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DANSE CULTE KLAP, MARSEILLE LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES

Dominique Bagouet, génération Strange.

Je connais trop peu la danse de Dominique Bagouet. Depuis sa disparition il y a vingt ans, je  n’ai approché que deux œuvres. C’était lors d’une très belle soirée à Montpellier Danse en 2007 où «Une danse blanche avec Éliane» et «F et Stein – réinterprétation» m’avait totalement sidéré. Ce soir, un ancien danseur de Bagouet et directeur artistique de Klap, Maison pour la Danse, s’avance vers nous, en confiance: Michel Kelemenisprésente «+ de danse à Marseille»,  un manifeste où pendant une semaine, tout un programme est proposé pour entrer dans l’univers de ce chorégraphe d’exception. Ce soir, «Jours étranges» est repris sous la direction de Catherine Legrand etAnne-Karine Lescop pour neuf adolescents de Rennes. J’ai décidé de m’asseoir à côté des enfants: c’est un bain de jouvence, un geste à la mémoire de Dominique Bagouet, car je pressens que sa danse reliera petits et grands.

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Je ne suis pas déçu. Ces neuf adolescents sur scène dégagent une présence étonnante, un doux mélange de respect et d’affranchissement. Avec la danse de Dominique Bagouet, leur jeunesse est un bel affront; elle est une invitation généreuse à ceux qui connaissent peu l’art chorégraphique; elle est une énergie pour encourager les spectateurs engagés.

Le décor est loin, mais il en impose: de grosses enceintes musicales laissent entrevoir un filet de lumière, un tunnel entre ici et là-bas, d’où l’on entend l’album mythique des Doors, «Strange Days». D’où nous viennent-ils? Est-ce notre jeunesse qui défile ainsi? Probablement. Mais pas que…Il y a autre chose dans «Jours étranges», comme un système d’équations à multiples inconnues entre le désir de vivre et une solitude qui conduirait vers la disparition. Étrange…

Il faut imaginer ces quarante-cinq minutes comme un paysage (le groupe) où les éléments naturels (le rock, le silence) créent un climat (la danse) pour régénérer la nature (notre changement de regard par cette chorégraphie de l’introspection). C’est ainsi que le collectif est plaine, à moins qu’il ne soit terrain caillouteux pour propulser les corps dans le chaos de la métamorphose. Chacun cherche la meilleure façon de danser, d’avancer, de devancer pour créer sa trajectoire dans un paysage qui contient parfois, retient souvent. La danse autorise et empêche en même temps et fait face au désir de liberté de chacun contenu dans la solitude de l’adolescence.

La danse de Dominique Bagouet magnifie l’impuissance d’être «(seul)ement» libre dans son groupe d’appartenance. Il y a ceux qui n’ont peur de rien, dont le corps offre tout ce qu’il est possible de mouvementer. Puis, il y a l’Autre. Comment s’en affranchir tout en ne perdant pas de l’idée que sans lien, aucune liberté n’est à conquérir? C’est dans cet interstice que les gestes de Bagouet s’engouffrent et offrent des moments virtuoses où la danse d’un couple s’évanouit dans la brume d’un amour évanescent. A moins que d’autres corps puisent dans l’énergie de la musique, le désir de s’émanciper pour vivre la solitude comme une l’expérience d’un au-delà.

Je me prends au jeu d’entrer en relation avec chacun, sans perdre le collectif: à quelque endroit que je sois, Dominique Bagouet ne me laisse jamais seul. Ils sont fleuve, je suis de rock tendre.

Alors qu’ils rejoignent le fond de scène, le bruit de leurs pas est battements de cœur à l’approche d’une frontière où le paysage se mue en constellation planétaire.

Celle de nos rêves d’enfance égarés où Dominique Bagouet les éclaire de ses danseurs étoiles.

Pascal Bély – Le Tadorne

«Jours étranges» de Dominique Bagouet. Reprise sous la direction de Catherine Legrand et Anne-Marie Lescop pour 9 adolescents de Rennes. À Klap, Maison pour la Danse à Marseille, le 10 décembre 2012.

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DANSE CULTE PAS CONTENT

« Ten Chi » de Pina Bausch à Nîmes : hahahaha-rararara-kikikiki-riririri.

Les spectateurs sont quasiment tous debout. Je suis assis. Encerclé. Seul. Je veux quitter ce théâtre. Impossible. Il faut attendre que cela finisse. Le public délire. J’aurais pu être avec lui. Mais ce que je viens de voir est au-delà de moi. Ce n’est pas scandaleux sauf que je n’en suis plus là dans mon rapport à la danse.

Pina Bausch a disparu le 30 juin 2009. Ce fut un jour funeste. Depuis, j’ai croisé la compagnie à Monaco avec «Café Müller» et «Le sacre du printemps». Elle n’est plus là, mais sa troupe poursuit la route. Avec des hauts et des bas. Ce soir, à Nîmes, «Ten Chi», inspiré d’un voyage au Japon et écrit en 2004, est une œuvre mineure. Je m’interroge: pourquoi nous proposer une création dont on sait probablement qu’elle n’est pas la meilleure? Sauf qu’auréolé du mythe de la chorégraphe, «Ten Chi» fait un triomphe.

