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A tribut(e) to people

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La lumière s’éteint. Un fort sentiment d’appartenance au monde m'envahit, indissociable de nos tissus humains, du corps des femmes. Elles sont quatre sur le plateau pour une danse généreuse, sensible et poétique. Elles tissent les liens qui les unissent, les différencient pour nous raconter leur histoire, leur nationalité. Elles nous promènent dans leurs steppes, dans leur désert, dans leur for intérieur.
Cette ode à la femme questionne la natalité, la filiation et l’héritage ancestral d’un univers qui nous composent. Nous sommes enfants de l’une, frère de l’autre. Avec le thème universel de la mère nourricière, nous sommes l'un et l'autre, moi et lui, ma culture et celle de l'étranger. Avec empathie, elles réussissent à refléter l'humanité dans sa diversité.
Loin du discours stérile et stérilisant, issue d'une politique politicienne, le chorégraphe Patrick Servius donne une vision de notre identité nationale. Enfant de la guerre, enfant de la misère, elles sont devenues femmes sur la terre d'accueil, avec leur héritage familial et culturel. Une belle leçon humaniste et tolérante dans ce théâtre de la Minoterie à Marseille qui s'est défendu lors de la rénovation du quartier de ne pas tomber sous les coups des grues destructrices. Un clin d'?il à l'heure des débats sur l'identité nationale.
Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

“Tribut” de la Compagnie Le Rêve de la Soie a été joué à la Minoterie les 6 et 7 décembre 2009.

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Le vaudeville “made in China” de Robert Lepage.

 

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Brigitte Salino, critique au journal “Le Monde” évoque “le plaisir tranquille d’une soirée avec le théâtre d’images de Robert Lepage“. Est-ce véritablement positif? “Le dragon bleu“, actuellement présenté au Théâtre National de Chaillot à Paris, est une immersion, en surface, de la Chine d’aujourd’hui, ce qui explique sans doute pourquoi ce théâtre s’aventure dans l’art de la tranquillité. Tout dans cette production n’est que réduction pour spectateur amateur de modélisme. À l’heure où la Chine bouleverse l’équilibre du monde, je m’étonne qu’une vision aussi étroite de ce pays puisse trouver un écho positif.

Pierre Lamontagne est un artiste résident à Shanghai où il tient une galerie. Ce détail, s’il est mentionné sur la plaquette du spectacle, est loin d’être évident sur scène. Pour faire court, Pierre Lamontagne vit dans un petit duplex. Claire, ex-camarade d’École des Beaux Arts de Pierre, est publiciste montréalaise. Elle vient en Chine pour adopter un enfant. Pierre l’accueille chez lui et puis…vous devinez la suite…après un verre…Sa demande d’adoption ne fonctionnera pas. Mais Pierre a une petite amie artiste, Ling,  qui est enceinte de lui, mais il ne le reconnaît pas…vous imaginez la fin…Claire, Ling, l’enfant, Pierre. Mais Robert Lepage n’exclut rien ; il veut faire « confiance à l’intelligence du spectateur » en nous offrant trois alternatives à la fin du spectacle.

Pour masquer la faiblesse du texte et du scénario, Robert Lepage ne lésine pas sur l’esthétique. Comme dans un dernier spectacle sur la Chine vu dernièrement à Marseille, le changement constant de décor amplifie l’impression de survol de la psychologie des personnages. Certaines scènes, où sont reproduites des ballades en vélo, donnent l’étrange sensation d’assister à une mauvaise production d’Hollywood des années cinquante. Rien n’est crédible dans cette histoire où les relations n’ont pas beaucoup de surface, coincées dans la mécanique du décor et les effets de style. Robert Lepage se perd à nous décrire la place de l’artiste en plein boom économique Chinois d’autant plus qu’il peine à relier toutes ces informations à l’histoire de Claire. Là où le metteur en scène Français Joël Pommerat excelle à faire du décor un élément inclut dans la chronique sociale, ici les lumières et les objets illustrent plus qu’ils ne transcendent le propos. Le décor, bien trop descendant, ne nous emmène que trop rarement sur la relation.

« Le dragon bleu » est un « théâtre de séduction » mais dont la machine à rêver ne fonctionne pas tant l’histoire est linéaire. Seule la fin prête à sourire comme si Robert Lepage s’autorisait cette pirouette d’artiste gâté.

