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ETRE SPECTATEUR

Washington-Paris-Mens-Avignon- Brazzaville – Gennevilliers (1/2): David Bobée, l’artiste du puzzle, du peuple métissé.

20 janvier 2009, Washington :

Ils sont des milliers à se serrer dans le froid, prêts à l’écouter. De son estrade dressée à Washington, il s’élance. Et il évoque d’abord « un sentiment d’humilité, devant la tâche qui nous attend ».

20 janvier 2009, Paris :

À 18h30, le Théâtre du Rond-Point joue son rôle d’éclaireur. Le discours de Barack Obama « De la race en Amérique » prononcé  le 18 mars 2008 est incarné par Vincent Byrd Le Sage sous la direction de José Pliya. L’émotion est palpable dans la salle tant la sobriété du jeu de l’acteur résonne avec la gravité du moment. J’ai honte d’être français à mesure que le discours m’englobe car il entre en collision avec les paroles de Sarkozy à Dakar en juillet 2007. Envie de fuir ce petit pays. Désir de participer à « une politique de civilisation »

22 janvier 2009, dans un bistrot du 19e arrondissement de Paris :

Elsa Gomis (contributrice pour le Tadorne) et moi-même rencontrons Pierre Quenehen, le directeur du festival « Mens alors ! », petite ville de l’Isère. Il souhaite l’engagement du « Tadorne » comme blog du festival auprès d’Elsa, chargée  avec d’autres de l’accueil des 80 bénévoles et du public.

La discussion est animée, elle déborde d’allers-retours. Il y a tant à dire : le travail de Frédéric  Nevchehirlian l’artiste associé cette année, celui des autres chanteurs, musiciens, comédiens, qui au travers d’ateliers vont aller vers le public. Les publics. Parents, enfants, personnes âgées, valides, non valides, ruraux, urbains… Tant de parenthèses pour expliquer le contexte, de détours pour décrire les expériences passées. Nous flottons.

Nous n’entendons plus les paroles, nous écoutons la musique de la voix de Pierre. Alors même que Cités Musiques, l’association pour laquelle il travaille serait menacée, Pierre nous transmet son envie, son enthousiasme.

Nous sommes grisés, mais ravis. Prêts à découdre contre les lourdeurs institutionnelles. Décidés à activer le réseau d’artistes et d’amis engagés dans une communication transversale et volontaire pour accompagner les changements de paradigme. Bras-dessus bras dessous, le long de canal de l’Ourcq, nous partons.

“… En ce jour, nous sommes réunis parce que nous avons préféré l’espoir à la crainte, l’union au conflit et à la dissension.” (Barack Obama, 20 janvier 2009).

La première pièce du puzzle est posée.

Vendredi 23 janvier, bistrot Place Gambetta, Paris.

Je déjeune avec Martine. Une jeune dame journaliste, presque retraitée, aux yeux qui pétillent. Martine serait sûrement désigné non productive aujourd’hui par un grand quotidien du soir, trop âgée sans doute! Car trop agitatrice certainement. Au prochain Festival d’Avignon, elle veut mettre en lien tous ceux qui sont engagés dans une parole pour tracer des chemins à travers les clôtures de nos pensées. Après « les plages d’Agnès », voici venu le temps « des traverses de Martine ».

Vendredi 23 janvier, Fondation Cartier, Paris.

Il existe une Fondation Cartier. Pour l’art contemporain.

Deux hommes, déjà âgés, dénoncent.

Raymond Depardon, le documentariste fait l’éloge de l’immobilité.

Paul Virilio l’urbaniste accuse la vitesse : elle est notre incarcération. Car de la vitesse résulte le krach, l’effet de serre… elle entraîne la réduction du monde à rien. Il en découle que notre traçabilité (grâce aux puces RFID, aux satellites, aux téléphones cellulaires…) a remplacé notre identité territoriale.

D’autant que notre monde va être confronté à un problème sans précédent de repeuplement planétaire. Pour des raisons d’ordre divers (économie, écologie…), environ 1 milliard de personnes vont être déplacées d’ici 2020 sur Terre.

Grâce à l’immobilité de sa caméra, Raymond Depardon donne la parole à ceux qui ne l’ont pas. L’immobilité de la caméra dégage l’écoute. La parole brute qu’il donne à entendre est une vraie pensée. Immobilité de la caméra comme résistance au mouvement du monde. Ensemble, Paul Virilio et Raymond Depardon illustrent une forme de résistance à ce que le monde peut devenir.

Glacés par le vent qui souffle boulevard Raspail, nous quittons la Fondation.

