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Le souffle de la danse turque.

Que de propositions à « Question de Danse », festival marseillais animé par Michel Kelemenis ! La diversité du programme est prometteuse pour Marseille, si l’on accepte l'idée qu'elle puisse devenir un jour une ville où l'on y danse.

Au cours de la deuxième semaine du festival, Erika Zueneli avec deux duos autour du conflit et d'une table « carrée », nous a laissés perplexes. « Tournois » étant une étape (c'est aussi le principe de « Question de danse »), on évitera tout jugement définitif. Le travail est sérieux, recherché (trop ?). Il lui manque un supplément d'âme, un souffle, pour que l'on soit complètement touché.

 

 

A côté, le collectif franco-turc (incluant la compagnie  C dans C et  Ciplak Ayaklar Kumpanyasi) nous a offert un moment dansé réjouissant. À la table carrée, ils préfèrent le canapé Ikea, symbole d'une génération de la télévision et de l'internet, que l'on aurait tendance à vite classifiée comme désenchantée. Dans « Engin-Ar », elle a besoin d'amour, de collectif, de tolérance. Qu'un plus un, ne font plus deux, mais une infinité de combinaisons suivant l'humeur et le contexte. C'est une génération profondément européenne, dont l'énergie à vouloir inclure la Turquie dans notre projet est vivifiante. Les danseurs portent le collectif avec fougue parce qu'il est incarné dans des valeurs. On reconnait Orin Camus, qui nous avait ébloui dans “Indigo” de Paco Décina.

On en ressort stimulé, car leur danse sculpte nos envies de sortir de la spirale infernale de l'agressivité et du conflit dans laquelle notre pays est plongé. Ce canapé, métaphore de l'objet du désir, qu'ils manipulent dans tous les sens, pousse toutes nos tables contre les murs et dessine un pont bascule entre la France et la Turquie. Époustouflant !

On aurait aimé la même fougue de la part du collectif marseillais « Skalen ». « If I » est une ?uvre au départ incarnée  qui se désincarne peu à peu en l'absence d'un propos chorégraphique assumé collectivement. Ici, « tout le monde est chorégraphe » précisera plus tard l'une des danseuses Michèle Riccozzi. Cela se ressent tant la danse se dilue dans la vidéo et le son de la guitare de Jean-Marc Montera. Cette pièce symbolise ce dont souffrent certains collectifs français : une somme de belles disciplines (le danseur Fabien Almakiewicz est impressionnant) mais une difficulté à passer de la pluridisciplinarité à la transdisciplinarité. Il est peut-être là le rôle du chorégraphe : donner le souffle vital pour opérer le passage.

Mais il y a surtout eu Ayse Orhon avec « Hava'nin a'si/ [a] of air ». Le titre en dit long sur ce voyage unique. Le spectacle qu'il ne fallait pas manquer. Un espace poétique si rare que le corps du spectateur ne peut résister. En nous offrant des voies de passages entre la voix (vibrant chant traditionnel turc), le mouvement dansé, la musique avec le fil tendu par le musicien Ahmet Altinel et l'air, Ayse Orhon bouscule bien des codes de la danse. Elle danse à partir de l'air qu'elle emmagasine pour le restituer. L'effet produit est quasiment indescriptible, car nous n'avons aucune référence sur laquelle nous appuyer, à part faire confiance à notre imaginaire. Le corps métamorphosé par cet « alliage » déplace le spectateur dans un ailleurs suspendu, totalement flottant. L'air, le corps, le son ne font qu'un et forme la matière d'un art incarné dans un fluide du vivant. Tout d'un coup, la danse est une artère sonore, un n?ud musical où se jouent tant d'articulations, que l'espace du corps envahit toute la scène et vous englobe. Ces deux artistes n'imposent rien tant leur fragilité est la force de leur transmission d'eux vers nous. C'est beau parce qu'indéfinissable.

Avec eux, la danse est le vecteur du sens qui autorise toutes les transdisciplinarités. Souffle coupé.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

L’ensemble de ces propositions a été présenté dans le cadre du festival “Question de Danse” du 3 au 7 novembre 2009, en préambule au festival DANSEM.

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Steven Cohen, pédé papillon.

Nous sommes en lien depuis quelques années. Il travaille au Festival d'Automne. On ne s'est jamais rencontré, mais dernièrement, via Facebook, il m'a invité à aller voir Steven Cohen au Centre Pompidou pour sa dernière création, « Golgotha ». Son invitation sincère est accompagnée d'une vidéo d'Arte, filmée lors de l'émission « Tracks » en 2006.

  Lui : « la danse doit quitter les planches pour s'attaquer à la rue ». Pour justifier son corps nu : « l'important n'est pas ce que tu portes, mais ce que tu enlèves ». Il s'autoproclame « monstre juif homosexuel », « pédé, monstrueux, ordinaire ». 

