Catégories
LES JOURNALISTES! Marseille Provence 2013 Vidéos

Je m’enflamme pour Bernard Stiegler et pour Marseille,capitale européenne de la culture!

Il est assez rare qu’une émission de télévision soit métaphorique d’une crise de la pensée et de la manière dont «on nous parle». Frédéric Taddeï, animateur de «Ce soir ou jamais» sur France 2, a composé un plateau idéal pour commenter la première année de présidence de François Hollande. À notre droite, Marie de Gandt. Elle fut l’une des plumes de Nicolas Sarkozy. Auprès d’elle, trois portes-parole de la droite décomplexée: Éric Brunet, journaliste brut de décoffrage; Thierry Saussez, conseiller en communication politique; Sophie Pedder, journaliste libérale pour The Economist. En face: Thomas Piketty, économiste placardisé par le PS; Elisabeth Roudinesco, historienne, psychanalyste; Bernard Stiegler, philosophe; Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point.

Au commencement, tout se clive lorsqu’est évoqué le mauvais français de Sarkozy et la bonne maîtrise de la langue par Hollande et ses ministres. Jean-Michel Ribes symbolise cette gauche condescendante («je suis attentif quand les gens disent n’importe quoi» dit-il à Saussez) et courtisane. À ce moment du débat, ces «intellectuels» adoptent le même système de pensée, qu’ils évoquent Sarkozy ou Hollande: penser, c’est commenter les commentaires, amplifier l’anecdote. Ribes signe la fin du premier acte en affirmant «qu’ un monde s’achève avec des gens qui ne veulent pas qu’il s’achève». Il ne croit pas si bien dire…

C’est alors que Bernard Stiegler prend la parole. Il analyse le français de Sarkozy: «il a dégradé l’image de la nation auprès des enfants et je lui en veux beaucoup…la vulgarité était un choix politique». Le ton monte et les invectives fusent avec Éric Brunet: «Je ne vais pas discuter avec ce mec…pourquoi êtes-vous ici vulgaire?, lui lance Stiegler. “Parce que je viens d’un milieu populaire”, lui répond Brunet. Stiegler menace de partir: la tension est maximale. Il se rassoit et choisit de changer de niveau logique. Stiegler veut penser et nous entraîner avec lui. Il exerce alors son regard critique «non pour dénoncer, mais pour analyser». Le silence est total sur le plateau. Il qualifie la crise comme un processus, celui du passage d’une société à l’autre: «l’essentiel de l’argent qui rentre vient d’un processus producteur – consommateur qui est en train de disparaître. Il faut aller vers un nouveau processus, qu’il faut faire émerger : l’économie de la contribution…il y a une idéologie régressive : la vulgarité y a joué un rôle…personne n’affronte la réalité du changement…personne n’ose qualifier la question du changement…C’est une 3ème révolution industrielle qui se prépare…Il est temps d’arrêter de prendre les Français pour des imbéciles…ils sont désireux d’être intelligents…». Les interventions suivantes de Thomas Piketty sur la situation économique (trop souvent entendues) ne résistent pas longtemps à la pensée de Stiegler d’autant plus qu’Élisabeth Roudinesco le disqualifie: «on parle trop d’économie. Il y a une crise morale. Une dépolitisation». Mais elle confond «économie» et «chiffres»…

Bernard Stiegler précise: «La classe intellectuelle fuit la question économique. Il y a un déficit d’articulation entre les questions d’économie et l’économie libidinale. On ne peut pas isoler les processus économiques et sociaux. Toute la socialisation des produits nouveaux s’est faite par le marketing et non régulé par la puissance publique d’ÉtatIl nous faut une nouvelle critique de l’économie politique pour relier l’économie et le social…. Il faut un discours sur l’Europe dans un nouveau modèle de la modernité et faire confiance au peuple. On s’adresse à leur bêtise, car les pulsions se contrôlent plus facilement que les désirs. »

Je vous épargne les réponses des «penseurs» présents sur le plateau qui le disqualifieront à tour de rôle («moi je préfère évoquer l’économie réelle» lui rétorque Sophie Pedder). L’émission se termine par un débat autour du lien entre la musique et le cinéma. Les échanges se font plus fluides, la pensée plus circulaire: «l’art nous protège de la réalité qui tue», précise Jean-Michel Ribes.

Le lendemain, cap sur la capitale européenne de la culture à Marseille, où la compagnie Carabosse propose l’un des événements phares de cette année capitale, «Flammes et flots» (sur deux soirées, 420 000 marseillais auront arpenté le Vieux-Port). Ici, point de feux d’artifice, mais du feu, du vrai, qui jaillit de pots suspendus, de brasiers. Ici point de jets d’eau télécommandés, mais du feu qui coule le long de rigoles au cœur de machines inutiles à la production, mais nécessaires à la poésie. Ici, point de sons et lumières…juste une déambulation musicale où la lenteur de nos pas nous fait contempler de petits automates posés là, au milieu de la rue…Sont-ils nos semblables à la marche «mécanique» le long des galeries commerciales?

Ce soir, on ne s’adresse pas à mes pulsions. Ils ne sont pas producteurs et moi consommateur. Ce soir, je me ressens profondément contributeur parce que ma sensibilité et mon intelligence sont mobilisées. La compagnie Carabosse fait confiance à une population pourtant réputée pour sa violence.

Ce soir, les processus de cette nouvelle révolution industrielle évoquée par Bernard Stiegler sont en jeu: se mettre en mouvement pour ressentir l’alliage des contraires ; se mettre en état de rêve pour se projeter dans l’eau, le fer, le feu, fondements de l’évolution de l’espèce humaine vers l’Humanité ; écouter ses désirs, car ils sont vecteur du sens; se transporter physiquement dans le passé pour comprendre les métamorphoses de demain (nous sommes nombreux à nous presser pour traverser le vieux port sur une passerelle flottante posée à l’endroit de l’ancien transbordeur).

Mais Télérama, journal auquel est très attaché Jean-Michel Ribes (sic) n’a pas apprécié ce changement. Gilles Rof et Sandro Piscopo-Reguieg (il faut être au moins deux pour dénoncer) écrivent sur le blog dédié à la capitale européenne : « Marseille a poursuivi sa soirée contre nature, s’ennuyant ferme alors qu’elle n’attendait qu’une chose : faire une jolie fête. » Ici, la fête étant entendue par le spectaculaire, par ce qui fait flash, ce qui fait du bruit loin de l’ennui et de la rêverie…

«Flammes et flots» nous a offert de la lumière, celle qui fait tant défaut à une ville plongée dans le noir de la crise. Ce soir, il n’y avait aucune couleur rose ou rouge (de celles qui font la joie du marketing culturel pour assujettir l’art aux pulsions du consumérisme!), mais une lumière fragile, soumise au mistral, et qui est allé chercher loin mes premières lueurs de gosse.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Ce soir ou jamais », émission du 3 mai 2013.
« Flammes et Flots » de la Compagnie Carabosse à Marseille, Vieux-Port, les 3 et 4 mai 2013, dans le cadre de Marseille Provence 2013.
Catégories
L'IMAGINAIRE AU POUVOIR LES EXPOSITIONS LES JOURNALISTES! Marseille Provence 2013 OEUVRES MAJEURES Vidéos

Deux Tadornes au Week-end d’ouverture de Marseille Provence 2013.