Devant un auditoire qui s’étend à perte de vue, il  continue : …Notre réussite économique n’a pas été dépendante uniquement du montant de notre produit intérieur brut, mais également de l’étendue de notre prospérité, de notre capacité à offrir des opportunités à chaque homme ou femme de bonne volonté. Non pas par charité, mais parce que c’est la voie la plus sûre au bien-être commun. (Barack Obama, 20 janvier 2009).

La deuxième pièce du puzzle se présente à nous.

Samedi 24 janvier, au bar du Théâtre2Genevilliers.

Nous dînons avec Isabelle. Elle dit : « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Elle dit qu’elle veut soutenir les travailleurs sociaux, les animateurs, les responsables de centre de quartier… tous ceux qui font du lien avec la population dans sa collectivité. Isabelle veut les aider à accompagner les publics qu’ils côtoient vers la culture. Vers ce qui donne du sens.

Du haut de sa tribune, il évoque l’esprit de service, une volonté de trouver un sens dans quelque chose qui nous dépasse. Et justement, en ce moment, moment qui va marquer une génération, c’est précisément cet état d’esprit qui doit nous habiter ((Barack Obama, 20 janvier 2009).

Le puzzle s’agence sous nos yeux.

Samedi 24 janvier, Théâtre2Genevilliers, Ronan Chéneau, David Bobée, DeLa Vallet Bidiefono,  «Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue“.

Des danseurs congolais et français sont ensemble. Dans la même énergie, la même rage. Avec sincérité, avec toute la nudité d’un cri, ils disent ne pas se retrouver dans cette France. Les enfants de la France ne se reconnaissent pas dans l’identité institutionnalisée. L’institution est un mât en haut duquel on gesticule sans aller vers eux. Ils dénoncent Platon et le monde des idées qui les exclut parce qu’ils n’ont pas les mots. Cette fameuse « idée de la France » si chère à notre petit président qui leur fait perdre toute identité. Alors, ils crient, chantent, hurlent leur douleur jusqu’à nous atteindre, sans effraction. Ils métissent les arts (de la danse au théâtre, en passant par le cirque et la vidéo) ; le plateau est cette France traversée, non verticalisée par ce pouvoir aux accents fascistes.

Fasciste. Le mot est suggéré par cette danse aux accents militaires, par des mouvements si synchronisés qu’ils glacent le sang, par ce mur de Berlin d’un gris modernisé, par le tapis roulant où circulent ces valises de mots de la rhétorique dégoulinante de haine de la Sarkozie inculte. Notre petit président ne lit aucun livre, mais nos danseurs jouent les mots de l’écrivain Ronan Chéneau avec une telle empathie qu’ils ne sont pas sans nous évoquer la force d’Obama face à son peuple.  À mesure que « nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » avance, nous lâchons ce que ce pouvoir autoritaire cadenasse en nous. Nous tremblons avec eux. David Bobée et l’écrivain Ronan Cheneau nous redonnent la parole, confisquée sous le poids d’une pensée unique autoritaire. Nous n’apprenons rien que nous savons déjà mais cette mise en scène crée soudain l’espace collectif qui nous manque tant. Depuis quand n’avons-nous pas ressenti cela au théâtre ? Il est enfin là le vacarme que nous attendions.

Cette jeunesse veut dépasser les préjugés jusqu’à franchir les frontières de la scène. Ils montent sur les gradins. Ils crient. C’est la révolte par la créativité. Mais nous ne pleurons pas. Plus habitués. La bulle est en nous. La bulle de rage qui donne envie de ne pas en rester là.

De Washington à Paris, de Mens à Brazzaville, de bistrot en bistrot, le dessin du puzzle s’est tracé sous nos yeux. Des années maintenant. Des années de pratique professionnelle, artistique, de contacts riches, mais disparates. Et tout est clair. Il n’existe plus de barrières.

En 2009 nous allons faire ce que nous devons faire.

Ils applaudissent, ils sourient, pleurent parfois, ils savent maintenant ce qu’ils ont à faire. Il conclut en nous demandant de transmettre ce don merveilleux qu’est la liberté (Barack Obama, 20 janvier 2009).

Elsa Gomis – Pascal Bély – www.festivalier.net.

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« Le bruit des os qui craquent » de Suzanne Lebeau : le débat.

