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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE! THEATRE MODERNE

(Dé)monter à  Bruxelles.

Départ pour le KunstenfestivaldesArts de Bruxelles. Depuis 2004, ce festival ouvre la longue saison où ma relation à l’art se confronte aux multiples facettes de mon contexte. Dans l’avion, j’ouvre la revue Cassandre dans laquelle la philosophe Marie-José Mondzain donne une interview passionnante à Coline Merlo. La révolution à venir n’aura plus rien à voir avec les barricades d’antan. Elle file la métaphore pour signifier « les saxifrages », « plantes minuscules…dont la particularité est de naître et de se développer dans les fissures des pierres et par leur imperceptible insistance à imposer aux matières les plus compactes et les plus résistantes l’ordre fracturant de leur présence…». Elle m’embarque dans sa vision lorsqu’elle évoque la Saxifraga Politica, « saxifrages en colères, mais ni tristes, ni découragées. Le mot « possible » n’appartient pas pour elles au vocabulaire démagogique de la promesse, mais il est habité par l’énergie active et présente de tous ceux qui ne sont pas encore morts…la Saifraga Politicia est la seule espèce qui, sans faire du bruit,  arrivera cependant irrésistiblement à se faire voir et entendre ». Après 9 ans de travail, je ressens ce blog comme une saxifrage qui cherche, bon gré mal gré, de nouvelles graines à semer dans des interstices de pierres et de bétons qui figent notre paysage culturel.

Nourri par cette vision, j’entreprends mon itinéraire bruxellois balisé par sept propositions. La performance de l’artiste néo-zélandaise Kate McIntoshWortable») ne pouvait mieux tomber pour entrer en saxifragie. À l’arrivée, je signe une «décharge de responsabilité» dans le cas où je me blesserais : le principe de précaution s’invite là où l’on ne l’attend pas. Est-ce la métaphore d’une prise de risque qui ne serait plus partagée? Un jeune homme m’invite à choisir un objet parmi ceux posés sur une étagère puis à entrer dans une pièce pour le démonter…J’entends le «détruire». Mon arlequin en tissu va perdre de sa superbe. Je veux le libérer de ce qui pourrait l’entraver et l’enfermer dans son personnage. Il se trouve qu’il fut le jouet de mon enfance…Sur ma table, je découpe, j’enlève, j’ampute. Je dois passer dans une seconde pièce. Alors que des panneaux m’invitent à le déposer pour prendre un autre objet «démonté», je comprends autrement: je saisis des pièces de différents objets pour les relier à mon arlequin en métamorphose. Je le crucifie sur la moitié d’une raquette aux cordes rompues et lui plaque un morceau de globe sur le ventre. Le voici arlequin du monde prêt à recevoir des balles de toute nature. En entrant dans la dernière pièce, je ne peux m’empêcher de l’exposer à l’intérieur de l’œuvre d’un autre spectateur. Il est maintenant saxifrage d’autant plus que la plupart des œuvres sont cassées, rafistolées, lacérées, amputées. La société moderne est en miettes sans qu’émerge la vision d’un nouveau paradigme. En quittant le Palais des Beaux-Arts, je me sens habité par un processus de création artistique: avoir un propos (l’arlequin), le démonter (déconstruire) pour le propulser à un autre niveau (l’œuvre). Cela requiert une certaine prise de risque, une mise à distance pour sortir de la fonctionnalité de l’objet, un positionnement pour relier ce qui à priori ne l’est pas et oser se confronter aux autres. Forcement pédagogique.

Étrangement, le lendemain, je ressens la même démarche avec le chorégraphe et plasticien Benjamin Verdonck qui pose son œuvre sur la table : «Notallwhowanderarelost». C’est un théâtre d’objets de bois et de rails. Mais avant d’entrer dans l’œuvre, il nous propose un étrange avant-propos: une chaise, deux boites de soda, un ballon, une gourde pour un assemblage des plus délicats. Le voici à reproduire le processus proposé par Kate McIntosh! À tout moment, son savant équilibre peut s’effondrer. Je suis avec lui, je ressens sa prise de risque. Avec humilité, cet homme expose son art…celui où le propos est fragile, en équilibre précaire, dans une économie de moyens, mais nourri d’une générosité (ce mot a-t-il encore un sens dans une époque où le cynisme domine les relations?). Place à son théâtre où c’est lui, et lui seul, qui tire les ficelles capables de déplacer des triangles aux tailles et couleurs différentes. De gauche à droite, je suis ces allers et retours où le second degré est roi, où l’artiste joue avec les évidences, où cela bifurque alors que le chemin est pourtant tout droit. Je ris quand l’inattendu déjoue mes pronostics binaires ; je m’interroge quand l’objet se détourne de mes attentes ; je lâche prise quand des phrases tombent du haut tel des surtitres sans sous-titres!

Benjamin Verdonck semble danser lorsque les ficelles libèrent son corps et nous relient à l’évolution de notre perception des objets. La dernière scène est hilarante, car surréaliste : il en perd la tête, sens dessus dessous, et je m’égare avec lui dans une autre dimension : celle d’une graine de folie qui pousse sur le béton armé recouvrant nos objets d’enfants à jamais démontés.

Pascal Bély – Le Tadorne

Le KunstenfestivaldesArts de Bruxelles du 2 au 24 mai 2014.

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FESTIVAL D'AVIGNON FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avignon Off 2013 – Chercheurs-artistes: le nouveau monde.

« Smatch » de Dominique Roodthooft a été joué du 17 au 23 mai 2009 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts et sera joué au Théâtre des Doms dans le cadre du Festival Off d’Avignon du 7 au 28 juillet 2013.
Il y a des spectacles que l’on n’est pas prêt d’oublier. « Smatch » de Dominique Roodthooft est de ceux-là. Présenté au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles puis à Avignon, on se prend à rêver qu’elle trimbale sa machinerie et ses chercheurs-artistes aux quatre coins de l’hexagone. Car, il y a urgence. La France n’écoute que sa plainte; les corporatismes n’ont jamais été aussi puissants ; l’émiettement est devenu une stratégie pour bloquer les processus d’innovation. La recherche, stigmatisée par le pouvoir, se coupe progressivement de la société. Après avoir été le moteur de la modernisation du pays après la guerre, elle ne sait plus très bien quel rôle « politique » jouer dans un environnement mondialisé, au coeur d’une crise systémique. De son côté, la Belge Dominique Roodthooft nous propose une articulation prometteuse entre artistes et chercheurs pour nous aider à ouvrir les possibles, à penser différemment le complexe autrement qu’en utilisant les modèles rationalistes usés de l’ère industrielle.