Au lendemain du week-end d’ouverture de Marseille Provence 2013, le journal de 7h30 de France Inter fait le bilan. Après une semaine de grève, l’envoyé spécial de la station semble bien bien mal diposé pour oser faire un tel bilan (à écouter, en bas de cet article).  Notre réponse à ce reportage baclé…

Nous débutons ce week-end d’ouverture par l’exposition «Ici, ailleurs » à la Friche Belle de Mai. Ce choix n’a rien du hasard. C’est un lieu brut où tout se reconstruit, à l’image d’une ville en chantier, en métamorphose. À peine entré, notre regard sur l’art est partout: les murs investis par les grapheurs, le bleu de l’escalier, l’ouverture des fenêtres sur le dehors, les œuvres plastiques sur la terrasse…Nous désirons découvrir autrement la ville et nous reviennent ces habitants d’Istanbul, emmenés par la plasticienne Sophie Calle, qui voyaient la mer pour la première fois. Nous  avons peut-être le même regard qu’eux…

arlmsc36551

Il y a foule, celle des grands jours. Nous semblons tous assoiffés d’art comme si nous étions privés depuis trop longtemps de ces rassemblements qui font l’âme d’une ville. Nous sommes excités d’être là : nous avons tant attendu!

«Ici, ailleurs» est un chemin qui, d’étage en étage, nous conduit  sur une terrasse, espace de reliance entre la mer et l’art. L’exposition nous immerge dans la pensée méditerranéenne, celle qui autorise tous les liens pour appréhender autrement le monde. Elle est composée d’archipels où nous accostons. À l’entrée, les aquarelles sur papier d’Etel Adnan, de Bouland al-Haidari et d’Issam Mahfouz accueillentdes poèmes arabes qui, telles des partitions de musique, invitent à relier tous les arts…

timthumb

Les boules de verre soufflées de Mona Hatoum séduisent les enfants qui osent les toucher. Le rouge de ces cœurs palpitants et légers  déborde des cages d’où ils refusent d’être enfermés. La case de la norme est refoulée, tel un appel du large,  à l’image de l’exceptionnelle vidéo d’Ange Leccia  («Traversée»). Du bateau qui relie le continent à la Corse, nous longeons les côtes pour entrer dans les terres brûlées de la Syrie, pour écouter la profondeur de la voie démocratique des chanteurs corses…Cette traversée nous trouble tandis qu’apparaissent des images de femme – madones, conférant à ce voyage un caractère quasi spirituel : la méditerranée se rêve, se défend, se prie,…

1358090989_054302_noticia_foto1_normal_0

Elle est une pensée qui accouche, à l’image de la «Virgo Mater» de Javier Pérez, l’une des œuvres les plus fortes de cette exposition. Composée de résine et de boyaux de porc séchés, elle vient vers nous, prête à se dévoiler. L’espoir est là : nos conquêtes laïques, sociales et culturelles ont métamorphosé le religieux. Comment ne pas voir dans ces tissus de porcs, le biologique prêt se fondre dans la culture ? Oui, au mariage pour tous…!

visu_03

Oui, à la jeune démocratie tunisienne ! Même si sa force révèle une fragilité qui fait frémir. Le cube de confettis de l’Italienne Lara Favaretto peut à tout moment s’effondrer. Hommage à la Tunisie, cette œuvre côtoie les glaçantes chaises de Jannis Kounellis. Certains visiteurs passent à côté d’elles,  fascinés par le cube. Pourtant, la nuit des longs couteaux menace…

visu_04

Le même effroi nous saisit tandis que nous approchons de «la Mer échevelée» d’Annette Messager où un bateau prêt à échouer s’engouffre dans cette étendue menaçante. Des ventilateurs provoquent les vagues, à moins qu’ils n’animent les cœurs essoufflés de Nona Hatoum. Cette œuvre forcément vivante évoque la mort de ceux qui ne sont pas revenus des voyages entre les rives. Bouleversant…

À la sortie, nous voilà penseurs méditerranéens ! Mais il nous faut maintenant partir. Une course commence pour rejoindre le centre-ville et ses clameurs de 19h. Tels des lapins blancs de Lewis Carroll, nous ne cessons de scruter notre montre. Stratégie oblige, nous abandonnons la voiture pour nous engouffrer dans les tunnels du métro pour respirer ensuite sous le ciel noir de l’hiver. L’air frais glisse sous nos joues rosies par l’excitation. Des panneaux roses  parsèment notre trajet. L’humain est partout ! Ponctuellement nous échangeons avec des personnes au gilet rouge qui nous donnent des programmes et des explications ; le public venu d’ici, ailleurs côtoie des gendarmes presque  souriants, habillés comme des Robocops.

villa-mediterranee-region-paca-1200x819

Nous longeons la côte, comme si c’était la première fois, fascinés comme des enfants par ces bâtiments éclairés (La cathédrale de la Major, la Villa Méditerranée, le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée –Mucem-,…). Les grues nous tirent, le paquebot nous embarque, les nouvelles constructions nous invitent et l’espace piétonnier  nous englobe tous dans une même dynamique : un vivre ensemble joyeux.

mucem2-tt-width-604-height-402-attachment_id-339379

Le MUCEM dessiné par l’architecte Rudy Riccioti nous évoque le cube de confettis de Lara Favaretto…À moins qu’il ne soit le cœur battant de Mona Hattoum sous la mer échevelée d’Annette Messager. Il englobe déjà le propos artistique de la Friche ! Sa dentelle de béton prête à fondre se pare de lumières et nous laisse entrevoir qu’il sera l’un des plus beaux musées du monde. La mer est d’art et l’œuvre est mer tandis que les bateaux semblent hésiter entre accostage et traversées. Ange Leccia est du voyage…

Nous poursuivons. L’air est léger et nous décidons d’accoster, dans le Panier, pour y écouter la clameur des minots. Car ici et comme dans de nombreux quartiers, artistes et habitants se sont préparés pendant de longs mois pour que leur clameur fasse disjoncter la ville ! Accoudés à un mur, nous attendons ce que ces enfants ont à nous envoyer comme signal…À 19h, de leur mégaphone de papier roulé en cône symbolisant différents animaux, ils hurlent en suivant les indications de leur chef d’orchestre, Miss Paillette. Mais on aurait pu créer d’autres musicalités nées de l’imaginaire des enfants.  Le black-out de la ville prévu par les organisateurs est amoindri, mais les claquements des feux d’artifice illuminent le ciel de part et d’autre. Les pieds ancrés dans le sol, nous sommes aspirés vers le ciel où les étoiles sont autant de rêves pour le futur.