La vision de la Chine par Robert Lepage est le gentil calque de nos représentations dépassées.

Pascal Bély – www.festivalier.net


«Le dragon bleu» de Robert Lepage a été joué le 24 mai 2008 au MC2 de Grenoble. Au Théâtre National de Chaillot à Paris jusqu’au 15 décembre 2009.

Crédit photo: © Photo : Erick Labbé

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Le touché coulé d’Anne Lopez

Avec Anne Lopez et sa compagnie « Les Gens du quai », j'ai scellé, lors du processus de création de « Duel », un pacte basé sur une entente artistique et humaine alors que ses deux pièces précédentes avaient fait l'objet d'un retour sur ce blog. Il m'apparaît intéressant aujourd'hui, de questionner l'évolution de son écriture chorégraphique. « Duel », marque-t-il un virage, un tournant dans son parcours de chorégraphe ?

Délaissant les objets et autres artifices scéniques, le corps est omniprésent pour une mise en scène incluant  différentes formes de combat dualistique : western (premier tableau qui colle à la peau comme le soleil dans les plaines d'Arizona), bagarre de rue (style West Side Story), combat chevaleresque (digne d'un Monthy Python, ce tableau mêle fantaisie et ironie). La force mystique a même sa place, pour défier par honneur l'être suprême. Le corps n'est pas écrasé par les images de ciels orageux en arrière-fond, autre vecteur communiquant invitant l'imaginaire à dresser son cadre de représentativité.

Puis, parcimonieusement, le message d'Anne Lopez se distille pour monter en puissance. Elle convoque toutes formes de combats pour constater qu'aujourd'hui, dans une société globalisante, le pouvoir a pris le pas sur l'honneur jusqu'à guider l'homme à opprimer son semblable. Ichem Belhaj, l'un des cinq interprètes, incarne l'honneur pour ne pas tomber dans la folie meurtrière. Il crève littéralement le plateau de par sa présence et répand sa danse généreusement.

Finalement, l'écriture chorégraphique d'Anne Lopez a gagné en maturité. Tout à la fois « déjantée », (c'est la marque de fabrique de la compagnie des « Gens du quai »), elle n'en est pas moins intelligente, voire savante. Les tableaux s'imbriquent, s'enchevêtrent sans jamais se perdre et nous perdre. L'optimisme qui naît à chacune de ses créations, se lit ici lors de la scène finale. Alors que les danseurs tirent leur propre ficelle, tels des marionnettistes, ils nous invitent à la bataille, pour que notre honneur nous donne le pouvoir d'être le seul maître de notre vie. Une belle morale à mettre en exergue.

« Duel » est une pièce qui fait mouche, amusant le spectateur tout en le questionnant sur la nécessité de mener des combats dignes de ce nom.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

 

« Duel » d’Anne Lopez a été joué les 17 et 18 novembre 2010  au Théâtre de l'Odéon ? Nîmes.

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« Nous, peuple de France, proclamons d’Ores et Déjà : le Théâtre nous sauvera? »

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La formule pourrait paraître un peu usée et pourtant : « Notre terreur » du collectif « D'ores et déjà » emmené par Sylvain Creuzevault est un choc. Parce ce que l'on a perdu l'habitude d'être bousculé avec autant d'intelligence?

Fébrile, fragile, un homme brandit son index vers le ciel et tend son regard vers un Robespierre par les mots convoqués. Plonge l'assemblée – de spectateurs ? ici divisée par le dispositif bilatéral, dans un contexte historiquement défini, celui de la terreur. Encore opaque à nos mémoires, ce temps devient soudain le nôtre. Alors que les paroles de la Marseillaise résonnent au loin, c'est bien du mythe fondateur de notre identité nationale dont il est question ici. Ce comité de salut public composé de douze hommes qui gouverna la France de septembre 1793 à juillet 1794 ne fut jamais réuni au complet. Par la grâce du théâtre, ils sont là, à table, à vouloir concilier ce que nous n'avons jamais réussi depuis : pulsions monarchiques, démocratie représentative et gouvernance collective. À défaut d'un roi, le peuple français et ses élites n'ont cessé depuis la Révolution, de jouer différentes facettes de la tragédie du pouvoir avec fastes « royaux » et tout le cérémonial républicain approprié. Rien étonnant à ce que Sylvain Creuzevault convoque l'homme brut et ses parois rupestres, le Théâtre et son sang, l'Opéra et son rideau rouge, pour que nos démons autoritaires puisent avoir le beau et le mauvais rôle et donner à l'histoire de notre démocratie la chair historique qui semble lui manquer.