Laurent : As-tu vu le spectacle “Le bruit des os qui craquent” de Suzanne Lebeau, mis en scène par Gervais Gaudreault? Le sujet traite des enfants-soldats, de leur déshumanisation, de leur transformation. À l’issue de la représentation au Théâtre de Cavaillon, j’étais très ému, sidéré à ne plus pouvoir parler. J’ai applaudi en hommage aux enfants-soldats, pour le texte simple et sans artifice de Suzanne Lebeau.

Pascal: J’ai vu ce spectacle au Théâtre du Jeu de Paume à Aix en Provence. C’est un théâtre de témoignage, qui s’appuie sur une « sensiblerie » habituellement utilisée par les médias sur des sujets humanitaires. C’est rapidement insupportable, car la mise en scène évacue la question politique, symbolisée par une commission d’enquête virtuelle. Ce n’est pas le texte qui interroge mais cette mise en scène « misérabiliste » qui laisse peu de place au corps (or, il est central chez les enfants soldats comme l’a démontré Benjamin Verdonck avec « Nine Finger » lors du Festival d’Avignon 2007.). Tout est suggéré par cette infirmière qui lit sur le côté de la scène, le cahier de l’enfant soldat devant les membres de la commission. Deux comédiens s’immiscent entre les chapitres pour jouer derrière un film transparent (Elikia, enfant-soldat enrôlé par les rebelles et Joseph, son petit prisonnier). Cette « médiation » plombe la mise en scène tant sur le fond que sur la forme. C’est un théâtre un peu dépassé. Je ne comprends pas d’où peut bien venir cette émotion dont tu parles.

Laurent : Le sujet même est sensible. Il est donc normal que cela s’appuie sur une “sensiblerie” qui te semble insupportable. Pour un jeune public, les mots de l’infirmière décrivant le quotidien des enfants soldats est une réalité. Cette sensiblerie, évacuant la question du politique et le retour des membres de la commission, me paraît cohérente puisque ce problème dépasse les politiques eux-mêmes (impuissants à apporter des solutions) et les rebelles qui se font une guerre sans nom, sans être inquiétés. Le premier rebelle à être traduit devant la Cour Pénale Internationale est Lubanga, en date du 26 janvier 2009. Concernant le “peu de place au corps”, je trouve que la force des mots employés renvoie au public des images assez fortes. L’enfant a besoin de peu pour imaginer beaucoup. Peut-être est-ce la limite d’un spectacle jeune public vu par des adultes ?

Par contre, à l’instar des deux comédiens (jeu quelque peu superficiel ou lourd), je me suis raccroché au ton toujours juste des propos d’Elikia par l’infirmière.

Pascal : La feuille de salle ne précise pas que c’est un spectacle jeune public. Cette oeuvre colle précisément au réel. Or, le théâtre est là pour dépasser la réalité, la transcender. Ici, on s’en remet au jeu de cette infirmière, derrière sa table et son micro, car les deux autres comédiens surjouent dans leur petit espace où les mots ne peuvent plus « s’étirer », « résonner ». Cette mise en scène claustrophobe est une injonction pour le spectateur à enfermer le scandale des « enfants soldats » dans ce huit clos. On raconte pour finalement dire quoi ? Où est notre responsabilité collective dans ce crime contre l’humanité ? Si ce théâtre se veut poétique, où en sont les ressorts? L’alternance « lecture – illustration », jeu binaire, finit par lasser. La metteur en scène Gervais Gaudreault est en totale résonance avec le propos et peine à se mettre à distance pour dynamiser une mise en scène quelque peu « bisounours » !

Laurent : La feuille de salle était une présentation de la compagnie “Le Carroussel”, qui se revendique militante pour le jeune public. Peut-être qu’elle n’a pas été donnée à Aix. Sinon, pour la scène nationale de Cavaillon, “Le bruit des os qui craquent” figure dans leur programmation jeune public. 

Le théâtre, lieu fantasmagorique, est pluriel. Effectivement, il est là pour dépasser la réalité, la transcender, mais également pour être un témoignage du réel. Dans un article du Monde, Michel Vinaver donne une définition de la fonction du théâtre: “déplacer un peu les spectateurs, de les décaler par rapport à là où ils sont calés, à leurs habitudes mentales, affectives.” Avec un sujet tel que les enfants-soldats, cette définition se prête véritablement.

Le traitement du sujet des enfants-soldats en passant uniquement par cette infirmière, enferme le spectateur dans son rapport, le verrouille, le cadenasse, lui tient la tête sous l’eau. Effectivement, en matière de claustrophobie, on ne peut pas faire mieux. Mais justement, la problématique du sujet est d’une telle ampleur que miser sur un huis clos s’avère être la seule issue pour faire la démonstration du manque d’actions entreprises par les hautes autorités. Suzanne Lebeau dénonce les citoyens désemparés face à ce massacre, comme l’est l’infirmière qui quitte la salle d’audience avec le cahier d’Elikia. Elle nous responsabilise en portant à notre connaissance ce scandale qui ne préoccupe pas le politique ; à nous d’agir par l’intermédiaire d’O.N.G. et autres actions à soutenir.