Sur le port, la foule nous emporte, puis nous fait très vite barrage.  Nous trouvons un havre pour nous  restaurer, chez Annie. Plat unique: la pizza. Le patron est soutenu derrière le zinc de son bar. Le pastis semble avoir eu raison de lui. L’œil brillant, il nous dit oui à tout. Et nous attendons nos boissons….une demi-heure…Puis la faim se fait sentir. L’allégresse de la fête est plus forte et nous engageons de joyeux échanges avec nos voisins, jusqu’à toucher tous les clients  du restaurant. Rassemblés dans cette attente, nous patientons en dynamique…Nous sommes bien à MarseillEU, où on prend le temps…1h30 après, la pizza arrive, arrosée d’applaudissements et de rires.

La griserie du vin nous porte ensuite vers la place du cours d’Étienne d’Orves, où des anges de la compagnie Studios de Cirque nous guettent du haut de leur mat…Ils glissent le long de filins et nous déversent copieusement des plumes blanches. Les Tadornes ont le cou tendu, vers ces aiguilleurs de projets, reliants, fédérateurs… Dans notre Europe en crise, dans la ville phocéenne, le temps se suspend, en levant tous les soucis. Cette place se transforme,  dans un lent processus, en parc immaculé. Les lumières nous éclairent, tout comme la villa Méditerranée. Sommes-nous à Marseille, Istanbul, Rome, ou Lisbonne? Nous voilà immergés dans une Méditerranée universelle. L’ange Bibendum flotte, comme pour nous protéger et absorber nos craintes.

Du sol, du ciel, la profusion des duvets explose, autant que les fusées des feux d’artifice ; autant que nos désirs…Nous sommes recouverts de blanc, tels de jeunes volatiles, près pour les premiers battements d’ailes;  la légèreté nous épouse et pousse nos corps à bouger dans un bal collectif. Au son de la musique, nous ondulons ensemble et dansons sans fin.

Le cap de l’année culturelle est lancé: soyons libres et légers, vers des vols nouveaux ! Marseille, port de tous les voyages. Ici, ailleurs…

Sylvie Lefrere – Pascal Bély – Tadornes.

à partir de 7’15

“Ici, ailleurs”, Exposition inaugurale de la Tour-Panorama et l’année Capitale à la Friche Belle de Mai, du 12 janvier au 31 mars 2013

Catégories
KLAP, MARSEILLE LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Le Nouvel Observateur insulte la danse.

A la lecture du dernier article du «journaliste» Raphaël de Gubernatis, j’ai la nausée. Il me l’avait déjà donnée en 2011 alors qu’il tenait des propos racistes en «critiquant» un spectacle de Faustin Linyekula (lire: l’article incacceptable de Raphaël de Gubernatis)

Lors d’une soirée en févier dernier à Klap, Maison pour la danse à Marseille, il fut l’envoyé spécial du Nouvel Observateur. Deux spectacles furent proposés au  public : «My way», une création de Michel Kelemenis (directeur de Klap) présentée à 19h et «Christoffa» de Davy Brun à 20h30.  L’analyse minutieuse de l’article ne m’a pas échappé tant je suis extrêmement vigilant sur cet homme sulfureux, craint et détesté, qui a sa carte de presse et tous les honneurs qui vont avec.

Dès le début de l’article, Raphaël de Gubernatis se retient de vomir. Mais il a le hoquet. «Quelques mois après son inauguration, la Maison pour la Danse, située à Marseille, vit à plein régime. Le vaste hall d’entrée qui dessert les deux salles de spectacles (l’une d’entre elles, possédant une magnifique scène, attend que l’on soit en fonds pour garnir de sièges les gradins) est plein de monde. On présente ces jours-ci, en avant-première, un ouvrage de Michel Kelemenis dont l’opiniâtreté et la présence à Marseille depuis des lustres sont à l’origine de l’établissement, mais aussi l’essai d’un ancien danseur du Ballet de Lyon qui se lance dans la création chorégraphique.». J’informe les lecteurs que ce journaliste paresseux n’a pas assisté à la représentation de Davy Brun (qu’il ne nomme même pas, le qualifiant par son ancien statut de danseur). Certes, la salle de création de Klap n’a pas encore de sièges et je m’en réjouis. Enfin un lieu qui n’aligne pas les spectateurs où rien n’est permis! A Klap, on peut s’étaler pour admirer la danse et se laisser aller. Mais Monsieur de Gubernatis est probablement habitué aux fauteuils moelleux qu’il confond avec des chaises à porteurs.

Son hoquet vagal se poursuit :

Ce sont là deux des fonctions assignées à cette Maison pour la Danse commanditée par la Ville de Marseille : abriter les spectacles de son instigateur, mais plus encore ceux produits par les nombreux artistes chorégraphiques que l’on qualifiera “d’intérêt local”, et qui se sont multipliés à Marseille comme dans le reste de la France. L’avenir dira si la Maison pour la Danse n’est pas plus belle que les productions de ceux qui vont en bénéficier.»

Je vous laisse apprécier l’appelation «intérêt local». C’est le propos réactionnaire d’un journaliste qui disqualifie les programmes de décentralisation culturelle. Ignore-t-il que les grands chorégraphes français ont souvent débuté en région ? Qu’aurait-il écrit en 1979 sur  Jean-Claude Gallotta qui fonda à Grenoble, le Groupe Émile Dubois pour s’insérer en 1981 dans la Maison de la Culture de Grenoble? Comment peut-il qualifier Michel Kelemenis d’ »instigateur» de Klap alors qu’il en est l’inventeur, le bâtisseur (il le sait puisqu’il était présent à la conférence de presse d’octobre 2011 lors de l’inauguration de la Maison)? Cet homme maltraite les mots, car il ne peut écrire avec raison.

dur.jpg

Alors qu’il aborde «My way», Raphaël de Gubernatis commence à se vomir dessus :

«Visiblement ébloui par la grâce juvénile du jeune homme, Benjamin Duc, lequel a des atouts pour devenir plus tard un bon, voire un excellent danseur, Michel Kelemenis a l’imprudence de le précipiter dans un rôle qui n’est pas de son âge».