Nous assistons donc à une création collective qui pour le coup, de théâtre, redonne l'espoir que cela peut exister, quand on la veut nourrie, fertile, in( )carnée. Formidablement portée par ces sept interprètes masculins habités par leurs corps tour à tour volontaires et fébriles, l'ardeur de leur passion s'empare de nos tripes et fait voler en éclats la tiède torpeur de nos citoyennetés de pacotille.

Car nous, peuple spectateurs, sommes aussi de la partie : loin de nous éclabousser de leurs liquides, ils nous maintiennent suffisamment à distance pour que nous puissions projeter dans le corps des acteurs notre soif d'idéaux démocratiques et nos lâchetés de citoyen passif. Des tables de travail où nos hommes droits dans leurs bottes écrivent méticuleusement leurs lois tandis que circulent de tendres brioches, notent scrupuleusement leurs décisions votées à la quasi-unanimité, il ne reste, deux heures après le début de la représentation, qu'un champ de bataille : celui où les corps (constitués ?) se sont affrontés, où le sang du théâtre a coulé, où la peinture a maculé de blanc le visage de Robespierre, clown triste de nos idéaux piétinés.

Mais que s'est-il donc passé ? Leur incapacité à imaginer ensemble une société meilleure les ont mis en rupture de contrat social, les ont isolés dans leur déchéance. Ils se sont enfoncés dans la déliquescence des chairs, comme de la cohérence de leur pensée. Les hérauts de l'égalité et de la justice ont libéré les démons narcissiques de l'animal social.

C'est ainsi que la mise en scène épouse ce processus qui nous a emportés, spectateur-citoyen: aux corps droits du début inclus dans un jeu vertical descendant de répliques à fleurets mouchetés, se substitue peu à peu une chorégraphie où le corps social saigne de tant de coups portés à l'idéal révolutionnaire. Devenus fous parce que violents et violentés, nos hommes n'ont plus que le rire pour nous alerter du pire qui nous attend.

C'est le rire du fou qui vient nous sauver.

C'est le rire qui nous épargne d'un théâtre qui distillerait le poison du propos moralisateur.

C'est le rire pour nous apprendre à nous jouer des jeux du pouvoir.

C'est le rire qui fait de nous des citoyens éclairés au moment même où une bande de bouffons piétinent l'héritage de la Révolution Française.

Alors que le sol est maculé de blanc et de rouge, nous quittons le théâtre, le bleu à l'âme. Nous savons qu'au dehors, le gouvernement de la terreur ne se laisse pas intimider de la sorte. Qu'importe. Le théâtre nous a donné ce soir la force de croire aux valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité pour (re)partir au combat.

Pascal Bély et Joanna Selvidès. www.festivalier.net

A lire la critique sur “le père tralalère” de la même compagnie, présenté au dernier festival d’Automne de Paris.

“Notre terreur”, création collective d’Ores et Déjà, mise en scène Sylvain Creuzevault, au Théâtre des Celestins de Lyon du 24 novembre au 4 décembre 2009.


 

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Au bout des pistes d’Orly, l’exceptionnel envol de Lljir Sélimoski.


Ce fut une belle rencontre, celle qui jalonne le parcours du spectateur en quête de sens. C'était en avril 2007, au Théâtre des Salins de Martigues. Dès 2005, Lljir Sélimoski, « né au bout des pistes d'Orly », a partagé devant les passants, à la gare d'Uzès, dans les rues de Paris, le texte de Bernard ? Marie Koltès, « La nuit juste avant les forêts». L'homme y évoque son univers de banlieue et sa quête d'amour. Pour passer de la rue au théâtre, Lljir a rencontré le regard bienveillant de Jean-Louis Trintignant le recommandant auprès d'Annette Breuil, directrice des Salins, qui lui choisit la metteuse en scène Catherine Marnas. À eux quatre, ils formèrent une jolie chaîne qui permit pendant deux années de métamorphoser Lljir en comédien. Habité par le texte de Koltès, il devra dorénavant faire de la scène son décor imaginaire. Au final, le résultat est prodigieux  