La première scène donne le ton. Trois comédiennes et un vidéaste-performeur se penchent sur une carte de la Belgique, projetée sur grand écran. La partie supérieure, coloriée de couleurs chaudes, est divisée entre les provinces flamandes, tandis que le côté inférieur (la Wallonie) est d’un bleu uniforme et imprécis. Est-ce la mer, un lac ? Avec les frontières, l’un d’eux s’amuse à dessiner un animal pour changer le regard. Rires dans la salle. En effet, le clivage a fini par s’imposer à tous (même aux auteurs de cette carte !) et nous empêche de voir la Belgique dans toute sa complexité. Dit autrement,  « si vous désespérez un singe, vous ferez exister un singe désespéré ».

Après avoir transformé la scène en espace bifrontal pour y installer un laboratoire, nos artistes-chercheurs vont pendant deux heures nous projeter des  interventions (la philosophe Vinciane Despret, un couple d’éleveurs de vaches, un informaticien, un juriste, un imitateur du cri du cochon) tout en prolongeant le propos sur leur minuscule scène artistique! Tous démontrent avec pédagogie et créativité, que la réalité n’existe pas : elle n’est qu’une construction. C’est le regard que nous portons sur les animaux qui les rendent bêtes. C’est notre vision de la dune comme mouvement submersible qui nous empêche d’imaginer qu’elle puisse faire de la musique. Elle finit même par nous conduire à construire des murs pour nous en protéger plutôt que de lui offrir des chemins de traverse ! C’est ainsi que l’expression « ce n’est pas possible » est elle aussi une construction, une paresse de la pensée qui nous interdit d’imaginer que le changement est une dynamique et pas uniquement une logique verticale descendante.

À mesure que « Smatch » avance, la jubilation augmente. Notre imaginaire est sans cesse stimulé (à l’image de ces ampoules qui pendent, transformées en aquarium, car l’électricité n’est pas là où l’on croit !) afin que le discours du chercheur trouve ses prolongements, ses résonances chez l’individu et le collectif. Le spectateur est inclut dans un changement de représentation parce qu’accompagné à se projeter dans l’articulation chercheur – artiste, métaphore d’un nouveau paradigme.  La scénographie donne à la pensée complexe le cadre qui lui manque tant dans nos sociétés : fini la spécialisation des savoirs, vive les savoirs qui relient, qui ouvrent les possibles, qui déploient la créativité !

Avec « Smatch », on s’autorise à inventer d’autres histoires que celles que l’on voudrait nous faire jouer ; on peut créer les nouveaux territoires qui nous permettent de voir ce que nos répétitions cartésiennes nous empêchent d’appréhender.

Avec « Smatch », on se prend à rêver qu’un ministère de la recherche et de la culture européen soit installé symboliquement sur la frontière. Pour la faire bouger.

Pascal Bély – www.festivalier .net

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES L'IMAGINAIRE AU POUVOIR Marseille Provence 2013 OEUVRES MAJEURES Vidéos

J’me fais mon cinéma.

Est-il possible que le cinéma puisse émerger du théâtre ? Depuis trop longtemps, j’ai subi l’image sur un plateau où la vidéo est venue se plaquer pour remplir le vide d’un propos égaré. Trop souvent, le numérique s’est imposé pour que je lâche le théâtre au profit d’effets spéciaux très spécieux. La liste serait trop longue à dérouler de tous ces spectacles dits hybrides qui ont noyé le sens dans la forme. Il est d’ailleurs troublant de constater que ce mouvement «moderne» se prolonge aujourd’hui à Marseille où une Scène Nationale nous propose des ballades sonores, de dormir au théâtre (si, si), où le « Off » de Marseille Provence 2013, installe un campement…Dans un article pour le Monde, le philosophe Alain Badiou écrivait: «Les modernes eux-mêmes ont énoncé que tout art authentique devait en finir avec la représentation, se tenir au plus près du dynamisme vital dont les corps sont porteurs et abolir la funeste distance entre acteurs et public, scène et salle, afin de fonder un collectif festif où tous auront indistinctement leur place active. L’idée fait ainsi son chemin d’un “théâtre” sans aucune théâtralité, d’un théâtre qui abolit le théâtre. Religion contemporaine, peut-être, que ce désir éperdu de se confondre avec le réel nu de corps que rien ne représente, et qui ne représentent rien.»


Mais fort heureusement, des artistes pensent le théâtre comme un art global. Il me revient en mémoire le spectacle éblouissant de l’Allemande Katie Mitchell au Festival d’Avignon en 2011 où «Christine, d’après Mademoiselle Julie» librement adapté d’August Strindberg fut d’une telle virtuosité qu’elle m’avait permis d’être l’auteur de mon cinéma théâtral ! Le film s’élaborait en direct, sans montage, car le théâtre ordonnait tout ! Toute la machinerie n’était qu’au service de la poésie pour entendre et comprendre la douleur de Christine.


L’an dernier, toujours au Festival d’Avignon,  Markus Öhrn  dans «Conte d’amour» avait osé la vidéo pour projeter l’horreur qui se déroulait dans la cave où Joseph Fritzl séquestra pendant vingt-quatre ans sa fille Élisabeth et trois des enfants nés des différents viols incestueux. Comment transposer une telle horreur au théâtre si ce n’est en «déréglant» le système de la représentation? Pour que cela soit suffisamment mis à distance pour nous toucher, Markus Öhrn n’avait pas le choix: la cave, floutée par une bâche de plastique, était la scène où le cinéma se fondait dans le théâtre pour rendre compte de la violence de cet amour (et de la créativité qu’il génère pour le bourreau et les victimes). Sans ce cinéma d’art et d’essai, point de théâtre de corps, d’objets, de marionnettes et de refrains musicaux.

Récemment, l’image a surgi du théâtre sans aucun artifice technologie particulier (si ce n’est un ordinateur qui explose à la fin, un congélateur qui se déplace en fonction des vibrations de son moteur déréglé !).  C’était au dernier Festival des Arts de Bruxelles. Le metteur en scène Belge Claude Schmitz y présentait «Mélanie Daniels», protagoniste du film d’Alfred Hitchcock, «Les oiseaux», incarnée à l’époque par Tippi Hedren. Ici, il ne s’agit pas de transposer au théâtre ce chef d’œuvre cinématographique, mais de vivre le processus de création d’une improbable suite où émerge, à la fin du spectacle, l’Image, celle produite par le théâtre et co réalisée par l’inconscient groupal d’une salle de spectateurs attentive, rieuse et sidérée.