Je note d’emblée la mauvaise orthographe du danseur (il s’agit de Benjamin Dur). Lapsus révélateur qui le voit métamorphoser un danseur en duc (duc, du latin dux, ducis signifiant « meneur, chef », est le titulaire d’un titre de haute noblesse attribué par plusieurs monarchies européennes depuis le Moyen Âge). Premier éblouissement.

«On ne demande pas à un garçon sortant visiblement de l’adolescence d’assumer un rôle de séducteur avec le cynisme que cela induit. Benjamin Duc a la gaucherie, et sans doute l’innocence de son âge. Le jucher sur le haut tabouret d’où il joue brièvement un rôle de créature aguicheuse propre à l’univers du cabaret;  le faire se dévêtir sur scène et du coup porter le spectateur à une position de voyeur : voilà qui semble malsain. Ce jeune homme est bien trop vert, bien trop immature, comme danseur et comme acteur, pour assumer le rôle qui lui est dévolu. C’est le déflorer que de l’y pousser.»

Raphaël de Gubernatis a des pulsions qu’il ne contrôle plus. Entendons-nous bien. Cela m’arrive d’avoir d’étranges pensées lors d’un spectacle de danse. Mais cela relève de mon intimité, de ma relation à la scène, au corps. Il me faut en général quelques secondes pour revenir au propos. Or, dans le cas présent, Raphaël de Gubernatis est si ébloui par la beauté dure de ce garçon qu’il ne se contrôle plus jusqu’à perdre tout sens critique et accuser Michel Kelemenis de pédérastie. Mais qui donc avez-vous défloré, monsieur De Gubernatis, pour que ce souvenir vous aveugle ?

Ce n’est pas fini. Son délire se poursuit. Il s’imagine tête de réseau d’agents artistiques sulfureux :

«Et devant ces trois jeunes gens, trop frais, à la technique non encore maîtrisée totalement, on ressent le même malaise que devant ces petits garçons qu’on avait coutume, naguère, dans certains milieux populaires, de déguiser en petits adultes, ou devant ces fillettes que l’on laisse s’habiller en femmes et qui singent inconsciemment la vulgarité de leur mère.»

De mon expérience de spectateur de danse, je n’ai jamais lu un article aussi dégueu
lasse, mal écrit, à la rhétorique réactionnaire et obscène.

J’accuse formellement le Nouvel Observateur de détester la danse pour laisser ce journaliste de caniveau insulter artistes et spectateurs. J’informe ici programmateurs et chorégraphes « institutionnels » que je ne resterais pas inerte dans le cas où vous lui réserveriez, en ma présence, quelques privilèges qu’il vous réclame probablement à corps et à cris.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Catégories
LA VIE DU BLOG LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Bloc-Notes / 3615 France3

Quand France 3 créé en 2009 la plate-forme «Culturebox», je me suis réjoui. Le projet vise à mettre en ligne les reportages élaborés par les stations régionales. Souvent d’excellente qualité,  ils proposent un focus sur la vitalité culturelle en région. Pour le Tadorne, c’est une opportunité pour illustrer et prolonger un article. Grâce à Culturebox, l’écrit et l’image s’articulent au profit de la visibilité d’un propos artistique.

Mais depuis quelques semaines, ce lent travail de mise en lien est détruit. En effet, la chaine a décidé de revoir l’architecture du site et son design. Je ne m’étendrais pas sur la qualité graphique, aussi joyeuse que celle d’une entreprise de pompes funèbres. Le problème est ailleurs: Culturebox en a profité pour changer tous les codes d’intégration des vidéos. Dit autrement, les reportages en ligne sur Le Tadorne sont dorénavant illisibles. À la place, un gros carré blanc (à titre s’exemple: Bertrand Cantat, «le condamné» d’Avignon). Postées depuis deux ans, il faudra du temps pour tout réinitialiser. À aucun moment, les techniciens n’ont envisagé que Culturebox était un outil pour les artistes, les institutions et les blogueurs. Ils ont pensé la rénovation du site sans prendre en compte son environnement.

une_culturebox.jpg

France 3 ne comprendrait-elle rien à la philosophie de l’internet, où tout est lié? Ils ont redéfini leur site dans une logique descendante et non horizontale. J’y vois la métaphore d’un système où la technique prime sur les dynamiques des liens. Sauf que ce modèle de pensée ne fonctionne plus.

Carré blanc. Carton rouge.

Additif au 10 décembre 2011:

Suite à la publication de l’article et à un message sur le mur Facebook de CultureBox, France Télévisions a réagi pour s’étonner de ce dysfonctionnement puis de reconnaître le problème et le régler.

Toutes les vidéos marchent correctement aujourd’hui.

Merci aux techniciens.

Pascal Bély

Pascal Bély ? Le Tadorne.

Catégories
BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Arnaud Laporte de France Culture se moque de La Biennale de Lyon.

Les oeuvres du Sud-Africain Kemang Wa Lehulere me sidèrent. Papier bulle, morceaux de tissus et toile forment des patchworks fragiles qui dessinent des figures métamorphosées en objet pour des visages déchirés, absents, enfermées dans des contextes où le lien semble rompu. Il y a de la discontinuité, de la perte, des souvenirs enfouis, des fragments impossibles à recoller. Je vais d’un dessin, d’un tableau à l’autre. Kemang Wa Lehulere me perd.

Mais brutalement, je suis interrompu. Il y a du bruit à l’entrée de la salle du Musée d’Art Contemporain de Lyon. L’animateur de France Culture, Arnaud Laporte, discute à bâtons rompus. Je devine les voix qui animent sa nouvelle émission («La Dispute», tous les soirs à 21h, où des critiques échangent leur point de vue). Ils parlent fort. J’entends leur analyse sur la Biennale et la manière dont ces «professionnels cultivés» considèrent les artistes. Leur décontraction perturbe ma concentration. La société du spectacle s’invite par effraction. Mais je m’accroche au travail de Kemang Wa Lehulere, qu’ils ne voient pas.

art_40_img.jpg

Dans la même pièce, l’oeuvre de  l’Argentine Luciana Lamothe menace. Les murs supportent cette oeuvre provocante où un enchevêtrement d’architectures soutient un modeste livre. Suivant le point de vue, je perçois  une arme, l’Europe en tour de Pise, un projet industriel en proie au doute. Mais je suis à nouveau interrompu. Une des journalistes de la bande s’approche et écoute son répondeur. Je comprends qu’on lui apprend une mauvaise nouvelle. Elle en joue, sait que nous la regardons. C’est sa petite comédie du pouvoir. Mais je m’accroche (!) à la mise en abyme de Luciana Lamothe, qu’elle ne voit même pas.

Le bruit augmente. Les rires se font plus gras. La critique aussi. Je les interromps, excédé.

«Pourriez-vous s’il vous plaît faire moins de bruit, je n’arrive pas à me concentrer».