Il y a ce décor, impressionnant, qui vous happe à peine assis. Cette queue de baleine, animal mythique, m’invite au grand plongeon. Les danseuses et danseurs ne cessent de lui tourner autour, mais le célèbrent-ils pour autant ? Pourtant, tout débute par un solo époustouflant. Avec sa longue robe, elle est eau, poisson, vent, mer, soleil. Elle danse le fluide pour nous inviter dans cet environnement aquatique, là d’où nous venons, vers là où nous irons peut-être. Puis, cet univers onirique s’effondre peu à peu. Se succèdent des solos de cabaret où l’on entre et sort à la recherche d’une inspiration pour métaphoriser le contexte du pays. C’est parfois drôle, souvent lourd.
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Pendant 2h40, le procédé fatigue : solo, cabaret, duo, solo, cabaret, duo….C’est interminable. Le propos se répète sans que je ne sois invité au dépassement: tout s’additionne sans se relier. «Ten Chi» emprunte le cheminement classique du spectacle du divertissement: on rit, puis l’on est saisi par une danse virtuose, avant de plonger dans la beauté du décor (notamment quand des pétales de cerisiers tombent sur le plateau à la vitesse de l’intensité dramaturgique). Puis l’on recommence: on rit, …Peu à peu, la troupe réussit à produire l’illusion d’une œuvre majeure accentuée par de beaux écrins relationnels avec le public. Quand Dominique Mercy nous interpelle sur  la meilleure façon de ronfler, il salue notre  corps sifflotant et se veut complice de nos empêchements de dormir en rond. Quand elle s’avance du bord de scène pour compter sur ses doigts à partir des mains de spectateurs du premier rang, la danse est une poésie pour travaux manuels. Quand Dominique Mercy se fait déshabiller par un danseur, ses multiples peaux tombent à terre et la chenille devient papillon du soleil levant.
Pour le reste, je subis une bande-son dépassée, illustrative, sans profondeur. Je tremble lorsque Dominique Mercy danse en solo et semble au bord de l’épuisement. Je soupire de n’avoir pas saisit la beauté et la complexité du Japon, réduit à quelques scènes où la caricature l’emporte sur la compréhension d’une culture (moment pathétique lorsqu’est énuméré toutes les possibles onomatopées :kikikiki-momomo-nononono…,).
Je fulmine de voir s’éclater le groupe lors d’un final où l’on se croise sans jamais s’entrechoquer. J’attends un lien, une rencontre entre danseurs. Peine perdue: les hommes sont ridicules et les femmes sont égocentriques.
Je refuse d’aimer cette pièce parce que mes ressentis ne sont jamais factices, même s’il s’agit de Pina Bausch.
Je ne vais jamais au théâtre pour entrer dans un mausolée. Encore moins pour m’incliner.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Ten Chi » de Pina Bausch au Théâtre de Nîmes du 6 au 9 décembre 2012.
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DANSE CULTE ETRE SPECTATEUR

Sur ma table de nuit, la fleur volée à Pina.

Savez-vous d’où vient cette fleur? Sa photo fut postée par Francis Braun sur la page Facebook du Tadorne. Je lui ai demandé de nous raconter son histoire. Mémoire de spectateur…

Pascal Bély

Arthur Plasschaert a travaillé longuement avec Maritie et Gilbert Carpentier à la télévision. Il a été le chorégraphe de Chantal Goya. Dans les années 80, il venait régulièrement avec sa soeur à Saint-Rémy, et nous parlions souvent de music-hall, de théâtre et de danse et même parfois de spectacles dont il était le chorégraphe….J’y allais sur la pointe des pieds, car Chantal Goya et ses lapins ne me passionnaient pas outre mesure.

Un jour,  il a évoqué certains chorégraphes. Il en parlait avec beaucoup de discernement, de rigueur et d’impartialité. Sa connaissance de la danse ne me laissait pas indifférent et j’étais persuadé que parmi ses choix, certains devaient être passionnants. J’en connaissais certains, et d’autres m’étaient totalement inconnus. C’est en juin 1980, qu’il me conseille d’aller voir ABSOLUMENT un spectacle d’une chorégraphe allemande au Théâtre Municipal d’Avignon pendant le Festival. Ce nom m’était inconnu comme à beaucoup d’autres à cette époque-là. Il me dit d’un ton professoral: «va voir PINA BAUSCH et tu verras !».
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J’ai  hésité à suivre son conseil. Mais vu son insistance et sa conviction à défendre cette danseuse, je pris des places au Bureau du Festival. Je réservais alors un rang entier pour ma famille et mes amis. Nous étions au 8 ° rang….et ce fut LA Révélation.
Pour retracer l’événement, il faut se souvenir…Ce fut en 80, un nouveau départ, une nouvelle démarche pour la direction du Festival…Un bouleversement pour moi aussi, mais également pour de nombreux spectateurs :
“La nouvelle génération du théâtre comme de la danse faisait une entrée en force : Daniel Mesguich (Le Roi Lear), Jean-Pierre Vincent (Les Dernières nouvelles de la peste de Bernard Chartreux), Georges Lavaudant (Les Céphéïdes de Jean-Christophe Bailly), Jérôme Deschamps (Les Blouses), Manfred Karge et Matthias Langhoff (La Cerisaie, Le Prince de Hombourg), Philippe Caubère (La Danse du diable), Pina Bausch (Kontakthof, Walzer, Nelken), Jean-Claude Gallotta (Daphnis et Chloé, Yves P), Maguy Marin, etc.”(Dixit le Festival d’Avignon).
Pina avait conquis les festivaliers sauf, bien entendu certains, qui outrés, scandalisés ou heurtés  avaient quitté la salle en hurlant….
D’abord au Théâtre municipal, EIN STUCK VON...” dansé, orchestré, dirigé, amené avec surprise par une dame, longiligne, cigarette au bec, cheveux longs, maigreur terrible, une dame sortie de Wuppertal, du noir profond de la  lugubre Allemagne, une ombre sortie d’une mine de charbon, une ombre allemande sortie de toutes les Tragédies, une dame sublime dans sa rigueur, dans le geste de ses bras, dans l’abime de son regard.
Pina, Pina, Pina…il fallait l’appeler par son prénom…ainsi elle entrait chez les spectateurs, comme le membre essentiel de notre famille, un gourou, un emblème, la chef de file d’autres spectacles…avant elle, après elle, tout allait, à présent devenir différent.
Notre enthousiasme fut immense. Nous mimions même les farandoles des comédiens qui passaient dans les rangs et faisaient semblant d’offrir du thé aux spectateurs étonnés et ravis. A qui voulait l’entendre, j’affirmais : «il y a un avant et un après Pina». Tout allait changer.
Ein Stuck von” ; “Kontakthof” ; “Café Muller“;  “Bandonéon” ; “Nelken“…
Puis cette fleur, et ses ?illets que j’ai volés sur le Plateau de la scène du Palais des Papes…Mais je m’en foutais, je devais les avoir; quitte à me faire attraper, j’étais devenu l’enfant, celui qui bravait l’interdit. Je les  voulais, je les ai volées et depuis je les aie.
Je les aime bien ces  fleurs….elles n’ont  jamais fané depuis, car c’est évident, c’est l’éternité et c’est peut-être la magie de Pina…
Francis Braun, Le Tadorne.

