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Heureux qui comme le danseur.

Et si les processus de « Marseille 2013 » s’étaient joués ce soir, dans cette petite salle des « Bancs Publics », à partir d’un maillage pour le moins complexe? Le public coloré, divers et bruyant est là pour  « LosT&Founds », fruit d’une collaboration de quatre chorégraphes (Haïm Adri de la Compagnie Sysiphe Heureux, Helena Berthelius du tenerifedanzalab, Talin Büyükkürkciyan et Ömer Uysal du collectif çati) venus de trois pays (France, Espagne, Turquie).

Chacun est allé recueillir des témoignages d’histoires familiales, pour les métamorphoser en mythes et les articuler les uns aux autres afin de former cette oeuvre totalement inclassable. Il en aura fallu de l’écoute, de la créativité, des tensions, voire même des encouragements et des désillusions pour arriver à un tel résultat ! Il faut du respect envers le public pour lui faire confiance à ce point : le spectateur n’a de toute manière plus le choix. Il doit y aller aussi, lâcher de tout son corps, pour entrer dans cet univers où la métaphore tient lieu de langage, où le corps véhicule tout ce qu’il peut supporter, où les objets se transforment peu à peu en objet d’art. Car pour opérer ces processus de transformation, il faut des danseurs hors pair (ils le sont tous) capables de créer la turbulence afin qu’un seul battement de cils provoque la propagation. Il faut aussi contenir l’espace de l’imaginaire partagé à partir de tableaux bibliques et orgiaques, d’histoires de l’enfance, où le rôle du fou crée la démesure, l’apocalypse pour que cohabite toutes ces identités. La famille est bien l’espace où nous avons fait nos premiers pas d’acteurs, où nous aurions approché la dramaturgie, où notre corps devait déjà entrer dans la danse pour « faire corps ». Ici, l’identité n’a plus rien de « nationale » : elle puise ses ressorts dans le chaos psychologique (cris, peurs, replis, désirs,…) et les mythes familiaux transmis de génération en génération à l’image de ce landau qui, tel une caisse de résonnance, propage l’onde de choc sur le plateau.

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Cette plongée dans l’identité vous perd parfois, comme une séance de psychanalyse où vous auriez oublié « l’autre » resté là-bas.  Ces différents tableaux ne nous dispersent pourtant jamais car en interrogeant le mythe (qu’il soit celui d’une famille ou d’un pays), ces douze danseurs créent en même temps le collectif qui nous permet de l’introspecter : l’acte technique est artistique (à tour de rôles, chacun est éclairagiste),  les mots du danseur sortent du corps de l’acteur, le décor est « porté » par les acteurs (et non transporté vers eux). La scénographie entre dans la danse, fait saigner cette humanité dans laquelle je plonge pour y puiser la force de la regarder.

« Los&Founds » est un moment de partage qui aurait pu se prolonger après la pièce avec Haïm Adri et ses camarades de « je ». Car l’homme est généreux et je me prends à rêver de le retrouver en 2013. Il pourrait créer avec d’autres l’oeuvre mythologique des temps modernes qui manque temps à Marseille, ville éclatée par les discours usés et fatigués sur l’identité nationale.

Pascal Bély-www.festivalier.net

« Los&Founds » a été joué les 20 et 21 janvier 2010 aux Bancs Publics à Marseille.

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Rayhana agressée: communiqué de la Maison des Métallos.

Depuis le 8 décembre, 9 comédiennes montent chaque soir sur la scène de la Maison des métallos, Etablissement culturel de la Ville de Paris, pour interpréter A mon âge, je me cache encore pour fumer. Elles incarnent 9 figures de la féminité aux prises avec le refoulement et la violence, réunies dans un hammam à Alger. A la suite d’une première intimidation verbale en décembre, Rayhana, auteure de ce texte et comédienne, a été aspergée d’essence en se rendant à la représentation du mardi 12 janvier. Ses agresseurs lui ont ensuite jeté une cigarette allumée au visage, qui n’a fort heureusement pas enflammé leur victime. Les paroles de ses agresseurs laissent peu de doutes sur le lien existant entre cette tentative d’homicide et les représentations en cours d’A mon âge, je me cache encore pour fumer. Après concertation, la Maison des métallos et la Compagnie ont décidé de poursuivre les représentations jusqu’à leur terme, la barbarie de cette agression venant confirmer à leurs yeux la pertinence et la justesse de ce texte.
Signataires : la Maison des métallos et la compagnie OrtenAGRESSEE.jpg

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2009 : merci.