Il est là, face à nous, marchant sur l'eau au c?ur d'un magnifique décor. Nous voilà comme descendus au sous-sol pour nous immerger dans le texte de Koltès, pour approcher la métamorphose de Lljir (l'un est dans l'autre et inversement). Ce double regard est tout de même exceptionnel au théâtre, où l'auteur transforme la vie de l'acteur. Quelle belle métaphore de ce que l'art peut faire ! C'est ainsi que j'écoute le destin de Lljir pour ressentir la puissance de Koltès. De le voir faire ses ronds dans l'eau, de l'entendre décliner ce texte, alors que la vidéo projette notre environnement urbain et nos silhouettes (de spectateurs ?), tout semble fait pour que nous approchions Lljir, là ou la rue nous en éloigne. Catherine Marnas lui donne de la voix, guide son corps au gré des rencontres. Elle l'habite d'amour quand il n'y croit plus ; elle l'ouvre lorsque les murs l'enferment. Elle réussit à ne jamais nous distancer de son histoire comme si elle hésitait à le conduire comme un comédien. C'est alors que la fragilité de la mise en scène est une force et fait de « La nuit juste avant les forêts » un manifeste d'humanité.

Pascal Bély- www.festivalier.net

“La nuit juste avant les forêts” de Bernard-Marie Koltès a été joué le 10,11 et 12 avril 2007 au Théâtre des Salins de Martigues. En tournée actuellement.

– Le jeudi 26 novembre à 14h30 (scolaire), vendredi 27 & samedi 28 novembre 2009 à 20h30 à Juvisy-sur-Orge (Centre Culturel des Portes de l'Essonne,  Théâtre Jean Dasté – 9 rue du Docteur Vinot – 91260 Juvisy-sur-Orge – tél. : 01 60 48 46 18 ; RER C ou D : arrêt Juvisy-sur-Orge)

– Du 28 janvier au 1er février 2007 à la Scène Nationale de Cavaillon.

– Le 4 et 5 février 2010 au théâtre de Saint Raphaël.

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La surface de dégradation.

À la sortie de « Öper Öpus » de Zimmerman et De Perrot présenté au Théâtre du Merlan à Marseille, je prévois de ne rien écrire. Ce spectacle a beaucoup de qualités, mais il lui en manque une pour faire l'objet d'un article : une profondeur dans laquelle mon écriture pourrait se perdre, se régénérer. Sauf qu'une remarque d'une professionnelle de la culture me fait sursauter : « c'est un divertissement, ne te prend pas la tête et de toute manière tu vois trop de spectacles ». Il faut du temps, de la réflexion pour répliquer à cette sentence réductrice qui tombe comme un couperet.

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Cette pièce a tous les atouts pour concilier profondeur et plaisir, sens et divertissement. D'abord la scène qui, toute en horizontalité, penche dangereusement, métaphore de l'instabilité. Il y a ce collectif pluridisciplinaire composé d'un DJ un peu déjanté et de quatre danseurs ? circassiens où les corps longilignes des uns  répondent des corps tout en rondeurs des autres, dans un équilibre quasi parfait. Il y a également ce décor fait de tables et de chaises tandis que des morceaux de bois jetés à terre encerclent la scène. Et puis il y a des trappes partout pour voir à travers les planches. Nous voilà donc sur une aire qui s'amuse du déséquilibre pour interroger les relations humaines. Les corps minces, gros, musclés, imposants permettent certaines audaces pour questionner les stéréotypes qui déséquilibrent les rapports sociaux. La mise en scène accentue le chaos permanent, où l'on joue de la pente pour tenter de se risquer dans le lien et l'humain avec humour, décalage, tendresse et énergie. On se s'ennuie pas à les voir se moquer comme des clowns, à recréer l'univers de Jacques Tati, mais on finit tout de même par se sentir un peu seul.