Alors, d’où vient cette fleur? Vos réponses en commentaires, ci-dessous.

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DANSE CULTE OEUVRES MAJEURES

Mathilde et Jean-François. For ever.

C’est un rendez-vous, tant désiré, depuis tant d’années. «Pudique Acide». «Extasis».

Les titres sont en soi un poème. Reliées entre eux, ils forment un ensemble entre passé (ces oeuvres datent de 1984 et 1985), présent (Mathilde Monnier et Jean-François Duroure en proposent une recréation) et futur (les deux danseurs, Sonia Darbois et Jonathan Pranlas im(ex)plosent par leur jeunesse).

Enchevêtrées, cet ensemble tisse entre nous et la danse, un lien qui traverse les générations de spectateurs et d’artistes. À n’en pas douter, vingt-sept après, il n’a rien perdu de sa pertinence, d’autant plus qu’entre temps, le duo s’est plutôt fait rare. Le solo domine les nombreuses propositions émergentes où l’on sonde le sens à partir de la profondeur d’un geste, à la frontière de l’inconscient.

Le duo est autre. C’est un espace où nous projetons le désir dans la relation à partir d’une infinité de configurations : le jumeau, le semblable, le couple, le différent car complémentaire, le masculin dans le féminin. Le duo est une dynamique qui emprunte tant de chemins chaotiques pour signifier que la cohérence est un processus. Le duo, c’est la communication, en boucle, du haut vers le bas, du haut d’en bas et surtout de travers. Le duo est vital.

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«Pudique acide» vitalise ma relation à la danse contemporaine, car elle est une recherche sur la communication. La dramaturgie fait émerger deux personnages de théâtre, qui m’habiteront tout au long de la soirée.

Comme un éternel (re)commencement, à la lisière de l’adolescence et de l’âge adulte, de la partition chorégraphique et du langage musical. Sur une musique de Kurt Weill, ils s’élancent avec leur kilt dont ils se débarrassent pour mieux se différencier, s’apprivoiser, se chercher et se rechercher. La langue allemande  projette de la nostalgie dans leur futur. Ils osent tels des affranchis. Probablement seraient-ils des indignés aujourd’hui…À ce jeu du chat et de la souris, il n’y a ni gagnant, ni perdant, mais une victoire: celle du désir de se métamorphoser ensemble.

«Pudique acide», c’est se délester de sa jupe pour célébrer la «pudeur des sentiments /maquillés outrageusement / rouge sang»1.

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Dans «Extasis», notre duo nous revient, plus grave. Le kilt provocant a disparu pour se muer en imperméable inquiétant d’où dépasse un tutu florissant. Ils hésitent entre peur et désir de libérer leur énergie créative. Dans ce décor tout blanc de cinéma où le scénario n’est pas encore écrit, ils jouent leur histoire d’amour à mort. Entre réel et fantasme, entre ombre et lumière, entre dedans et dehors, ils renoncent pour avancer, vers soi, vers l’autre. Leur désir est une tragédie. Leur jeunesse, un théâtre où les masques tombent. C’est beau à vous couper le souffle. C’est triste à vous laisser submerger par la joie de ressentir une danse d’une vitalité saisissante.

À la nuit tombée, «Extasis» est une danse de libellules  sensuellement transmissible.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Pudique Acide / Extasis » de Mathilde Monnier et Jean-François Duroure au Théâtre de l’Olivier le 5 novembre 2011.

Les dates de tournée sont ici.

(1) “Les dessous chics” de Serge Gainsbourg.

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DANSE CULTE FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, le «Petit projet de la matière» fait de l’ombre au “Sun” light.

Cette année, les enfants sont sur scène. C’est l’un des choix artistiques de la direction du Festival d’Avignon. Ils sont amateurs, entourés par des professionnels qui doivent laisser s’exprimer ce qui relève de l’enfance, tout en évitant l’infantilisation. Retour sur deux propositions.

En ce mercredi 6 juillet 2011, le plus grand festival de théâtre du monde s’ouvre à 15 heures avec «Petit projet de la matière». Depuis janvier dernier, Anne-Marie Lescop travaille avec seize élèves de l’École Monclar d’Avignon afin de leur transmettre l’expérience de «Projet de la matière» d’Odile Duboc et Françoise Michel.

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Au commencement, un mouvement nous saisit : un petit garçon entre sur scène par la gauche pour la traverser et toucher l’?uvre de la plasticienne Marie-José Pillet. Sa démarche hésitante et déterminée n’est pas sans me rappeler la traversée du festivalier : où allons-nous  en ce début de festival? Vers quel projet ? Nous voilà accueillis de la plus belle des façons ! Une fois arrivé, un groupe d’enfants le rejoint pour ressentir à son tour ce décor minéral fait de grosses pierres, de mur de granit et de monticules de terre grise où les corps se fondent pour former des statues vivantes. Ce qu’ils éprouvent nous est immédiatement transmis.  Ici, le corps est sculpture pour entrer dans notre musée de la danse ! L’eau est partout et pourtant absente du plateau : cette danse qui fait illusion procure une douce sensation de bien-être d’autant plus qu’elle célèbre la communication ! Ici, on se jette dans l’espace pour se fracasser ou se fondre dans la matière, on se soutient, on s’isole pour se ressourcer et nourrir le lien avec l’autre. La force du groupe parvient pas à pas à faire entrer le végétal dans cet univers minéral : l’enfant pousse comme un lierre contre le mur, explore et malaxe comme un paysan qui laboure sa terre,  change comme la sève qui nourrit la branche. Peu à peu, un monde imaginaire de l’enfance se relie à notre vision d’adulte. De cette rencontre, naît la joie d’être un spectateur qui grandit avec eux.

