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FESTIVAL ACTORAL FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS PAS CONTENT Vidéos

Voyage théâtral en Hollandie (ou en Sarkozye, suivant votre sensibilité).

« Pourquoi n’écris-tu plus sur le Tadorne ? ».

« Parce que le théâtre ne me donne plus la parole »…

Depuis la rentrée (le processus avait déjà commencé au festival d’Avignon, génération Py), je suis un spectateur passif, en attente d’une expérience qui ne vient pas. Je ressens un fossé, un gouffre, entre des gestes artistiques verticaux et ma capacité à les accueillir, avec mes doutes, mes forces et mes questionnements. Je reçois des propos qui ne me sont pas adressés, juste pensés pour un microcosme culturel qui adoube, exclut, promeut. A lui seul, il a souvent été public d’un soir…notamment lors du festival de création contemporaine Actoral à Marseille. Ce que j’y ai vu m’est apparu désincarné, hors de propos parce que sans corps. Le spectacle dit « vivant » s’est révélé mortifère: le rapport au public n’est plus LA question.

Il y a bien eu le metteur en scène japonais Toshiki Okada avec « Super Premium Sof Double ». Son écriture où se mêlent mouvements et mots est une avancée pour relier corps et pensée visant à nous décrire l’extrême solitude des travailleurs japonais qui trouvent dans les supermarchés ouverts la nuit de quoi puiser l’énergie d’un espoir de changement. Je suis resté longtemps attaché à ces personnages à priori automatisés dans leurs gestes, mais où se nichent des interstices où la poésie prend le pouvoir.

Il y a bien eu « La noce » de Bertolt Brecht par le collectif In Vitro emmené par Julie Deliquet au TGP dans le cadre du festival d’Automne à Paris. Une table, un mariage, une famille et des amis. C’est magnifiquement joué, incroyablement incarné pour décrire cette époque (les années 70) où la question du corps était politique. Mais une impression de déjà vu (Gwenaël Morin, Sylvain Creuzevault) me rend trop familier avec le jeu des acteurs pour que j’y voie un théâtre qui renouvellerait sa pensée.

Avec Vincent Macaigne à la 12’45mn – Le Before du 23/10

Il y a eu Vincent Macaigne avec “Idiot! parce que nous aurions dû nous aimer“, chouchou des institutions et de la presse depuis son dernier succès à Avignon. À peine arrivé au Théâtre de la Ville à Paris, le bruit est une violence. Vincent Macaigne et ses acteurs s’agitent dans le hall et dans la rue. Les mégaphones nous invitent à fêter l’anniversaire d’Anastasia, l’une des héroïnes  de « L’idiot » de Fiodor Dostoïevski. En entrant dans la salle, nous sommes conviés à monter sur scène, « pour boire un verre »…Ainsi, le public est chauffeur de salle, réduit à un élément du décor. Il règne une ambiance insurrectionnelle: quelques spectateurs sont sur scène tandis qu’un acteur (le Prince) observe, immobile, illuminé par un faisceau de lumière. C’est fascinant parce que le sens du théâtre s’entend. Mais cette force va rapidement s’épuiser. Parce que Vincent Macaigne s’amuse comme un gosse à qui l’on aurait donné tout l’or du monde (ici, l’argent public coule à flot) pour transposer cet Idiot en évitant de passer par la case politique. Car il n’a aucun sens politique : on se casse la gueule pour faire diversion (genre humour plateau de télé), on gueule pour habiter les personnages, on noie le propos dans une scénographie d’un type parvenu au sommet parce que les professionnels culturels sont aveuglés par le pouvoir de la communication. Macaigne leur rend bien : tout respire la vision d’un communicant. Jusqu’à cette scène surréaliste à l’entracte où, face au bar, il pousse un caisson tandis que se tient debout le Prince. Macaigne pousse…invite le public à applaudir (mais qui ne répond pas). La scène aurait pu faire de l’image, mais Macagine est pris à son propre piège : il fait du très mauvais théâtre de rue. Mais qu’importe, le jeune public et une classe sociale branchée y trouvent leur compte : le théâtre peut aussi faire du bruit et de l’image, célébrer le paraître et la vacuité de l’époque. On se perd très vite dans les personnages parce que l’effet prend le pas sur la relation (souvent réduite à un geste, une interpellation), parce que les dialogues sont à l’image d’un fil de discussion sur Facebook.

Avec Vincent Macaigne, le théâtre est un produit de surconsommation. C’est pathétique parce que les acteurs se débattent en gueulant et que cela ne fait jamais silence; parce que Macaigne se fait une étrange conception du public: à son service. C’est pathétique parce que ce théâtre du chaos ne crée aucun désordre: il profite juste de nos errances.

Il y a bien eu « Impermanence » du Théâtre de l’Entrouvert, spectacle dit « jeune public » co-diffusé par le Théâtre Massalia et la Criée de Marseille. Dans la salle, une fois de plus, beaucoup de professionnels. Il y a très peu d’enfants. Au cœur de la Belle de Mai, il n’y a aucune famille de ce quartier très populaire. Jeune public ou pas, la fracture sociale est la même. Le théâtre dit contemporain ne s’adresse plus au peuple. S’adresse-t-il seulement aux enfants alors que mon filleul de 9 ans ne voit pas toute la scène parce qu’il est trop petit (le théâtre ne dispose d’aucun coussin pour lui)? La feuille de salle est un texte très hermétique à l’image d’une pièce qui reprend tous les poncifs de la création contemporaine. Au cours de ce voyage théâtral sans but, l’artiste évoque « la perte de sens » (on ne saurait mieux écrire). Ici se mélangent musique vrombissante, images, numéro allégé de cirque, marionnette inanimée. Tout est mortifère à l’image d’un pays pétrifié dans la peur de faire. Toutes les esthétiques sont là pour satisfaire les programmateurs. C’est décourageant de constater que les logiques de l’entre soi sont maintenant imposées aux enfants.