Touché. J'irais. 
Je suis à l'entrée de la salle, assis sur les petits monticules de bois qui accueillent le festival « VidéoDanse 2009». «Inferno» de Roméo Castellucci joué dans la Cour d'honneur du Palais des Papes d’Avignon est projeté en arrière-fond. J'y étais. Pas de son comme si l'image se suffisait à elle-même. On y est. Victoire. La mort sublimée par la société du spectacle. Plus jamais. 
Une heure plus tard. C'est fini. Steven Cohen nous salue de loin puis disparaît à jamais tel un papillon illuminé. Alors que le public quitte « mécaniquement » la salle, je descends les gradins pour me rapprocher de la scène. Comme toute expo du Centre Pompidou, elle a ses secrets pour le spectateur – visiteur. L'homme a tout laissé et nous offre ses « peaux » à notre regard, pour prolonger sa performance. En m'approchant, je prends toute la mesure de l'engagement de cet artiste chorégraphe plasticien sud-africain : objets brisés, chaussures à talons monumentaux, vêtements lourds comme du matériel de guerre, espace de torture. Ici, l'art, est une arme de reconstruction massive. Je fixe la scène comme une pierre tombale. 
Touché. Je reviendrais.
Retour.
La lumière s'éteint. Il apparaît derrière une toile blanche. On ne voit que ses chaussures noires. Peinture vivante pour évoquer la mort. C'est fascinant et inquiétant. Je ressens la perte du proche devenu subitement lointain. Mystère. Le suicide de son frère est à l'origine de « Golgotha », mot issu de l'hébreu, « lieu du crâne, du jugement et de la souffrance où nous faisons l'expérience de l'agonie du sacrifice. C'est notre « ground zéro privé » précise Steven Cohen. À ce moment, je suis au trente-sixième dessous.
Il va ainsi arpenter la scène tout à la fois pieds nus, en tutu, en équilibre précaire sur des chaussures dont un crâne humain sert de semelle. Elles sont l'héroïne d'un film projeté où l'on voit Steven Cohen à New York, près de Wall Street, en costume de trader. Alors que tout se marchande, même la mort, sa marche sur ces crânes est une procession pour commémorer ce que notre civilisation a perdu : une certaine idée du sacré que nous avons sacrifiée sur l'autel de la marchandisation. Ici, la vidéo n'est pas un artifice : elle  documente sur l'époque.
Il revient sur scène, tel un ange de la mort, un revenant, pour réveiller nos consciences, avec fracas, provocations et poésie. Avec son costume de scaphandrier, ses mouvements « queer », ses talons aiguilles pour dessous chics qui transpercent le c?ur des filles, son corps n'est que prolongements pour aller au-delà du biologique. Tout n'est qu'objet de théâtre à l'image de ses chaussures qui, figurines dans un dispositif scénique d'ombres et de lumières, investissent nos imaginaires. La mort, cette héroïne. Après Wall Street, la scène. Magnifique.

Parce que la mort n'est plus ce qu'elle était, écrasée sous le joug de l'économie de marché.
Parce ce qu'il est pédé,  son corps est politique.
Parce ce qu'être pédé, c'est savoir qu'avec le sida,  la mort est politique.
Parce qu'il est pédé, il ose, jusqu'à nous montrer l'agonie d'un prisonnier sur une chaise électrique. Parce qu'il est pédé, il se sait responsable de toutes les morts politiques.
Parce que seule la conscience du  « corps politique »  nous extirpera d'une mort marchandisée, d'une vie où le corps n'est qu'un consommable.
Parce qu'après le fou de Pippo Delbono, c'est le « pédé papillon » qui nous sauvera.
Pascal Bély ? www.festivalier.net
Steven Cohen sera à Montpellier les 7 et 8 avril 2010 dans le cadre de la saison Montpellier Danse.

 

 

 

 

 

 

 

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De l’identité nationale par la compagnie 2 temps 3 mouvements.

Tout commence avec trois figures fantomatiques. Elles sont nous, elles sont eux. Eux, ce sont Nabil Hemaiza et Mathieu Desseigne. Ils sont la rencontre du hip-hop et du cirque. Avec « La stratégie de l'échec », ils dansent le résultat de l'urbanisation massive des années soixante avec la construction des barres HLM et la difficulté d'insertion des jeunes.

Avec une incroyable énergie, ces artistes nous délivrent avec sincérité, un message d'une vérité crue.

Les cités que l'on a vu fleurir ont toutes mené à la ghettoïsation et au mal-être de ses habitants. Considérés comme des parias, « la » et « le » politique ont déserté ces quartiers et laissé les problèmes liés à la socialisation des personnes s'amplifier. Comment grandir, se construire au sein même de ce désenchantement collectif ?


Avec l'acharnement et toute la conviction nécessaire pour s'en sortir ; comme un défi à la débâcle politicienne, les corps symbolisent ce combat de tous les jours où le mélange des deux disciplines illustre l'entraide. A bout de souffle, les mouvements sont répétés, inlassablement, jusqu'à l'épuisement. Nos corps, tous faits de chair et de sang, appellent le questionnement sur notre appartenance culturelle. Qui sommes-nous et que deviendrions-nous sans l'autre ?  La démonstration sur nos supposés clivages, mise au grand jour avec la question récurrente de l'identité nationale, trouve ici une réponse simple et juste : nous sommes tous semblables, nos différences font notre force commune.

C'est ainsi que l'on se ressent à la sortie de ce spectacle, un peu plus métissé, un peu plus français qu'en entrant. À l'heure où est relancé le faux débat sur l'identité nationale, il est urgent de faire résonner le métissage de notre culture et de notre identité afin de construire l'espace d'un futur viable pour tous et non plus pour quelques-uns. Ce jeune collectif en fait une démonstration percutante, loin, très loin des sirènes politiciennes. Il nous invite à fabriquer notre France de demain, loin  des consultations qui ont lieu aujourd'hui dans les préfectures ( !) et qui éloignent un peu plus la jeunesse métissée de notre pays.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

 

« La stratégie de l'échec » du Collectif 2 temps 3 mouvements a été présenté au CDC Les Hivernales, pour le festival Drôles d'Hip Hop, les 23 et 24 octobre 2009.