Il faut imaginer une équipe de tournage à l’œuvre, mais désœuvrée, parce que rien ne va: le metteur en scène est en panne d’inspiration, l’attachée de production se détache trop, le technicien du son subit le goutte à goutte d’une fuite d’eau. Pendant de longues minutes, j’erre avec eux, ne sachant plus très bien à qui et à quoi me raccrocher. Tous régressent, à l’image de leur goût immodéré du freeze que l’on puise dans un congélateur, métaphore d’une malle à jouets pour adolescents dépressifs. À cet instant, la création théâtrale est embourbée dans une vision mélancolique du monde (autocentrée et infantile) prisonnière de ses pulsions de contrôle: comment ne pas penser à cette génération d’artistes qui, n’ayant rien à dire, occupe le théâtre plutôt que de s’occuper du théâtre…Ainsi, Claude Schmitz ose décrire le processus par lequel la création s’enlise (lire à ce sujet, un article écrit lors du dernier Festival d’Avignon: l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français). Mais parce que tout est complexe, il ne lâche rien, nous propose une autre image, celle qui s’élabore, presque à notre insu: le premier niveau narratif peut bien s’effondrer (au sens propre!), le second, celui où l’art émerge, apparaît peu à peu: les corps lâchent, l’esprit vagabonde pour se perdre dans la vision burlesque de Chaplin, le bruit du vol des oiseaux nous surprend par derrière (comme un rêve éveillé), la figure mythique de l’actrice Tippi Hedren erre, rode…

Le théâtre se fond lentement dans l’univers d’Hitchcock, de la profondeur horizontale du plateau vers ces fenêtres en fond de scène où je projette mes désirs. C’est drôle et grave comme si le sens n’était pas seulement dans l’histoire d’un collectif qui peine à filmer, mais ailleurs, dans ce cheminement où le théâtre nous guide vers le cinéma, où il est l’art de l’art. Peu à peu, l’œuvre d’Hitchcock se prolonge: Claude Schmitz ne propose aucune suite, mais la relie dans un nouvel espace mental pour et vers le spectateur où le cinéma ne se “fabrique pas”, mais où l’Image est une émergence d’un traveling théâtral.  La dernière scène me plonge dans une mise en abime, dans un océan de beauté, où je m’émancipe de la narration, où l’art de Claude Schmitz m’aide à ressentir ce lien si particulier à la scène.

À cet instant précis, alors que le public lui fait un triomphe, cet homme me réconcilie avec la modernité où n’est image, que théâtre.

Pascal Bély – Le Tadorne

Mais encore…

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Toujours au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles ; toujours au sujet du cinéma. L’œuvre théâtrale de Mariano Pensotti, «Cineastas», sera présentée au prochain Festival d’Automne à Paris. Ici, le théâtre et le cinéma cohabitent dans un même espace vertical. Au premier étage, le tournage…au rez-de-chaussée, la dramaturgie de la vie de l’auteur. Il faut imaginer quatre cinéastes argentins, qui ne se croisent jamais, où le spectateur est positionné comme témoin de la genèse de leur film…où leur intimité se joue au rez-de-chaussée tandis que le film s’élabore au premier étage. Ainsi, chaque acteur passe du rôle de cinéaste à celui d’acteur d’un autre film sans aucune rupture de temps!

Le scénario cinématographique de chacun se métamorphose à mesure que le théâtre met en scène la complexité du rapport entre leur visée d’artiste et l’intimité de leur vision. Le cinéma est alors objet d’analyse (ou objet de l’Analyse…) et nous permet de nous projeter à deux niveaux en même temps : la narration et l’écriture de l’histoire entre le cinéma et le théâtre. Ainsi, le spectateur est en permanence sollicité pour faire les liens entre ces quatre «mises en scène», le contexte historique (celui de l’Argentine, de la Russie, …) et le processus par lequel l’image nait du théâtre. C’est palpitant, enivrant et enthousiasmant de constater que la scène est décidément l’un des rares espaces où se pense et s’élabore la complexité.

Crédit photo: © Jorge Macchi

Plus loin encore…

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C’est à Marseille. Dans le cadre des propositions de la capitale culturelle. Je suis pris dans les embouteillages. Soudain, le quartier de la Belle de Mai se révèle. À l’approche d’une école, sur les murs, deux pans photographiques se dévoilent. Un groupe d’enfants entre dans le même mouvement à soixante années d’écart. C’est subjuguant. Mais je n’ai encore rien vu. Sur le toit panorama de la Friche Belle de Mai, je découvre le travail du photographe JR en plusieurs dimensions. Il a séjourné dans le quartier pour révéler sa mémoire, à partir de groupes d’enfants photographiés à des époques différentes. Les murs opèrent le dialogue. La mémoire du dedans des appartements semble surgir vers l’extérieur, vers nous. L’histoire dessine une nouvelle architecture du quartier pour une modernité qui relie les générations. C’est fascinant. JR  photographie le peuple et le propulse sur la scène pour une urbanité poétique. L’Image surgit à l’articulation de la photographie d’art, de la mémoire collective et de notre destin commun. Chapeau l’artiste.

 Crédit photo: © wonder brunette
 
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Mon périple bruxellois (2/3) : le KunstenestpasmonFestivaldesArts.

Je ne m’attendais pas à une telle perte du propos artistique et de la mise en scène. Que s’est-il donc passé au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, pour qu’aucune oeuvre ne soit venue me chatouiller, me surprendre, m’émouvoir.  Après quelques hypothèses émises dans un précédent article, suite et fin avec ce deuxième compte-rendu.

Árpád Schilling est un metteur en scène hongrois. «À papn?» aurait pu être un événement théâtral: une immersion dans un village reculé de Hongrie où une enseignante envoyée par l’Union Européenne introduit le théâtre au collège mais doit affronter l’opposition d’un collègue à cheval sur le dogme catholique. Les enfants et leurs éducateurs sont sur le plateau tandis qu’un documentaire documente à partir de témoignages sur ce conflit entre art et religion, modernité et tradition. Les enfants jouent leur propre rôle à moins que ce ne soit une mise en abyme (un atelier théâtre porté à la scène) dans laquelle nous sommes mis à contribution (ce moment tombe totalement à plat).

Le théâtre est le grand perdant de cette forme hybride : on s’y ennuie souvent tandis que le documentaire nous captive dans ce dilemme qui divise la communauté. Árpád Schilling aurait pu convoquer un auteur pour créer le dialogue entre la scène et l’écran. Mon regard bienveillant s’est porté sur ces enfants forts et fragiles qui sont mes concitoyens d’Europe. Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens du travail de Florence Lloret présenté à la première Biennale des Écritures du Réel à Marseille en mars 2012. Dans « L’alphabet des oubliés»,  le documentaire sur les enfants servait leur théâtre et le nôtre.