Étrange paradoxe. Le déséquilibre, c'est souvent de la douleur, du fragile. Cette approche est purement escamotée alors même que cette pièce ne parle que du corps !  L'horizontalité est ici approchée à partir d'une vision verticale (accélération-perte de vitesse, haut-bas, ? ) où le déséquilibre ne se joue qu'à la surface si bien que le spectateur est séduit par la forme, mais rarement touché. Le tout s'inscrit dans une mécanique, un rouage que la technique sans faille des circassiens ne fait qu'accentuer. On cherche un point pour ne pas glisser aussi, mais à force d'observer la surface qui décline, on reste en dehors. Or, l'horizontalité a besoin d'un centre de gravité que l'on ne trouve jamais. On effleure juste le « sale » pour ne pas se salir les mains. À vouloir être à la frontière du théâtre, du cirque et de la danse, ils ne sont sur aucun territoire, sauf celui de la performance, d'une esthétique de l'excellence que le public ne se gêne pas d'applaudir quitte à faire fuir la poésie du fragile. À défaut d'« intranquillité », on joue avec le décor et des pans entiers du sol. Bien vu, mais sans risque.

Dans son dernier album, Alain Souchon chante « putain ça penche, on voit le vide à travers les planches » en référence aux marques (Prada, Gucci, Versace, ?) qui envahissent les esthétiques et véhiculent une vision autoritaire de la société. Ici, le vide est visible parce qu'on se joue des corps pour perfectionner des esthétiques.  Zimmerman et De Perrot prennent le risque de se faire habiller pour l'hiver par une minorité silencieuse qui pense qu'un théâtre n'est pas destiné aux techniciens de surface.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

« Öper Öpus » de Zimmerman et De Perrot présenté au Théâtre du Merlan à Marseille jusqu’au 24 novembre 2009.

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Allez-vous résister à la “press(e)” de Pierre Rigal?


En mars dernier, je n’avais pas résisté jusqu’à faire l’aller-retour express entre Aix en Provence et Montpellier pour ne rater sous aucun prétexte, la chorégraphie claustrophobe de Pierre Rigal, « Press ». En 2008, Les londoniens en étaient devenu fous! Alors que la crise nous met chaque jour la « pression », comment la danse peut-elle explorer ce ressenti ? Cet artiste hors du commun, nous a déjà habitués à prospecter des territoires réduits par nos systèmes de représentation.  Avec « Arrêts de jeu », il fit du football une pratique chorégraphique particulièrement étonnante. Avec « Érection », il transforma le passage de la position couchée à la posture debout en un beau mouvement complexe.

 

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Ce soir, son espace est celui d’une pièce de quelques mètres carrés, d’une chaise, et d’un bras articulé censé l’éclairer. Il m’évoque les minuscules caméras vidéo qui quadrillent nos villes. Son terrain de jeu ne cesse de se resserrer alors que le plafond descend et remonte, accompagné d’un grondement, tel un « plafond de verre » assommant les bonnes volontés dans les entreprises, les organisations syndicales et politiques.

 

Les quarante-cinq premières minutes sont de toute beauté. Notre homme tente d’ignorer cet espace qui veut le réduire. Il le transforme en caverne où il semble dessiner des figures rupestres. Son corps se prolonge par ses mains ; il se fond dans la matière. Sa silhouette est une apparition, une image furtive. Il est le danseur qui s’extirpe du corps. Je suis le spectateur qui se projette à travers ses mains. Moment d’autant plus sublime que mon regard pousse les cloisons. Pierre Rigal dépasse la pression matérielle en puisant dans l’immatérialité de l’art. Le propos pourrait paraître évident et pourtant. Il réussit là où tant de chorégraphes échouent : nous inclure pour nous dégager de la pression qui pèse sur le spectateur de danse.
Mais pourquoi ces quinze dernières minutes ? Pierre Rigal quitte les parois pour interagir et jouer avec le bras articulé qu’il dévisse du mur. L’homme des cavernes devient l’homme-machine qui finit par se faire engloutir et disparaître. La danse colle à la proposition : la machine prend le pouvoir, s’introduit dans le corps, joue avec les affects. Pierre Rigal semble subir sa démonstration : il ne résiste pas à la pression d’avoir un propos explicatif, presque rationnel pour justifier la pertinence de sa danse.
Je me sens alors dans une posture d’évaluer sa performance physique et d’adhérer à ce consensus mou.
Retour express à la case départ.

Pascal Bély – www.festivalier.net


” Press” de Pierre Rigal a été joué le 24 mars 2009 dans le cadre de la saison de Montpellier Danse. Au Théâtre de la Cité Internationale de Paris du 26 novembre au 12 décembre 2009.