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La danse, question capitale pour Marseille.

Que faire pour que la danse revienne à Marseille ? De saison en saison, elle disparaît des programmations alors que deux centres chorégraphiques (« Le Pavillon Noir » à Aix en Provence et le Ballet National de Marseille) sont censés les irriguer. Avec la disparition du Festival « Danse à Aix » en 2005, nous avions déjà pressenti l'isolement d'un art qui a besoin, plus que tout autre, d'ouvertures et de maillages pour se régénérer. En novembre 2009, un chorégraphe (Michel Kelemenis), un théâtre (Les Bernardines) et un festival de danse (DANSEM) s'associent pour mettre fin à ce processus que certains voudraient inéluctable. Pendant dix jours, « Question de danse », en préambule à Dansem, offre au public marseillais et aux programmateurs, huit propositions chorégraphiques parrainées par différentes institutions françaises (CCN de Grenoble, Centre National de la Danse, Uzès Danse) et européennes (Lausanne, Officina, Bruxelles, Istanbul). Toutes semblent se porter au chevet d'une ville bien isolée sur la scène chorégraphique en lui offrant  l'opportunité de s'inscrire dans un réseau. En incluant dans cette programmation des ?uvres encore en création, puis en proposant un débat à la fin de chaque représentation, il s'agit de créer une relation de confiance, égalitaire, entre la danse et le public. Ici, le spectateur n'est pas juge, mais garant d'un processus créatif qui évoluera. Nuance. Pour avoir assisté à deux soirées, force est de constater que le public est là, presque rassemblé, loin des querelles de chapelles qui émiettent tant le paysage culturel marseillais. Michel Kelemenis est un homme chaleureux, en sincère empathie avec les artistes tout en sachant nous parler de danse avec sensibilité, loin des concepts qui l'isolent.

Dans ce contexte, les propositions prennent un relief particulier. Deux ont retenu mon attention, tandis qu'une troisième a déjà été chroniquée sur le site (Hélène Iratchet)

La Compagnie Malka animée par le chorégraphe Bouba Landrille Tchouda a séduit. « Meia Lua » est une danse collective qui nous offre un hip-hop émancipé de certains codes scéniques qui l'ont longtemps enfermé. En osant une dramaturgie (un gardien, un musée, des statues, métaphores de nos enfermements) « Meia Lua » permet au hip-hop de s'affranchir d'une danse démonstrative pour (enfin) activer nos imaginaires. En s'appuyant sur un propos universel (préférer l'émancipation à la soumission), le groupe fait preuve d'une vitalité communicative qui fédère. Bien que le sens se perde vers la fin dans une forme groupale un peu trop naïve et déjà vue ailleurs, on s'étonne que ce collectif prometteur n'ait pas vu le jour à Marseille, mais à Grenoble chez Jean-Claude Gallotta ! Il nous faudra suivre de près cette compagnie qui pourrait bien, dans les années qui viennent, sortir le « hip-hop » du musée pour l'inclure dans un mouvement chorégraphique émancipatoire. Celui d'une danse du sensible pour nous libérer de nos communications enfermantes ?


Meryem Jazouli  nous arrive du Maroc avec ?Kelma?un cri à la mère?. Ce solo est au croisement d'un rituel funéraire et d'une transe pour célébrer « l'absente ». Dans un espace scénique réduit, elle réussit à s'émanciper d'un propos religieux (sans le disqualifier) pour faire entendre le chagrin tel un spasme qui aurait besoin de temps pour se tendre et devenir fil d'Ariane. Ici, le corps de la mère et de la fille semble ne faire qu'un, puis se sépare (beau moment où le corps de l'enfant se transforme) pour qu'enfin vie et mort se fondent dans un « ensemble » dansant. Ce solo, profondément intime, n'offre pas toutes les clefs et finit par nous mettre à distance. A ces mouvements saccadés, manquent un liant, un pont vers nous, un prolongement vers un sens global (politique ?) qui éviterait à ce solo de (con)fondre son propos (le deuil) dans une forme mortifère. La sincérité du geste artistique ne fait aucun doute et nous permet d'entrer dans une autre culture du deuil. On aimerait suivre Meryem Jazouli, tout comme “Montpellier Danse” accompagne depuis longtemps les chorégraphes marocains Bouchra Ouizgen et Radhouane El Meddeb, tous deux programmés par Dansem dans les jours prochains.

Question de danse: pour quand « Marseille Danse » ?

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

A Marseille, “Question de Danse” jusqu’au 7 novembre 2009 inclus au Théâtre des Bernardines.

“DANSEM” jusqu’au 11 décembre: www.dansem.org

 

 

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En novembre, au Festival d’Automne à Paris, le Tadorne a vu…

 

C'était au KunstenFestivalDesArts à Bruxelles, au printemps dernier. Le metteur en scène américain d'origine coréenne, Young Jean Lee, présentait « The Shipment ». Au Festival d’Automne, vous goûterez l'humour “noir” de cette ?uvre qui déstabilise avec subtilité nos représentations sur le racisme. À ne pas manquer. C'est au Théâtre de Gennevilliers du 4 au 8 novembre. La critique est à lire ici.