Autre ambiance. Rendez-vous au Kaaistudio’s pour «Book Burning» de Hans Op de Beek et Pieter de Buysser. Ce dernier incarne le narrateur, tout juste accompagné d’une malle aux trésors dont les différents tiroirs font office de décor d’un conte compliqué et ennuyeux. Ici aussi, le Kunsten joue avec les formes hybrides en invitant ce philosophe et metteur en scène à nous proposer ce «transformatador» («un genre performatif littéraire et visuel qui transforme l’énergie quotidienne en une créature mythique avec des pattes élégantes, des ailes grotesques, des ongles politiques et de grands yeux inquisiteurs. En bref, un être qui rendrait même les toréadors nerveux»). Vous ne saisissez pas l’intention artistique ? Moi, non plus. Pendant une heure trente, je m’accroche à Pieter de Buysser. Mais son jeu ne me dit rien, car son corps théâtral est absent. La malle est probablement l’objet le plus fascinant même si elle ne délivre pas tous ses secrets. Ce conte «postmoderne» se perd parce que la fiction qu’il déploie n’est pas «théâtre». Tout juste une «lecture» performative. Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens des oeuvres de l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat. Cet homme me ravit car nos chemins se croisent, à pas contés.

Cette fois-ci, cela commence plutôt bien. Ils sont quatre sur scène: un belge (Pieter Ampe), deux portugais (Guilherme Garrido et Nuno Lucas), un allemand (Herman Heisig). Chorégraphes et danseurs, leurs corps se comparent aisément : petit, grand, maigre, costaud, poilu, imberbe. Manque la couleur : ils sont blancs. Quatre mecs qui dès le début se disputent la vedette autour d’un micro qui ne tarde pas à devenir la béquille de leurs talents si fragiles! Pour sortir de cette escalade, ils convoquent le théâtre, la danse, l’installation performative: qui rira bien qui rira le dernier! Ainsi, l’un glisse sa tête dans un ballon qui gonfle à vu d’ici (d’où l’expression «avoir la grosse tête»), tandis qu’un autre, puis un autre, entrent dans ce même ballon (si, si, je vous assure !). Comment ne pas penser à Magritte, aux surréalistes? C’est drôle et touchant. Mais peu à peu, le malaise s’installe: la danse est moquée jusqu’à lâcher la belle entreprise. Ils convoquent le divertissement (qui, du coup, ne fait plus rire) et finissent par tout casser lors d’un concert rock au ralenti assez pathétique (n’est pas Pierre Rigal qui veut).

Me revient alors le spectacle de Sophie Perez et Xavier Boussiron, «Oncle Gourdin», présenté au dernier Festival d’Avignon. Même rythme et successions de numéros qui moquent l’art chorégraphique jusqu’au final apocalyptique. Dans les deux cas, le propos est réactionnaire: au-delà de leur génie (qui est bien sûr immense, d’où la scène avec le ballon), il n’y a plus d’avenir pour eux, donc pour nous. Cette vision romantique du statut de l’artiste m’effraie: elle prépare le fascisme. À mettre en lien avec mon précédent article où je démontre comme l’esthétique de la communication a contaminé les arts de la scène au cours du festival. Est-ce encore de l’hybridité ?

Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je convoquerai la plus jeune génération pour qu’elle dialogue avec la plus âgée, en attendant que les trentenaires dépressifs fassent leur thérapie en dehors des plateaux. Je pense alors à l’oeuvre d’Anna Halprin et Morton Subotnick («Parades and changes, replay in expansion») créée en 1965, censurée pendant 20 ans aux États-Unis et revisitée en 2010 par la chorégraphe Anne Collod. La danse y était est un art total qui nous déshabillait pour nous inclure dans la parade du chacun pour tous.

“Matadouro” du chorégraphe brésilien Marcelo Evelin allait-il enfin me surprendre? Nu, il sonne l’alerte avec un tambour. Des aboiements accompagnent ces premiers pas. Il est rejoint par six hommes et une femme qui, après s’être déshabillés, tournent le dos au mur. Prêts à être exécutés et sauvés. Ils portent un masque et une machette collée dans le dos. Corps social et politique? Ils entreprennent alors une ronde infernale autour d’un micro sur le «Quintette à cordes en ut majeur» de Franz Schubert. C’est très éprouvant.  À la fois meute guerrière et pacifistes déterminés, je peine à les suivre dans leur recherche. Où vont-ils ? Peu à peu, ils me larguent même si je saisis la métaphore d’une «résistance» à toute épreuve. Mais je n’en suis pas. C’est en dehors de moi. Ici aussi, le final est sans appel. Tout ça pour ça?Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens de «Révolution» d’Olivier Dubois où douze femmes résistèrent en dansant le boléro de Ravel autour d’une rampe: «Je suis pris dans cette dynamique incroyable où le corps intime (symbolisé par la rougeur de l’effort et leurs perles de sueur) entraine le corps social, qui ne renonce pas même en l’absence d’un chef ! Telle une spirale ascendante, les phrases chorégraphiques finissent par créer une poésie particulière où le Boléro se métisse de rock et de jazz. La barre tremble sous le poids du corps, mais ne plie pas: elle est roseau; le corps est lierre, tresse et enchevêtre. La puissance au lieu du pouvoir !».

En 2013, je n’irai pas à Bruxelles. À moins d’un Festival des Arts pour l’imaginaire.

Pascal Bély , Le Tadorne.

A lire aussi:

Mon périple Bruxellois (1/3): trop sympa le KunstenFestivaldesArts !

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

 «A papn?» de Árpád Schilling / «Book Burning» de Hans Op de Beek et Pieter de Buysser / « A coming community » de Pieter Ampe, Guilherme Garrido, Nuno Lucas et Herman Heisig / «Matadouro» de Marcelo Evelin au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles du 16 au 21 mai 2012.

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Mon périple Bruxellois (1/3): trop sympa le KunstenFestivaldesArts !

Un festival est une articulation complexe entre un projet artistique, une communication à partir des valeurs et un management respectueux. Grâce à sa fondatrice Frye Lysen, le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles promeut le dialogue entre Flamands et Wallons, encourage des esthétiques peu reconnues, ouvre le théâtre à la danse, invite des artistes du monde entier. Mais depuis deux années, cette dynamique s’essouffle et 2012 signe peut-être ma rupture. Dès le mois de mars, j’ai été particulièrement choqué par une annonce sur le site du festival («Le Kunstenfestivaldesarts cherche des bénévoles! Tu as du temps libre pendant le mois de mai? Tu as l’intention d’assister à beaucoup de spectacles au festival? Et bien sûr tu voudrais payer tes tickets moins chers? Nous avons une solution pour toi: contribuer au festival en intégrant notre équipe de bénévoles!”). Ainsi un langage publicitaire «sympa» fait la promotion d’un travail gratuit, en échange de billets soldés, signifiant qu’une relation à l’art se monnaye alors qu’elle est «censée nous faire réfléchir» (dixit le directeur Christophe Slagmuylder à la télévision belge). En avril, je m’étonne de lire la page Facebook du festival en anglais et non dans les deux langues (flamand et français) comme auparavant. La réponse ne se fait pas attendre : «Sur Facebook c’est en anglais et cela fait déjà un petit temps. C’est bien plus direct comme cela non? Et bien plus adapté à l’outil…». Ce n’est pas signé. Facebook n’est qu’un vulgaire tableau d’affichage alors qu’il est censé mettre du liant entre programmateurs, artistes et spectateurs. Et si la stratégie de communication et de management était liée au projet artistique du festival? Première démonstration à partir de mon périple festivalier du 16 au 20 mai inclus?