Au contraire de toi, l’alternance “lecture-illustration” ne m’a pas lassé, mais m’a permis de respirer un tout petit peu. Loin de voir une mise en scène “bisounours”, j’ai repris mon souffle pour replonger dans le réel des enfants-soldats.

Le Bruit des os qui craquent” s’avère être un théâtre du témoignage qui pose une réalité et en pointant du doigt la responsabilité des politiques.

Pascal : pour moi, cette mise en scène s’inspire du traitement humanitaire médiatique des causes « perdues ». Elle en utilise tous les ressorts et diffuse une irresponsabilité collective (citoyenne et politique). Ce « déjà vu » sur une scène est inquiétant.  Le théâtre de l’émotion est une opération de séduction envers le public et les programmateurs qui se donnent bonne conscience pour faire du théâtre « politique ». Or, je n’a
ttends pas d’être conforté dans mes émotions (oui, la question des enfants-soldats est scandaleuse, comment ne pas être d’accord avec cela) mais déplacé, bousculé, sur cette question globale. J’aurais préféré que  la mise en scène de Gervais Gaudreault démontre comment nous sommes tous des « enfants soldats » en puissance.


Echanges par courriels entre Pascal Bely (Le Tadorne) et Laurent Bourbousson.

Vous souhaitez participer au débat? Cliquez sur l’onglet “Ajouter un commentaire”, en bas, à droite, en tout petit! Puis n’oubliez pas de recopier le pictogramme.


Au sujet de « Le bruit des os qui craquent» de Suzanne Lebeau joué à la Scène Nationale de Cavaillon et au Théâtre du jeu de Paume dans le cadre des Amis du Théâtre Populaire d’Aix en Provence, en janvier 2009.

 


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Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !

Deuxième épisode de mon immersion dans le travail collectif du chorégraphe Michel Kelemenis. Lundi dernier, je l’avais laissé avec Caroline Blanc et Marianne Descamps alors qu’ils répétaient « viiiiite ». Leur trio circulaire fragile et déterminé m’avait ému par  leur engagement dans la relation créative. Aujourd’hui samedi, ils sont sept à occuper l’espace du troisième étage du Pavillon Noir d’Aix en Provence. La deuxième pièce, « Aléa» fait partie du tryptique («viiiite » et « Tatoo ») qui sera présentée dès le 29 janvier.

A mon arrivée, Caroline Blanc illumine à nouveau par sa présence tandis que Marianne Descamps semble si différente que je peine à la reconnaître. Que s’est-il donc passé? L’?uvre habite-t-elle a ce point les danseurs jusqu’à les métamorphoser, même en répétition ? Est-ce la force du collectif? Troublé, je les suis du regard pour entrer dans le groupe alors que je reconnais le danseur et chorégraphe Christian Ubl (actuellement à l’affiche du festival parisien « Faits d’Hiver » où il présente « Klap ! Klap ! »), celui-là même qui m’avait tant interpellé dans ma posture de spectateur l’an dernier. Le puzzle continue de se mettre en mouvement !

« Aléa» était à l’origine une pièce écrite pour quatre danseurs, lauréat des « Talents Danse » de l’Adami en 2005. Elle s’est élargie jusqu’à sept avec le collectif « Coline » à Istres (structure aujourd’hui injustement menacée), puis avec la Beijing Modern Dance Company. Très vite, je ressens que cette ?uvre travaille la dynamique collective tout en donnant à chacun la possibilité d’adopter une posture contenante à l’égard du groupe.

Le positionnement de Michel Kelemenis au cours de cette répétition semble épouser le propos si bien que le « management » du groupe est isomorphe avec le sens de l’?uvre . La figure de la tresse présente dans « Aléa » est d’une telle complexité qu’il faudra plus de trente minutes pour que chacun se calle. Michel entre, sort, va au centre, de côté. Il maille l’espace comme s’il tissait une toile pour que les danseurs travaillent en confiance. Il communique sur les processus (« il te faudrait avoir plus confiance », « que se passe-t-il chez vous pour que vous évitiez les tartignoles »), invite à la mise à distance avec humour (« quand Marianne commente ce qu’elle fait, elle ne sait pas ce qu’elle fait !»), alterne moments où il démontre la technique, s’attarde sur chacun d’entre eux, régule la dynamique, offre des espaces où des duos, trios répètent, intègre la vidéo, tout en ne perdant jamais le cadre contenant du groupe. Impressionnant ! Mais où va-t-il chercher une telle posture ? Où vont-ils puiser cette énergie, cet engagement, au risque de ne jamais s’arrêter pour souffler ? La technique d’animation de Michel est fascinante. Et si l’on proposait aux chorégraphes d’animer des sessions de management dans les Universités et les grandes écoles?