Ce sont des chemins de traverse, des rencontres imprévues, des chocs, souvent à la marge. Ces ?uvres dessinent le paysage chaotique de la création, celui qui vous détourne le regard des voies toutes tracées.


 « Football » – performance collective et individuelle de Léopold Pan ? Galerie les Grands Bains-douches (Marseille)

« Golgotha » – Steven Cohen ? Festival d'Automne (Paris).

« DU CARACTÈRE RELATIF DE LA PRÉSENCE DES CHOSES » – I.R.M.A.R– Montevideo (Marseille).

 « Wunderkammer Soap #1 Didon » – Ricci et Forte ? Festival Actoral (Marseille).

« Liquide » – Christophe Haleb ? Festival Uzès Danse.

« Vice-Versa » – Ildi !eldi ? Montévidéo (Marseille).

Four Deaths” – Collectif Via Negativa– Festival Komm’n’act (Marseille).

 « Smatch »- Dominique Roodthooft – KunstenFestivalDesArts (Bruxelles)

?Le printemps de septembre? ? Toulouse.

?Animal Anima? ? Fondation Blachère ? Apt (Vaucluse)


 

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Chapeau à ce collectif d'artistes marseillais qui sous la houlette de Léopold Pan nous a offert avec « Football » une performance osée autour des secrets de familles qui, mit bout à bout, ont formés un fil d'Ariane auquel nous nous sommes accrochés.

Bravo au chorégraphe Sud-Africain Steven Cohen qui nous a bouleversés avec « Golgotha », performance mortuaire sur la valeur de la vie.

Félicitations au collectif IRMAR (Institut de recherche menant à rien) d'avoir mis en abyme la poésie pour « rien », matière envahissante de l'époque.

Toute ma reconnaissance au couple italien « Ricci et Forte » d'avoir un soir d'automne réveillé les plaies de l'amour à mort.

Merci à Christophe Haleb de sa confiance pour avoir osé nous montrer avec tant de délicatesse une étape de travail (« liquide ») au c?ur du festival Uzès Danse.

On n'oubliera pas de sitôt la troupe Ildi ! eldi et leur théâtre effronté.

Bravo au collectif Slovène Via Negativa d'avoir joué avec la mort de quatre artistes pour enchanter notre vie de spectateurs.

On ne remerciera jamais assez les Belges pour leur créativité : merci à Dominique Roodthooft et sa troupe de chercheurs fous d'inventer un théâtre pour de nouveaux territoires de l'imaginaire.

Et puis, il y a eu Toulouse et sa manifestation d'art contemporain : c'était en septembre,  un printemps qui éveilla tous nos sens.

Et puis, avant l’été, il y a eu la fondation Blachère à Apt (photo) pour un beau voyage en Afrique, sans passeport, ni papier.

Merci au public de France d'aimer les artistes.

Champagne.

 Pascal Bély – www.festivalier.net

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2009 : « un peu de danse, bordel de merde ».

Que de kilomètres parcourus pour approcher la diversité chorégraphique, ignorée de bien des programmations,  préférant peut-être le « confort » aux scènes turbulentes. Il y a en France des régions de « non danse » qui ne cessent de s'étendre: qui s'en émeut ? Pourquoi cet art généreux n'est-il réservé qu'aux grands festivals et villes importantes ? Ma question est-elle si naïve ?


« Description d'un combat » et « Turba » – Maguy Marin– Festival d'Avignon / Théâtre du Merlan (Marseille)/ Montpellier Danse.

« Un peu de tendresse, bordel de merde »Dave St Pierre ? Festival d'Avignon.

« Madame Plazza » Bouchra Ouizguen ? Festival Montpellier Danse.

 « Ad Vitam »- Carlotta Sagna ? Festival Reims Scènes d'Europe.

 « Sans titre » Raimund Hoghe et Faustin Linyekula? Festival Montpellier Danse.

« Aléa » et « Viiiiite » – Michel Kelemenis ?- Pavillon Noir (Aix en Provence)

« Le cri » – Nacera Belaza ? Théâtre du Merlan (Marseille).

«  The song » – Anne Teresa de Keersmaeker – Théâtre de Nîmes.

« Pavlova 3'23 » – Mathilde Monnier ? Montpellier Danse.

« El final de este estado de cosas, redux » – Israel Galvan ? Festival Montpellier Danse.

 «Hava'nin a'si/ [a] of air » – Ayse Orhon ? Festival DANSEM (Marseille) 

Des témoins ordinaires » – Rachid Ouramdane ? Festival d'Avignon.

«Chicos Mambos » – Philippe Lafeuille ? Festival Off Avignon. 