Dans ce paysage morose, il y a une lueur d’espoir. Elle vient d’un metteur en scène, Jacques Livchine, qui répond José-Manuel Gonçalvès, directeur du 104 à Paris après son interview dans Telerama. Un paragraphe a retenu mon attention : « Il y a quelque chose qui ne va pas dans le théâtre, il n’y a pas de projet commun, rien ne nous relie les uns les autres, On est dans le chacun pour soi, le ministère de la Culture est incapable de nous donner le moindre élan. Les petites sources de théâtre ne deviennent pas des ruisseaux ou des rivières qui alimenteraient un grand fleuve, non, c’est le marché libéral, la course aux places, aux contrats, les symboles se sont envolés, nous sommes tous devenus des petits boutiquiers comptables. Il faudrait se mettre tous ensemble pour dire qu’on en a marre, qu’il faut que nos forces s’additionnent pour une seule cause, celle de retrouver “la fibre populaire”. On a besoin d’un défi collectif, le théâtre ne doit plus s’adresser à un public, mais à la ville toute entière. »

Ce défi ne se fera pas avec le ministère de la Culture et ses employés obéissants. Il se fera à la marge, par la base, par un long travail de réappropriation de l’art par ceux qui veulent que la relation humaine soit au centre de tout. Les théâtres subventionnés ont depuis longtemps abandonné ce centre-là pour jouer à la périphérie afin de maintenir leurs pouvoirs et leurs corporatismes.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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FESTIVAL ACTORAL OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Contre l’inéluctable Front National, l’imprévisible collectif créatif.

La société française se prépare à la prise de pouvoir des institutions par le Front National. La sphère médiatique est acquise à ce processus en le validant par ses prédictions sondagières qui alimentent des éléments de langage d’une classe politique aux ordres de la communication. Je reste donc très attentif à ce que les artistes nous renvoient pour ouvrir nos systèmes de représentation et nourrir une pensée affaiblie par tant de dogmes descendants sans visée.

Cette semaine, le Festival Actoral à Marseille a répondu présent à travers deux propositions qui, bien que très éloignées dans leurs esthétiques et leur propos, se relient en raison d’un contexte national et européen particulièrement lourd.

Tout commence au Théâtre de la Criée avec Miet Warlop et son spectacle pour le moins radical, «Mystery Magnet». Dans la feuille de salle, on peut lire : «Grâce à ce spectacle, j’espère que chacun ressentira différentes émotions ou aura des flashes qui refont surface. Si deux cents spectateurs voient Mystery Magnet, j’espère pouvoir faire éclore deux cents mondes différents». Sur scène, des panneaux blancs en placoplâtre. Plus qu’un quatrième mur. Une cloison. À terre, un homme, obèse. Il a dû se goinfrer. Son corps en impose bien plus que son poids. Au-delà de son apparence, il incarne la lourdeur d’une humanité prête à exploser. À le voir confectionner des petits chiens avec des ballons gonflés, je ressens l’inéluctable: l’ennui, le geste sans but, la reproduction des modèles. Cela sent la fin d’une époque, d’un paradigme. Cinq acteurs entrent en scène, dont on ne verra jamais les visages : là des corps sans tête, ici des serpillères comme figure, ou des cheveux comme unique regard. Nos utopies s’effondrent: le progrès technique provoque la panne et nous enfume; l’art marchandisé n’a plus de dimension politique; le corps social explose et se désintègre; la solitude du créateur est moquée par ceux qui lui imposent les esthétiques du marketing culturel. Tout semble  flêché» et le créatif est une cible que l’on matraque de slogans venus d’en haut.

L’art se doit d’intervenir, comme il l’a toujours fait dans l’histoire de l’Humanité. Chacun est ainsi invité à poser son geste artistique avec pour seule règle qu’il traverse pour ouvrir les impossibles, que le corps soit langage total, sans mot pour le conditionner. Qu’il soit centaure pour que le sens ait de la grâce. Qu’il provoque la couleur, non celle que l’on plaque, mais celle qui émerge du vivant, du fond des tripes pour retrouver le geste fondateur de l’art.Cela finit par gicler de partout, ça tronçonne, ça agrafe, ça explose et la scène devient liquide, sous marine. Le tableau est là, l’utopie triomphe dans cet aquarium où nous pourrions poser à nouveau notre main. Pour retrouver le goût de l’art vivant. C’est beau, magnifique, mais je  reste immobile, ma main dans la poche, comme s’il était déjà trop tard…

Mais Une heure après, je rejoins Nicolas Lehnebach, spectateur contributeur pour le Tadorne au  Théâtre du Gymnase. J’évoque «Mystery Magnet»…les mots peinent à venir. «Quand je pense qu’on va vieillir ensemble» par le collectif de Chiens de Navarre va libérer notre parole. À peine le spectacle commencé, j’ai l’immédiate impression d’y retrouver l’acteur principal de Miet Warlop, qui grossira peu à peu par les sombres dynamiques qui agitent notre société « spectacularisée » jusqu’à la nausée. Servie par des comédiens à la technique, à la présence et au talent irréprochables, «Quand je pense qu’on va vieillir ensemble» est une œuvre dont la mécanique bien huilée du rire nous fait grincer des dents…et des articulations ! Dans un espace recouvert de tourbes, habité çà et là par quelques palettes, un vélo cassé, trop vieux et à moitié enterré, et des chaises noires en plastique – comme celles utilisées le plus souvent dans les salles des fêtes – Les Chiens de Navarre se livrent à un exercice de haute volée verbale. Une suite de sketchs comiques juxtaposés les uns aux autres par un noir plateau ou bien un simple changement d’acteurs ou de positions des chaises constitue la dramaturgie de ce spectacle. Autour d’eux, un espace déglingué, quasiment vide. Un champ de mines qui explose au visage du spectateur par un mot assassin, une situation poussant le rire dans ses derniers retranchements. Jouissif et inquiétant à la fois. En quelques réflexions suscitées par ce spectacle, voici le portrait sans concession et sans retouches d’une humanité en régression.

Tandis que le public prend possession de sa place, une partie de pétanque est en cours. Les comédiens grimés de rouge, s’affrontent, se battent, trichent, nous haranguent. Une partie dont il ne resterait des règles de jeu qu’une légère trace, et qui met en avant l’impossibilité de se positionner au sein d’un cadre commun. À la différence de chez Miet Warlop, le désir à disparu…la créativité est embourbée dans des pulsions immédiates guidées par un individualisme forcené et la négation de l’Autre comme composante du jeu (du « je »).