C'était au KunstenFestivalDesArts à Bruxelles au printemps 2008. Nous étions conviés dans une friche industrielle pour « Je meurs comme un pays » de Dimitri Dimitriadis, une création au croisement de la Grèce Antique et de celle des « colonels ». Texte universel ? Pas si sûr malgré une centaine de figurants et quelques comédiens professionnels perdus dans une mise en scène mégalomaniaque. Que pourra bien donner cette ?uvre à l'Odéon, Théâtre de l'Europe (du 7 au 12 novembre) qui a tant refroidi le public belge? La critique est à lire ici.

C'était au KunstenFestivalDesArts à Bruxelles au printemps dernier. Le Congolais Faustin Linyekula présentait « more more more?future » devant un public belge toujours friand dès que l'on évoque son ancienne colonie. Entre danse, concert et music-hall, cette ?uvre sur le rôle de la musique dans la conscience politique, vous plonge dans l'ennui passé les vingt premières minutes. En l'absence de mise en scène assumée, Faustin Linyekula plombe et prend le pouvoir sur le public. C'est à la Maison des Arts de Créteil du 12 au 14 novembre 2009.

C'était en septembre dernier, lors du Festival « Sens Interdits » à Lyon. Le metteur en scène polonais Jan Klata présentait « Transfer ! ». Ici aussi, amateurs et comédiens professionnels se partagent la scène. D'un côté, des témoignages bouleversants de ces « enfants » de la Deuxième Guerre mondiale. De l’autre, une scène en hauteur où l'on joue un remake (raté) du sommet de Yalta. À ne pas vouloir faire  confiance au  jeu des amateurs, Jan Klata s'amuse avec le feu. À voir tout de même à la Maison des Arts de Créteil du 5 au 7 novembre. La critique est à lire ici.

Je ne connaissais pas Jean-Jacques le Bel. Artiste, organisateur d'expositions ou de festivals, poète, théoricien, activiste politique, il est l'invité de la Maison Rouge, où il présente « soulèvements ». Vous plongerez dans son univers artistique où rien n'est hiérarchisé, mais où tout est en lien. Visiter cette exposition, c'est perdre son statut de visiteur passif pour retrouver le plaisir de tirer un bout de ficelle et s'étonner de là où il vous emmène. À ne pas manquer. Jusqu'au 17 janvier 2010.

Bon Festival d’Automne à tous,

Pascal Bély – www.festivalier.net

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Tant pis pour le pique-nique.

« Si on est heureux, mieux vaut pique-niquer qu'aller au théâtre » déclarait Krzysztof Warlikowski à Télérama en juillet dernier. En ce dimanche ensoleillé,  les rues de Paris embaument d'odeurs d'automne, mais nous sommes quelques-uns à préférer la petite salle du Théâtre de la Coline pour « le père tralalère », création collective de la compagnie « d'ores et déjà », mise en scène par Sylvain Creuzevault. Alors que nos campagnes souffrent, le bonheur n'est momentanément plus dans le pré. L'est-il pour autant sur cette scène ? Qu'importe, ce théâtre-là rend serein parce qu'il bouleverse.

 

La table est bien trop large pour les quelques invités triés sur le volet à l’occasion des noces de Lise et Leo. Mais ces tragédiens des temps modernes ont besoin d'espace. Il y a le père de Lise, chef d'entreprise, « droit dans ses bottes » et méfiant dès que l'on cherche à l'usurper d'une bouteille de vin ou de 80 000 euros. Il y a le frère de Lise, poète improductif, qui « à 45 ans sera encore à la fac », dixit le père. N'est pas « Jean, fils de » qui veut.  Il y a Benoît, présentateur de télé qui étale son savoir sur une tartine « bling bling » comme un autobronzant sur sa peau pâle. Le « père de Jean » peut compter sur lui. Il y a Samuel, jeune bras droit du père, tandis que le gauche nous fait un bras d'honneur. Il y aussi un couple d'amis de Lise et Léo, qui vit son bonheur jusqu'à finir par nous le rendre insupportable. Et puis il y a nous,  public, disposé en bifrontal avec cette table au milieu, qui nous cache la vue. Entre vous qui êtes en face et moi, il y a eux, comme un gouffre dans lequel nous ne tardons pas à plonger. Le trou béant de nos peurs et de nos lâchetés, à moins que ce ne soit le théâtre qui, en cette période troublée, est là pour nous sauver.

En arrivant bruyamment, ils nous prennent par surprise alors que les lumières de la salle sont toujours allumées. Le théâtre est encore loin. Ils jouent le jeu, c'est tout. Comme vous, comme moi. Le jeu des conventions sociales. Un jeu de rôles comme un « théâtre réalité » où nous serions de spectateurs-jurés parés pour appuyer sur le bouton. Nous regardons et rions d'eux comme des sadiques. Mais nous sommes lucides. Eux c'est nous. La tension monte parce qu'autour de cette table, les contextes s'emboîtent comme des poupées russes prêtes à nous sauter à la figure : l'état de déliquescence des valeurs de notre pays où l'on ne distingue plus très bien l'éthique de la morale, d'autant plus que nous peinons à communiquer avec l'autre dans un espace saturé par l'information futile. Il y a la perte des repères alors que nous cherchons le père, tandis que nous régressons affectivement de peur de nous en émanciper. Et puis il y a l'ici et maintenant, là, tout à l'heure, avec la grippe H1N1 qui annule un match de foot et le Pôle Emploi englué dans son inefficacité !