Correspondances” – Kettly Noël et Nelisiwe Xaba- Théâtre du Merlan (Marseille)

« Ciao Bella » – Herman Diephuis ? Festival Montpellier Danse.

« not about Everything » – Daniel Linehan ? Le Printemps de Septembre (Toulouse).

« Le funambule » – Angelin Preljocaj ? Festival Montpellier Danse.

 


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En 2009, les chorégraphes y sont allés de leurs cris, de leurs colères, de leurs découvertes comme si rien ne pouvait entraver leur quête dans un contexte où la crise ne cesse de donner raison à la radicalité de leur recherche.

2009 fut l'année d'Anne Teresa de Keersmaeker  qui avec « The Song » nous a offert l'un des plus beaux manifestes sur les bruits du corps, mouvements du et des sens. Quant à  Mathilde Monnier, elle ne s'est toujours pas résolue à tomber dans la facilité comme l'a prouvé son  « Pavlova 3'23 »,  morts du cygne inoubliables, telle une renaissance, à l'image d'une danse contemporaine qui a tourné la page avec élégance après la disparition de Pina Bausch et de Merce Cunningham.  Même sous les bombes du Liban, avec une présence prodigieuse, le corps d'Israel Galvan a résonné avec « El final de este estado de cosas, redux ». Eux, ils sont venus du Canada et nous n'avons rien oublié de leur raffut (“Un peu de tendresse, bordel de merde”) : les danseurs de Dave St Pierre (photo) ont réveillé notre envie de tendresse en mettant à nu nos relations perverses. Cette tendresse pour la danse a été joliment et drôlement révélée par Philippe Lafeuille : « Chicos Mambos » fut comme une « caresse et une bise à l'?il » à tous les amoureux de l'art de la fragilité.

En 2009, le corps est allé loin pour chercher de nouveaux territoires: en dansant comme une toupie, le jeune américain Daniel Linehan a creusé le mouvement pour nous atteindre. Nacera Belaza et sa s?ur ont elles aussi tourné sur elles-mêmes pour sonder l'insondable. La Marocaine Bouchra Ouizguen a invité les « aïtas », danseuses courtisanes, pour revenir à la source du geste dansé. La Turque Ayse Orhon a puisé dans les irrigations de son corps sanguin pour donner du souffle à la musique tandis que le couple Raimund Hoghe et Faustin Linyekula nous offrait avec « sans titre », un territoire chorégraphique que nous n'avons pas encore fini d'explorer.

En 2009, les danseurs se sont emparés (enfin) des mots. Maguy Marin leur a redonné la parole dans « Description d'un combat » et « Turba ». Exceptionnel. Carlotta Sagna s'est avancée seule, vers nous, avec les mots d'une schizophrène en proie à notre folie. Même Angelin Preljocaj a osé, à 52 ans, remonter sur scène avec « le funambule » de Jean Genet. Quant à Rachid Ouramdane, ses « témoins ordinaires » (anciens torturés), ont bouleversé sans sensiblerie les spectateurs du Festival d'Avignon.

En 2009, la danse s'est acoquinée à la poésie. Avec provocation, tendresse et férocité à travers les « correspondances » croisées de Kettly Noël et Nelisiwe Waba. Avec créativité quand Herman Diephuis nous a proposé un « Ciao Bella » sur le désir transpirant des hommes pour les femmes ! Avec la profondeur du corps quand Michel Kelemenis a transformé le geste dansé en désir revendiqué du mouvement.

Pour 2010, parions sur une croissance chorégraphique capable d’irradier tout le pays.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

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2009 : « Oh ! Mes théâtres ! »

Quelle année ! Quels théâtres! On ne reviendra pas sur les six premières ?uvres évoquées dans un article précédent qui démontrent, contre vents et marées, la vitalité artistique du spectacle vivant en France et en Europe.

« Le père tralalère »Compagnie d'Ores et Déjà ? Festival d'Automne (Paris)

« Naître à jamais »  – Andras Visky – Théâtre des Halles (Avignon).

« Notre terreur » – Compagnie d'Ores et Déjà ? Théâtre des Célestins (Lyon)

« Food Court » – Bruce Gladwin ? KunstenFestivalDesArts (Bruxelles).

« La menzogna » – Pipo Delbono ? Festival d'Avignon.

?Ode Maritime? ? Claude Régy ? Festival d'Avignon.

« 12 s?urs slovaques » – Hubert Colas ? LU (Nantes)


 « La trilogie au Palais des Papes : littoral, incendies, forêts » – Wajdi Mouawad ? Festival d'Avignon.

« Les enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » – David Bobée ? Théâtre de Gennevilliers.