La lumière s’éteint. Assis à notre place, le spectacle peut calmement commencer. Est-ce un cercle de discussion ou bien un stage de développement personnel dont le but affiché serait de permettre à tout un chacun d’élaborer des stratégies «positives» d’affirmation de soi ? Mais ici le collectif se transforme en un jeu de massacre langagier réassignant le stagiaire à son statut de vaincu, de looser empâté incapable de faire siennes les ordres véhiculés par une société essentiellement tournée vers la figure du gagnant. Propulsé au second tableau en chercheur d’emploi, notre homme tente de se mouler aux injonctions d’un conseiller qui pousse la séance de mise en situation à l’extrême du ridicule, une communication au premier degré révélant les dynamiques bêtifiantes de la règle de l’offre et de la demande (le patron et le salarié). Le tout s’appuie sur un humour de situation qui n’a de cesse de dévoiler l’incompréhension généralisée face à un système qui s’apparente plus à une grande mascarade qu’à un véritable espace de vivre-ensemble, un simulacre de société dont plus personne ne reconnaît les cadres et les fins, elle-même compris. Là où Miet habille, surcharge les corps et l’espace pour réinventer le collectif créatif, l’homme se transforme ici en chiens joués par deux comédiens qui finissent par se relever sur leurs deux pattes devenues jambes, se déshabillent, silencieux, se blottissent l’un contre l’autre, nus, sur un matelas de fortune, perdu au milieu de l’immensité du plateau, nu lui aussi, et totalement vidé du sens de l’être-ensemble, dépourvu de la volonté de vouloir « vieillir ensemble ».

Ici, on rit aux éclats jusqu’à fracasser l’autre et soi-même contre la bêtise érigée en système de pensée, en manière d’être. Un capitalisme de la séduction rend chacun inutile à l’autre, engluant la relation dans la jouissance immédiate, dans un ordre fascisant où la parole est destruction, où le rire est une arme d’extermination massive de l’être face à l’avoir et au paraître. Le corps peut bien grossir : plus rien ne peut arrêter la déconnexion de l’esprit et du mouvement. Le verbe est une chair malaxée, retournée, qui n’a de cesse de dépecer et de mettre au jour la somme des violences symboliques et sociales, pour s’emparer des corps et les contraindre à une marche forcée vers l’avilissement le plus total, à l’image de ces acteurs-chiens qui viennent renifler les fesses et le sexe de cette femme en train de faire pipi le long d’une route imaginaire. Le sexe et la libido comme élément cristallisant bon nombre d’injonctions à l’acceptation de sa situation, à la recherche d’une reconnaissance de l’Autre, et à l’assignation des places genrées à l’œuvre dans la société.

Si tu as 60/100 à tes évaluations, cela veut dire que tu es heureux. À 90, tu crèves ! Le bonheur qui s’évalue, qui se quantifie et se mesure, nous renvoie inexorablement à cette vision d’un monde dans lequel afficher sa réussite, son bonheur, quitte à se mentir à soi-même est devenu monnaie courante. De cette obligation qui pèse sur chacun de nous d’être heureux, de réussir notre vie selon des critères établis par l’idéologie dominante ! Cela démontre de cette rage de sans cesse vouloir signifier que l’on est dans le bon train, que l’on fait partie du bon groupe. Peu importe l’ivresse tant qu’on a le flacon…

«Quand on déblaie toutes les surfaces, quand on regarde bien, ce qui reste, c’est la terreur» écrit Don DeLillo dans Point Oméga, Les chiens de Navarre nous confortent dans cette idée. «Mystery Magnet» est notre salut pour sortir de ce bourbier et amaigrir nos obésités mentales. Elle nous fait tout d’un coup beaucoup moins peur.

Nicolas Lehnebach – Pascal Bély – Tadornes

«Mystery Magnet» de Miet Warlop et «Quand je pense qu’on va vieillir ensemble» par le collectif “Les Chiens de Navarre” au Festival Actoral, Marseille. Octobre 2013.

 

 

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Festival Actoral – Atabblé.

Il y a dix jours, je découvrais «Instantané» de Theo Kooijman lors du Festival “Cuisines en Friche” à Marseille. Je savoure encore aujourd’hui cette rencontre. Je ne suis pas pressé de «passer à autre chose». Je m’informe sur ce chorégraphe, je cherche à savoir quand et où je pourrais le revoir. Toujours soucieux de penser la complexité pour ne pas la réduire, je n’ai plus envie de m’égarer vers des chemins, certes séduisants, mais qui ne mènent nulle part, si ce n’est pour servir des égos démesurés, des propos cyniques teintés de romantisme et des visions apocalyptiques du changement de civilisation. Ce soir, je rejoins d’un pas tranquille le Théâtre des Bernardines de Marseille où le Festival Actoral programme le croate Matija Ferlin pour «Sad Sam Lucky». Je ne sais rien de lui, juste qu’il danse. À Marseille, danser c’est résister…


À peine arrivé dans la salle, il se tient debout, droit et maladroit. Il a le corps d’un arbre, enraciné par les arts. Plus tard, il sera oiseau de mauvais augure, hirondelle du printemps abattue en plein vol. Son corps incarne toutes les contradictions de l’homme moderne européen. Il balaye les gradins comme s’il cherchait dans le noir son public. Le noir, couleur de lumière…Quel décalage entre la profondeur éclatante de son regard et la scène, recouverte de cendres, de suie, de tout petits morceaux de charbon de bois tel un paysage après la bataille. On pense immédiatement à la chambre d’un écrivain maudit: il y a une table, des livres posés par terre (ceux du poète slovène Srecko Kosovel), un verre d’eau et un tas de feuilles dactylographiées. Elles ne font pas encore une oeuvre. Tout juste seront-elles agrafées sur la table pour former un livre ouvert à tous les vents du jeu théâtral, de la performance et de la danse. Le travail parait immense pour enchevêtrer plusieurs scènes : celle du théâtre des Bernardines, celle en bois créé par Matija et la table. Cette dernière n’a rien en envier aux chaises de Pina Bausch : sa force poétique et politique se décuple à mesure qu’elle se transforme en surface de jeu, en décor de théâtre de poche, en char de guerre, en barricade protectrice contre les balles perdues, en décombres de l’apocalypse, en armure dont il faut bien se délester.

Cette scène est notre Europe, occupée ce soir par ceux qui n’ont rien oublié de la guerre des Balkans, si proche et déjà si lointaine. Elle est notre perte de conscience de l’Europe…dont il ne reste plus rien…vendue aux marchands…noyée dans les réflexes mécaniques de la pensée rationaliste où l’art est une variable d’ajustement d’un modèle épuisé. Mais ce soir, le poète et le danseur résistent : minutieusement, il agrafe à plusieurs reprises les feuilles sur la table dont le bruit m’évoque les tirs des mots qui tuent…Tel un rituel immuable, quasi obsessionnel, il lit quelques vers projetés en fond de  scène (dont «A lot of work awaits me, isn’t that cheerful?»), joue son théâtre teinté de vers et de dialogues surréalistes sur nos lâchetés…puis il danse. Danse de bal et de balles.