Mais un regret : ces enfants paraissent parfois réservés comme si la transmission se confondait avec l’apprentissage d’un savoir normé.

«Sun» de Cyril Teste et le collectif MxM est une proposition théâtrale qui campe deux enfants en quête d’un ailleurs à l’aube de leur adolescence. La feuille de salle nous précise que l’histoire s’inspire d’un fait réel. Soit. On peut toujours s’y raccrocher lorsqu’on est pris de bâillements intempestifs. Le dispositif scénique articule avec une précision millimétrique vidéo, plateau pivotant, décor amovible et son numérique. Autant dire que nos deux chérubins sont cernés : rien ne vient explorer leur univers tant le langage est policé jusqu’à paraître lisse.  Le tout est trop suggestif comme s’il fallait démontrer la fonction des nouvelles technologies au détriment du sensible. Cyril Teste semble poser un postulat pour le moins contestable : l’enfance devrait nous faire rêver? On pourrait y déceler une poésie théâtrale, mais je ne vois qu’une scénographie travaillée aux dépens d’une mise en scène courageuse et assumée. On ne l’écrira jamais assez : l’outil en soi ne véhicule pas le sens. Un  enfant n’est pas comédien (sauf quand on lui fait dire des propos d’adultes) : le théâtre doit donc pouvoir lui offrir un espace de liberté dans son lien avec l’adulte. Dans «Sun», celui-ci se réduit à l’apprentissage d’un noeud de cravate et d’une caresse sur les cheveux.

Sans matière, sans chair, «Sun» est un petit projet…

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Petit projet de la matière » d'après « Projet de la matière » d'Odile Duboc et Françoise Michel les 6, 7 et 8 juillet 2011.
« Sun » de Cyril Teste du 7 au 13 juillet 2011 au Festival d'Avignon.
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DANSE CULTE OEUVRES MAJEURES

Sacré choeur!

Calmement, mais sûrement, nos pas nous conduisent vers eux. L’événement est d’importance mais nous ne sommes pas tous là. Ailleurs, cela aurait été assurément complet. Pas ici. Et pourtant, nous sommes au Ballet National de Marseille. Rien n’y fait. Obsédés par le foot, les médias font-ils seulement attention à ce qu’il y a de plus fragile et de plus beau dans cette ville?

Car ce soir, ” Le(ur) sacre” par Thierry Thieû Niang et Jean-Pierre Moulères est un troublant moment de danse. Ils sont vingt et un séniors engagés dans ce «Sacre du printemps. Tableaux de la Russie païenne en deux parties d’Igor Stravinsky» pour trente-huit minutes enivrantes. La feuille de salle les présente comme des “êtres dansants” pour nous rappeler que nous le sommes tous. Le miracle est probablement là : à les voir parcourir la scène et se métamorphoser, eux c’est nous. Tout de noir vêtus et affublés pour la plupart d’entre eux de perruques dont ils se délesteront progressivement, le «Sacre» va les désacraliser et opérer la métamorphose.

Ici, vieillir c’est se mettre en mouvement autour d’un centre de gravité (symbolisé par un puits de lumière dans lequel nous plongerons tous). Tandis qu’un homme  s’engage dans une course non pas contre, mais avec la montre, le groupe s’approche, s’éloigne du centre comme entraîné par la force du mouvement collectif.  Ils n’ont pas tous le même rythme et pourtant, la tribu n’éclate jamais. Entre l’homme qui court comme un jogger et celui, plus imposant, qui marche doucement pour avancer libre, une évidence s’impose: et si c’était le même homme ? Cette image ne me quitte pas : sur scène, tout se dédouble et je suis l’observateur attentif qui n’en perd pas un de vue pour ressentir le tout. Celui qui court joue ce que la société attend de lui (dénier la vieillesse pour célébrer la performance) tandis que son «double» n’a plus la contrainte d’incarner un rôle social. C’est ce contraste qui « fait » danse et spirale, où le mouvement de chacun produit celui du groupe. Peu à peu, les gestes se font plus relationnels les uns vis-à-vis des autres. Les corps se dévoilent tandis que certains quittent un à un la scène. Elle est seule, seins nus, à rester en piste. Elle nous regarde comme un retour vers la mère, à l’origine du monde. Magnifique humanité!

C’est alors que Thierry Thieû Niang, Stéphanie Auberville et la violoniste Saori Furukawa entreprennent une danse de sept minutes. Je perds l’écho avec « le Sacre ». 

A mon âge, il m’arrive d’être un peu sourd…

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Le(ur) Sacre » et « Au Zénith » de Thierry Thieû Niang au Ballet National de Marseille les 10 et 11 décembre 2010.

Crédit photo : ©Marc Strub

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON DANSE CULTE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Une “salve” d’oeillets par Pina Bausch à la Biennale de la Danse de Lyon.

Elle a disparu le 30 juin 2009. Au Festival d’Avignon, il y a eu cet hommage, ce moment fragile autour d’un parterre d’?illets imaginé par Raimund Hoghe, son ancien dramaturge. Le 13 octobre 2010, sortira en salle, « les rêves dansants » d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann, beau documentaire (voir vidéo) qui retrace l’aventure d’un groupe d’adolescents sélectionnés pour interpréter « Kontakthof », l’une de ses oeuvres mythiques.