« Et puis j'ai demandé à Christian de jouer l'intro de Ziggy Stardust » – Renaud Cojo ? La Manufacture (Avignon).

« Sables et soldats » – Horiza Orata ? Théâtre de Gennevilliers.

« Le bal de Kafka » – Isabelle Starkier ? Théâtre des Halles (Avignon).

« Le prince de Hambourg » – Marie-José Malis ? Théâtre Antoine Vitez (Aix en Provence)

« Canibales » – David Bobée ? Théâtre de Chateauvallon.

?The Shipment? – Young Jean Lee ? KunstenfestivaldesArts (Bruxelles)

?Coalition? – Tristero / Transquinquennal – KunstenfestivaldesArts (Bruxelles)

?Je pense à vous, épisode XX? ? Didier Ruiz – Festival Sens Interdits (Lyon)

 

Que de turbulences sur scène ! David Bobée n'a pas eu peur d'affronter le pouvoir sarkozyste (et certains programmateurs frileux) avec « nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue», ?uvre qui  annonçait déjà l'ignominie du débat sur l'identité nationale. Avec « Cannibales », il a réussi à parler d'une génération (celle des trentenaires) à toutes les générations. Nous avons besoin de ce théâtre-là pour nous retrouver sur des valeurs et les questionner. Était-ce l'intention du metteur en scène américain Young Jean Lee à propos de nos préjugés racistes dénoncés dans « The Shipment » et avec le japonais Horiza Orata  dans « Sables et soldats », ?uvre mélancolique sur la guerre ? Didier Ruiz a quant à lui invité des amateurs russes pour créer des ponts avec nous à partir d'une histoire commune (celle de la Deuxième Guerre mondiale) et d'une mise en scène d'une force étonnante puisée dans la fragilité de ces « témoins ordinaires ».

Mais le théâtre nous a proposé des chemins détournés, plus sinueux, pour interpeller  nos rigidités et rendre plus poreuses nos cloisons cérébrales. Renaud Cojo avec « Et puis j'ai demandé à Christian de jouer l'intro de Ziggy Stardust » a réussi le pari fou d'inviter la psychanalyse sur scène avec humour pour déjouer les clichés. Le collectif belge et flamand « Tristero / Transquinquennal » avec « Coalition » a joué de nos paranoïas pour interroger le sens de nos peurs contemporaines. La metteuse en scène Isabelle Starkier avec « le bal de Kafka » a propulsé les spectateurs dans les paradoxes de notre condition humaine où seul le théâtre peut nous aider à nous en amuser pour mieux les apprivoiser. Pour Marie-José Malis, «Le prince de Hambourg » a été un acte politique fort en offrant aux spectateurs les ressources pour qu'il ne tombe jamais dans une sensiblerie qui l'empêcherait de réfléchir au dilemme du pouvoir : l'éthique contre la « realpolitik »

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Mais au-delà de tous ces enjeux, il faut nourrir la magie que nous procure la scène, à l'heure où le divertissement s'industrialise pour uniformiser le « jeu ». On ne remerciera jamais assez Wajdi Mouawad de nous avoir offert une nuit entière de théâtre au Palais des Papes pendant le Festival d'Avignon avec sa « trilogie » (« Littoral », « Incendies » (photo), « Forêts »). Cette nuit-là était là pour nous rappeler  que la scène « mouvemente » nos visions inanimées. Les arts florissants de Mouawad nous ont redonné de l’unité pour recoller les morceaux. Cela va chercher loin tout ça. Il nous  faut maintenant revenir.

 

Pascal Bély ? www.festivalier.net

 

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Les quinze ?uvres majeures de 2009.

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Au total, 150 spectacles ont ponctué ma vie de spectateur migrateur. 2009 aura été l'année de la mémoire, de la folie, de l'enfermement et de pas mal de cris, d'appels à nous ressaisir.

 « Description d'un combat » – Maguy Marin– Festival d'Avignon / Théâtre du Merlan (Marseille)

 « Le père tralalère »Compagnie d'Ores et Déjà ? Festival d'Automne (Paris)

« Naître à jamais »  – Andras Visky – Théâtre des Halles (Avignon).

« Notre terreur » – Compagnie d'Ores et Déjà ? Théâtre des Célestins (Lyon)

 «Turba » – Maguy Marin ? Montpellier Danse.

« Food Court » – Bruce Gladwin ? KunstenFestivalDesArts (Bruxelles).

« La menzogna » – Pipo Delbono ? Festival d'Avignon.

« Un peu de tendresse, bordel de merde »Dave St Pierre ? Festival d'Avignon.