À l’image de ces feuilles agrafées, il faut s’accrocher pour le suivre. Car Matija Ferlin détourne tous les codes de la représentation. À peine joue-t-il au théâtre qu’il stoppe brutalement la scène. Durant ce court temps d’arrêt, nous sourions de son toupet, je m’inquiète de l’impuissance des mots. Alors, il danse pour démultiplier la poésie, pour signifier ce qui nous paraît peut-être insignifiant. Matija convoque son corps, masse brute qu’il sculpte avec ses gestes lourds du sens de l’Histoire, avec des mouvements qui semblent tourner autour de lui tel un poète qui convoite la beauté du drame pour soulever la poussière de nos morts et prendre à bras le corps la reconstruction d’une pensée européenne. La musique symphonique de Luka Prinčič électrise la scène, accompagne la gestation, celle de l’individu sujet qui se débat avec les «restes» de l’Histoire. Je m’accroche et je vibre d’espoir face à ce créateur capable de danser ce qu’il reste de notre civilisation et de chercher pour reconstruire. En lui.

Matija Ferlin est un grand artiste parce qu’il n’est pas aisé de chanter une supplique. De brutaliser. De détourner. De se renverser. De faire battre des ailes avec ses dix doigts pour donner du souffle. De tirer à bout portant et de retourner l’arme des crimes contre l’Humanité, vers soi.

Matija Ferlin est sur mon chemin. Qu’il soit un jour sur le vôtre.

Pascal Bély – Tadorne

«Sad Sam Lucky» de Matija Ferlin au Théâtre des Bernardines de Marseille les 24 et 25 septembre 2013 dans le cadre du Festival ACTORAL.

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Au Festival Actoral à Marseille, hivernal « Das Plateau ».

«Notre printemps» du collectif «Das Plateau» s’achève et un vent glacial balaye le Théâtre des Bernardines à Marseille. Qu’ai-je donc vu pour être si loin alors que les sujets proposés (la maladie, la jeunesse, la mort) auraient pu me toucher?

Ce théâtre français là, qui se défini pluridisciplinaire, est une fois de plus incapable de positionner le corps au centre comme si la mise à distance des émotions pouvait tenir de propos (lire à ce sujet: Au Festival d’Avignon, l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français ). Certes, mais pour quoi dire ?

Il y a dans ce théâtre contemporain là, une fascination pour l’image, une obsession de l’esthétique, qui frôle l’entre soi: d’un collectif qui se veut innovant, je n’ai vu qu’un groupe fermé qui se regarde jouer.

Tout commence par un vrombissement (encore lui?) et un noir imposé qui peu à peu laisse place à un lever de soleil. On reconnait très vite l’influence (revendiquée) de Roméo Castellucci. Sauf que chez l’artiste italien, le travail du son et de la lumière est en soi un propos. Ici, il n’est qu’une proposition?à peine travaillée. Un film suit, aux couleurs vintage des années 80. Pierre et son amie coulent des jours heureux dans leur maison de campagne. Pierre junior nait. Pierre papa est atteint d’une maladie rare quelques mois après. Il y aurait-il un lien entre les deux événements? Inutile de chercher dans cette voie?L’image est belle, très léchée. Puis, vient une fête entre amis. À poil (sauf une?). On se projette au coeur d’un banquet entre bobos parisiens: Bacchus et Dionysos de passage dans la rue seraient entrés parce qu’il y avait de la lumière. La caméra frôle les corps. On s’y croirait. L’orgie se prépare. Comment cette «mauvaise pensée» a-t-elle pu m’effleurer? Le collectif a du s’amuser en imaginant le public se rincer inutilement l’oeil. Puis Pierre disparait dans les eaux troubles de «Nature et découverte»?La pièce aurait pu s’arrêter là. Nous aurions vu un beau court métrage de sortie d’école de cinéma.
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Sauf que place est faite à un duo dansé aux gestes millimétrés. Je vois de la danse aquatique synchronisée (lien avec la dernière scène du film?) à moins que le chorégraphe Angelin Preljocaj ait prodigué ses conseils de jeunesse?J’observe la danse et rien ne vient. On m’avait pourtant promis «une confrontation sur scène du théâtre, du cinéma, de la danse et de la musique» qui provoquerait «un trouble, une confusion entre réel et fantasme, présent et passé, événements concrets en train de se produire et souvenirs, rêves, projections, invocations morbides». Cette danse ne produit qu’une forme. Elle est posée là.
S’invite le théâtre. Un salon descend du plafond. Cela doit venir de l’au-delà?Pierre, Jean-Philippe (le frère) et l’amie (j’ai oublié son prénom) discutent de tout  et surtout du rien (le jean’s acheté à Méribel, la question de savoir si Jean-Phi baise,?). C’est surréaliste. C’est long, sans intensité dramatique. Les mots n’ont plus de sens. Le silence aurait donc pu s’inviter. J’essaye de fantasmer?Rien ne vient…Je suis à court. Une seconde chance m’est offerte: nos protagonistes se déshabillent (il doit y avoir un lien avec la scène de l’orgie). Ils nous font face. Je repense au spectacle du chorégraphe Jérôme BelThe show must go on») où les danseurs nous fixaient pour interroger notre positionnement de spectateur. Ici, rien ne vient. Le sourire complice entre deux acteurs ne m’évoque rien.
«Das Plateau» nomme cela «un théâtre de l’âme». Mais peut-on le dissocier d’un théâtre du corps ? Ce collectif empile les esthétiques: or, tant que le spectateur repère qu’elles s’additionnent, cela signifie qu’aucun sens global ne vient les soustraire pour les relier! «Notre printemps» aurait pu être une oeuvre, celle de la mort de mon vivant, de l’âme de ma jeunesse, de la folie de mes groupes d’antan. Rien de tout cela. Juste une musique finale qui déverse son pathos à coup de décibels sur un duo dansé qui disparaît, noyant nos âmes de spectateurs vers les bas fonds d’un théâtre désincarné et prétentieux.
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Notre printemps » du collectif Das Plateau dans le cadre du Festival Actoral du 25 septembre au 13 octobre 2012.
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À Marseille : Montévidéo fermé, Tadornes déplumés?

À Marseille, rares sont les lieux dédiés à la création contemporaine. Montévidéo fait partie du paysage culturel de ce blog : j’y ai vu des oeuvres intéressantes qui m’ont permis de me forger un regard plus ouvert sur les formes théâtrales. Depuis quelques mois, le lieu est fermé sans que le public en connaisse précisément les raisons. Très concrètement, cela a des répercussions pour la vie de ce blog: la fermeture de Montévidéo m’a un peu plus éloigné de Marseille, de la création contemporaine et des artistes émergents.