Le groupe éclate de rire, me pointe du doigt, comme dans une cour de récréation. S’ils le pouvaient, ils me jetteraient des pierres pour avoir osé l’offense. Arnaud Laporte lance alors : «on n’est pas dans une église ici», puis ils s’éloignent tandis que leurs rires résonnent.

Cet incident métaphorise une société de castes et de classes où chacun s’attribue sa parcelle de pouvoir pour l’imposer aux autres, quel que soit le contexte. Je ressens l’incapacité des journalistes à penser la relation à l’art en dehors d’un lien asymétrique. Ils ne conçoivent pas qu’un bruit perturbe un visiteur, car la question n’est pas là : l’art s’analyse, point barre. Mais internet menace leur pouvoir. Je n’ai pas eu le réflexe de les filmer avec un iPhone. Si tel avait été le cas, nous pourrions porter un regard critique sur les comportements de ces «professionnels» qui nous disent tant sur la manière dont ils communiquent avec une oeuvre. De haut.

x160.jpg

Le soir, j’ai pris en cours de route l’émission consacrée à la Biennale. J’ai entendu les mêmes rires alors qu’ils évoquaient le travail de Michel HuismanThe secret garden»). Un petit meuble, un seau, un drap et une invitation à nous y glisser. J’ignore ce que les visiteurs ont perçu de mon corps (un dernier soupir, ma sépulture ?) mais je me souviens encore de ce que j’ai ressenti à la vue de ce petit oiseau mécanique qui me regardait de haut. Un sentiment profond d’humilité.

En évoquant cette oeuvre, Arnaud Laporte se moque.

J’ai coupé le son.

Pascal Bély, Le Tadorne

Les autres articles sur la Biennale 2011:

Bloc Notes / Urgent, la Biennale de Lyon perd ses plumes.

Tu n’as rien vu à la Biennale de Lyon

Extra-terrestre Biennale de Lyon.

La Biennale de Lyon donne le vertige.

Catégories
LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Le Monde, la Croix, l’Express, Le Figaro et Libération: la critique au bûcher?

La critique est divisée sur la création “Sang et Roses” du flamand Guy Cassiers jouée à la Cour d’Honneur. Mais ces divergences ne sont qu’apparentes. Fascinée par la rencontre entre Jeanne d’Arc, Gilles de Rais et la Cour d’Honneur, elle peine à dénoncer comment Guy Cassiers maltraite le lien théâtre- public. Tout ce qui fait la force de cette Cour est ainsi gommé au profit d’un dispositif technologique sophistiqué qui malmène les sens. Pourtant, mettre en résonance l’histoire de ces deux figures du Moyen-Âge est séduisant. L’un et l’autre, sont pris en tenaille entre leur foi religieuse, leur folie et le jeu pervers d’une Église toute-puissante. Construite en deux parties, Jeanne d’Arc et Gilles de Rais subissent le même sort : les faits, le procès, l’exécution. Cette linéarité empêche bien des mises en lien…

Dans «La Croix», Didier Mereuze voit dans ce décor d’écran métallique «l’écrin de la cour d’honneur qui retrouve magiquement ses couleurs originelles d’un Moyen Âge». Une Cour dans la Cour, en quelque sorte ! Que restituera cette pièce dans un théâtre de béton ? Fabienne Darge du Monde peut enfin légitimer sa plume de critique de théâtre : «voilà enfin, la grande création théâtrale que l’on attendait depuis le début de ce Festival d’Avignon, qui semble voué depuis quelques éditions à offrir plus de bonheurs du côté de la danse que de l’art dramatique». La vidéo contre les corps, voilà un bien bel aveu. À plusieurs reprises, Fabienne Darge justifie que l’«on est pleinement au théâtre». Comme si ce n’était pas évident jusqu’à s’appesantir sur les costumes: « Ils ne sont pas seulement d’une beauté inouïe : chacun d’eux est doté de mains postiches, qui donnent une image synthétique de chaque personnage». Nous frôlons l’image de synthèse…

Laurence Liban de L’Express (dont le titre de l’article est quasi identique à celui du Monde, «Jeanne la Pucelle enflamme la Cour d’Honneur») formule une critique sans appel : «Habité, presque encombré parfois, d’écrans, le plateau est dominé par un immense panneau fait de carrés métalliques où sont projetés les visages en gros plan des comédiens à l’oeuvre en chair et en os. Du fait des sous-titres traduisant le texte flamand, on a très vite l’impression de regarder un film. Ceci d’autant plus que, pour faire face à la caméra, les acteurs jouent de profil. Ce qui est accompli sur scène devient dès lors moins important que ce qui est vu à l’écran. C’est l’une des limites de ce spectacle par ailleurs splendide et passionnant, mais qui fait peu de place aux comédiens de chair et d’os pour laisser la plus grande place à l’image et à la parole. Et rive le spectateur aux écrans et aux sous-titres, sans lui donner le loisir de balader son regard ailleurs ». Mais se reprend : «Malgré ces réserves, Sang&Roses rend justice à la mémoire de la cour d’Honneur du palais des Papes et place haut les enjeux du théâtre contemporain. L’accueil fut on ne peut plus chaleureux. Et mérité sous le grand vent». Ainsi, Laurence Liban est fascinée par ce décorum jusqu’à le relier aux enjeux du théâtre contemporain! Ici aussi, s’interroge-t-elle sur le sens de cette oeuvre au-delà de la Cour ? Ne voit-elle pas que ce théâtre incarne les processus réactionnaires de la représentation?

sangroses4.jpg

René Solis de Libération se laisse lui aussi aller à des accents lyriques puisqu’il voit dans ce spectacle programmé en fin de festival, une «clôture monumentale dans la cour d’honneur» pour reconnaître plus loin un décalage: «Grand sujet, grands décors, grands acteurs. Et c’est tout. Difficile d’imaginer plus parfait décalage entre forme et fond. La pièce de Tom Lanoye a l’art d’habiller l’anecdote de grands mots pour ne rien dire.» La critique est un peu plus sévère. René Solis ne s’interroge pas sur ce théâtre qui lui fait dire le tout et son contraire jusqu’à terminer sa critique par une analyse de texte?

Armelle Heliot du Figaro attaque à la machette : «Bref, de grands personnages, une troupe superbe, mais un mélange de naïveté et d’arrogance du côté des concepteurs oublieux aussi du vent dans la cour : le grand écran a dû très vite être replié».Mais là aussi, aucune analyse de ce théâtre d’images qui offre au spectateur un cours d’histoire sans solliciter ses sens. Assurément réactionnaire.