?Ode Maritime? ? Claude Régy ? Festival d'Avignon.

 « Madame Plazza » Bouchra Ouizguen ?- Festival Montpellier Danse.

 « Ad Vitam »- Carlotta Sagna ? Festival Reims Scènes d'Europe.

 « Sans titre » Raimund Hoghe et Faustin Linyekula? Festival Montpellier Danse.

« Aléa » et « Viiiiite » – Michel Kelemenis ?- Pavillon Noir (Aix en Provence)

« 12 s?urs slovaques » – Hubert Colas ? LU (Nantes)

« Le cri » – Nacera Belaza ? Théâtre du Merlan (Marseille).

 

2009 a été  l'année de Maguy Marin, chorégraphe inclassable. « Description d'un combat » et « Turba » resteront deux ?uvres de rupture où le décor, la lumière, le corps et les mots ont formé un tout sidérant qui bousculera durablement nos représentations sur la représentation. Maguy Marin a respecté notre imaginaire florissant pour dénoncer le bas monde et élever nos consciences en puisant dans notre mémoire collective.

Ce travail sur la mémoire a  habité bien des scènes, à commencer par celle du Théâtre des Halles lors du Festival (off) d'Avignon où le roumain Andras Visky avec « Naître à jamais » (photo) nous a proposé une ?uvre théâtrale sublime au croisement des mots et des corps sur la perte d'identité et la folie, en lien avec la Shoah. À quand une tournée en France ?

Les fous auront envahi les théâtres comme si nous n'avions plus qu'eux pour dénoncer nos folies. Avec « Food Court », le sud Africain Bruce Gladwin et sa troupe d'handicapés mentaux ont joué avec notre violence pour mieux la sublimer. La chorégraphe Carlotta Sagna y est allée seule pour incarner une schizophrène en proie à la folie du monde tandis que Naceza Belaza et sa s?ur nous ont offert un « cri » où le corps plonge dans l'insondable. Le metteur en scène Hubert Colas a libéré S?ur Rose de l'enfermement, personnifiée par Dominique Frot dans les « 12 s?urs slovaques », et nous a rendus pour le coup plus fraternel. Avec « Sans titre », les chorégraphes Raimund Hoghe et Faustin Linyekula, tout en dénonçant la violence des rapports nord-sud, nous ont offert une ode à la générosité et à la fraternité. Ils auraient pu inviter sur leur territoire les « Aïtas » de Bouchra Ouizguen : « Madame Plaza » a signé la vitalité de la danse marocaine.  

Pour l'italien Pipo Delbono dans « La menzogna », les temps sont si difficiles que seul le fou nous protégera de ce capitalisme inhumain. Pour le chorégraphe canadien Dave St Pierre il y a urgence à sauver l'amour, réduit lui aussi à une relation marchande. « Un peu de tendresse, bordel de merde » a résonné comme un cri drôle, salvateur et percutant. La folie s'est aussi emparée d'une famille jouée magistralement par la Compagnie d'Ores et Déjà. « Le père tralalère »  nous a fait trembler, car comment ne pas y discerner l'état de notre pays que seul le théâtre peut sauver du marasme ! « Notre terreur »,  leur deuxième pièce, a fait de nous des citoyens éclairés au moment même où une bande de bouffons piétinent l'héritage de la Révolution Française.

Perdre la raison, c'est aussi plonger dans la poésie. Au sens propre avec Claude Régy dans « Ode maritime » de Fernando Pesoa où Jean-Quentin Châtelain s'est avancé vers nous, sur un ponton métallique, vers un océan de spectateurs. Moment unique où le corps de l'acteur est un abîme.

Nous en revenons toujours au corps alors que le chorégraphe Michel Kélémenis nous rappele que le mouvement est en soi un poème, turbulent et magnifique (« Aléa » et « Viiiiite »).

Pascal Bély ? www.festivalier.net

 

Et vous, quelles sont vos oeuvres majeures en 2009 (dans la rubrique commentaire, ci-dessous)?

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« Être libre, c’est vouloir les autres libres ».

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« Le deuxième sexe est l'?uvre d'une frustrée ». Pour démontrer l'absence de véracité de ce lieu commun, la metteuse en scène Nadine Darmon met en parallèle, le manuscrit de Simone de Beauvoir et les lettres ?plus de 300 au total-, qu'elle a échangées à l'époque de la rédaction de son ?uvre maîtresse avec Nelson Algren, l'écrivain américain qu'elle a passionnément aimé dès leur rencontre en 1947.