Mais cela ne suffit pas à voir au-delà, à s’imaginer l’avenir de la danse contemporaine sans Pina Bausch. Et pourtant…Il y a eu les chocs de la programmation du Festival d’Avignon autour du corps l’été dernier. Deux mois plus tard, la Biennale de la Danse de Lyon poursuit l’Oeuvre. En programmant au cours d’un week-end «Nelken» de Pina Bausch, «Salves» de Maguy Marin (article du Tadorne  ici), «fondly do we Hope?Fervently do we pray» de Bill T.Jones, tout s’éclaire.

A commencer par l’extraordinaire vision de l’art chorégraphique portée par Maguy Marin. « Salves » aura probablement le même destin que « May B », l’une de ses oeuvres majeures, créée en 1981. Là où Pina Bausch théâtralisait la danse, Maguy Marin chorégraphie le théâtre. C’est une victoire du corps et un tournant : la danse n’a peut-être plus besoin de questionner en permanence son esthétique. Elle se doit d’habiter un propos et d’y intégrer son histoire. Mais surtout, la « danse théâtre » repose sur la sensibilité du spectateur, qu’elle provoque, électrise, pour «décontaminer» notre regard. Dit autrement, Maguy Marin repolitise à partir d’un art qu’elle « traumatise » pour sortir enfin de la « pensée molle ».

Rien de tel avec Bill T.Jones. En répondant à une commande pour célébrer le 200ème anniversaire de la naissance d’Abraham Lincoln, la danse n’est ici que prétexte pour embaumer l’histoire. On cérémonise là où l’on aurait apprécié un propos engagé.  Bill T.Jones propose une danse officielle (qui n’a rien à envier à l’art nord-coréen), sans dynamique, alourdie par une mise en scène conventionnelle (ah, le rideau que l’on ouvre et que l’on ferme !). A ce jour, il n’y pas de doute, la danse «contemporaine» est belle et bien en Europe.

C’est un parterre d’oeillets qui accueille.

« Nelken » de Pina Bausch et ses vingt et un danseurs accueillent le spectateur et son désir de danse. Ce soir, à l’Opéra de Lyon, tous les rêves de danse sont permis, même avec le petit doigt.
C’est un parterre d’oeillets, entretenu par Pina Pausch, depuis longtemps “piétiné” (dans le bon  sens chorégraphique du terme!) par tant d’artistes inspirés par son oeuvre! Tout au long de ces deux heures prodigieuses, je n’ai cessé d’imaginer en chacun des danseurs, un chorégraphe. A savoir, tous ceux qui m’accompagnent dans mon parcours de spectateur à m’éloigner de l’illusion du mouvement bavard  pour me recentrer sur le sens.
C’est un parterre d’oeillets, celui de notre scène chorégraphique, délicatement protégée par Dominique Mercy (il dirige aujourd’hui le TanzTheater Wuppertal Pina Bausch; voir la vidéo). Il est ce soir, notre frère de danse.
C’est un parterre d’oeillets, pour que chaque spectateur puisse faire sa révolution, sa réévolution et s’interposer dès que le désir est maltraité par le Pouvoir.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y perdre, pour substituer à notre animalité, une robe de soirée, parce que de dessous, on y voit l’origine du monde.
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C’est un parterre d’oeillets, où tous les corps vieux et jeunes forment le jardin des délices, mais aussi le camp de ceux qui n’en sont pas revenu.

C’est un parterre d’oeillets piétiné par notre toute-puissance de spectateur avide de spectaculaire et dont il ne faut pas grand-chose, des petits gestes avec la main, pour apaiser ses pulsions mortifères.
C’est un parterre d’oeillets assiégé par la barbarie, où l’on se jette seul d’une passerelle tandis que le collectif  poursuit sa danse, coûte que coûte. Parce que, le corps dansant…finalement.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y allonger, puiser la force de se relever pour être « femme debout !», « homme debout ! »…
C’est un parterre d’oeillets pour y créer l’assemblée constituante. Celle des spectateurs dansants, rêvant d’une société fraternelle, protégée par les artistes vigiles.
C’est un parterre d’oeillets pour que la danse célébre le fragile et donne la force d’accueillir les «salves» de Maguy, tous les corps tordus de folie, d’amour de Raimund et Pippo…

C’est un parterre d’oeillets où se cache la poésie de mes chorégraphes « chéris »…

Pascal Bély – Le Tadorne

"Nelken" de Pina Bausch du 15 au 20 septembre 2010 / "Salves de Maguy Marin du 13 au 19 septembre 2010/ « fondly do we Hope?Fervently do we pray » de Bill T.Jones du 18 au 22 septembre 2010 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.
Crédit photo: Ursula Kaufmann
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DANSE CULTE LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES Vidéos

Le Tadorne a cinq ans : Bel anniversaire.

Trois blogueurs dialoguent suite à la pièce du chorégraphe Jérôme Bel,  « The Show Must go on ».  Jérôme Delatour d’Images de Danse et Guy Degeorges d’Un soir ou un Autre assistèrent à la représentation au Théâtre de la Ville à Paris en mai 2010, Pascal Bély du Tadorne au Théâtre des Salins de Martigues en février 2005. Avec un étrange dénouement pour ce dernier…


Jérôme
Delatour : « The Show Must go on », de Jérôme Bel, est une pièce créée en 2001 que je devais avoir vue et qui, en effet, est importante. On l’associe à la “non-danse”, un hypothétique courant de la danse contemporaine qui fait crier certains. Et encore plus quand la chose est interprétée, comme depuis 2007, par les danseurs du ballet de l’Opéra de Lyon !

Aucune importance.