La frontière entre eux et nous est si fragile que nous pourrions franchir le pas et nous inviter par surprise.

Sauf qu'à force de jouer avec le feu, le théâtre fait une irruption dans ce réel formaté et mortifère. Le corps s'invite donc à table et pas qu'un peu. Lise glisse, Léo s'engouffre, le père bascule. Et nous avec. C'est alors que le théâtre va mener un combat acharné contre tous les démons actuels qui le réduise à un simple divertissement. Ces comédiens (tous exceptionnels) se métamorphosent pour incarner des personnages presque « mythiques » de nos sociétés postmodernes. Sylvain Creuzevault provoque une intensité dramatique qui nous emporte parce que le corps, (biologique, social et politique), prend ici toutes ces formes pour chasser ce « réel », ce « concret » qui envahit nos modes de pensée et nos façons de communiquer. D'un repas, d'une fête au départ « industrialisés », mécanisés à l'image de ce que nous transformons, le liquide, la poudre, le souffre, le beau, le laid, le cul, le sang, s'emparent de l'espace scénique pour nous rappeler que nous sommes faits de tout cela. Pour qu'enfin, le théâtre français ose cette chair, ce vivant dégoulinant et nous propulse dans l'intranquillité qui nous sauvera de nos peurs.

La dernière scène est magnifique, alors que les acteurs jouent avec les tables pendant que le roi se meurt. Le chorégraphe William Forsythe s'inviterait presque de la partie, lui qui en a fait depuis longtemps un objet théâtral par excellence où les corps s'y désarticulent pour renaître, par la grâce de l'acte chorégraphique. Il y a chez Sylvain Creuzevault, cette part du chorégraphe et du peintre qui nous propulse dans le théâtre du sensible. Rien d'étonnant qu'à la sortie, nous sortions éclaboussé et tant pis pour le pique-nique.

Mieux vaut parfois être piqué à vif.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

“Le père tralalère” par la Compagnie d’Ores et déjà du 14 au 31 octobre 2009 au Théâtre de la Coline dans le cadre du Festival d’Automne. Puis du 5 au 15 novembre 2009 au Théâtre du Nord (Lille).
A lire la critique de “Notre terreur“, dernière création de la compagnie.

 

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Avec Alexis Moati, le jeune public se prend un vol plané.

Avec la représentation du « Malade imaginaire » de Molière, Alexis MOATI réussit à bousculer les idées préconçues d'un public scolaire souvent réticent à l'égard du théâtre, n'y voyant qu'un lieu désuet, où sont présentés des « classiques » figés et immuables. Ici, il devra s'en affranchir pour s'éveiller à une forme «participative » inédite.

 En conviant les spectateurs à s'asseoir sur la scène, la compagnie “Vol Plané » joue la proximité public-acteur. Effaçant la frontière du dehors et du dedans, le cadre s'ouvre pour nouer une autre relation avec le public. Les comédiens n'hésitent pas à se fondre parmi lui, à changer de rôle durant la pièce (d'acteur à régisseur plateau) pour l'interpeller. Cette mise en scène, où les mots de Molière se déclinent en jeans et tee-shirts, partage et transmet en permettant à ce public dit « scolaire » de s'approprier l'acte théâtral.

En créant la résonance entre l'époque de Molière et aujourd'hui, les comédiens offrent une seconde lecture de la pièce. Ils transmettent ce que l'éducation nationale peine à articuler, un texte classique et notre contexte. Ils réussissent à donner une hauteur de vue et mettent à l'épreuve l'écriture de Molière pour mieux nous y glisser.

  La compagnie “Vol Plané” parvient à perturber le public scolaire en bousculant les codes de la représentation. Les élèves s'interrogent sur la longue cacophonie du prologue, sur la lumière qui ne s'éteint pas alors que la pièce a commencé. Ces questions en suspens trouvent leur réponse dans le déroulé de la mise en scène. Alexis MOATI, en parfait pédagogue, réussit à instaurer une relation entre son public, sa compagnie et invente un théâtre ouvert vers ces adultes en devenir.

Laurent Bourbousson ? www.festivalier.net

 

“Le malade imaginaire” par la Compagnie Vol Plané a été joué au Théâtre des Halles, en Avignon, du 8 au 10 octobre 2009.

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« La décadanse » d’Anne Teresa De Keersmaeker .

C'est une semaine turbulente, dans un climat de persécution et de décadence qui enveloppe tout le pays. La peur s'immisce partout, les barrières se dressent, le népotisme s'invite au plus haut niveau de l'Etat, l'argent infiltre les lieux du savoir, les commentaires sur les sites internet des journaux concernant Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, sont d'une violence inouïe. La société du spectacle et du jeu, érigée en propos artistique à la Biennale d'Art Contemporain de Lyon, entame sa descente aux enfers. Il ne manque plus qu'à installer nos politiques dans une émission de “télé réalité” pour qu'ils décident de notre avenir tout en dévoilant leurs penchants sadiques envers des fonctionnaires de La Poste.