   
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Chroniquer pour rien?

Ils font partie de l'I.R.M.A.R (Institut de Recherche Menant à Rien) et présentent ce soir à Marseille leur dernière création : « Du caractère relatif de la présence des choses ». En deux titres et trois mouvements (bien plus en vérité !), ce collectif « informel » (ce n'est même pas une compagnie !)  sème le trouble. Comment nos sociétés industrialisées hyper contrôlantes finissent-elles par produire le « rien »?  A l'issue de la représentation, la poésie en a profité pour faire le vide!

Pour nous accueillir, nous sommes plongés dans un long moment de silence, dans le noir. On entend le souffle (coupé) du voisin comme si le corps « productif» du spectateur, stimulé tout au long de la journée, devait laisser sa place à l'imaginaire. Puis un vacarme issu des coulisses envahit l'espace. Des bruits métalliques et de moteurs font trembler le sol : la société industrielle s'effondre sous le poids de sa rationalité. A ce moment précis, notre corps disparaît de cette mécanique folle pour rejoindre un ailleurs, à l'image d'une silhouette que l'on voit passer et qui se volatilise derrière les gradins. Magique.


La lumière jaillit puis la scène les accueille. Quatre comédiens surgissent : ils semblent improductifs habités par un rôle qui leur échappe. Le « rien »  s'incarne dans ce matériel des trente glorieuses qui envahit l'espace (pneu, magnétophones, chronomètre, tourne-disque, souris filaire, gros casque audio) tandis que le Metteur en Scène échange du « rien » depuis les coulisses avec une administration censée sûrement le financer : la mécanique est partout et l'artiste s'y plie même si cela doit le faire périr. Alors que nous sommes propulsés dans une société de l'immatérialité, où plus que jamais l'homme et le lien devraient être au centre de tout, nous mécanisons à outrance pour produire de l'inefficace. Tout n'est qu'équilibre précaire, mais au moins cela donne l'illusion que tout est à sa place : c'est le triomphe du rationalisme, de la case, du quantitatif appliqué uniformément à tous les champs de la société. L'homme, l'artiste, n'a qu'à se plier à ce chronomètre qui mesure même le beau. La société moderne de l'industrie n'a pas dit son dernier mot: elle a encore de belles années pour nous faire subir sa fumée polluante et ses implacables rouages.

Là où les artistes Rodrigo Garcia et Jan Fabre nous dégueulent dessus pour dénoncer la société de consommation, les metteurs en scène Victor Lenoble et Mathieu Besset convoquent la poésie pour donner au spectateur la ressource d'échapper à ce déluge de modernité. C'est ainsi que différents tableaux stimulent nos cinq sens pour participer au combat de la poésie contre la barbarie du rationalisme. Alors que les mots d'une langue inventée traversent une boîte à musique (celle d'Heiner Goebbels ?), ils se perdent dans une ?uvre  faite d'articulations entre le fer, des balles de mitraillette et le symbolique sac « plastique ». Le poète, le musicien, le plasticien sont ainsi traversés par les mots. Parce que le fragile prend le pas sur le solide, l'instant est inoubliable. Tandis que la mer émerge d'un tourne-disque, on apporte un ventilateur et un petit chauffage électrique. L'atmosphère du film « Les plages d'Agnès » d'Agnès Varda s'immisce alors dans mon imaginaire de spectateur respecté.

La poésie finit par gagner du terrain, à l'image de ce chariot métallique, transformé en table de mixage délirante qui métamorphose le propos creux en discours du rien. Les artistes (tous exceptionnels par leur présence) n'ont plus qu'à quitter la scène pour laisser quatre magnétophones usés et fatigués nous offrir une symphonie rhétorique qui tourne à vide. Et l'on reconnaît le discours bien huilé de nos politiques et journalistes qui, faute d'utopies, continuent le matraquage d'une pensée unique gravée dans le marbre de la société industrielle de papa.

Avec les artistes emmenés par Victor Lenoble et Mathieu Besset , avec  Pippo Delbono et ses fous, avec Steven Cohen et son « pédé papillon »,  le spectateur, habité de poésie, contemple ce « rien » et se fait une promesse : préférer les traversées hasardeuses aux chemins tout tracés qui ne mènent à rien.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

« DU CARACTÈRE RELATIF DE LA PRÉSENCE DES CHOSES »  de Solal Bouloudnine, Lyn Thibault, Olivier Veillon et Benoît Marchand / Mise en scène Victor Lenoble / Avec la collaboration de Mathieu Besset et Albert Jaton a été joué les 18 et 19 novembre 2009 à Montevideo (Marseille).