Pascal Bély : C’était important. Le 4 février 2005, au Théâtre des Salins de Martigues, la salle est clairsemée. Dès les premières minutes du spectacle, la tension est palpable, alors que nous sommes plongés dans le noir, pour une attente interminable. A cette époque-là, je vais au spectacle pour me divertir et je ne saisis pas encore que la danse est un acte politique. Quand au courant de la « non-danse », j’en ignore son existence…

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Jérôme Delatour : Que voit-on ? Sur un plateau nu, 30 jeunes gens en habit de ville, dont seize garçons, debout face à nous, les bras ballants. Quand une chanson survient, ils dansent, quand elle s’arrête ils s’arrêtent. Les chansons se succèdent jusqu’à la fin, à la manière d’un jukebox.
Les spectateurs qui s’en tiennent à ce premier degré de lecture sont évidemment déçus. Ceux qui admettent qu’un spectacle puisse être politique y voient une métaphore ; une métaphore du totalitarisme moderne, du fascisme libéral planétaire. Voilà des individus sans volonté qui obéissent au doigt et à l’oeil. C’est glaçant, parce qu’ils nous ressemblent trait pour trait. Oh ! plus d’uniformes ni de canons, plus de morts ni de larmes ; plus que jamais, l’horreur se joue en coulisses, à l’insu de notre plein gré.


Guy Degeorges : Tu métaphorises, et c’est symptomatique. Tu réagis à ta façon. Tu n’as pas le choix.

Plutot que de manipulation, je parlerai ici de provocation. Dans une logique de performance. Tu interprètes à un niveau politique. D’autres spectateurs du théâtre réagissaient selon leurs moyen propres: à voix haute, en chantant, riant, en écrivant des sms, etc… L’intérêt de cette proposition  est de créer une relation inhabituelle entre spectacles et spectateurs. Comme l’on dit souvent “le spectacle était dans la salle”. Puisque Jérôme Bel prenait le partie de ne pas présenter de danse “dansée”, ni signifiante, que de l’absence d’action ou de la danse pauvre et de refusait de répondre à toutes nos habituelles attentes. Je ne vais pas jouer le rôle du râleur ou du reac de service. Il se passait des choses intéressantes. Une dame chantait très bien. Mais, à la vérité, je me suis ennuyé. Car la situation pouvait paraitre libératrice dans un première mouvement, mais devant au fond manipulatrice et enfermante: nous perdons la possibilité de critiquer car nous sommes devenus partie prenante du spectacle. Il devient impossible de se situer “à l’extérieur” 

Pascal Bély : Oui, pour la première fois, j’étais dedans. Et c’était là le plus extraordinaire. Pour la première fois, un chorégraphe m’interpellait : « tu fais partie du jeu ». Non que je puisse monter sur scène, mais que la danse était une interaction entre le spectateur et le danseur où circule le désir. Quelle découverte ! Je me souviens encore de la salle : des sifflets, des hurlements, des cris de joie. Je  m’enfonçais dans mon fauteuil, intimidé, joyeux, apeuré, ?Pour la première fois, je me sentais exister comme spectateur parce que j’étais TOUCHE et qu’un artiste venait chercher le « ça », le « surmoi » et tout le « tralala ».

Jérôme Delatour : Jérôme Bel se livre à un exercice de manipulation malicieux. Il opère un choix ouvertement tendancieux dans l’immense réservoir des tubes planétaires, les détourne avec ironie. Chaque refrain devient un slogan, une injonction à faire, à être, à rêver, pense à notre place, nous berce, nous tue. La pop héritière de la fanfare militaire, et nous bons petits soldats de la consommation, marionnettes marchant au doigt et à l’oeil, le doigt sur la couture d’un jeans Diesel. Et post musicam, animal triste.

Guy Degeorges  : C’est cet aspect qui est douteux, jusqu’à toucher au procédé. Je cite la feuille de salle (complaisante comme toutes les feuilles de salle) “Le DJ enchaine les rengaines des quinze dernière années qui soudain se répandent en effluves de souvenirs et picotent au coin du coeur” Autrement dit, l’effet “radio nostalgie”?

Pascal Bély : Il fallait ce procédé pour travailler la posture du spectateur. Qui n’a pas dansé sur ces tubes ? Qui n’a pas désiré en écoutant ces ritournelles ? Oui, cela picotait mais au-delà de cette sensation, il y a avait cette question : « que fais-tu là dans cette salle de spectacle ? ». C’est à partir de ce processus, que les spectateurs ont commencés à s’engueler dans la salle. « Mais ce n’est pas de la danse » me lance une femme furieuse ! Et moi, de lui répondre : « mais madame, la danse ce n’est pas que du mouvement ». Je me souviens encore de cette réponse ! Mais où étais-je allé chercher ça ?!

Jérôme Delatour : Evidemment, la musique n’est pas en cause. Ni John Lennon ni Céline Dion, dont le crime essentiel serait la mièvrerie ou le bon sentiment (et la compatibilité totale avec la société mercantile), ne sont des dictateurs en puissance, mais celui qui exploite, organise, systémise, transforme leurs fleurs en pilules et en munitions. Qui est-il ? Où se cache-t-il ? C’est alors seulement qu’on le remarque, tapi dans la fosse d’orchestre. Une espèce d’Ubu de l’ombre qui passe les disques. Nous ne tenons qu’à un disque. Le DJ est un dieu, “Killing me softly with his song“. Dieu est un DJ. A ce point de sa démonstration, Jérôme Bel lâche un peu les danseurs et se met à jouer insidieusement avec les nerfs du public.

Guy Degeorges  : CA faisait un bout de temps qu’il jouait avec les nerfs…dépuis le début.

Jérôme Delatour : Oui, c’est bien de nous dont il s’agit dans cette pièce, au cas où nous ne voudrions pas l’avoir remarqué. Dès le début, histoire de nous conditionner, il nous avait plongés dans le noir en nous distillant des chansons entraînantes ou niaises. Soudain, lumière rouge et Piaf. Puis retour au noir complet avec “The Sounds of Silence” (“Hello, darkness my old friend…“).