Dans ce contexte,  où trouver l'apaisement pour ne pas perdre son sens critique et l'amplifier? Alors que l'inculture nous est proposée comme modèle de développement, que les artistes s'inquiètent de devoir se plier à des impératifs de marketing, pousser la porte d'un théâtre devient un acte de résistance. Celui de Nîmes accueille la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker pour sa dernière création «The Song». Le hall d'entrée est glacial, entre monument historique et lounge pour cadres fatigués. Assurément spectaculaire, mais si peu chaleureux. Tout y semble statufié. Le contraste est saisissant avec le décor de « The Song » : pas de tentures noires, un ciment à nu où l'on perçoit  toute la machinerie théâtrale. Les murs ne sont que raccords, replâtrages, poulies et rouages. La fin de notre société industrielle servirait-elle la scénographie, à moins que la rudesse du béton ne nous renvoie à la dureté de l'époque. Malgré tout, plane sur le plateau, une bâche brillante qui jouera tout au long de l'?uvre sa fonction : nous rappeler qu'avec une matière fragile, on peut illuminer un propos.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=HlQuhLfEfbY&w=404&h=246]

(superbe vidéo à voir et revoir!)

Ils sont neuf danseurs masculins accompagnés de Céline Bernard, bruiteuse (magnifique présence, en totale écoute empathique). Tout semble ouvert afin que la danse soit une chanson que l'on fredonnerait le temps d'un bonheur retrouvé. Ils ont donc poussé le décor pour faire place au groupe, à leur projet : prolonger leurs mouvements dans notre imaginaire pour que leurs pas soient notre partition. Car tout n'est que silence, mis à part les bruits produits par Céline Bernard, des chansons jouées a cappella, et des chants d'oiseaux créés par ses danseurs à l'agilité volatile.

Rarement, je me suis senti autant inclus dans une ?uvre.  Leurs allers ? retour entre le centre et les bords de scène provoquent l'ouverture qui stimule tous mes sens et me plonge dans un abyme de beauté, de légèreté et d'apesanteur. Pendant une heure et cinquante minutes (cette durée inhabituelle est le signe d'une danse qui s'autorégénère), je suis un spectateur contemplatif actif. Ils incarnent tout ce que notre société industrielle ne peut assimiler : le déséquilibre est une force, « essayer » participe de l'?uvre, le silence est un espace sur lequel on s'appuie pour que le sens soit un bruit, la circularité (même fragile) est préférée aux ruptures linéaires. Ici, les hommes forment une toile où l'intensité de leurs liens propulse leur danse vers cette chanson virtuelle et entêtante, où les rapports de force et sentiments amicaux font partie intégrante du “jeu musical”. En l'absence d'instrument de musique, ils font de l'invisible, une matière immatérielle, celle qui se moque du spectaculaire, mais se nourrit d'échanges humains au c?ur d'une société écologique. L'optimisme nous contamine, car ces danseurs ne lâchent rien : leur sensibilité à fleur de peau est leur force qui nous empêche d'intellectualiser la danse. En jouant avec les éclairages (on allume puis on éteint), avec la bâche (voile enveloppant puis liquide mélodieux quand elle tombe à terre), les scénographes Ann Veronica Janssens et Michel François provoquent notre sidération et notre lâcher-prise qui participent au processus de création d'une musique partagée. L'énergie de la scène se propage telle une vague. À force d'inclusion, « The song »  frôle la comédie musicale qui conduit certains spectateurs à taper du pied, bouger leur corps, dans ce silence si chantant.

Anne Teresa de Keersmaeker chorégraphie le « sensible » et signe un manifeste pour une société où l'art serait au service d'une économie de l'immatérialité. Mais pour cela, elle convoque aussi les Beatles avec « Helter Skelter » pour ouvrir nos mélodies avec le rock, seule musique capable de nous rendre chaleureux dans le chaos.

Cette énergie nous revient lors du final tandis qu'un faisceau lumineux éclaire les rangées de spectateurs. Je reçois cette lumière sur mon visage, je ferme les yeux, j'ouvre mes bras et me voilà propulsé dans un ailleurs, si loin de la décadence de l'Empire.

Pascal Bély – www.festivalier.net


“The song” d’Anne Teresa de Keersmaeker a été joué les 6 et 7 octobre 2009 au Théâtre de Nîmes.

En tournée française:

– 13 et 14 octobre à Mulhouse

– 10 décembre, Amiens

– 19 janvier, Caen,

– du 26 au 28 janvier, Grenoble.

– du 6 au 9 février, Limoges,

– 17 février, Bordeaux,

– 24 et 24 février, Orléans.



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Rachid Ouramdane célèbre la mémoire des âmes torturées.

 

« Les témoins ordinaires » de Rachid Ouramdane est actuellement à l’affiche du Festival d’Automne à Paris jusqu’au 18 octobre 2009. Rendez-vous au Théâtre de Genevilliers pour une ?uvre rare, fragile, complexe. Retour sur cette pièce vue au dernier Festival d’Avignon.

« Les témoins ordinaires” vous traverse et tisse sa toile avec la dernière création de Maguy Marin,  « Description d’un combat ».  Il y a chez ces deux chorégraphes, l’impérieuse nécessité de donner la parole à ceux qui ne l’ont plus. Avec eux, la danse a un propos parce qu’elle écoute ses contemporains et positionne le public dans un travail, avec respect, pour l’aider à  se projeter dans une vision assumée.