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Arles, Toulon, Toulouse, Paris,Uzès Danse: l’événement Bouchra Ouizguen.

Bouchra Ouizguen est en tournée, jusqu'en avril 2010. Nous la lui souhaitons triomphale. “Madame Plaza” est l’événement chorégraphique de l’année. Présentée lors du dernier festival Montpellier Danse, elle entame une tournée qui après Tours, croisera Arles lors du Festival DANSEM le 20 novembre. Préparez-vous à vivre un choc esthétique et émotionnel.

Quatre femmes, assises là, face à vous, viennent subtilement vous chercher pour revisiter la danse contemporaine. Vous voilà presque nu, sans aucune référence sauf celle où tout aurait commencé. Une heure a suffi pour retrouver le lien originel avec l’art le plus fragile qui soit. C’est la renaissance du spectateur tout comme celle de la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen qui ose écrire : « je refais l’apprentissage de la danse : je suis partie à des milliers de kilomètres pour apprendre alors qu’à côté de moi d’autres femmes pouvaient me transmettre quelque chose de si évident : le chemin de la liberté ».  Ces trois femmes qui l’entourent sur scène sont des Aïta, écoutées auprès des hommes de pouvoir, pour leur  poésie, il y a plus d’un siècle. Elles sont aujourd’hui des courtisanes dont les chants et la danse font d’elles des artistes du peuple. Fatima Aït Ben Hmad, Fatima El Hanna et Naïma Sahmoud nous ont littéralement nourries. Le temps d’une représentation et bien au delà, elles sont des artistes…populaires.

Avec trois matelas, elles refont le chemin. Du lit où l’on naît, où l’on se cache, au banc où l’on contemple avec sagesse, où l’on se serre les uns contre les autres, car  à plusieurs on est toujours plus fort. Du mur où l’on est cloîtré à celui que l’on abat pour se libérer.
Trois matelas pour accueillir le corps statufié par les codes moraux, religieux et sociaux.
Trois matelas pour éponger la sueur de l’effort que réclame la libéralisation du corps.
Trois matelas pour amortir le choc. Car tout vibre. À commencer par nos barrières de défense qui font un vacarme intérieur parce que l’on n’ a plus l’habitude d’être « touché » ainsi. Tout vibre parce que le don est une danse. Tout vibre parce que leur chant est une caisse de résonance où l’on se lâche avec confiance.
Dans leur jardin des délices, le chant est un corps qui danse.  Dans leur regard, il y a le sein que l’on cherchait, le cri que l’on poussait, le pli dans la peau où l’on se perdait. C’est ainsi que la danse d’aujourd’hui renaît. Une danse où l’on n’a plus peur de l’humain pour lui faire la fête, où l’on puise dans la force de l’art pour se libérer des contraintes morales et esthétiques et non pour en rajouter. Où l’on apprivoise le corps différent pour voir le monde autrement.

« Madame Plaza » de Bouchra Ouizguen est une danse qui accueille l’homme maladroit. Avec empathie.

La fraternité a dorénavant sa danse.

Pascal Bély – www.festivalier.net

A lire le commentaire ci-desssous de Laurent Bourbousson qui n’a pas été sensible à “Madame Plaza”.

 


A écouter sur le site de la  Revue Radiophonique A Bout de Souffle , un entretien avec Bouchra Ouizguen.

 

“Madame Plaza” de Bouchra Ouizguen a été présenté les 19 et 20 juin 2009 dans le cadre du Festival Montpellier Danse. A voir au Théâtre d’Arles le 20 novembre 2009.  Le 1 décembre à Toulon , Chateauvallon ;  le 31 janvier 2010 à Marrakech ;  le 11 et 12 février au CDC de Toulouse ; le  10 mars à Saint Nazaire ; 11 mars à Saint Herblain ; 14 mars au Creusot ; 16 mars à Auxerre ; 19 mars au Mans ; 23 mars à Lannion ; 26 mars à Caen (CCNCBN) ; le 5,6 et 7 Mars à Beaubourg.