Je publie un appel de l’association « les amis de Montévidéo ». Je vous invite à signer la pétition.

Pour eux. Pour nous.

Pascal Bély, Le Tadorne

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Nous, public, artistes, amis de Montévidéo, nous nous inquiétons de l’avenir et du développement de ce lieu qui nous est cher. Par sa singularité et sa liberté artistique Montévidéo, centre de création contemporaine et de résidence d’artistes à Marseille, a su prendre une place tout à fait particulière dans le paysage de la culture, que nous souhaitons voir perdurer. Nous nous inquiétons du temps qui passe et de constater qu’à ce jour Montévidéo ne puisse pas réouvrir pleinement ses portes. Nous sommes informés que Montévidéo traverse depuis quelques mois de grandes difficultés qui l’empêchent de fonctionner comme le lieu de découvertes et de création artistique qu’il est depuis dix ans, favorisant l’émergence de nouvelles formes.

Or, si nous savons que Montévidéo continue d’accueillir régulièrement des résidences d’artistes, les limitations d’ouverture dont il fait l’objet sont pour nous, amis de Montévidéo, très préjudiciables : c’est un espace rare d’expression artistique qui risque de disparaître. Un réservoir de découvertes qui se tarit à Marseille. Depuis 10 ans, Hubert Colas et Jean-Marc Montera, ses deux directeurs, ont su décloisonner les formes consacrées du théâtre et de la musique. Ils ont su bousculer les paroles et les sons, éprouver les rythmes et les silences, les espaces et les signes. En accueillant des artistes français et étrangers, ce lieu de convivialité propice aux échanges artistiques et à la proximité avec son public, s’est forgé une identité singulière, reconnu en France et à l’étranger.

Montévidéo est également un lieu déterminant à Marseille pour l’accompagnement des projets d’artistes régionaux, nationaux et internationaux, un lieu qui ouvre des perspectives de travail, de recherche et d’expérimentations essentielles au développement des démarches artistiques. Nous savons que les mois qui viennent sont d’une importance capitale.

Nous savons que d’importantes décisions relatives à sa pérennité doivent être prises. Nous y serons vigilants et y apporterons notre plein soutien.

Nous, artistes et spectateurs, fidèles du lieu, nous sommes persuadés que Montévidéo doit être sauvé. Nous souhaitons que Montévidéo soit pérennisé.

Nous interpellons et attendons de toutes les collectivités territoriales, qu’elles fassent tout ce qui est en leur possible pour  garantir la reprise et la poursuite des activités de Montévidéo, et qu’elles permettent à ce lieu emblématique de la création et de la scène contemporaine d’occuper toute la place qui doit être la sienne lors de l’année Capitale en 2013, et bien au-delà.

Les amis de Montévidéo. Pétition: ici

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Dominique Frot : « liberté, égalité, soeurorité ».

Avec les créations de l’auteur et metteur en scène Hubert Colas, le parcours du spectateur a parfois toutes les allures d’un pèlerinage . Il vous conduit d’abord à Aubagne, où vous écoutez un légionnaire vous enivrer de sentences engagées et éclatées (« Mon képi blanc »). Puis, à Marseille, où vous rencontrez une jeune immigrée tchétchène, sidérante avec ses mots dictés comme des balles qui percent votre corps (« Chto, interdit aux moins de 15 ans »). Vous poursuivez votre périple, à Nice, dans une maison de religieuses pour entendre Soeur Rose, venue de Bratislava jusqu’en France alors qu’elle n’avait que huit ans (« 12 soeurs slovaques »). Nos trois héros existent à travers la plume engagée de Sonia Chiambretto, « notre écrivain public » qui ouvre la parole pour nous la restituer à nos oreilles de citoyens devenus parfois sourds à la différence. Ces trois rencontres constituent  notre « identité nationale » car nous sommes faits de ce croisement d’idéaux, d’errances, d’enfermements, de libérations, là où la « nation » avec son plus petit dénominateur commun nous isole un peu plus du complexe.

De la trilogie, il me manquait « 12 petites soeurs slovaques ». Je suis allé jusqu’à Nantes, pour faire connaissance avec Soeur Rose, incarnée par Dominique Frot. Elle est frêle, habillée de noir, si petite que l’on peine à imaginer l’adulte : est-ce l’effet du religieux qui véhicule cette étrange impression? D’autant plus que la scénographie (raffinée et imposante, comme d’habitude chez Hubert Colas) articulée à la présence d’un curé dont le chant transcende la parole (impressionnant Nicolas Dick, posté au dehors de la scène) renforce la fragilité de ce corps tout entier dévolu à Dieu. Elle parle malgré tout, raconte son périple de la Tchécoslovaquie communiste à la France catholique puis explique le lent processus de transformation d’une petite fille en soeur Rose pour ad vitam aeternam. Elle parle comme elle réciterait une prière trop longtemps apprise et jamais restituée.

Mais elle est sous surveillance, notre chère Rose. Les fantômes circulent au-delà de ce décor noir, comme au bon vieux temps où enfant, nous prenions peur à la vue d’une ombre venue vérifier l’intensité de notre sommeil. Car ici, sur ce plateau, la religion affronte le théâtre et pas qu’un peu ! Le visage de Dominique Frot reflète cette tension jusqu’à la faire pleurer tout au long de ces  cinquante-cinq minutes. Ce sont les larmes de la profondeur, de la libération, une réponse lumineuse à la noirceur du décor. Ce sont des perles de pluie sur un sol trop longtemps desséché par la rudesse d’une vie de groupe qui ne laisse aucune place au corps turbulent. Nous l’écoutons Rose et son flot de paroles nous parle d’autant plus que nous sommes presque tous pétris de cette éducation religieuse qui formate durablement notre approche du collectif, de la diversité, du commandement.

Le corps de Soeur Rose, c’est notre corpus religieux ; la mise en scène, c’est notre échappée belle en pays laïque, conquise contre l’obscurantisme. « 12 soeurs slovaques » place le spectateur dans cet interstice, là où précisément l’acteur renonce pour se donner corps et âme à son rôle. Dominique Frot est exceptionnelle dans cet engagement parce qu’elle octroie à Soeur Rose sa citoyenneté dans la patrie des droits de l’homme et renforce la foi des « pèlerins spectateurs » en un théâtre combattant les dépendances obscures.

Pascal Bély, Le Tadorne

« 12 soeurs slovaques » de Sonia Chiambretto, mise en scène et scénographiée par Hubert Colas, joué au Lu de Nantes du 1 au 5 décembre 2009.