Ici, ce sont les invisibles, ceux que l’on n’entend plus dans nos espaces médiatisés à outrance, où le temps de l’humain se réduit à une variable d’ajustement. Ce sont ceux qui ont vécu la torture aux quatre coins du monde, dans des contextes politiques et économiques différents des nôtres, mais dont les vies brisées sont incluses dans notre histoire, n’en déplaise à nos autorités qui n’ont toujours pas entamé le devoir de mémoire.

Comment la danse peut-elle offrir un lieu de parole, restituer l’innommable sans voyeurisme, ni interprétations abusives ? En posant d’abord un cadre, radical, à peine le spectacle commencé: des petits hauts parleurs perchés diffusent les mots de torturés. Progressivement, la lumière s’éteint. Nous ne voyons plus, nous cherchons l’espace de la représentation. Il est en nous. Dans notre capacité d’écoute. Rachid Ouramdane nous positionnerait-il dans une fonction thérapeutique ? Les témoignages se succèdent, se répondent. Le son engourdit nos corps comme s’il provoquait un lâcher-prise salvateur : il n’y a plus rien à comprendre, c’est au-delà de la raison. Lâchons.

L’obscurité disparaît peu à peu : un mur de projecteurs illumine la scène pour « mettre en lumières ». Comme chez Maguy Marin, la lumière amplifie le sens. Un danseur arrive et règle une guitare électrique posée à terre. Elle diffuse un son strident, une sonnerie aux morts-vivants : une onde de choc se prépare. Un son pour recréer le fil de la vie. L’art va donc s’emparer du sujet, le célébrer, avec modestie, respect et mise à distance.

Ils sont cinq danseurs à errer sur scène, entre la vie et la mort. On devine à peine leurs visages : ils sont silhouettes. Un écran posé à terre projette les visages resserrés des témoins. Aux têtes sans corps répondent les corps sans tête. C’est sublime dans l’horreur. Ils déambulent, se croisent sans se voir. Et cela dure. Ces corps torturés cherchent leur cimetière : Rachid Ouramdane leur offre l’espace de la réparation, celui où l’on remet en lien les membres désarticulés, celui où les mots se font entendre par le corps. Coûte que coûte, revenir vers le corps.

Mais il faut écouter ce qu’ils nous disent. Les danseurs, magnifiques porte-parole, incarnent avec force ces corps qui semblent avoir perdu toute fonction biologique. Certains  mouvements répètent inlassablement la même histoire, comme les images en boucle à la télévision les jours d’attentats. Le « corps politique »  dévoile une à une ses peaux composées d’armures fracassées. Les jambes et les bras se désarticulent.  Le corps du danseur devient alors une masse informe et vulnérable : le bourreau soulève, joue avec et prépare le charnier. L’instant est sidérant.

À d’autres moments, ces âmes torturées ont le corps d’un f?tus se contractant sous les coups extérieurs. La mort est un prélude à la renaissance. Et puis, la cérémonie bascule : la danse se fait douleur. La danseuse tourne sur elle-même au cours de minutes interminables : elle risque à tout moment de perdre son centre de gravité, de se brûler les pieds par contact avec le sol. Cette torche vivante fait tomber les bras et la tête. L’art se niche au c?ur de la torture : beau et troublant à la fois.

Alors que la lumière s’intensifie, que l’errance se poursuit, nos âmes torturées s’apaisent peu à peu. Nous avons écouté. La guitare s’élève et se balance : la pendule du temps fonctionne à nouveau, à moins que cela ne soit un hommage aux pendus, à leur dernière danse.

Le témoignage d’une femme réapparaît à l’image et les mots préparent la fin de ce cérémonial majestueux. Pour Rachid Ouramdane, rien ne peut remplacer la parole. Beau geste d’un chorégraphe qui ose immobiliser sa danse pour s’effacer : seuls les mots peuvent faire entendre l’innommable.

Et le public ne s’y trompe pas : il applaudit avec respect ce qu’il ne peut ovationner.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

“Des témoins ordinaires” de Rachid Ouramdane, au Festival d’Avignon, du 19 au 28 juillet 2009 puis au Festival d’Automne de Paris du 8 au 18 octobre 2009.

Crédit photos: Christophe Raynaud de Lage.

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Les fous sauveront-ils Actoral ?

Dans un temps très réduit, un festival nous aide à ressentir notre époque, à repérer les processus émergents de la création à l’image d’ACTORAL, festival international des arts et des écritures contemporaines de Marseille. Après une semaine, on à l'étrange impression que les propositions s'« institutionnalisent » et que l'on pourrait les retrouver dans les programmations parallèles des grands théâtres.  On aurait aimé être transporté, déplacé ; percuté; nous sommes juste légèrement décalé, parfois surpris. Cela signe-t-il l'inquiétante paralysie des programmateurs à l'heure de la réduction des budgets et de la précarisation croissante des artistes ? N'est-il pas surprenant que l'éditorial d'Hubert Colas, metteur en scène et directeur d'Actoral, porte sur les espoirs envers « Marseille 2013 » comme si cette célébration pouvait à elle seule être une réponse au défi global de la création contemporaine en France ?

Retour sur une semaine trop vite passée?