À partir de ce scénario original, « La ballade de Simone » met en lumière cet épisode méconnu  de la vie de celle qui fut première à l'agrégation de philosophie, ex æquo avec Sartre.

« On ne naît pas femme? on le devient ! » s'écrit l'assistance du théâtre du Lucernaire.  Avec poésie et humour, avec chanson et accordéon, avec tout leur talent, les deux comédiennes, Odja Llorca et Michelle Brûlé  tracent des passerelles entre le courrier amoureux de la philosophe et l'?uvre qui l'a révélée.

À l'issue de la représentation, Michelle Brûlé propose au public de prolonger la discussion ensemble autour d'un café philo sur le thème « Qu'est-ce qu'être une femme libre ? ».

Dès les premières minutes, le c?ur du débat est posé autour de l’opposition entre le féminisme “universaliste” et “différentialiste”. D'un côté l'existence de la femme et de l'autre, le genre féminin, l'identité sexuelle qui ne sont que constructions sociales. Existe-t-il  une essence propre à la femme ? Une manière d'être, d'exprimer ses besoins, particulière aux femmes ? Qu'est-ce que la liberté d'une femme face au codage imposé par la société dès l'enfance ? L'existence précède-t-elle l'essence ?
Quelle marge de man?uvre pour être soi quand l'héritage social pose depuis des millénaires une répartition des rôles perpétuée par l'éducation et le marketing ? Est-ce que comme la définition de la liberté de Spinoza « Être libre c'est n'être déterminé que par soi-même à agir » peut totalement s'appliquer aux femmes aujourd'hui ?
Le credo existentialiste sera débattu jusqu'à l'issue de la discussion tant -ainsi que l'a montré Françoise Héritier-, notre mode de pensée a intégré cette dualité.
Pourtant, le projet de Simone de Beauvoir à l'origine de la rédaction du Deuxième sexe était de relater la liberté de l'être humain en général, pas d'écrire un manifeste féministe.  C'est Sartre qui orienta son travail vers sa liberté à elle, en tant que femme. À partir de là, son récit prit une dimension universelle en dénonçant la condition féminine de celles qui sont objet avant que d'être sujet. 
Sitôt le débat achevé, ceux qui n'avaient pas encore assisté à « La ballade de Simone »  partent réserver leurs places pour prolonger la réflexion. Du théâtre à partir d'un texte devenu classique pour comprendre des phénomènes qui restent contemporains. Du théâtre pour débattre ensemble et pointer les réflexes pavloviens de la société. Du théâtre pour aiguiser son esprit critique avec humour et intelligence. Du théâtre pour faire du lien.
Allant plus loin que Spinoza, Simone de Beauvoir conclut qu' « être libre, c'est vouloir les autres libres ». La parole d'une femme engagée. Un postulat d'humanité qui apparaît comme l'horizon indépassable de tous ceux qui en play-back, veulent changer le monde.

Elsa Gomis – www.festivalier.net

 

La ballade de Simone (site web), Adaptation de Michelle Brûlé, Mise en scène de Nadine Darmon. Jusqu'au 23 janvier 2010. Du mardi au samedi à 21h. Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris
Réservations : 01 45 44 57 34

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Maguy Marin, combattante.

La chorégraphe Maguy Marin s’installe au Théâtre du Merlan à Marseille pour quatre jours. C’est un événement: rare sont les théâtres à lui offrir dans la durée une telle rencontre  Retour sur cette oeuvre, vue au dernier Festival d’Avignon et qui restera pour longtemps, l’un des moments phare de ma vie de  modeste spectateur.

 

Ici, la pénombre éclaire, car nous avons soif de clarté. Ils sont neuf à arpenter la scène, à disparaître puis revenir, car le travail est long. Sera long. L’humain a besoin de temps.  A ceux qui attendent du mouvement dansé, je les invite à lâcher, pour une fois. La chorégraphe Maguy Marin n’a plus à répondre à ce type d’injonction.  Moi, je n’ai plus à accepter d’entendre cette paresse de la pensée (« mais ce n’est pas de la danse » !) née d’un imaginaire verrouillé qui laisse faire le « reste » tant que l’on n’a pas eu sa part de gâteau.

Ce soir, « Description d’un combat » me tombe dessus. Ils sont neuf, habités par les textes d’Homère, de Victor Hugo, de Peguy et de bien d’autres, convoqués pour la circonstance afin d’évoquer les combats entre les Argiens (une tribu grecque) et les Troyens. C’est le retour de ces textes mythiques récités par les danseurs comme s’ils déclinaient la liste des horreurs nées de toutes les guerres. Des costumes d’apparat dorés posés sur le sol se mêlent aux tissus rouge sang : cette orgie de couleurs rappelle le magma des doctrines concentrationnaires et des idéologies nationalistes. C’est impressionnant parce que les mouvements des corps les dévoilent peu à peu. En se déplaçant, les danseurs se transforment en étendards et le nationalisme se fait tableau. À ce moment précis, Maguy Marin s’adresse à notre conscience en convoquant le symbolique.