Ainsi va la critique en France. Fascinée par La Cour, elle oublie de décrire les processus de fascination utilisés par le metteur en scène au détriment de l’émancipation du spectateur. Elle repère les divergences entre le fond et la forme sans s’interroger sur le sens de ce grand écart. Dit autrement, Guy Cassiers propose un théâtre autoritaire sans que la critique n’y trouve rien à redire. Inquiétant, non ?

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Sang et Roses, le chant de Jeanne et Gilles » de Tom Lanoye, mise en scène de Guy Cassiers au Festival d’Avignon du 22 au 26 juillet 2011.

Catégories
LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

L’article inacceptable de Raphaël de Gubernatis dans le Nouvel Observateur

À l’attention de Laurent Joffrin, directeur du Nouvel Observateur..

Monsieur,
Nous sommes plusieurs spectateurs, lecteurs, artistes, à être infiniment choqués par le ton et la teneur des propos tenus par le critique Raphaël de Gubernatis(1), dans les colonnes de votre journal, à propos de la pièce de Faustin Linyekula, «Pour en finir avec Bérénice» jouée au Théâtre de Chaillot à Paris.
Il ne s’agit pas de défendre le spectacle (parmi nous certains l’ont apprécié, d’autres pas du tout), mais de dénoncer un état d’esprit qui permet à Éric Zemmour, à Jean-Paul Guerlain et à John Galliano de déborder pour polémiquer. Cet article est réactionnaire parce qu’il prend racine dans un paradigme que l’on aimerait dépassé. C’est une pensée raciste, dans le sens où elle admet une hiérarchie des cultures : «Il est assurément de notre devoir d’Européen de tendre la main et d’aider avec vigueur des artistes issus de pays comme le Congo qui ont traversé une guerre effroyable du fait de leurs propres tyrans». Cette phrase est inacceptable. Elle sous-tend qu’un artiste congolais, africain ne peut être programmé parce qu’il est talentueux. Pourquoi toujours renvoyer les créateurs «africains» à leurs origines ? Les Européens auraient donc un devoir envers eux comme le sous-entendait Jules Ferry lorsqu’il justifiait la colonisation : «Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures.».
La suite n’est pas plus brillante. Raphaël de Gubernatis affirme (sans conditionnel) que le Théâtre de Chaillot n’a pu annuler ces représentations par le jeu des coproductions, ce qui sous-entend que la structure ne défend pas le spectacle. C’est une accusation grave. D’où tient-il cette  “information» ?

Si le spectacle est raté pour certains, pourquoi ne pas le considérer simplement comme tel ? Certes Faustin Linyekula évoque son pays, à partir de son histoire. Mais tous les artistes le font. Il parle d’en finir avec Bérénice, comme symbole de la violence de la colonisation par le langage et montre la difficulté à dire cette langue imposée. Monsieur de Gubernatis n’a pas compris le spectacle : il en a le droit. Mais sa position autorise-t-elle à un tel  mépris de l’artiste jusqu’à écrire un pamphlet malodorant ?

Nous sommes d’autant plus choqués que cet article est sur le NouvelObs.fr. Tous les commentaires ne sont pas publiés et l’auteur ne répond pas à ses contradicteurs. La liberté d’expression des lecteurs n’est pas totalement respectée privant  Monsieur de Gubernatis d’échanger pour être plus constructif.

Nous vous demandons d’ouvrir le dialogue avec vos lecteurs et d’autoriser toutes les contributions, sans censure, afin d’être en cohérence avec les valeurs de démocratie et de respect dont se prévaut votre journal.

Il en va de la vitalité de notre démocratie postcoloniale.

Nous vous prions d’accepter, Monsieur, l’expression de nos salutations les plus distinguées.

Eva Doumbia, metteure en scène.

Pascal Bély, spectateur, Le Tadorne.

 

(1) Spectacle : Pour en finir avec la complaisance

Il est assurément de notre devoir d’Européen de tendre la main et d’aider avec vigueur des artistes issus de pays comme le Congo qui ont traversé une guerre effroyable du fait de leurs propres tyrans, sans doute soutenus en sous-main par des intérêts occidentaux. Ces artistes assurément sont le signe d’un espoir de dignité retrouvée et de recul de la barbarie. Et ils ont droit à toutes les attentions comme aux aides que nous pouvons leur fournir.

Un trio miraculeux

Parmi ces artistes, le Congolais Faustin Linyekula bénéficie de la bienveillance multipliée des milieux culturels français. On l’avait naguère découvert lors des premières Rencontres chorégraphiques africaines, alors organisées à Luanda (Angola) par “Afrique en création”, et depuis reprises par Cultures France. C’était en 1988 et il apparaissait, sous les couleurs du Kenya, avec le mime Piyo Okach et la danseuse Afrah Tenanbergen dans un miraculeux trio tout baigné de poésie dont la beauté et la spiritualité avaient alors bouleversé et laissaient entrevoir un fabuleux renouveau pour la danse africaine. Ce renouveau a existé, il a permis l’émergence de remarquables personnalités, mais on en a découvert désormais les limites lors des dernières et désastreuses Rencontres chorégraphiques qui se sont déroulées à Bamako (Mali) en automne dernier.

“Bérénice”

Faustin Linyekula, quant à lui, après avoir été convié à monter une “Bérénice” de Racine à sa façon, pour la Comédie française (Studio du Louvre), une “Bérénice” conçue de façon assez gratuite, il faut le dire, et qui a horrifié bien des spectateurs, Faustin Linyekula s’est vu invité par le Festival d’Avignon 2010 à donner un spectacle joué par les jeunes gens avec qui il travaille à Kisangani, au nord-est de la république “démocratique” du Congo.

Piètres débutants

Le travail qu’il y mène est sans doute honorable. Plus que cela, essentiel dans un pays où la guerre a ruiné la société et la culture. Et il est sans nul doute important qu’on l’aide en ce sens. Mais fallait-il faire venir en Europe ce spectacle conçu par Faustin Linyekula et donné par des “comédiens” qui ne sont jamais que de piètres amateurs ou alors des débutants sans talent particulier ?

N’y a t il pas une frontière à maintenir entre travail social, aussi remarquable soit-il, et travail artistique présenté dans de hauts lieux du théâtre?

Exécrable

Le spectacle de Faustin Linyekula, intitulé “Pour en finir avec Bérénice”, et dont il serait trop long d’évoquer ici les sources, ce spectacle est tout simplement exécrable. La dramaturgie comme la mise en scène n’offrent aucun intérêt, ou alors tellement mince ;  la partie chorégraphique interprétée par le metteur en scène et chorégraphe est parfaitement insipide et s’insère dans le spectacle sans nulle pertinence. Quant aux “comédiens”, ils sont proprement atterrants. Il s’agit là d’un travail de patronage où les quelques vers de Racine qui  subsistent sont massacrés, ânonnés de façon affligeante par des “acteurs” qui font peine à voir et dont il est proprement indécent d’exhiber la faiblesse en public. Cela de surcroît dans le cadre d’un festival de théâtre qui se veut le plus brillant du monde. Et aujourd’hui dans celui du Théâtre de Chaillot.