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La proposition du collectif Berlinois Rimini Protokoll confirme mon hypothèse. Au théâtre KVS-Bol, le staff divise les spectateurs en groupes. Je suis casé pour suivre le circuit bleu. On me parle en anglais. Je fais remarquer que je suis français. Aucune réaction. Le périple dans le théâtre commence par une série d’ateliers censés nous immerger au c?ur du Nigéria dont le PIB devrait dépasser celui de la France d’ici 50 ans. Un homme nous installe dans une salle de réunion pour évoquer l’économie du pays. En anglais. Je ne comprends pas. Je m’en inquiète auprès d’un membre du staff (probablement recruté comme “bénévole”) qui me tend un livret résumant la performance. L’oeuvre est ainsi réduite à un synopsis?dans lequel je lis qu’une salle des marchés est un théâtre avec un metteur en scène, des acteurs. Avec Rimini Protokoll, tout est une métaphore du théâtre. Soit. Au deuxième atelier, le scénario se reproduit et, fait rarissime, je quitte le KVS. Rimini Protokoll se représente l’économie en cases, exclusivement basée sur des échanges marchands. Faute d’artistes, il installe des acteurs (comme vous et moi) pour incarner leur propre jeu professionnel. L’art aurait pu nous immerger dans l’interdépendance, dans une articulation entre l’économique, le social et le culturel. Mais «Lagos Business Angels» est un dispositif inspiré par des communicants qui dénoncent, mais qui n’énoncent pas tout en excluant les spectateurs qui ne parlent pas la langue dominante. Un d’entre eux me faisait remarquer dans un mail : «j’ai eu l’impression d’être à un séminaire organisé par une ONG». Ainsi, l’esthétique de la communication d’entreprise a pris le pas sur l’art. Flippant.

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Mais je n’ai encore rien vu. Le lendemain Anna Rispoli et Edurne Rubio nous convoquent au pied de la tour de l’École Hôtelière du Campus Elishout à Anderlecht. Ici aussi, nous voici divisés en deux groupes de spectateurs, casques sur la tête pour y entendre des bruits de circulation, des champs d’oiseaux et une narratrice dans le rôle de?la tour (sic). Une des «actrices» nous accompagne. Je la sens?«habitée» dans son statut de «médiatrice» performeuse tandis qu’elle ralentit nos pas au c?ur du parc du campus. Ce périple nous guide au 13ème étage (je vous épargne les arrêts?) où «la voix» nous parle de son statut peu enviable de tour. Le texte est sans distance, collé au réel (jusqu’au passage digne d’une publicité pour site porno où d’une voix langoureuse, elle évoque les mains qui s’accrochent à sa rampe d’escalier et les corps qui frôlent ses murs). C’est vulgaire, sans recherche, à l’image des produits confectionnés par les Offices du Tourisme. C’est du «théâtre réalité» sans  poète, sans artiste en chair capable de nous extraire de cette écriture métaphorique sans relief. C’est de l’installation pour nous faire vagabonder. Mais qui suis-je au final ? Un spectateur  qui consomme de  la com’. «C’est sympa» me dit une spectatrice. Suffisamment sympathique pour empêcher tout regard critique au risque de passer pour un «emmerdeur».

Mais je n’ai encore rien vu. Cette fois-ci, ils sont quatre (Inne Goris, Dominique Pauwels, Kurt d’Haeseleer et Ief Spincemaille) pour «Hoog Gras». C’est une installation posée sur la scène du KVS. Ici encore, les spectateurs sont divisés en plusieurs groupes, entourés de différents écrans et de haut-parleurs. Il s’agit de nous immerger dans la psychologie d’un enfant soldat tout en proposant au public «un spectacle sensoriel». Sauf que je n’ai strictement rien ressenti de ce flot d’images si ce n’est une belle esthétique sur un sujet terrible. La sophistication de l’installation renforce ce sentiment d’un «art» qui nous prend de haut et nous éloigne durablement de la profondeur de la musique de Dominique Pauwels et des voix du ch?ur des enfants du Théâtre de la Monnaie. Ce «théâtre-là» est effrayant, car désincarné alors que son propos réclame la chair. À corps et à cris.

Mais je n’ai encore rien vu. Le chorégraphe Brice Leroux présente «Flocking-Quintet». S’inspirant des systèmes d’autoorganisation spatiale des groupes d’animaux, cinq danseurs (affublés d’une robe rigide pour princesse obsessionnelle) tournent sur eux-mêmes à côté d’un piano mécanique qui se déplace également accompagné d’une boule de lumière blanche. Pendant une heure, ça tourne entre chien et loup. Ça tourne. Dans le vide sidéral. J’ai encore en mémoire, la grâce mécanique d’Anne Teresa de Keersmaeker dans «Rosas Danst Rosas». On ne devrait jamais penser à elle. Cela coupe tout. Brice Leroux conceptualise, mais ne dit pas. Il cherche, mais ne trouve rien. Mais, comme me le soufflera une spectatrice, «c’était sympa à voir».

Ces quatre propositions ne créent pas les conditions d’un renouvellement de la pensée et du regard critique. Elles s’appuient sur l’illusion groupale comme vecteur de communication entre l’artiste et l’individu. Mais à aucun moment, celui-ci n’est considéré dans ses particularités. Il consomme de la performance et de l’esthétique sans qu’il lui soit possible d’interroger la pertinence de ce qu’il voit. La relation à l’art est si distendue qu’elle ne permet pas la rêverie, tout au plus l’éloignement. Le caractère «sympathique» de la proposition joue sur un lien affectif factice, prémice d’un autoritarisme qui ne dit pas son nom.

L’art se déploie dans la pensée. Hors d’elle, il n’est que produit et finit sa trajectoire sur le page Facebook du Festival. Sans amis.

Pascal Bély, Le Tadorne.

A lire aussi:

Mon périple bruxellois (2/3) : le KunstenestpasmonFestivaldesArts.

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

Brice Leroux –  «Flocking-Quintet » – du 19 au 23 mai 2012.

Rimini ProtoKoll « Lagos Business Angels » – du 17 au 19 mai 2012.