Alors que nous distinguons à peine leurs visages (mais d’où viennent ces voix ?), ils endossent ceux que nous avons ensevelis. À force de croire que l’histoire est un passif, nous ne voyons plus que nous construisons aujourd’hui une amnésie collective. À les voir ainsi, je pense à l’Allemagne et son courageux travail sur la mémoire. À l’opposé de notre pays qui même lors d’un conflit social dans les DOM-TOM, est incapable d’interroger sa mémoire vive.

Ils avancent puis disparaissent parfois dans le noir du fond de la scène. Comme un éternel recommencement.

Des corps, couverts d’armures, apparaissent peu à peu.

Le désastre.

Gorge nouée.

Leurs pas sur le gravier évoquent nos cimetières et la disparition du végétal.

Le génocide.

Tremblements.

Assis, au milieu de ces armures, il déclame un texte de Charles Peguy dont le sens m’échappe. Mais la tragédie m’envahit. De tout mon corps.

Je suis un homme de ce monde. Je suis traversé d’histoires. J’accepte d’en endosser le poids pour ne pas oublier : là-bas, leurs guerres, sont nos insomnies.

Pascal Bély – www.festivalier.net


A lire le débat avec le public: À l’École d’Art d’Avignon, les retours pacifiques des spectateurs illuminent Maguy Marin.

“Description d’un combat”, par Maguy Marin 8 au 16 juillet 2009 au Festival d’Avignon. Actuellement au Théâtre du Merlan à Marseille du 16 au 19 décembre 2009.

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

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Cédric ANDRIEUX : portrait d’artiste en homme

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Après Véronique DOISNEAU, Pichet KLUNCHUN, Isabelle TORRES et Lutz FORSTER c'est au tour de Cédric ANDRIEUX d'être sujet du beau projet du chorégraphe Jérôme BEL.

L'homme arrive sur scène, pose son sac, une bouteille d'eau et se positionne face au public. Il regarde en silence un moment avant de nous adresser un « Bonjour » d'une voix douce, presque intimidée. « Je m'appelle Cédric ANDRIEUX, ? »

C'est alors que sur ce grand plateau nu, vide de tout artifice et sans autre support qu'une voix et un corps, commence l'ébauche d'un portrait et d'un parcours de Brest à Paris, à Lyon, avec New York en point culte.

De l'enfant frêle qui se rêve en artiste, à qui l'on dit qu'il n'est pas fortiche mais que ça ne peut pas être mauvais pour son développement personnel, à l'homme artiste, objet de toutes les admirations. La voix est posée, toute douce, presque trop parfois, pour nous faire voyager dans la confidence et  partager ce qu'il y a derrière les sunlights.

L'homme est beau, il se montre dans son fragile, le pouce caresse l'index, le regard bleu s'embrume par instants. Il raconte Brest, l'enfant cabotin volontaire déjà tendu vers le dépassement; Paris, le Conservatoire, le jeune homme du solo gagnant? il nous dit ses doutes, ses envies, ses désirs, ses amours? et puis? New York? Merce CUNNINGHAM? le désir fou du meilleur? Le studio, les répétitions, les voyages de l'amour, le corps qui souffre pour aller au bord de l'abîme, au bout de ses possibles? D'un doigt, il pointe un angle de la scène vide?  Merce, 80 ans, là au coin du studio devant l'ordinateur qui supplée à son corps et guidant de la voix le mouvement imaginé? le corps du danseur, le corps encore et encore, qui donne tout pour arriver à faire vie de ce qui n'est que vision sur logiciel et que le corps du maître ne peut plus montrer. Le corps toujours?, Trisha BROWN qui fait moins mal à danser? Le corps, cet  «outil » que l'homme nous dit trouver souvent pas assez comme? pas assez grand?, la taille pas assez fine? et entre ses mots l'homme danse, il montre comme il a fait ici et là? le danseur est? magnifique.

Tout est là, l'homme est là, le danseur est là, les mots sont là, mais? l'émotion ne parvient pas à moi? les images ne viennent pas? Je n'arrive pas à m'approcher de l'homme, il reste des mots?