Cycle infernal

Le cycle infernal des coproductions conduit effectivement ce désolant spectacle à être présenté au Théâtre de Chaillot qui n’a pas pu, ou pas osé, l’annuler. On va demander à des gens de payer (ou ils seront invités) pour voir du travail d’amateurs sur une dramaturgie immature. Car tout cela est d’un niveau proprement infantile. Et tout cela se fait avec la coupable complaisance de milieux culturels où l’on raisonne (si l’on ose employer ce mot) de façon démagogique ou sentimentale ou condescendante, sans imaginer qu’exhiber ainsi des Congolais dans une situation aussi défavorable ne fait que renforcer les préjugés dont on accable déjà l’Afrique et ses habitants.

Raphaël de Gubernatis – Nouvelobs.com

Catégories
LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

L’inculture est un produit; la morale est son emballage

Cela vous ne vous a pas échappé. Sur le site du Monde.fr, l’onglet «culture» a disparu de la une. Pour le trouver, il faut cliquer sur la rubrique «loisirs». C’est ainsi qu’un  journal de référence réduit notre rapport à l’art à une activité de divertissement. Mais est-ce si étonnant ? Depuis qu’en 1986,  le ministère de la Culture est accolé à celui de la communication, nous savions que les codes et les usages de la société consumériste déplaceraient la question du lien à l’art de la sphère intime et collective vers des pratiques de consommateur. Qu’on en juge par la dernière trouvaille de Marseille Provence 2013 qui, pour enquêter sur le public, publie un questionnaire élaboré par des étudiants d’une école de management. Pour sonder nos choix culturels, la danse n’est pas évoquée; on abaisse la question du lien à la profondeur de notre porte-monnaie. Rien sur le désir. Comment en sommes-nous arrivés là ?

La responsabilité des programmateurs ne peut-être esquivée. Pour exemple, le Festival de Marseille, qui s’apprête à investir la salle Vallier en juin. La place du spectateur est réduite à un slogan de communicant («Festi’vallier») à qui l’on propose une sardinade pour vagabonder sur  la plage en collaboration avec la Scène Nationale du Merlan. Cette dernière mène une campagne offensive de communication autour d’une formule infantilisante et bêtifiante («courage rions!») où le spectacle n’est qu’un produit d’appel. Nous pourrions multiplier les exemples d’établissements culturels et d’artistes qui, pour créer la relation avec le public, n’ont rien trouvé de mieux que d’utiliser les techniques du marketing. Le lien social, le corps, la rencontre leur font si peur qu’ils sont prêts à tout pour ne jamais être traversé par l’imprévu.

Rien d’étonnant à ce que la culture ait disparu du programme du Parti Socialiste. C’est une activité marchande comme une autre. Jean-Michel Ribes, patron du Théâtre du Rond-Point à Paris, peut bien s’en émouvoir sur le plateau de «Ce soir ou jamais». Cet homme révérencieux à l’égard du pouvoir (son hommage appuyé à François Fillon est un comble alors que ce dernier mène une politique d’exclusion permanente envers les étrangers) avance lui aussi des chiffres pour démontrer le rôle déterminant de la culture dans l’économie. Il parle comme un chef d’entreprise subventionné qui  soigne ses arrières en soutenant le programme du Parti Socialiste («Il est bien écrit. Dans l’écriture, il y a quelque chose de culturel»). Mais ce soir-là, l’homme de culture est l’avocat Thierry Levy qui lui répond : «la modestie du projet socialiste est une qualité. L’absence de caractère est un défaut». Or, parce que la culture n’est pas une somme de pratiques culturelles qu’on hiérarchiserait, mais un lien au sensible, au turbulent, les hommes qui dirigent les programmes et les établissements devraient avoir pour mission de donner du caractère et non de s’assujettir au pouvoir, qu’il soit économique ou politique.

Dans ce contexte général, l’éviction d’Olivier Py de la direction du Théâtre de l’Odéon n’est qu’un épisode de plus dans les relations incestueuses entre politique et culture. Nous avons perdu la visée sur le rôle de l’art dans une société globalisé. À mesure que nous en avons fait un produit, le politique n’est qu’un chef de rayon qui change de tête de gondole comme bon lui semble. C’est une réforme globale qu’il faudrait entreprendre en redonnant le pouvoir à la représentation nationale sur les nominations et en ouvrant les conseils d’administration des établissements culturels aux spectateurs émancipés si cher au philosophe Jacques Rancière.
Dans cette semaine mouvementée, comment passer sous silence «l’affaire» entre Bertrand Cantat et Jean-Louis Trintignant ? Cette tragédie véhicule son lot d’émotions légitimes et de jugements moraux. Or, le metteur en scène Wajdi Mouawad a fait un choix artistique : celui de confier la musique de sa prochaine création pour le Festival d’Avignon à Bertrand Cantat. Mais c’est la douleur d’un père qui en a décidé tout autrement. C’est ainsi que la question de l’art s’est déplacée du terrain artistique vers le pathos, l’émotionnel et la morale.Cela n’annonce rien de bon pour notre avenir démocratique (à penser que l’art à avoir quelque chose avec la démocratie…).

Dans quelque temps, le journal Le Monde fera glisser l’onglet culture vers la rubrique santé. Pour qu’elle nous soigne de nos folies moralisatrices et consuméristes.
Pascal Bély – Le Tadorne.

Catégories
LES JOURNALISTES!

Cinq blogs démasqués et plumés.

A l’occasion d'un débat organisé par le Festival Off d’Avignon (“Quels espaces de parole pour le spectacle vivant?“) auquel participait Pascal Bély du Tadorne, quelques bloggeurs s’essaient à expliquer leur démarche, et esquisser le portrait d’un autre blog… comme pour esquisser une cartographie des blogs consacrés au spectacle vivant. Nous vous proposons un jeu de pistes entre quatre blogs : Images de Danse (de Jérôme Delatour), Un soir ou un autre (de Guy Degeorges), Le Blog de l'Athénée (de Clémence Hérout) et Marsupilamima (de Martine Silber.)

A vous de trouver le fil?d'Ariane ?

 

Pollaiuolo.jpgJérôme Delatour : Ma chère Clémence, me voilà déshabillé pour l’été… Pourquoi que de la danse, il y a tellement de raisons que je n’en finirais pas : parce que la danse est l’art du corps, et que le corps est ce que nous avons de plus immédiat, de plus beau et de plus politique ; ou parce que mon blog s’appelle  Images de danse, et que si je me mets à y parler de théâtre, de cuisine et d’arts plastiques, il faut que je lui trouve un autre nom. Mais le mieux est de passer par une petite anecdote, un de ces moments vécus qu’on érige, à quarante ans, en tournant de sa mythologie personnelle.