Crédit photos: Bellamy/1D-photo.org

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FESTIVAL ACTORAL FESTIVAL D'AVIGNON

Le Festival d’Avignon et ses écrits de spectateurs : Francis Braun.

L’intérêt des salles non numérotées, c’est qu’on y fait la queue, souvent à l’avance. Ce soir-là, Francis Braun me reconnaît grâce à mon T-shirt siglé « Tadorne ». Il aime mon travail et le fait savoir. Près de lui, Leïla Shahid, déléguée de la Palestine à Bruxelles, aime le festival. Le dialogue s’engage. Nous formons l’agora. C’est aussi cela Avignon !

Depuis, Francis Braun m’écrit. Il m’envoie ses textes d’après spectacles. Ils n’ont pas leur place dans la case «commentaire ». Il est aussi Tadorne, car c’est une parole engagée.

 

 « El final de este estado de cosas, redux » d’Israel Galván.

Merde à la planche qui tape trop fort.

L’accessoire  – c’est soit indispensable, soit ça fout tout en l’air.

L’accessoire est parfois essentiel pour une femme.  Une robe très simple, presque invisible, elle porte un bijou, un sac ou une écharpe  autour du cou….et on ne parle plus de beauté mais de classe et si l’accessoire est bien choisi, alors, on parle d’ALLURE. 

Dans un spectacle, c’est parfois le contraire….

L’allure, la classe, c’est le comédien nu, sans accessoire, sans truc, habillé mais nu d’artifice.

C’est lui dans un dé-NU-ment total, pantalon – cheveux gominés, musique, espace et bruit de ses pas.

C’est cet homme  ISRAEL GALVAN.

D’abord il est Kazuo No, butoh trapu, ténébreux arquebouté sur lui-même, crispé, bandé, tendu, masqué dans les rochers, dans son carré sablé-éclairé-encadré au sens propre du terme…..pourquoi un masque.

Son corps, ses efforts contenus, son dos voûté, son ventre rentré, ses chevilles en lévitation, sous une force tellurique incroyable….

Oulala, ça va être  certainement terrible.

Il danse contre…

Il lutte avec….
Il parle avec ses avant-bras…

Il dit des choses avec sa main qui comme une ombre chinoise qui suggère plus qu’elle ne dit. Il veut quand même nous expliquer, presque nous le crier…

Il insiste, en frappant, en trépignant, en scandant cette violence de son corps qui va comme exploser.

Il est seul maintenant sur ce sable – sur cette transversale sablonneuse……

et soudain ça y est l’accessoire prends le pas sur le danseur.

Merde et pourquoi cette rupture.

On déteste l’anecdote dans ce cas là.

Elle nous distrait, on a du mal à ne voir que lui.

L’accessoire prend à ce moment-là,  trop de place. Il ne l’accompagne pas, il se substitue à lui.

Il va danser avec sa planche dans un duo inégal alors qu’un solo égoïste suffirait totalement.

Cette planche subtilement articulée lui répond quand même, comme s’il en était le dompteur….la lutte de deux animaux féroces.

On ne regarde que lui, que cette révolte du Flamenco.

On ne voit que les trépidations d’un homme qui, lorsqu’il danse, veut parler, crier, hurler.

Merde à la planche qui tape trop fort.

À table, il est seul. Et là c’est magnifique.

Il envahit toute la carrière.

Ne parlons pas des musiques rock…

N’écoutons que cet orchestre espagnol, ces mains qui claquent, les pieds qui scandent, ces voix qui hurlent.

L’Union irréelle avec la sauvagerie.

Il ne faut pas qu’il se dissipe, Israel Galvan.

On ne parle pas du film, sûrement pas …. on ne verra que lui, même si le regard se perd parfois.
On cassera même cette bouteille d’
eau qui rend anecdotique sa performance.

On détestera même ce  simulacre mort-cercueil et sa lumière dedans.

On évitera le final music-hall qui transforme ce flamenco en produit pour touristes…..

Putain, avec un tel cadre, une telle aura, un tel orchestre, une telle force dans son corps, une telle envie de bousculer, de rentrer dedans…..

Merde la solitude a du bon parfois.

On l’attend ce mammifère trapu dans un prochain dénuement, isolé au son de voix et de lumières flamenco….

Pourquoi n’était-il pas l’épicentre de la Carrière,  SEUL avec sa danse sous cette voûte noire et brillante…

On a aimé, mais regretté.

 

« Un peu de tendresse, bordel de merde ! » de Dave St Pierre.

On se souvient du célèbre “Pina m’a demandé” au Palais des Papes lorsque ses comédiens racontaient des bribes de leur vie intime ….c’était il ya plus de vingt ans, c’était dans le raffinement, le pudique.

Ce soir , aux Célestins , ses « Enfants » se sont fait l’écho de son passé, comme pour mieux la faire renaître…..ils n’ont pas fait pareil, c’était plus “dit”,  ils ont montré ce qu’ils savaient faire, ils ont dansé comme des fous, ils ont montré leurs sexes, leurs perruques et leurs fesses, ils ont montré leurs poils, ont joui, ont aimé, ont détesté, dans le calme, la violence et  l’orgie, sans scrupules, libérés, outranciers, jamais grossiers…toujours dignes et maîtres d’eux-mêmes.

Ils ont escaladé les gradins, enjambé les spectateurs en deux fois. La première, habillés année 50 avec des vêtements de tous les jours, la seconde fois complètement nus, en prise directe avec nous, joues contre fesses, sexe contre nez, trou du cul contre tête….l’un d’eux a même mis mes lunettes sur sa bite (soyons crus, on emploie les mots qu’il faut…ils vont bien avec ce genre de “show”).

Un show en traduction simultanée, dans un français traduit au premier degré…très rigolo, grinçant et terriblement incisif.

Les Enfants de Pina Bausch, Dave Saint Pierre et sa troupe nous ont raconté…..ils s’en sont tirés à merveille, ils nous ont nous emmener là où l’ont voulait secrètement aller sous les ordres ironiquement sarcastiques d’une Maîtresse Femme, qui a force de menaces et de manipulations,  vient s’effondrer  à la fin, gracieusement, mais épuisée.

Ce que ceux de Pina ne disaient pas, ses enfants l’ont dit….l’on montré avec joie et violence, se sont bien amusé. Ils ont dansé, ils sont passé sans complaisance du tragique au dérisoire, du rire aux sanglots…..

Merci a eux que l’on aurait aimé serrer dans nos bras, même trempés qu’ils étaient…ils auraient dû saluer parmi nous, dans les gradins……au milieu de nous…..bonjour la suite!!!!!! 