Sauf?  quand, dans le récit, Jérôme BEL prend place dans le parcours? « Là je vous montre, j'ai fait ça »? Et là? la force de ce moment m'emporte? Ça y est, il est là l'homme? avec le danseur, sans les mots, avec le regard, ici le corps presque immobile et pourtant? tout danse en lui?

Voilà?, 32 années ont traversé la scène?, que va-t-il faire demain ? De quoi et de qui aura-t-il le désir ?

« Show must go on » c'est ce qu'on souhaite à l'homme avec ou sans l'artiste. Et lui demander, pourquoi pas, de venir dans 10 ans, dans 20 ans, nous redire en corps vieillissant ce qui fait, de ce point de vue de l'homme qui danse si peu énoncé, l'Histoire de la danse.

Bernard Gaurier- www.festivalier.net

« Cédric ANDRIEUX » pièce de Jérôme BEL à été présenté en avant première française au LIFE à Saint Nazaire le 12 décembre 2009. A Paris au théâtre de la ville dans le cadre du Festival d'Automne du 14 au 16 décembre 20àç.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Roulez jeunesse!

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Comment va la jeunesse ? Est-ce possible de répondre à cette question sans tomber dans les clichés d'autant plus qu'elle n'a pas qu'un seul visage? Deux tentatives de réponses lors du festival « Reims, Scènes d'Europe » par les metteurs en scène italiens Enrico Casagrande et Daniela Nicolo de la compagnie Motus.

 

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La première est un solo orchestré par Silvia Borghesi, danseuse patineuse, au look androgyne et percutant. Elle tourne en rond pendant qu'une spirale infernale se met en place sur fond de bruits urbains et agressifs. On y entend les grondements d'une manifestation contre les réformes de Darcos, le tumulte du congrès socialiste à Reims, des cris en italien d'une foule. Elle tourne, tombe, se fracasse, se replie comme s'il n'y avait plus de place pour le corps dans nos sociétés « berlusconisées » où la perte du sens produit un vacarme assourdissant. Elle finit par plonger dans un vide autistique, renforcé par cette capuche qui l'enferme un peu plus, pendant que sa danse malaxe la lumière et le son. On ne sait pas où va ce solo, pompeusement nommé « dérive non théâtrale » (du prochain spectacle présenté à 20h30) si ce n'est qu'il se perd dans les profondeurs du sol. La scène finale l'engloutit comme si le propos, à force de tourner en rond, devait laisser place à la poésie, seul langage qui nous relie à notre double dérivant.

 

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Une heure trente plus tard, nous retrouvons Silvia Borghesi, toujours avec ses patins à roulettes mais sur la grande scène de la Comédie de Reims pour « X(ics) récits cruels de la jeunesse ». La troupe italienne Motus tente de nous faire le portrait de la jeunesse d'aujourd'hui après s'être installée en résidence dans plusieurs villes européennes dont Halle Neustadt, ville de l'ex-Allemagne de l'Est. Silvia va à la rencontre d'adolescents dés?uvrés en leur tendant un papier où est inscrit « je me cherche, si toi aussi t'es perdu, contactes ce numéro ». Les scènes sont filmées et projetées sur grand écran tandis que l'espace théâtral se réduit à la portion congrue. Le documentaire illustre alors que les acteurs appuient la démonstration. On nous exhibe une jeunesse isolée dans une mise en scène totalement claustrophobe, désarticulée, où si peu d'énergie circule que l'on se questionne sur l'utilité de présenter un tel travail dans un théâtre (un espace ouvert aurait été sûrement plus approprié).

Car de quoi s'agit-il ? Du dés?uvrement de la jeunesse ? Ne l'a-t-elle jamais été au cours de notre histoire ? De son enfermement ? Probable, mais n'est-ce pas notre regard sur elle qui l'enferme peu à peu ? Or, tout nous met à distance comme si, à refuser d'aller vers le théâtre en prenant les chemins détournés des formes de la performance et du documentaire, on évitait soigneusement d'approcher autrement cette jeunesse perdue. La compagnie Motus n'utilise-t-elle pas les mêmes outils qui, précisément, nous éloignent d'un lien nourrit avec ces jeunes ? Il ne suffit pas d'adopter son langage (la capuche, les patins, le look androgyne), de nous imposer un texte prétentieux et moralisateur, pour faire le portrait d'une jeunesse qui finalement n'a rien à attendre de ce théâtre là pour être entendu. Pour l'instant, elle a mieux à faire pour se faire écouter avec Internet et la musique.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

« Crac » et « X(ics) récits cruels de la jeunesse » par la compagnie Motus a été présenté à la Comédie de Reims les 5 et 6 décembre 2009 dans le cadre du festival « Reims, scènes d'Europe ».