Une autre dynamique attire l’attention. C’est un mouvement à deux, à trois puis à sept où l’espace semble danser aussi ! Il provoque un débordement d’énergie: à la fois très technique, il fait travailler les processus de confiance, de reliance où le corps individuel épouse le corps du groupe, où le geste physique se fond dans le propos. L’apprentissage d’un langage dans le langage augmente la tension et l’intensité dramatique.

Arrive un bruit. Clac ! La peur. Caroline a bien failli se casser la mâchoire. Le danger, le risque du métier, là, devant moi. L’aurais-je oublié ? Elle sort quelques minutes pour entrer à nouveau. Olivier Clargé, Marianne Descamps, Gildas Diquero, Tuomas Lahti, Bastien Lefèvre et Christian Ubl semblent avoir intégré ce risque-là ; aucun signe de panique. Ils sont déterminés à poursuivre avec elle. Plus rassurant que jamais, le mouvement qui suit devient un baume.

Une télévision trône, tel un astre, où les danseurs s’agglutinent pour aller chercher le repère. Je m’amuse de les voir ainsi, imaginant la répétition comme une danse ! On commente devant la vidéo, on rit des autres danseurs filmés. C’est un tout petit espace de régulation, où l’on se régénère de cette position un peu haute. Puis, ils repartent essayer de nouveau, encore et encore.

Puis une pensée imagée me traverse : pour quoi la danse en 2009, là, avec la crise qui nous contraint par la peur ? Cela me plaît de les voir comme les bâtisseurs de nos futures cathédrales, alors que tout s’effondre et où la place vide, offre à la danse, le plus bel espace pour reconstruire nos imaginaires enfouis sous le poids de nos certitudes d’antan.

Pascal Bély

www.festivalier.net

A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/4) !

Le troisième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).

La générale: Michel Kelemenis, chorégraphe. 

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Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/3) !

Le chorégraphe Michel Kelemenis est de nouveau sur ma route. En 2005 lors du feu Festival « Danse à Aix », ses « Aphorismes géométriques » changèrent radicalement mon regard sur la danse et mon écriture de spectateur. En novembre dernier, il accepta que j’assiste aux répétitions prévues au Centre Chorégraphique National d’Aix en Provence où il y présentera dès le 29 janvier, trois ?uvres écrites pour d’autres danseurs de sa compagnie (“Aléa“, “Viiiiite“, “Tattoo“). Pour eux, comme pour moi, le contexte génère une tension : il convient d’épouser une dynamique, un propos, pensé pour d’autres ; il s’agit d’écrire sur un processus d’avant plateau.

Le soleil illumine Aix en Provence et Michel Kelemenis m’accueille chaleureusement au 3e étage du Pavillon Noir. Il restitue à Caroline Blanc et Marianne Descamps le sens de ma démarche, celle d’un « spectateur engagé ». Trois ans après, les « aphorismes » nous relient toujours, au-delà de l’?uvre.  Me voilà donc assis, en observateur, tel un intru ou un voyeur qui assiste à quelque chose qu’il ne devrait pas voir. « La chose » comme l’expliquent les lacaniens m’impressionne. Je tremble intérieurement, intimidé.

A mon corps statique, répond l’énergie de leur engagement. Caroline Blanc connaît déjà le duo « viiiiite », alors que Marianne le découvre. Elle le dansera en mai prochain. Deux processus semblent s’entrechoquer : accueillir Marianne alors qu’elle n’a peut-être pas vécu le contexte particulier de cette création (écrite en urgence, en avril dernier à quelques mois de la fermeture du studio Kelemenis à Marseille), créer l’articulation entre les deux danseuses : cette autre urgence est palpable (elles ne s’arrêtent jamais). Michel parait travailler ce double processus en simultané alors qu’il dansera ce duo dès le 29 janvier.