Anna Rispoli et Edurne Rubio , « Retroterra : audio tour / performance » du 12 au 18 mai 2012.

Inne Goris, Dominique Pauwels, Kurt d’Haeseleer et Ief Spincemaille – «Hoog Gras» – du 12 au 20 mai 2012.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Au Festival Off d’Avignon, l’épuisement.

Un bruit sourd envahit la salle. Dans l’attente, nous crions pour nous faire entendre. L’assemblée des spectateurs et les entrées symbolisent la ville bruyante. D’un coup, le vacarme s’arrête. Un grand mur vidéo nous affronte pour nous plonger, dans un silence quasi religieux, dans le flot incessant de la circulation de la capitale belge. Le corps est en totale symbiose avec l’automobile. L’anonymat le plus absolu.

Tandis que l’actrice-comédienne Olivia Carrère apparaît du fond de son lit rouge sang, le théâtre s’incruste peu à peu. Nue, elle regarde le monde au travers des stores. À cet instant précis, le théâtre fait son cinéma pour filmer théâtralement la solitude d’une jeune femme. Pas un mot ne sera prononcé, tout juste résonneront «Dis quand reviendras-tu?» de Barbara et «The winner takes it all» du groupe Abba. Les premiers tableaux me rappellent «Le concert à la carte» de Franz-Xaver Kroetz, mise en scène par Thomas Ostermeier et présenté au Festival d’Avignon 2004. Mais ici, la solitude est en troisième dimension: le corps en scène, le mal de vivre en film, la quête d’un amour absolu en internet. Face à un tel dispositif, nous sommes probablement aussi seuls qu’elle : notre désir d’une certaine théâtralité doit cohabiter avec des effets scéniques qui nous éloignent peu à peu d’un propos que nous voudrions limpide.

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L’atmosphère rappelle “Inland Empire» de David Lynch comme pour renforcer sa descente aux enfers et nous guider vers l’inexplicable : elle préfère son avatar tandis qu’elle déforme son corps; elle s’ouvre vers la toile pour s’enfermer chez elle et finir barricadée alors que la ville capitale grouille d’humains. Fabrice Murgia filme, théâtralise, connecte pour distancier, isoler tout en tissant des liens d’effets et de causes. Nous vivons en direct, ce processus qui paraît inéluctable : le plus petit acte répétitif du quotidien fait sens, le corps ne répond plus au désir de le rendre beau, l’internet est une prison ouverte à partir de connexions infinies avec un homme-lapin, mais qui réduisent et définitisent tout. Effrayant. Nous voilà à distance alors que probablement, nous souffrons d’une solitude imposée par une société qui objective le subjectif, cloisonne l’inséparable. Désirons nous humaniser pour communiquer ? Supportons-nous l’improbable quand internet nous promet l’autre à notre image ? Acceptons-nous le corps biologique alors que le virtuel nous propose un lien amical désincarné ? Toutes ces questions sont superbement portées sur scène, au croisement des esthétiques qui, une par une, symbolise notre rapport au corps, au temps, à la représentation de la réalité. Le sort de cette jeune femme émeut à peine (sauf quand elle chante Abba avec sa belle robe rouge), comme si nous étions trop occupés à ressentir ce qui se joue sur la toile, cette réalité «psychique» dont nous ignorons encore les ressorts.

Fabrice Murgia mouvemente l’interconnexion du théâtre, du cinéma et de l’internet. Il ouvre des possibles pour mettre en scène nos connexions entre virtualité et réalité.

Il nous offre un art théâtral pour éclairer le Nouveau Monde.

Pascal Bély – « Le Tadorne ».
« Life : reset / chronique d’une ville épuisée » de Christophe Murgia à la Manufacture pendant le Festival d’Avignon 2011.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Fallait-il aller à Bruxelles ?

«Fallait-il aller à Bruxelles?» me demande une amie à mon retour du KunstenFestivalDesArts. Moment d’hésitation. Comme un blanc. Ce qui me semblait une évidence les années précédentes, ne l’est plus aujourd’hui, comme si je ressentais un décalage entre le bouillonnement de la planète et des créations sans relief apparent.

Oui, il fallait s’y rendre même si l’absence de pont a découragé bon nombre de français (je n’ai croisé aucun programmateur de ma région!). Au total, j’ai passé six jours dans la capitale belge pour quatorze propositions (soit la moitié de la programmation). À noter l’augmentation croissante de coproductions européennes : certaines oeuvres sont à l’affiche du Festival d’Automne de Paris et du Festival d’Avignon. Dit autrement, le Kunsten est-il encore indépendant dans ses choix artistiques ?

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Oui,  il fallait s’y rendre, car le Kunsten, en croisant les arts, stimule le positionnement du festivalier. Le documentaire de Sven Augustijnen sur le passé colonial de la Belgique avait autant de force que la performance de Walid Raad sur les chemins de traverse de l’art contemporain. L’opéra d’Henry Purcell par Jan Decorte a enthousiasmé en ouvrant le théâtre vers une discipline peu réceptive à la pluridisciplinarité. La performance de Miet Warlop a évoqué le corps amputé en chorégraphiant les déplacements des spectateurs tandis que Mariano Pensotti convoquait le public dans le métro pour le socialiser à partir de dialogues poétiques. Dit autrement, le Kunsten nous raconte des histoires pour traverser les arts, faire bouger le regard et positionner le spectateur actif. C’est un festival qui stimule d’habitude la transdisciplinarité, mais avec moins de force cette année.

Oui, il fallait s’y rendre, car le Kunsten restitue une certaine vision de l’Europe. Cette année, le tableau a été très noir avec un sentiment d’oppression, d’étouffement comme si le Vieux Continent déclinait inexorablement à force de ne pas réinterroger son modèle démocratique et économique. Il a fallu tout le talent de deux Belges, Fabrice Murgia et Anne-Cécile Vandalem pour, à partir de cette crise,  créer une mise en scène particulièrement inventive. Mais l’Europe n’a pas brillé du côté de ses créateurs. Le Berlinois René Pollesch m’a ennuyé avec son discours infantilisant sur le théâtre ; le chorégraphe Philipp Gehmacher a plombé le public avec sa danse vidée de sa sensibilité (est-il encore nécessaire de conceptualiser à ce point ?), tandis qu’Eszter Salamon a osé nous convoquer au théâtre sans objet théâtral. De son côté, Manah Depauw, en célébrant l’homme des cavernes, s’est dispensée d’un propos pour aller au-delà de l’histoire.  La danse s’est laissé contaminer par l’art contemporain. Au Kunsten, le corps ne nous a pas parlé de la douleur du monde et de ses révolutions (à l’exception notable de la Marocaine Bouchra Ouizguen avec «Madame Plaza» créée au festival Montpellier Danse en 2009).