Cet été, au Festival d'Avignon, le metteur en scène italien Pippo Delbono avec « La Menzogna » nous offrait un final éblouissant : seul le « fou » pouvait nous sauver de la débâcle. À Marseille, le fou est un roi qui se moque bien de notre triste sort ! Personnifié par Etienne Saglio dans « le soir des monstres », cette ?uvre de cirque étonne par son langage (entre tours de magie et théâtre burlesque sans texte). Le pouvoir s'incarne, mais Étienne Saglio peine à s'amuser avec le corps « institué » et nous inflige des mouvements plus proche d'un « one man show » que notre petit président jouent d'ailleurs à merveille. Malgré une réelle sincérité dans le jeu, l'ennui guette. Étienne Saglio a un talent prometteur, mais on aurait aimé un peu plus d'audace en lieu et place de ses numéros tuyautés qui finissent par lasser.

À côté, le fou incarné par Bonaventure Gacon détonne ! « Par le boudu » nous donne à voir l'un des clowns les plus complexes jamais rencontré. Il perd toutes notions d'espace et de verticalité. Assassin d'enfant, il va jusqu'à le manger. Pour s'asseoir ou se lever, il prend de tels chemins de traverse, qu'il peine à retrouver la mécanique de son corps. C'est un clown contaminé par notre société de consommation qui s'amourache d'un poêlon. Il finit même par engloutir n'importe quoi au risque de se casser les dents. Pour incarner nos névroses obsessionnelles d'ordre et de sécurité, il imite un soldat obéissant, prêt à tendre le bras vers Jean-Marie. Tout au long de ce spectacle drôle et subtil, me revient l'année 2002, celle où la France s'est couverte de honte. Étrange coïncidence, c'est la date de création de « Par le boudu ». Huit ans que ce clown cauchemardesque envahit nos théâtres et torture nos mauvaises consciences. Réussira-t-il à nous sauver ?

Elle aussi pourrait être un clown, mais elle est chorégraphe. Pour son anniversaire, les amis d'Antonia Baehr  lui ont offert différents « morceaux » qui forment « Rire », « spectacle » qui fait le tour des festivals de création contemporaine (KunstenFestivalDesARTs, Toulouse et Actoral à Marseille). Ici aussi, le rire véhicule bien des maux de notre société. Il n'est plus cantonné à la sphère intime, mais a  contaminé depuis les années soixante-dix le langage social, jusqu'à devenir un outil de domination (en référence à son omniprésence à la télévision et ailleurs), une arme du politique pour étouffer toute réflexion sur le sens. Antonia Baehr semble dire au public : « Vous voulez vous marrez, ne pas vous prendre la tête et bien vous allez être servi ! ». Alors, elle rit, nous avec, même si nous finissons par ne plus rire du tout. Nous décrochons quand la forme se perd dans sa propre démonstration. En effet, si le rire est un langage des langages, Antonia Baehr retombe parfois dans la facilité du langage?pour nous faire rire !  C'est cette rupture dans les niveaux logiques qui fait de « Rire » une forme en émergence. Sera-t-elle un jour un texte de théâtre?

 

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Il est 23h15 et l'on ne rit plus. Le collectif italien « Ricci et Forte » invite cinq spectateurs toutes les 25 minutes à monter un étage pour s'installer dans une salle de bains de la maison de Montevideo, lieu de création et de diffusion dirigé par Hubert Colas. Un homme dans une baignoire, caresse  des petits canards, troublé comme s'il avait  retrouvé l'objet perdu de l'enfance.  À la fois loge de l'artiste et scène de théâtre, le lieu est une caisse de résonance qui finit par m'emporter. Il ne parle pas, mais nous devinons le chaos intérieur. Alors qu'il quitte le bain, sa peau porte les stigmates de l'amour à mort. Ce simple mouvement de l'eau vers nous est une séparation symbolique incarnée par le corps de cet artiste merveilleux (Guiseppe Sartori). La douleur est telle qu'il en pleure, qu'il se déchire et finit par nous exposer, sous le nez, tout ce que nous projetons dans la rupture d'un lien d'amour.  Tout dégouline,  tout est (à)fleur de peau et me revient subitement l'ami perdu il y a vingt ans, jour pour jour. Cet acteur, reine d'un soir, qui sublime la beauté (féminine) par peur d'aimer se trouver laid, réveille en moi une séparation qui a bouleversé ma vie. Quand le théâtre ose l'indécence avec respect, permet de sonder l’insondable, on espère retrouver Stefano Ricci et Gianni Forte.

Avec les Québécoises Renée Gagnon et Mylène Lauzon, il est aussi question de lien. Ici, c'est leur amitié qu'elle propose de mettre en espace avec une performance, « Somme : S?urs », qui laisse perplexe. Entre vidéos sur leur dialogue à distance, numéros un peu téléphonés sur leur complicité, lecture de textes souvent obscurs, on ne saisit pas  les intentions des auteuses. Le malaise est d'autant plus palpable qu'à trop conceptualiser ce lien, elles finissent par le contrôler. Étonnant à l'heure où le « sensible » déploie tant de possibles.

Dans quelques temps, Pippo poursuivra notre sauvetage au cours de sa tournée en France, tandis que les artistes belges continueront d'ouvrir ce que nous verrouillons avec nos rêves d'ancien régime.
Pascal Bély – www.festivalier.net