Les deux femmes se connaissent : la « fragilité » de Marianne, leur présence au Pavillon Noir, semble recontextualiser la pièce et donner à la disparition du geste (c’est le propos de « viiiiite »), une autre apparition, celle de leur trio ! J’observe Marianne par identification (elle est l’ouverture), je m’accroche à Caroline pour aller chercher l’axe vertical tandis que je m’appuie sur Michel qui contient la tension de l’articulation.

Mon attention ne faiblit pas comme si je soutenais une partie du processus (mais laquelle ?), happé par l’émergence d’un « viiiiite » tendu. Ils sont « beaux » dans leur communication (je n’ai jamais vu cela entre professionnels, en France tout au moins) : confiance, empathie, accompagnement, qualification positive même dans l’erreur, sympathie, humour. Un processus d’accueil, une ouverture, une force se dégagent de cette répétition comme si « viiiiite » se déformait de son propos initial.

Il est 17h, déjà deux heures avec eux. Je pars, comme par effraction, « viiiiite », avec un geste d’au revoir, déjà disparu.

Pascal Bély

www.festivalier.net

A lire:

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).




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Bilan 2008 (4/4) : mon Facebook.

En 2008, j’ai fait de nouvelles rencontres, au croisement de l’internet, de ma posture de spectateur engagé et de chemins détournés. FaceBook a renforcé le réseau de blogueurs « Scènes 2.0 » après notre réunion du 11 octobre 2008, des liens se sont créés avec trois journalistes (Martine Silber, ex-journaliste critique au Monde), Marie Mai Corbel de la Revue Mouvement et Lionel Vicari de Radio Grenouille à Marseille. Des lecteurs assidus se sont manifestés (Sylvie Lefrère, Sylvain Pack, Evelyne Biausser, et tant d’autres) tandis que deux spectateurs ont écrit pour le Tadorne (Diane Fonsegrives, Laurent Bourbousson).

Certains lecteurs silencieux m’en ont dit un peu plus sur eux à partir d’un sondage lancé cet automne.

En 2008, Internet a facilité l’émergence de nouveaux liens, d’articulations innovantes où nos fonctionnements par « cases » ont souffert et ce n’est qu’un début. Démonstration !


1- La Vouivre, « Oups + opus », Festival de Marseille.

2- Robin Decourcy, « Lettre au Mexique », La Friche Belle de Mai, Marseille.

3- Thomas Ferrand, « Idiot cherche village », CCN de Montpellier.

4- Ivo Dimchev, “Lili Handel – blood, poetry and music from the white whore’s boudoir, Festival Tanz im August, Berlin.

5- Anaïs Durien, Olivia Sabra, « Essai de rêves avec Chiens », Festival « Les rencontres à l’échelle », Marseille.

6- Rebekah Rousi, “The longest lecture marathon“, KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

7- Haïm Adri, « Quelle est l’utilité d’une couverture », Festival « Les rencontres à l’échelle », Marseille.

8- François Cerventes, « Une île », Théâtre Massilia, Marseille.

9- Jacques Descordes, « Hiver », Festival Off d’Avignon.

10- Sylvain Groud, « Bataille intime », Pavillon Noir, Aix en Provence.


[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=3jrMMdjhsoc&w=425&h=344]

Etait-ce de la danse, du théâtre ? Le chorégraphe Michel Kéléménis les a accueillis dans son studio lors du Festival de Marseille. Samuel Faccioli et Bérengère Fournier de la Compagnie « La Vouivre » (vidéo) ont créé l’espace transversal de l’imaginaire. Rencontre inoubliable, car leur créativité a laissé des traces durables.

Robin Decourcy est un artiste au croisement du son, du corps et du voyage. Son spectacle “Lettre au Mexique » est indéfinissable et c’est de l’art. Vivant.

Tout comme la performance de Rebekah Rousi : avec sa plus longue présentation d’un PowerPoint du monde, elle a décalé la place statique du spectateur face au savoir pour leapropulser dans un métalangage.

Thomas Ferrand est un artiste « croisé » dont l’art se déploie dans un maillage où il entraîne le public. « Idiot cherche village » était une expérience qui dépassait bien des discours creux sur « la place du spectateur ».

Elles, c’est Anaïs Durien et Olivia Sabra. Découverte au festival « Les rencontres à l’échelle », leur pièce de théâtre (« Essai de rêves avec chiens ») était un subtil jeu de masques où le spectateur perdait sa place pendant qu’elles allaient à la chasse. Superbe !

François Cerventes est un homme de théâtre, installé en résidence à Marseille. Son « île » était un voyage masqué qui nous invitait à franchir la ligne. On n’en revient pas tout à fait pareil.