Oui, il fallait y aller, car le Kunsten reste un festival ouvert au Monde. Toshiki Okada avec deux  propositions (dont l’une vue au dernier festival d’Automne) a de nouveau conquis le public. Pour le reste, deux déceptions : nous n’avons rien compris à la création indienne de Zuleikha et Manish Chaudhari tandis que le collectif mexicain Lagartijas Tiradas al Sol nous a noyé dans des anecdotes des guérillas des années 1960-70.

Oui, il fallait aller à Bruxelles et pourtant. Je m’interroge. Je n’ai pas retrouvé l’impulsion des années précédentes à l’image du lieu qui rassemble spectateurs, professionnels et artistes. Je me souviens encore de l’effervescence qui régnait en 2008 au Beursschouwburg, lieu de partage et d’émulation créative. Cette année, le Kunsten a choisi une école (le Rits) dans une salle qui fait office de cafétéria, aménagée par le plasticien Simon Siegmann. La scénographie n’est pas sans rappeler l’atmosphère low-cost de certains hôtels et autres restaurants en recherche de «branchitude». Je n’y ai rencontré personne. Cet «assèchement» relationnel est inquiétant, car le Kunsten a toujours été un festival du dialogue. N’est-il pas aujourd’hui en voie d’uniformisation ? N’est-il pas temps d’interroger sa vision d’un festival des arts ouvert sur le monde capable de stimuler un projet européen de la culture ?

Rendez-vous en 2012, juste après les élections présidentielles françaises, épiphénomène face aux nombreux bouleversements planétaires qui nous attendent.

Pascal Bély, le Tadorne

Le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles du 6 au 28 mai 2011.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Comme d’habitude, le théâtre belge nous habite.

Le public semble sonné. Le théâtre (sur)réaliste belge a encore frappé. On devrait pourtant s’y habituer. Ce pays s’empare de la question sociale pour la porter sur scène et métamorphoser le corps du théâtre. Seuls les Belges sont aujourd’hui capables d’introspecter notre inconscient collectif à partir d’une scénographie sans cesse réinventée. Anne-Cécile Vandalem avec «Habit(u)ation» s’inscrit donc dans la lignée du collectif Peeping Tom et du chorégraphe Alain Platel en portant sur scène une famille en crise de nerfs et de sens, en décomposition, mais dont la régénérescence démontre une fois de plus qu’un changement de civilisation est en marche.

Annie est une jeune enfant. Elle rêve d’une expédition en Norvège, là où siège l’entreprise de son père. Alain, découpe du saumon dans l’appartement. Sa société est sous embargo pour produits impropres à la consommation. Le voyage attendra…Nous voilà propulsés au coeur d’une famille transformée en outil de production où la mère (Claudia) assure dans une société d’assurance tandis qu’Yvonne (la tante) subit les réorganisations de sa compagnie de bus. Le décor fait penser à un vieux théâtre de boulevard mais l’appartement donne sur un jardin que l’on imagine florissant. En quelques minutes, Anne-Cécile Vandalem traduit les effets de la mondialisation sur le fonctionnement familial. Le mal de vivre est saisissant.  La communication au sein de cette famille semble rythmée par les conventions sociales et éducatives d’un autre temps. Chacun est en perte de statut, mais s’accroche à des gestes et des rites, même s’ils n’ont plus de sens.

Les dialogues s’assèchent comme le poisson dont le père extrait la chair pour la mettre sous vide. Ce système familial est autarcique, à l’image d’un continent européen en panne de projet  pour s’inventer un nouveau destin. Même les médias ne jouent plus leur fonction d’éducation et de culture : dans cet appartement qui sent le rance, la radio diffuse ce que les protagonistes vivent toute la journée, à savoir la marchandisation de l’humain. Tout se vend. C’est le triomphe de la communication quitte à transformer les vêtements de nos enfants en panneau publicitaire. Il y a cette phrase qui résonne, glaçante: «ce n’est pas de gober dont nous manquons dans la famille, mais c’est de souffler». Dans ce contexte-là, Annie cherche sa place. Par sa justesse de jeu, elle vit ce que nous faisons subir aux enfants. Dès leur plus jeune âge, ils doivent acquérir les gestes et postures de la soumission à un capitalisme financier dont ils ne sont qu’une variable d’ajustement. Qui s’étonne aujourd’hui du projet du Ministère de l’Éducation Nationale Français de faire apprendre l’anglais aux enfants de trois ans ? Quels sont les parents offusqués, trop soulagés de trouver dans cette proposition un  remède à leur angoisse sur l’avenir de leur chérubin ?

C’est alors que tout bascule, parce que le théâtre redonne « corps » à cette famille. Rarement une scénographie n’est allée aussi loin dans la décomposition et la régénération. Peu à peu, la parole s’efface, ensevelie par la lente métamorphose des corps et des liens (un peu trop appuyé ce qui laisse supposer qu’Anne-Cécile Vandalem s’inclue dans le processus). On navigue entre un thriller (comment ne pas penser au drame familial intervenu à Nantes en avril dernier ?) et un voyage au coeur de la Renaissance italienne, à moins que cela ne soit une allégorie de la catastrophe pour nous réinventer. Il est probable que la mise en scène soit anxiogène (elle résonne avec le contexte actuel où les fléaux naturels et nucléaires s’enchevêtrent avec les révolutions arabes et la lente décomposition du politique né de la civilisation industrielle). Le spectateur est enseveli dans ce déluge de créativité jusqu’à perdre son regard critique tant les images sont saisissantes. Anne-Cécile Vandalem et ses acteurs (tous exceptionnels) donnent l’impression qu’ils ne maîtrisent pas tout. C’est probablement cette fragilité qui sécurise et humanise profondément cette machinerie théâtrale qui semble totalement incontrôlable.
Habit(u)ation” mériterait d’être prolongé par un débat avec le public, les artistes, des chercheurs et des politiques. Car cette oeuvre parle à tous, nous relie et peut-être vécue comme une catharsis de nos peurs contemporaines. N’est-ce pas là, la fonction d’un théâtre engagé et populaire ?
Pascal Bély- « Le Tadorne »
« Habit(u)ation » d'Anne Cécile Vandalem du 20 au 23 mai 2011 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.
Crédit photo: Phile Deprez.
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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES PAS CONTENT

Eszter Salamon, au-delà de l’inimaginable.