 

« La Menzogna » de Pipo Delbono

 

Un Italien   incarné… ou un Allemand désincarné…. on hésite …..Senior Pipo,  Herr Delbono…

Un Opéra  Wagnerien…..bien sur, même du Shakespeare Italien….;

Un homme cheveux gominés, lunettes noires…

Roméo costumé, Juliette hurlait.

Moins de Cabaret ce soir  – on se souviendra néanmoins du “Travelo – Dalida” dans la cour de la Faculté des Sciences , il y a plus  de Tragédie ce soir.

On a tous vu Hamlet de Ostermeier, on n’a pas suivi Apollonia jusqu’au bout….Monsieur Delbono, contrairement à ses contemporains , fait appel à nos pleurs…on est suspendu…larmes peut-être.

Mais  Pipo, ce soir,  s’est pris pour Jean Vilar lorsqu’à Paris au TNP, il jouait Arturo Ui de Bertold Brecht. Souvenir, clin d’oeil, référence ?

En plein “show”…..un &nbs
p;type derrière nous a crié “c’est bien ficelé”, ….et j’ai répondu “connard”…..

Bien sur qu’il a raison ce type…c’est vrai que c’est super bien fait…la musique, l’opéra, les cris, la douleur, leurs  morts…on est pris bien sur par son essoufflement quand il parle, nous chuchote dans le micro ses obsessions lancinantes, on aime son souffle d’émotions, Pipo on t’adore , on te déteste, tu nous fais mal, tu nous fais du bien.

Tu es notre Hiroshima  de Alain Resnais, tu parles comme Ennanuella Riva qui se souvient de Nevers-Hiroshima..

Tes ficelles sont impeccables et c’est certain, elle tisse un piège…..on rentre ou on rentre pas.

On t’aime, on te hait….attention tu racontes toujours la même histoire en partant d’un prétexte…mais ce n’est pas grave……on t’aime on te hait quand tu te prends pour Taddéus Kantor, quand tu te fais voyeur, exhibitionniste, photographe ironique , tu vas avoir un sacré album de photos.

Mais bon…..c’est quand même vraiment bien…..souffle coupé comme toi, quelques yeux humides…je peux pleurer  ?…On va pas me dire attention sensiblerie et non-dramaturgie…

Et puis vous êtes nus encore, cette année, la guerre, à poil, le gras du bide, les petites couilles…..Tu nous montres tout par ta nudité. Tu as maigri et tu restes devant  “nu / nous”…tu jouis de nos regards, Jean Luc aussi est nu….pourquoi encore êtes-vous nus ?….Jean-luc n’est plus l’autiste, il est devenu le Comedien…..tu nous le montres aussi…

Jannot Lucas est devenu comédien grâce à toi, à cause de toi.

Tant mieux , c’est bien….mais merde….. tu l’exhibes un peu trop….Pipo,…..Monsieur Loyal.

Ce ne sont pas des bêtes de foire…maintenant ils existent par eux-mêmes…ils sont autistes , sauvages, SDF…ok maintenant ils actent, ils font l’acteur, ILS SONT COMEDIENS…..grace à toi ok, je te l’accorde.

En toute humilité…bande d’exhibitionnistes que l’on adore…..on est content de te voir amaigri, ayant quitté ta bonhomie pour une classe terrible…..t’as de l’allure en Blues Brother, mec  !

Alors, on a pu adorer, on a pu aimer…on a pu détester et critiquer…..

Le principal c’est d’avoir été pris à ta saloperie de piège, on est tombé dans tes filets, on a frémi, on a eu le coeur fêlé…..quand même on ira te revoir…..et puis ta santé est bonne maintenant…ça, c’est bien.

Francis Braun.

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FESTIVAL ACTORAL PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival ACTORAL, David Bobee réchauffe les hétéros. A La Villette, pas si sûr.

Acte 1: Au Festival Actoral à Marseille, en octobre 2008, par Pascal Bély

En entrant dans la salle, on nous distribue une bouteille d’eau. «Nous allons avoir chaud», nous prévient-on. «Warm» de David Bobée sur un texte de Ronan Chéneau dégage une chaleur torride, eu égard au nombre de projecteurs latéraux qui illuminent la scène. Le présentateur nous informe que cette pièce s’inscrit dans un cycle sur « Les écrits du cirque » qui devrait aboutir en 2013 par la création de la biennale des Arts du Cirque. La barre est placée bien haute pour une oeuvre qui n’atteindra pas des sommets.

Elle est enceinte de quelques mois. Elle dépose trois bouteilles d’eau sur la scène puis, de dos, récite un texte. Dans ses mots, il fait déjà chaud et la belle fantasme, alors que la canicule s’installe dans les rues de la ville. Les mots montent en puissance. C’est joliment dit, mais le texte colle à la peau comme le journal intime d’une adolescente à la recherche de sensations interdites. Soit. Cela s’entend sans problème. J’ai chaud, mais pas pour les mêmes raisons.

Les deux hommes arrivent. Ils sont beaux. L’un brun. L’autre blond. Parfait. L’un pantalon moulant. L’autre jean’s style hétéro cool. La jeune fille est contente. Elle poursuit ses délires sous l’effet probable du cannabis ou de l’extasie. Les deux mecs se regardent comme s’ils faisaient connaissance dans un sauna gay ; se suivent comme s’ils marchaient dans les jardins des Tuileries. L’imaginaire homosexuel fait monter la température et leurs emboîtements ne laissent aucun doute sur leurs intentions. Soit. Sauf qu’ils n’en ont aucune. Et alors ? Alors ? Rien. Ça se voit, c’est tout. Tout droit échappés d’un casting de mode, nos deux tourtereaux font ce que l’on leur demande. Elle peut toujours fantasmer, ils assurent le spectacle. Un Point, c’est tout. Ici, on est au cirque.
Les peaux dégoulinent. Après ? L’un asperge l’autre avec la bouteille. L’eau finit sur le sol. Ça patine. Et puis ? Et puis…ça continue de patiner.
Ne manque plus qu’un coup de vapeur et nous y sommes presque.
Ou plutôt, deux jeunes ados qui s’amusent sur un plumard. L’image a dû traverser l’auteur.
Soit.
Après ?
Bien après, il faut bien que cela se termine. Alors, les lumières baissent et la jeune fille se calme après une crise qui a fait trembler les glaces du décor.

À cet instant précis, mon écriture colle aussi.

Pause.