Lui aussi a tombé le masque, un soir d’été à Berlin. Ivo Dimchev est un artiste bulgare époustouflant. En offrant son sang au public, j’ai sursauté pour découvrir que « le genre » est aussi un « art » de vivre.

Haïm Adri possède une danse où le masque le chorégraphie. Entre lui et lui, il nous masquait. Inoubliable artiste.

Sylvain Groud avec « Bataille intime » danse la folie. Son double sur scène est un masque vivant qu’il a nous tendu. Prégnant.

Un soir d’été, dernier jour du Festival d’Avignon Off. Épuisé, j’assistais à « Hiver » de Jacques Descordes. Pièce dépouillée pour affronter la saison froide qui approchait. Cet homme-là m’a plu.

M’accepterait-il comme « ami » ?

Pascal Bély

www.festivalier.net

A lire aussi,

Bilan 2008 (1/5) : les dix chefs d'?uvre débordants du spectacle vivant.

Bilan 2008 (2/5) : Le top de la danse contemporaine !

Bilan 2008 (3/5): le théâtre fait sa crise.

Pour se souvenir, le bilan culturel de l’année 2007, 2006.

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Bilan 2008 (3/4): le théâtre fait sa crise.

En 2008, les metteurs en scène français ont salué l’anniversaire de la mort d’un auteur, sa naissance, les 40 ans de 1968, De Gaulle…Alors que le Festival d’Automne et d’Avignon programmaient le triptyque sur le pouvoir du flamand Guy Cassiers, notre théâtre hexagonal est resté bien silencieux sur le vacarme du monde et la crise des valeurs que nous traversons.

Seuls Joël Pommerat et son répertoire ont fait le tour de France des théâtres, servant de caution « politique » pour masquer la frilosité de certains programmateurs qui préfèrent maintenir leur public dans des schémas gauchisants dépassés plutôt que vers des paradigmes plus ouverts.

 

1- Thomas Ostermeier, « Hamlet », Festival d’Avignon.

2- Hubert Colas, « Chto, interdit au moins de 15 ans », Festival Actoral, Marseille.

3- Toshiki Okada, « Free time », KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

4- Beatriz Catani, « Finales », KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

5- Maarja Leena Junker , « Je suis Adolf Eichmann», Festival « Off » d’Avignon.

6- Alvis Hermanis, « Sonia », Festival d’Avignon.

7- Eva Doumbia, « ExilS4 », Théâtre des Bernardines, Marseille.

8- Joël Pommerat, « Pinocchio », « Je tremble (1) », Théâtre des Salins, Martigues / Théâtre du Merlan , Marseille.

9- Amir Reza Kootestani, « Quartet : A journey to north », KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

10- Arthur Nauziciel, « Ordet », Festival d’Avignon.


Thomas Ostermeier a provoqué la Cour d’Honneur d’Avignon avec un « Hamlet » (photo) suffocant, métaphore d’un système politique européen en totale déliquescence entre valeurs « bling-bling » et capitalisme finissant. Au festival Off d’Avignon, la presse française a quasiment ignoré la Luxembourgeoise Maarja Leena Junker qui, avec « Je suis Adolf Eichmann», a perturbé bon nombre de spectateurs en jouant avec les valeurs crétines de notre système médiatique. Eva Doubia avec « ExilS4 » démontra avec tact la crise identitaire de l’émigré d’aujourd’hui, du citoyen mondialisé de demain. Hubert Colas avec « CHTO, interdit au moins de 15 ans » fit résonner avec intelligence la voix d’une jeune tchétchène dans les rues de Marseille.

Hors de nos frontières, le théâtre a fait preuve de vivacité pour décrire notre époque et la crise des valeurs qui la ronge.  Amir Reza Kootestani avec « Quartet : A journey to North » nous plongea dans les paradoxes d’une société iranienne avec une mise en scène qui ne l’était pas moins. Le Létonien Alvis Hermanis, l’Argentine Béatriz Catani, le japonais Toshiki Okada ont, à partir d’un huit clos souvent étouffant, repéré avec justesse les limites d’un système familial et sociétal.

Mais pourquoi la société française est-elle à ce point absente de nos scènes ? Comment expliquer qu’un metteur en scène aussi talentueux qu’Arthur Nauziciel, partagé entre la France et les États-Unis, soit allé chercher comme réponse à notre crise un « Ordet », aussi beau soit-il ?

Je m’étonnais l’été dernier de la faiblesse du propos politique d’Avignon. En 2009, le théâtre pourra-t-il nous éclairer ?  À moins qu’il ne soit, lui aussi, en crise de représentation.

