le plateau, cinq femmes, de 9 à 75 ans. En se reliant, elles nous permettent de nous faufiler dans nos cheminements personnels. Et si ces actrices n’en faisaient qu’une comme l’indique le singulier du titre ? Tout devient  jeu, et le rire des enfants résonne joyeusement. L’évocation de l’enfer pique leur personnalité de petits diables. Par la mise en scène, nous traversons différentes pièces de leur maison pour nous positionner dans plusieurs étapes de réflexion. Nous prenons peu à peu conscience de la richesse du groupe, tout en voyant au loin, telle une vigie, se profiler la terre des expériences individuelles nécessaires. De cet espace artistique familial, on nous offre, petits et grands, un regard ouvert sur de la vision. Toutes générations confondues, qui sommes-nous ? Comment apprendre à vivre ensemble ? Vers quelles libertés allons-nous, nous orienter ?

La marche est engagée. Le spectateur s’émancipe d’une histoire qui aurait une fin et un début. Ici, le mouvement de notre pensée créative fait sens comme le démontrera le collectif de quarante médiateurs culturels qui se retrouve à la Chapelle, dans le cadre d’une formation continue, pour un débriefing quelque peu atypique. Invités, nous les observons tandis qu’ils posent leurs ressentis à partir d’un portrait chinois et d’un exercice d’écriture automatique. Les mots défilent sur les feuilles blanches : le théâtre poursuit ce travail précieux où ils sont coauteurs. Peu à peu, ils échangent leurs images et leurs textes, avec la timidité de ceux qui découvrent qu’écrire est un art qui s’offre à chacun de nous. À 14h, Philippe Dorin écoute ces restitutions un peu particulières. Son regard pétille à l’écoute du texte profond d’une jeune médiatrice qui s’inclue dans cette fratrie pour y puiser l’énergie d’une écriture poétique. Il est 14h30. Dans trente minutes, nous serons en responsabilité de ce groupe. Pour deux heures. À les entendre, nous pourrons nous appuyer sur l’œuvre de Philippe Dorin pour poursuivre nos traversées de spectateur-médiateur. À 15h, nous constituons quatre groupes à partir de consignes créatives…

Vous êtes des journalistes du Canard Enchaîné, envoyés spéciaux au Festival Petits et Grands”

Mariage pour toutes !

Photo de famille : cinq sœurs qui jouent à l’unisson dans un décor cosy, un gynécée autour d’un samovar, pantoufle de verre et robe de bal. Tout cela aurait pu être rose bonbon, mais ne vous y fiez pas : ce huit clos vire plutôt au Cluedo sur un « air de famille ». Cinq comédiennes de 9 à 75 ans campent une fratrie toute droite sortie de l’imagination de Philippe Dorin. La mise en scène de Sylviane Fortuny sert à la perfection l’écriture fragmentée de l’auteur. À l’image du décor qui évolue à vue, l’intrigue s’imbrique pièce par pièce à la façon des matriochkas. Attention terrain miné pour les hommes : qu’ils soient tsar ou simple communiste, père ou futur époux, elles resteront unies face à la menace et au secret. À l’heure de la transparence, elles sauront se lever pour rejoindre leur propre paradis. Si ce soir, vous ne savez pas quoi frère, courrez au Grand T à 20h30. »

« Médiateurs issus de grandes fratries : un texte en résonance avec la pièce de Philippe Dorin”.

Les échanges des spectateurs issus de « grandes fratries » laissent entendre différentes résonances du spectacle avec leur histoire personnelle. Certains se sont identifiés sur la fratrie évoluant sur scène, d’autres non. Pour autant, tout le monde s’accorde sur le caractère unique et privilégié du lien fraternel. Comme en témoigne la solidarité autour du secret et l’instinct de protection mutuel. On a tous dans nos fratries des souvenirs de jeu. Ces moments deviennent le lieu des premières expériences à l’image de la scène des cigarettes. Ils permettent aussi une réinterprétation de la réalité, telle la scène du Cluedo. Chacun sa place, chacun son rôle : la responsable, le garçon manqué, la conciliatrice, la petite dernière…La pièce nous interroge sur cette distribution, sur le caractère aliénant de la fratrie et comment s’en défaire pour vivre sa propre vie tout en gardant un lien, à l’image de l’émancipation de chacun des personnages à la fin de l’histoire ».

« Mettre en jeu, une thématique de la pièce, qui s’adresserait aux enfants et aux adultes ».

Thème choisi par le groupe : le secret de famille.

Les concepteurs débarquent dans la salle, déterminés à jouer. Ils donnent les consignes («Mettez-vous en trois groupes. Vous êtes une fratrie de 10. Enchaînez-vous. En circulant dans la pièce, chacun d’entre nous vous donnera un indice pour trouver le secret qui traverse l’œuvre de Philippe Dorin»).