Comment une telle production a-t-elle été possible? Comment accepter qu’une artiste de la stature dEszter Salamon se (nous) perde à ce point ? Comment expliquer que le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles, le Centre Pompidou de Paris,  l’IRCAM, le festival Tanz im August de Berlin,  les Subsistances de Lyon et tant d’autres n’aient pas clarifié une intention aussi floue, qui n’est pas sans évoquer une esthétique de la relaxation (sic): «Comment peut-on s’extraire de son propre corps ? Pendant combien de temps peut-on rester en dehors de soi-même avant de se perdre définitivement ? TAKES OF THE BODILESS explore une condition difficile à imaginer à moins de l’expérimenter soi-même : un monde sans corps». Mais en même temps, ce projet est séduisant parce qu’il est proposé par une chorégraphe. Or, la danse innove souvent pour créer des formes transdisciplinaires. Mais peut-on imaginer une oeuvre sans corps pour évoquer l’absence de  corps, sauf à refuser la turbulence et privilégier une esthétique de l’image? Comment Eszter Salamon a-t-elle pu nous embarquer dans cette relation binaire de cause à effet ?

Tout commence par une jeune femme qui s’avance face à nous pour raviver l’histoire d’un théâtre qui aurait pris feu. Elle parle en anglais, mais rien n’est surtitré. Il s’agit probablement de poser un contexte censé nous mettre en émoi…S’ensuit un long moment où le public est plongé dans le noir. Immersion classique pour inviter le spectateur à lâcher prise. Ces dix minutes sont interminables. Mais que devrais-je lâcher et pourquoi ? Des textes toujours lus en anglais (ne rien comprendre doit faire partie du processus) sont diffusés alors que des mannequins apparaissent sur scène avant de nous proposer une longue série de figures à base de fumigènes censées représenter cet au-delà. Eszter Salamon semble s’inspirer de l’univers de Roméo Castellucci, mais visiblement rien ne passe. Mon corps ne ressent rien et mes voisins spectateurs s’impatientent calmement. C’est le vide sensoriel, abyssal comme si créer des figures avec de la fumée et une bande-son en quadriphonie pouvait transcender. Eszter Salamon n’est pas William Turner, encore moins Steve Reich.

Il y a de quoi être inquiet par cette génération d’artistes qui assujettissent nos sens à la technique. «Tales of the Bodiless» est une proposition inutile parce qu’elle maltraite le lien du spectateur au corps, sous prétexte d’innover. La danse peut tout explorer (même l’inimaginable) à partir d’un corps savant. À condition d’avoir un propos chorégraphique et confiance dans la capacité du spectateur à se créer un langage dans un espace ouvert où le sens amplifierait sa sensibilité. Mais ici, rien de cela.

Eszter Salomon n’a probablement pas vécu l’expérience proposée par William Forsythe lors du dernier festival de Montpellier Danse. Dans un château gonflable posé sur l’imposante scène du Corum, les spectateurs étaient invités à vivre une expérimentation  (voir la vidéo). Pour certains d’entre nous, il nous a fallu un certain temps pour s’extraire de notre corps «social» et entrer dans un univers, mais avec tout le corps. Pendant quelques minutes, nous fûment nombreux à nous ressentir au-delà.  William Forsythe s’est affranchi des codes classiques de mise en scène et en espace jusqu’à déclarer : “Si j’ai monté White Bouncy Castle, c’est justement parce que la démocratisation de la danse à l’intérieur d’un théâtre me semble impossible.”
De son côté, Eszter Salomon a osé une chorégraphie sans corps, fragilisant la danse pour l’assujettir au néant du spectaculaire.
Pascal Bély, Le Tadorne.
Pour poursuivre, une autre critique sur le site Anaclase.
“Tales of the bodiless” d’Eszter Salamon du 21 au 23 mai 2011 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.
Ezster Salamon sur le Tadorne:
« Dance ? 1/driftworks » présenté à Montpellier Danse en 2008.
And Then” présenté au KunstenFestivalDesArts en 2007.
 
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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES

A nos corps amputés, Bruxelles reconnaissante.

À peine descendu du TGV à Bruxelles,  je me propulse au BronksSurréaliste ? Cela ne fait que commencer. J’entre. Rien pour s’asseoir. Où poser mon sac ? Les spectateurs arrivent peu à peu et finissent par former une assemblée. On se croirait dans la salle d’un musée d’art contemporain sans oeuvres, mais les déplacements du public vous informent où cela se «passe». Un bruit médiatique en quelque sorte amplifié par les crissements des talons d’une femme qui tient par un fil notre ballon de l’enfance. Métaphore de nos utopies à la dérive, sa progression m’émeut particulièrement.

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Je repère un espace où poser mon bagage. Je m’approche. Là, quatre «hommes chevaux» à la queue joliment peignée à l’arrière avec une longue perruque sur la tête sont face au mur. Ils me font sursauter. Avec leur  imperméable noir, ils m’évoquent le chanteur androgyne Antony and the Johnson. Leur présence fantomatique ne cesse de me poursuivre alors que je déambule dans la salle.  Entre allure poétique et comportements décalés, ils sont là pour déranger l’ordre établi, affirmer l’hybridité de l’homme avec l’animal, de la poésie avec le réel.

Plus loin, il y a des corps : amputés (là un long pantalon sans tronc ; ici un buste ceinturé sans tête, mais qui produit un larsen à l’approche d’un micro; plus tard, une table avec des jambes où sont posées des bouteilles de champagne). Des corps sacrifiés, où le vêtement fait corps, où la femme objet est à son paroxysme. Troublant, d’autant plus que c’est très beau. Il y a cet homme obèse, prêt à vous exploser à la figure, pour vous dévorer. Il incarne le cannibalisme postmoderne : le corps marchand peut tout manger même une main. Juste retour des choses : après la mal bouffe, la bouffe humaine. Peu à peu, vous voilà pris dans un tourbillon cauchemardesque et enivrant où l’on crée le cérémonial d’un corps  à la découpe (métaphore des greffes), où des perruques en laines de couleurs cachent les visages et leur diversité : l’Europe serait-elle à ce prix ?
Divaguons encore…Alors que les corps d’enfument, comment ne pas y voir un hommage à l’immolation, nouvel art révolutionnaire ?
Tout au long de cette performance, le langage du corps semble entrer par effraction pour sonner la fin de la partie : celle d’une civilisation qui confie le corps intime aux communicants sans poil et sans reproche ;  aux marchands qui, sous prétexte d’assouvir notre soif de consommation, sont prêts à nous transformer en cannibales ; aux professionnels  qui mondanisent, mondialisent l’art à défaut de le politiser.
On peut tout y voir tant cette performance poétise votre sensibilité. Ils sont belges et travaillent actuellement à Berlin, nouvel axe nord-sud. Pour le Kunstenfestival de Bruxelles  en 2012, ils préparent une «vaste production». On y sera pour y placer nos têtes sur leurs corps amputés.
Pascal Bély,« Le Tadorne ».
Miet Warlop, « Art / Collection, trailer Park » du 19 au 24 mai 2011 au Bronks dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.