Pascal Bély

www.festivalier.net

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EN COURS DE REFORMATAGE

Bilan 2008 (2/4) : Le top de la danse contemporaine !

À Aix en Provence trône, triomphant, le Pavillon Noir des Ballets Preljocaj. Le chorégraphe désirait pour la ville, lors de son inauguration en 2006, « un lieu dédié à la danse ». Deux années plus tard, sa programmation consensuelle et sans relief m’a contraint à faire de nombreux kilomètres afin de dessiner un paysage chorégraphique divers, européen, en phase avec notre époque et pas seulement réduit au succès de « Blanche-Neige » de Preljocaj ou du « Gershwin » de Montalvo-Hervieu.

2008 fut assurément une année détonante, démontrant une fois de plus le potentiel créatif de cet art si fragile.


1- Jeanne Balibar, Boris Charmatz, « La danseuse malade », Festival d’Automne, Paris.

2- Olivier Dubois, « Faune (s) », Festival d’Avignon.

3- Christophe Haleb, « Domestic Flight », Hivernales d’Avignon.

4- Eszter Salamon, « Dance ? 1/driftworks , Montpellier Danse.

5- Germana Civera, « Fuero(n) », Montpellier Danse.

6- Odile Duboc, « Rien ne laisse présager de l’état de l’eau », Pavillon Noir, Aix en Provence.

7- Gilles Jobin, « Text to speech », Scène Nationale d’Annecy.

8- Kris Verdonck, “End“, KunstenfestivaldesArts, Bruxelles.

9- Christian Ubl, “Klap! Klap!”, 3bisF, Aix en Provence.

10- Jennifer Lacey, « Les assistantes », Festival d’Automne, Paris.

11- Latifa Laâbissi, « Histoire par celui qui la raconte », Festival d’Automne, Paris.

12- Sylvain Prunenec, « About you », Festival « C’est de la danse contemporaine », Toulouse.


Aux origines…

Jeanne Balibar et Boris Charmatz ont fait danser le théâtre avec leur camion, espace rupestre pour revenir aux origines du bûto. Olivier Dubois a dépoussiéré ce « Faune(s) » pour l’habiller de peaux de bêtes et remonter aux sources du désir. Latifa Laâbissi a osé danser notre sauvagerie à partir d’un récit préhistorique postmoderne.


Au final…

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=AbpHod9Y_Ac&w=425&h=344]

Signe des temps, l’apocalypse a fortement inspiré. Le flamand Kris Verdonck ne se définit pas comme un chorégraphe. Et pourtant, « End » restera l’une des chorégraphies les plus perturbantes sur notre fin du monde. À l’opposé, la Catalane Germana Civera nous a proposé avec « Fuero(n) » (voir vidéo) l’un des plus beaux débuts de la fin.


Le corps postmoderne…

Trois chorégraphes ont saisi toute la complexité de notre époque, en se préservant de la réduire. Ils ont choisi nos gestes quotidiens pour les déployer dans un espace restreint, qu’une chorégraphie intelligente réussit à élargir.  Le Suisse Gilles Jobin a brillamment démontré comment l’économie de l’information et de la communication intégrée dans nos corps est une formidable machine de guerre. Jennifer Lacey, avec ses « assistantes », nous a offert l’un des tableaux les plus réjouissants sur la postmodernité, où sept femmes éclaireuses donnent corps à notre utopie d’une société bien différente de celle construite par la Sarkozie. Avec Christophe Haleb, le corps n’est pas tant féminin ou masculin que sociétal.  « Domestic Flight » restera l’un des spectacles le plus abouti sur la transformation sociale du corps.


Le corps hybride.

Eszter Salamon nous a éblouis avec sa chorégraphie où les corps s’articulent et se désarticulent pour faire émerger des formes hybrides étonnantes au carrefour du théâtre, de la danse, du chant, voire du cinéma ! Odile Duboc a fait corps avec l’eau et la terre pour fluidifier notre regard sur la danse, tandis que Sylvain Prunenec provoquait la collision des corps, telles des particules, pour en dégager l’énergie collective.

KLAP KLAP au 3bisf

Et le spectateur, danse-t-il? Oui, avec ses mains! Il chorégraphie même le salut final. Remercions Christian Ubl avec “Klap! Klap!” d’avoir dénoncer la paraisse des applaudissements, métaphore du consensus mou qui gagne bien des programmations. Même le Pavillon Noir d’Aix en Provence?

Sifflet final.

Pascal Bély

www.festivalier.net

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