Quand j’étais petit, j’assistais chaque été au son et lumière de Château-Chalon, un des plus anciens de France, à ce qu’on dit. C’était une sorte de théâtre amateur, populaire et de plein air où l’avenir de la patrie se jouait dans ce trou sublime de Franche-Comté, de l’homme des cavernes à De Gaulle. Mais, outre le froid qui saisissait le public quand la nuit était tombée, j’en ai surtout retenu la forte présence des chevaux qui allaient et venaient sur la place du village changée en scène, leurs corps massifs et chauds dont s’échappait force crottin. J’ai retrouvé cette impression il y a quelques années au Théâtre de la Ville quand Jan Fabre proposa sa vision du Lac des Cygnes. Les chevaux étaient cette fois des ballerines dont la troupe nombreuse, étrangement lourde, faisait trembler les planches. Je crois que ce sont ces chevaux que je recherche inlassablement. Quant au Texte, j’en veux bien s’il est corps lui-même, je veux dire s’il est poétique, qu’il sort comme une incantation, une parole magique qui en impose au c?ur, fait advenir des choses. Je ne sais pas si le théâtre de ce texte existe, probablement. Je compte sur vous pour m’initier.

Le hasard veut que le dernier à parler ici ait été le premier à se lancer dans l’aventure des blogs… car le blog de Pascal Bély, dont je dois parler maintenant, a été créé deux mois après le mien, en juillet 2005. Les blogs, c’était presque encore nouveau à l’époque, rendez-vous compte ! Pascal et moi sommes partis sur des bases quasi opposées. Mon blog est la voix d’un lonesome cowboy qui ne cherche qu’à travailler son expérience singulière, et la partage avec qui veut bien ; le blog de Pascal (appelons-le Pascal) se veut entièrement ouvert, engagé, militant, communicatif, et ne néglige d’ailleurs aucun art art vivant, s’aventurant même, à l’occasion, sur le terrain des arts plastiques. Tout a commencé pour lui avec un spectacle de Jérôme Bel, “The Show Must Go on“, qui lui apporta l’intuition que le spectateur n’était pas là pour se taire et consommer, comme il était forcé de le croire auparavant. Que le spectateur n’était pas le bas d’une pyramide, mais le maillon d’une chaîne, et d’une chaîne qui n’entrave pas, mais relie ; la chaîne de la démocratie et de la vie ensemble.
Depuis lors Pascal est sur tous les fronts, ne rate aucun festival de France ni de Berlin ni de Bruxelles. Et s’il ne peut se déplacer lui-même, il diligente un de ses “tadorneaux”, généralement un admirateur de sa démarche et de son style qui s’engage sous sa bannière. Car notre homme a beau être de gauche, il n’en est pas moins impérialiste. Pascal défend ses idéaux jusqu’à devenir le plus parfait emmerdeur. Il refuse par exemple de se laisser inviter et tient à payer toutes ses places, car il se sent spectateur et entend le rester, pleinement. Dans ses papiers, écrits à la première personne, il s’avoue transi, transporté, le souffle coupé, trépignant, furieux, exclu, ne sachant que dire… ce sont comme des petites dramaturgies personnelles dont l’enjeu serait, invariablement, la rencontre de l’artiste et du public.
En même temps, il ne laisse rien passer : critiques de la presse traditionnelle, politiques culturelles publiques, il traque et décortique tout sans complaisance. C’est peut-être pour cela qu’il se dit blogueur hybride.
Chez Pascal, le blog est aussi le prolongement de son métier de consultant en ressources humaines dans le domaine social et de la petite enfance. L’un et l’autre semblent vivre en parfaite symbiose. Pascal parle souvent horizontalité, réseau, dynamique, rhizomes, Morin, reliance, hybridité, positionnement, excommunie les cases et les cloisonnements. Je ne comprends pas toujours tout, mais j’admire.

Mais la seule question que je trouve à lui poser, c’est quelle stratégie, si ce n’est pas un gros voit-il  pour que la parole des spectateurs non professionnels soit plus audible et respectée des professionnels…

tadorne-petit-bandeau.JPGPascal Bély : Merci Jérôme pour ce portrait si…horizontal et reliant!

Pour être audible, la parole des spectateurs doit-être entendable. Aujourd'hui, elle ne l'est pas parce que le cadre n'est pas suffisamment structurant. Nous nous sommes donné le blog pour nous faire entendre. La stratégie viserait à créer des espaces participatifs à l'image de nos blogs. Mais cela nécessitera un travail de co-construction entre artistes, institutions et spectateurs. Mais la première démarche serait  de leur demander : «Qu'avez-vous envie de dire ? Pour quoi le dire ? Et comment le dire ?

A mon tour maintenant de vous présenter Martine Silber.

martine.JPGMarsupilamima” est un blog au nom imprononçable, image d'une contrée lointaine, pays imaginaire peuplé de femmes et hommes de l'art. O
n a parfois plus vite fait de dire, « le blog de Martine Silber, ex-journaliste au Monde ». Et là, silence dans les rangs ! Total respect, car Martine jouit d'une excellente réputation dans le monde du spectacle vivant où elle entretient de solides amitiés. Elle se nomme « journaliste sans journal ” statut hybride, mais légitime sur internet où sa prise de parole perpétue l'esprit de ces anciens articles. C'est un blog sur l'amitié (rare y sont les critiques négatives) car Martine Silber porte sur les artistes de théâtre et les écrivains un regard profondément fraternel. Ses réflexions sur les liens complexes entre presse et blog, entre internautes et blogueurs nous rappellent la fragilité de ces espaces virtuels et de la profonde humilité dont nous devons faire preuve. Marsupilamima est la contrée de l'écriture libérée du poids des contraintes, qui s'amuse, virevolte et finit par vivifier le lien entre spectateurs, artistes et programmateurs. 

Martine, où en es-tu après trois années d'écriture sur Marsupilamima? Si tu imagines un pont avec «  Un soir ou un autre », quelle porte ouvrirais-tu ?

 

La suite, ici

 

 

 

 

 

 

 

 

Catégories
LES JOURNALISTES!

Avec le journal “La Scène”, le courant est bien passé.

Cyrille Planson du journal «  La Scène » a écrit un très bon article sur deux blogs : « Le Tadorne » et « Un Soir ou un Autre ». Sans chercher à caricaturer, il décrit avec précision nos deux positionnements. Le dernier paragraphe est particulièrement pertinent.

En lecture ici.

Pascal Bély ? www.festivalier.net