La dynamique collective est  visible dés l’énoncé des règles. Instantanément, le chaos produit l’énergie créative. Les codes de complicité sont posés: on a fait connaissance depuis le début de la journée, on se reconnait, on co-construit en confiance, ensemble.  Des squelettes, les chairs bougent, enchaînés, mais reliés par les mains, symbole de la force vive du collectif. À petits pas, les idées galopent, les rires fusent, le plaisir partagé est là. La jubilation ludique entraine tout le monde dans son sillage et personne ne cherche à connaitre l’enjeu («jouer, mais pour gagner quoi ?»)

La noirceur des secrets émerge et questionne l’adresse au jeune public. Nous apportons le regard théorique sur les processus ainsi déployés. «Travaillez votre groupe. Investissez dans le temps du groupe tout au long de vos saisons théâtrales ».  L’écoute est là. Chacun semble repérer la force du jeu comme outil de médiation.

« Des spectateurs arriveront à 20h30 pour un spectacle du chorégraphe Angelin Preljocaj. Mais une erreur s’est glissée dans le programme : ce soir, « Sœur je ne sais pas quoi frère » est à l’affiche. Vous avez une heure pour créer une feuille de salle pour que le public reste au théâtre »

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La feuille de salle épate. Elle est en trois D, telle une invitation au jeu. Elle vise à créer la relation circulaire entre les spectateurs et le lieu à partir de mots qui relient danse et théâtre. Puis viennent quelques informations pratiques avant que ne se dévoilent les raisons pour lesquelles il faut rester. Ce groupe a réussi à mette en mouvement créatif,  les trois niveaux de la communication : le contenu, la relation, le contexte.

Articulés entre eux, ces quatre exercices dessinent une médiation en dialogue avec l’œuvre artistique où  le jeu, le groupe, la recherche du sens créent la communication. C’est ainsi qu’un collectif de médiateurs, en réseau (métaphore de la fratrie), a mobilisé ses différentes sensibilités pour créer, pour amplifier ce que l’art nous donne : être sujet au cœur du chaos.

Sylvie Lefrère, Pascal Bély – Tadornes.

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ETRE SPECTATEUR LES FORMATIONS DU TADORNE PETITE ENFANCE Vidéos

En avril 2014, 4ème édition de la formation “L’art et les tout-petits”.

Depuis 2010, j’accompagne, via mon cabinet TRIGONE, la mise en oeuvre d’un projet autour de «l’art et les tout-petits» visant à créer un modèle de relations contributives entre professionnels de la toute petite enfance, artistes et opérateurs culturels. C’est ainsi qu’un réseau s’est formé, composé du Théâtre Massalia, des directions de la toute petite enfance des villes de Fuveau, Martigues, Vitrolles (bientôt les Pennes Mirabeau)  et des associations de crèches privées, la Maison de la Famille et Balou à Marseille. Trois cursus (2011, 2012, mars 2013) ont permis à 45 professionnels et artistes de se former à «l’art et les tout-petits» auxquels s’ajoutent des réunions où le management des structures relie les actions artistiques de terrain à un projet éducatif global.

Depuis 2011, cette dynamique de réseau a permis de :

– Diffuser des spectacles et d’cccueillir des résidences d’artistes au sein des établissements de Fuveau et de la Maison de la Famille en étroite collaboration avec le Théâtre Massalia.

– Mettre en oeuvre en 2012 une formation en intra à Martigues. Le projet “A tout petit pas dans l’art, un grand pas dans l’humanité” a ainsi vu le jour et va se déployer  en 2013 en s’articulant aux évènements de Marseille Provence 2013.

– Rencontrer le 4 octobre 2012 la ville de Charleroi et le Théâtre de la Guimbarde pour croiser et relier les expériencesles  lors du festival «Pépites» prévu en 2013.

– Associer Klap, Maison pour la Danse à Marseille et le Théâtre de Fontblanche de Vitrolles au programme de la  formation.

– Organiser lors des Offinités du Tadorne, des journées au Festival d’Avignon («Le grand Off du tout-petit») où professionnels et artistes débattent sur des propositions artistiques.

Projet Enfant Phare avec Philippe Lafeuille et le cabinet TRIGONE pour la ville de Vénissieux.

Pour 2013, un troisième cursus de formation a débuté en mai 2013. Un cursus est prévu en 2014:

– La plaquette de la formation est en ligne ici avec l’inscription: ici.

– Un retour de professionnelles sur la formation 2012:  L'art et les tout-petits, une formation à PART! L’art et les tout-petits, une formation à PART!

– Un article de Piccolo sur la formation.

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à me contacter au 06 82 83 94 19 ou par mail (pascal.bely@free.fr).