Guy Degeorges  : Avoue que les ficelles sont un peu grosses, et les jeux de mots faciles! “let the sun-shine“: et la lumière monte, “Yellow Submarine“: les danseurs disparaissent dans les cintres sous une lumière jaune, tout à l’avenant. On serait plus sévère en écoutant ça sur une scène de café-théâtre. Mais une fois de plus, on se situe hors tout jugement esthétique possible, hors de l’esthétique.   

Pascal Bély : Oui, on est hors de l’esthétique. C’est au niveau du processus que l’on peut lire cette pièce, sinon c’est l’ennui assuré (quoique s’ennuyer est aussi un positionnement défensif). Bel ne vient chercher aucun savoir, mais intranquilise une posture, celle du spectateur, que bien des programmateurs ont confortablement installé dans un fauteuil moelleux. C’était la première fois que le public de Martigues vociférait de la sorte et ses cris étaient un acte politique. Je me souviens avoir fait le lien avec les protestations du public quand, en 2003 en Avignon, il n’avait pas eu ce qu’il voulait.

Jérôme Delatour : Et rebelote. Chanson. Lumière. Silence. Noir. Chanson. Silence. Lumière. Ces méthodes ne vous rappellent rien ? Le public est électrique, désarçonné. Il voudrait maîtriser la chose, mais il est pris au piège. Alors ça trépigne, ça crie des bêtises, ça pianote sur les portables, ça prend des photos… Le premier qui publie sur Facebook a un prix !

Guy Degeorges  : Je l’ai fait, je l’ai fait! J’ai posté 50 commentaire sur facebook en direct et qu’ai je gagné? Rien du tout. A part avoir faire rire Pascal peut-être. Et ça m’occupait les doigts. Cette tentative pour me situer hors du jeu et inventer une nouvelle réaction était vouée à l’échec. J’étais manipulé; Dans ce contexte, tout comportement inhabituel devient légitime, récupéré, partie intégrante du système spectaculaire. Sur le coup cela m’irrite; mon premier réflexe est de dire “on m’a déjà fait le coup” du non-spectacle. J’ai eu la même réaction face à certaines propositions performatives (cf. les gens d’Uterpan). Sans que cela n’explique les raisons de mon irritation car je peux réagir favorablement à la répétition d’autres procédés spectaculaires…  

Pascal Bély : En 2005, il n’y avait pas de Smartphone…

Guy Degeorges : En refléchissant à ta réaction, lorsque que tu étais un “jeune” spectateur, cela n’implique-t-il pas que cette proposition n’a d’intérêt que pour un public relativement vierge, habitué à des codes de représentation plus conventionnel? Pourrais tu revoir cette piece?

Pascal Bély : Encore aujourd’hui, en écrivant sur ce « show », l’émotion me submerge car c’est mon acte de naissance de « spect’acteur ». La revoir, serait de vivre un « dedans-dehors » jubilatoire.

Jérôme Delatour : Ca reprend les refrains en coeur, ça sa dandine un peu, ça agite son portable à défaut de briquet (jamais vu autant de portables allumés), histoire de ne pas perdre la face.

L’apprenti tortionnaire poursuit ses expérimentations. Que se passe-t-il si chacun emporte sa musique avec soi, casque aux oreilles ? Jérôme Bel a prévu le coup. Hé bien il ne se passe rien de plus.

Guy Degeorges  : Non il ne se passe jamais sur scène- c’est fait exprès, c’est le concept. Il se passe des choses dans le système salle-scène.

Jérôme Delatour : Les individus ne sont pas libérés, juste isolés, en prise directe avec des pensées préfabriquées, emmurés dans le paradis artificiel des égos hypertrophiés. “Should I stay or should I go? » “I’m bad“. “Je ne suis pas un héro“. “J’adore“. “I’m gonna live forever“. “I’ve got the power“.
Entretemps, le DJ aura dansé lui aussi. Finalement, ce n’était qu’un sous-fifre. Mais alors, qui est le grand manipulateur ? Allons allons, nous nageons en pleine théorie du complot. Nous ne sommes manipulés que parce que nous le voulons bien. The Show must go on, sinon il nous faudrait regarder la réalité en face, avoir du courage, la volonté d’être et de faire quelque chose.
Et si on essayait ? Ne serait-il pas grand temps de nous secouer, plutôt que de bouger notre anatomie ? 

Guy Degeorges  : You’ve got to move it, move it? C’est le mot de la fin, façon dessin animé ?

Pascal Bély : « You’ve got to move it, move it ». En quittant le théâtre, je chante points serrés. « Mais pourquoi vas-tu au spectacle ? Pourquoi gueulaient-ils ? Je suis un spectateur. Je suis un spectateur »
. Emancipé ? Le 22 mai 2005, je créais le Tadorne.

Jérôme Bel, sans rien savoir de mon histoire, fut le premier chorégraphe à mettre le lien du blog sur son site.

Guy Degeorges, Jérôme Delatour, Pascal Bély.

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DANSE CULTE EN COURS DE REFORMATAGE Vidéos

Retour aux sources avec Odile Duboc.

La chorégraphe Odile Duboc n’est plus. Une de ses oeuvres, “Rien ne laisse présager de l’état de l’eau” m’avait bouleversé en 2008. Je me souviens des lumières de Françoise Michel et de l’état « liquide » dans lequel je me trouvais alors…Inoubliable…Cette danse sensible et éclaireuse va me  manquer…

Rarement la rédaction d’un article ne m’a autant impressionné. Intimidé, j’écris à partir de ma confusion, sans trop savoir où j’évolue. “Rien ne laisse présager de l’état de l’eau”, d’Odile Duboc, chorégraphie créée en 2005, est un spectacle pétri d’incertitudes car il interroge nos certitudes. Où va-t-on avec elle, avec eux? Ce titre est une musique qui trotte dans la tête, un air fragile et engagé qui, après une journée de travail épuisante, donne la force de dépasser sa fatigue pour se rendre au Pavillon Noir d’Aix en Provence.
J’y entre, je m’assois et je ne bouge plus. Je reste figé pendant une heure. À leur arrivée, ces dix danseurs sont loin ; je perçois à peine leur visage, mais leur corps s’impose. La scène rouge, légèrement pentue, est l’espace d’une course individuelle où les habits tombent puis changent telle une combinaison de couleurs d’un dessin animé. Ils stoppent. Le groupe, éclaté, fait fusionner les corps avec le sol comme une matière organique qui se mélange à la terre. Mon regard se fond avec eux. Je résiste pour comprendre la mécanique de ce fluide qui se répand. Je contrôle pour figer, pour découper. Il faut lâcher l’intellect sinon rien n’entrera.