Analyse.
Un peu de hauteur. Je suis blogueur. Je dois faire attention à ne pas hypertrophier mon commentaire.

Je cherche l’écriture que l’on nous promettait au début du spectacle. Les corps collés aux mots gluants de Ronan Chéneau ne suffisent pas à dépasser l’illustration d’un fantasme calculé et prévisible. C’est effrayant de contrôler ainsi le désir. Effrayant cette écriture qui ne laisse aucune place à l’imaginaire.

J’ai froid.
….
La scène finale où l’on devine nos jolis garçons en train de se masturber n’ira pas jusqu’au saut final.
….
Ouf.
J’ai eu chaud.Acte 2: A La Villette, à Paris, en juin 2009, par Elsa Gomis.« De la douleur naît le désir ».Malgré la chaleur, malgré la transpiration qui empêche leurs portées, ils continuent.

Leurs corps se tendent sous l’effort, rougeoient sous l’effet des projecteurs. Pourtant, ils continuent.

Dans “Warm“, David Bobée semble vouloir montrer le dépassement et l’oubli de soi jusqu’au délire.

Les paroles de Ronan Chéneau, dites par une comédienne vibrante, sont au départ détachées des gestes des deux acrobates, puis elles les accompagnent, les commentent, les dirigent.

Sa voix est ferme. En dépit de la chaleur de l’atmosphère, son ton reste froid, parfois brutal, souvent dur.

Ici le sexe n’est ni doux ni drôle, il est affaire de juxtapositions physiques précises, d’un déroulé convenu, d’un scénario immuable. Un enchaînement que rien ne semble pouvoir rompre. A part la chaleur.

On reste fascinés par cette persistance, effrayés par les risques pris, intimidés par la brutalité des directives, mais pas émoustillés.

Comme dans Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue, nous assistons à une montée en puissance progressive, mais le propos n’apparaît pas clairement.

Il est sans doute question, au travers de cette scénographie, de montrer le sexe instrumentalisé.

A mon niveau, je ne perçois pas “Warm” autrement.

J’ai encore faim…

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL ACTORAL

L’Islam est-il soluble dans la démocratie participative?

Il y a comme une contradiction. D’un côté, le spectateur est de plus en plus sollicité lors des performances d’artistes afin de se questionner. De l’autre, on le prie de rester à sa place pour ne pas déranger les institutions dans leur organisation souvent pyramidale et s’immiscer dans le regard critique, chasse gardée des journalistes, seuls compétents.
Vendredi dernier, dans le cadre du Festival ACTORAL à Marseille, je fus sollicité, interpellé et c’est tant mieux. Mais je cherche l’espace où je pourrais donner mon retour. A qui ? Comment ? Les festivals n’ont toujours pas intégré ce processus : paresse, manque de créativité ?
À l’entrée de la salle de Montévidéo, trois hommes nous attendent. Nous sommes priés de nous déchausser, façon de créer une intimité où les trous de nos chaussettes signent notre vulnérabilité ! Yan Duyvendak est Suisse hollandais tandis qu’Omar Ghayatt est Égyptien (il est accompagné d’un traducteur). Différents fragments forment «Made in paradise» (certains sont aboutis, d’autre pas). La version définitive de l’ensemble sera présentée en 2009 à Lausanne. Ce soir, notre duo teste leur démarche sur le public marseillais. Pour que l’on ne perde pas totalement notre statut de spectateur actif, ils introduisent les thèmes des fragments pour les soumettre à notre vote ! Trois séquences de quinze à vingt minutes sont choisies par l’assemblée. Ce couple artistique, métaphore du lien entre l’Orient et l’Occident, ne va pas de soi si l’on en croit la présentation des fragments : comment communiquer, se comprendre, alors que l’Islam provoque tant de peurs ?
La première séquence revient sur les événements du 11 septembre. Les images hallucinantes des corps tombés du ciel au milieu de feuilles volantes sont inscrites dans notre imaginaire. En faisant voler des photocopies de texte (supposés) et de photos prises ce jour-là, le duo propose un moment d’une grande poésie. Le sol de la salle est ainsi parsemé de papiers tandis que la sculpture de nos corps de spectateurs, assis à terre, forme inconsciemment un paysage de guerre. C’est court, émouvant, incluant.
La suite va provoquer un certain malaise. Sans rien dévoiler ici, notre duo nous prend au piège de nos formatages, de nos représentations rigides sur l’Islam, voire de notre racisme larvé. C’est efficace même si l’on frôle la caricature : en effet, le duo interprète alors que nous n’avons rien dit ! Le deuxième fragment («Boom») nous donne l’opportunité de nous lâcher. Je ne m’en prive pas en endossant la fonction du laïc intransigeant ! Je prends goût à jouer dans ce jeu de rôles. Nos deux acteurs observent, contents de leurs effets. C’est assez contenant même s’ils ne font rien de nos paroles fragmentées.
Le dernier fragment (“Ma vie secrète“) s’étire en longueur au sujet de la vie sexuelle d’Omar. L’approche narrative et finalement assez peu symbolique finit par m’ennuyer comme si ce théâtre-réalité ne parvenait pas à transcender le propos.
Au final, un goût d’inachevé et des questionnements sur la démarche. Ne sommes-nous pas en présence d’un duo qui démontre ce qu’il sait faire ( la communication entre un Suisse et un Égyptien fonctionne) en prenant une position haute, presque donneuse de leçons ? En même temps, leur performance aide à se positionner et invite le spectateur  à réfléchir sur ses processus.
La limite vient de la difficulté d’articuler les trois fragments. Notre duo pourrait inviter les spectateurs de Lausanne à opérer cette reliance en créant une oeuvre métaphorique.  Les oeuvres des spectateurs pourraient par exemple circuler sur internet. Car comment changer les représentations à un niveau local (le théâtre) si la parole des spectateurs ne circule pas à un niveau global?  Comment faire pour que les ressentis des spectateurs marseillais rencontrent ceux de Paris, Lausanne, …?  N’est-il pas du ressort des artistes, des institutions, des spectateurs de faciliter la communication entre ces différents niveaux? La démocratie participative dans les théâtres y trouverait peut-être une forme pour le moins originale.
En quelque sorte,
un “paradis” démocratique au dessus des religions.
Chiche!
Pascal Bély, le Tadorne

 Made in paradise”  de Yan Duyvendak et Omar Ghayatt a été joué le 3 octobre 2008 dans le cadre du Festival ACTORAL de Marseille. En tournée: à Paris le 15 octobre 2008 au Théâtre de la Coline. D’autres dates: http://www.duyvendak.com/rubrique7.html.