À très bientôt.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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AUTOUR DE MONTPELLIER OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Cendrillon libérée.

Après “Le Petit Chaperon rouge” , “Pinocchio”, Joël Pommerat triomphe avec “Cendrillon“. Mérité. Les contes de notre enfance, nous croyons les connaître par cœur…Mais nous sommes peut-être sourds à leurs battements. Avec son équipe, l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat fait un travail d’horloger. Les contes, ils nous les éclatent pour les restructurer, et nous laisser à l’écoute d’une autre partition. Nous entendons une nouvelle musicalité qui quitte nos chansons douces, pour rejoindre notre intime, caché, là…Un homme vient ponctuer régulièrement la pièce, dans une expression en langage des signes. Finalement, ne sommes-nous pas tous un peu malentendants ?

Le plateau dépouillé s’oppose à l’image habituelle de la féerie des histoires de princesses. Nous partons de loin, très loin dans l’enfance. La comédienne principale est frêle, à la voix enfantine, comme dans les précédentes pièces de la compagnie. De l’enfant s’éveillera une force féminine, sortie de sa chrysalide à coup de reins.

Joël Pommerat va explorer la complexité de la communication ou comment une histoire peut se tisser à partir d’un malentendu . Combien de fois rencontrons-nous de telles situations similaires? En écho, j’entends : “Mais  je pensais que…, mais je t’ai dit que … et tu comprends?… Différemment.” Notre histoire, notre culture, notre état, nos préjugés, notre niveau d’intelligence, notre sensibilité peuvent nous donner une autre lecture. Il faut prendre le temps d’écouter. Prendre le temps de reformuler, de questionner. Prendre le temps…C’est devenu un luxe. Le brouhaha ambiant et le stress nous parasitent et nous voilà partis sur une mauvaise piste.

 Sur son lit de mort, Sandra aura interprété les paroles de sa mère et partira dans un imaginaire. Voilà comment elle a entendu ce qu’elle attendait. Elle va vivre ainsi, comme le lapin d’Alice au pays des merveilles, à contrôler le temps et tenter de maîtriser sa mémoire…

«Cendrillon» incarne cette lutte contre l’oubli pour se donner une image irréprochable, avec la culpabilité d’en faire toujours plus, jusqu’à se positionner en victime, de mériter de souffrir, de s’auto flageller. C’est ainsi que pendant toute une vie, un enfant peut porter des sentiments infondés et des poids, que seul le psychanalyste pourra révéler, si  la démarche est engagée.

Le système matriarcal y est central. Après la mort de sa mère, Sandra fait la connaissance de sa belle mère et de ses deux filles. Elle est baptisée…”Cendrier“. Ce trio donne une image du versant féminin cruel, égocentrique, jugeant et dénigrant. L’image du père offre une personnalité faible, dans ce milieu hostile au genre majoritaire. C’est un combat de coqs. Les femmes dans le pouvoir peuvent être terribles.

Sandra/ Cendrier/Cendrillon, malgré sa petitesse est frondeuse, curieuse et volontaire. Elle supporte tout: les quolibets, les taches multiples. Elle veut être vivante en existant dans le regard des autres. Elle est là, utile, servile. Mais ce n’est pas tout de se réaliser dans ses tâches. Encore faut-il exister pour soi, sous un regard extérieur confiant, qui développe l’épanouissement. Derrière la disparition de la mère, c’est aussi la quête de liberté qui émerge; de l’autorisation de se faire plaisir, d’être heureuse en autonomie et d’aimer un autre.Sa belle mère et ses filles existent, mais  dans leur miroir, au dessus des autres. Elles sont la caricature “des laides et des stupides». Ce qui leur manque tant, c’est la sensibilité.

Le public présent est extrêmement réceptif au texte. Des étudiants ont fait le voyage avec leurs professeurs. La fée, d’une modernité à tous crins dans ses propos et ses attitudes, provoque de nombreux rires. Ce sont de douces respirations dans ce cheminement de deuil où le prince est joué par une actrice. Il n’est pas grand, blond aux yeux bleus, mais petit avec un peu d’embonpoint. L’attirance lors de  sa rencontre avec Cendrillon s’opére grâce à une histoire commune: la perte  de la mère. Orphelins tous les deux, ils sont aussi libérés de ce poids matriarcal…

Le chemin est encore long à parcourir, mais la joie de la libération est là. Après l’amour d’une mère, qu’il est bon de se laisser aller au sentiment amoureux, tourné vers l’étranger et le monde.

Ne sommes-nous pas tous un peu Cendrillon?

Sylvie Lefrere – Le Tadorne

“Cendrillon” de Joël Pommerat au théâtre de Serignan, la Cigalière; en partenariat avec Sortie Ouest de Béziers le 13 et 14 mars 2013.