C’est alors qu’ils s’avancent, deux par deux. L’un soutient l’autre qui finit par se liquéfier pour tomber à terre. Le mouvement se répète. Je glisse. Mon regard fuit, fixe, balaye, malaxe comme cette matière qu’Odile Duboc réinvente, telle une plasticienne. Une légèreté m’envahit. C’est magnifique comme un tableau de la renaissance; sublime quand ils cheminent hésitants, habités d’une force collective, échappés d’une scène de “May B de Maguy Marin. Progressivement, avec peu de mouvements, Odile Duboc transforme le corps en oeuvre d’art, aidée par les jeux de lumière emprunts de religiosité de Françoise Michel. Elle multiplie les petits espaces où les couples sont statues, où le groupe se sculpte pour se mettre en dynamique. L’immobilité devient alors un fluide corporel qui se propage au collectif. Magnifique. C’est ainsi que je change de territoire, où la scène est le liquide amniotique de mon imaginaire, où les hommes dansent comme des centaures, où l’animalité et l’humanité fusionnent et finissent par fluidifier mon regard alors que je voulais conceptualiser. Avec cette oeuvre, les affects sont à distance et me permet d’interroger mon rapport au corps.
Le talent d’Odile Duboc est de nous plonger dans les valeurs collectives du groupe comme espace du corps signifiant. Il n’y a rien de révolutionnaire dans le propos, mais cette interpellation est une cure de jouvence. Au cas où nous aurions oublié que le corps n’est pas une marchandise.
Même si cela coule de source.

Pascal Bély
www.festivalier.net

“Rien ne laisse présager de l’état de l’eau” d’Odile Duboc a été joué le 28 février 2008 au Pavillon Noir d’Aix en Provence.

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AUTOUR DE MONTPELLIER DANSE CULTE

« Branle-bas » et pétards mouillés à Montpellier.

Le chorégraphe sud-africain Steven Cohen est de retour en France. Il est l’invité pour deux soirées, du Centre Chorégraphique National de Montpellier. Depuis sa dernière création « Golgotha » vue lors du dernier festival d’Automne de Paris,  il est mon « pédé papillon ». Juif, homo, blanc, il porte ce soir des chaussures à très hauts talons et une robe « arc en ciel ». Ses grands cils illuminent son visage orné d’un maquillage fait d’étoiles filantes. Il nous offre une « performance » et deux films.

En levant la tête, on l’entend arriver. Il danse sur la voûte de verre qui relie les ailes du bâtiment. Nous devons presque nous coucher dans le hall d’entrée, yeux rivés vers le ciel. Il est notre danseur étoile. Sur la pointe des pieds, il regarde la ville, mais il est emmuré, encerclé par l’Agora, future « cité internationale de la danse ». Montpellier n’est pas Vienne, capitale où il provoqua ses habitants en 2007 alors qu’il nettoyait le sol avec une énorme brosse à dents et un diamant dans le cul (en mémoire aux juifs humiliés par les Viennois qui pendant la seconde guerre mondiale devaient lustrer  les trottoirs et les rues avec cet outil minuscule). À Montpellier, Steven n’ira pas au-delà du Centre. À croire qu’une fois arrivée en France, sa danse n’est plus politique. Il est au coeur d’une institution qui, ce soir, le maintient en ses murs (Au CCN, la politique est dans le petit livret distribué à l’entrée où l’on peut y lire cinq lettres adressées à Brice Hortefeux, ministre à l’époque de l’immigration et de l’identité nationale.)

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Il danse sur ce « plafond de verre » qui sclérose tant la société française. Son corps colle, se relève, s’élance puis retombe. Mon « pédé papillon » a du plomb dans l’aile. Il peut toujours brûler son tutu, il n’est guère plus allégé, tout au plus, son sexe se transforme-t-il en lance-flamme qu’il agite avec l’énergie de son corps. Quitte à se regarder le nombril, autant descendre plus bas. La magie n’opère pas. Le discours se réduit à d’amusants mouvements qu’un jet d’eau dirigé depuis une fenêtre, anéantit. Mes voisines adolescentes rient, gênées. Je ne leur demande même pas de se taire. Et si Steven Cohen nous renvoyait l’image d’une société française emmurée dont l’endurance n’irait pas plus loin qu’une éjaculation contenue ?

Nous sommes ensuite invités à rejoindre le studio Bagouet pour la diffusion des deux films : le premier sur sa performance à Vienne, le second sur la femme de ménage de ses parents (et qui l’a en partie élevé) où il lui offre un strip-tease pour son dernier jour de travail. Elle a plus de quatre-vingt-cinq ans (voir un extrait dans la vidéo d’Arte).

Entre ces deux écrins militants, nous avons droit à un échange convenu à partir d’explications qui n’en finissent plus. Steven Cohen semble s’ennuyer. On aimerait ne plus entendre ses mots, juste le regarder, s’asseoir en cercle autour de lui, fermer les yeux. Pour que sa danse du déséquilibre et de la provocation, nous redonne le goût de la poésie qui gratte, celle justement qui  pousserait les murs de nos cloisons.

Pascal Bély- www.festivalier.net

Steven Cohen au Centre Chorégraphique National de Montpellier dans le cadre de « Domaines » ; les 7 et 8 avril 2010.