 

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Anne Lopez, une chorégraphe qui nous veut du bien.

Depuis 2005, Le Tadorne aime suivre certains artistes qui l'ont aidé à explorer des voies sinueuses, complexes, mais toujours respectueuses. Citons Michel Kelemenis, Christian Ubl, Gilles Jobin, Philippe Lafeuille, « La Vouivre », Robin Decourcy, Mathilde Monnier, Bouchra Ouizgen, Nacera Belaza, Christophe Haleb, Rita Cioffi, Maguy Marin?C'est une relation de confiance que nous avons avec ces artistes même si nos chemins (peu linéaires) divergent parfois. Pour la plupart, ce sont des chorégraphes comme si leur cheminement était bien plus visible que les gens de théâtre ! Il en est ainsi avec Anne Lopez où ces dernières propositions “Idiots mais rusés et “La Menace“, ont été chroniquées sur le blog. À l’aube de son nouvel opus, “Duel“, Laurent Bourbousson (contributeur pour le Tadorne) a pris rendez-vous pour une rencontre au Centre Chorégraphique National de Montpellier où elle s’installe avec ses “Gens du Quai” (nom de sa compagnie) pour l’ultime étape de création. Compte-rendu.

12h30. Studio Bagouet. Anne Lopez, derrière la régie en salle, observe, scrute les cinq danseurs sur le plateau. Elle m'accueille chaleureusement. Elle vient de modifier deux tableaux. Tout est à refaire. Tous cherchent de nouvelles pistes. Délicat et douloureux moment de création. Si fragile, si précaire qu’il faut être vigilant pour ne pas tomber dans la facilité. Je reconnais François Lopez, Jean Philippe Derail, Hichem Belhaj, et je fais la connaissance de Gaspard Guilbert puis de Florent Hamon.

Autant briser la glace tout de suite. Je lui parle de l’accueil retissant que nous lui avons réservé pour “La Menace“. Le côté “private joke” nous avait laissés perplexes sur la proposition en tant que telle. Nous échangeons autour de ce ressenti. Le dialogue s’installe, tout naturellement.

Puis, je l’interroge sur ses projets. Qu’en est-il de “Duel”, y aura-t-il pléthore d’accessoires,  l’utilisation de la vidéo comme lors de ces précédentes créations? La réponse tombe nette : « non ! ». Pour Anne Lopez, “Duel” marque le retour au corps autour d'un questionnement sur sa capacité à le questionner, à le redécouvrir, à le laisser seul en scène et l’exploiter. Un défi.

Nous échangeons sur la fragilité de créer en danse, sur les problèmes de diffusion hors région d’appartenance, sur la ténacité à être chorégraphe, sur la transmission du savoir.

Jean-Philippe Derail nous rejoint,  dont le parcours entre théâtre, danse et cinéma, ouvre l'échange sur la faisabilité des projets en période de restriction budgétaire. La création est aujourd'hui un combat quotidien pour survivre en milieu hostile.

 

14h30 : Les corps s’échauffent, la réflexion reprend. Chercher des accords, retrouver la juste dramaturgie. Anne Lopez permet l'espace à ses danseurs. Ils essaient, tâtonnent, échangent. Elle donne des indications, des intentions. Sans brusquer, le regard contenant, elle opère comme une technicienne en ingénierie mécanique. Tout est scrupuleusement noté. Le moindre geste est écrit. Elle demande de refaire, de trouver le ton juste.

Le tableau dit “Des poutres” est ingénieux. Mêlant la danse au cinéma, les images collectives cinématographiques défilent devant nos yeux et appellent l’imaginaire. Celui du “Catch” montre la fragilité qu’imposent les figures voulues. C’est superbe à l’oeil, mais cela fait mal au corps. 

Je suis dans un laboratoire où l'on recherche le geste juste. C'est particulièremet beau et touchant. Les mouvements peut assurés en début de recherche trouvent leur forme au bout d’une heure, deviennent plus fluides, s’inscrivant mieux dans la lecture du propos.

Je quitte le studio à regret laissant cette horde de mecs à leur combat. C’est promis, la prochaine création parlera de celui des femmes qui doivent être à la fois maman, working girl, l’amie, la confidente… Tout aussi cruel !

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Duel” sera créé au Théâtre de l’Odéon de Nîmes les 17 et 18 novembre.