À Aix en Provence trône, triomphant, le Pavillon Noir des Ballets Preljocaj. Le chorégraphe désirait pour la ville, lors de son inauguration en 2006, « un lieu dédié à la danse ». Deux années plus tard, sa programmation consensuelle et sans relief m’a contraint à faire de nombreux kilomètres afin de dessiner un paysage chorégraphique divers, européen, en phase avec notre époque et pas seulement réduit au succès de « Blanche-Neige » de Preljocaj ou du « Gershwin » de Montalvo-Hervieu.
2008 fut assurément une année détonante, démontrant une fois de plus le potentiel créatif de cet art si fragile.
1- Jeanne Balibar, Boris Charmatz, « La danseuse malade », Festival d’Automne, Paris.
2- Olivier Dubois, « Faune (s) », Festival d’Avignon.
3- Christophe Haleb, « Domestic Flight », Hivernales d’Avignon.
4- Eszter Salamon, « Dance ? 1/driftworks , Montpellier Danse.
5- Germana Civera, « Fuero(n) », Montpellier Danse.
6- Odile Duboc, « Rien ne laisse présager de l’état de l’eau », Pavillon Noir, Aix en Provence.
7- Gilles Jobin, « Text to speech », Scène Nationale d’Annecy.
8- Kris Verdonck, “End“, KunstenfestivaldesArts, Bruxelles.
9- Christian Ubl, “Klap! Klap!”, 3bisF, Aix en Provence.
10- Jennifer Lacey, « Les assistantes », Festival d’Automne, Paris.
11- Latifa Laâbissi, « Histoire par celui qui la raconte », Festival d’Automne, Paris.
12- Sylvain Prunenec, « About you », Festival « C’est de la danse contemporaine », Toulouse.
Aux origines…
Jeanne Balibar et Boris Charmatz ont fait danser le théâtre avec leur camion, espace rupestre pour revenir aux origines du bûto. Olivier Dubois a dépoussiéré ce « Faune(s) » pour l’habiller de peaux de bêtes et remonter aux sources du désir. Latifa Laâbissi a osé danser notre sauvagerie à partir d’un récit préhistorique postmoderne.
Au final…
Signe des temps, l’apocalypse a fortement inspiré. Le flamand Kris Verdonck ne se définit pas comme un chorégraphe. Et pourtant, « End » restera l’une des chorégraphies les plus perturbantes sur notre fin du monde. À l’opposé, la Catalane Germana Civera nous a proposé avec « Fuero(n) » (voir vidéo) l’un des plus beaux débuts de la fin.
Le corps postmoderne…
Trois chorégraphes ont saisi toute la complexité de notre époque, en se préservant de la réduire. Ils ont choisi nos gestes quotidiens pour les déployer dans un espace restreint, qu’une chorégraphie intelligente réussit à élargir. Le Suisse Gilles Jobin a brillamment démontré comment l’économie de l’information et de la communication intégrée dans nos corps est une formidable machine de guerre. Jennifer Lacey, avec ses « assistantes », nous a offert l’un des tableaux les plus réjouissants sur la postmodernité, où sept femmes éclaireuses donnent corps à notre utopie d’une société bien différente de celle construite par la Sarkozie. Avec Christophe Haleb, le corps n’est pas tant féminin ou masculin que sociétal. « Domestic Flight » restera l’un des spectacles le plus abouti sur la transformation sociale du corps.
Le corps hybride.
Eszter Salamon nous a éblouis avec sa chorégraphie où les corps s’articulent et se désarticulent pour faire émerger des formes hybrides étonnantes au carrefour du théâtre, de la danse, du chant, voire du cinéma ! Odile Duboc a fait corps avec l’eau et la terre pour fluidifier notre regard sur la danse, tandis que Sylvain Prunenec provoquait la collision des corps, telles des particules, pour en dégager l’énergie collective.
Et le spectateur, danse-t-il? Oui, avec ses mains! Il chorégraphie même le salut final. Remercions Christian Ubl avec “Klap! Klap!” d’avoir dénoncer la paraisse des applaudissements, métaphore du consensus mou qui gagne bien des programmations. Même le Pavillon Noir d’Aix en Provence?
Sifflet final.
Pascal Bély
www.festivalier.net
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Pour se souvenir, le bilan culturel de l’année 2007, 2006.


En novembre dernier, je participais au jury régional « Talents danse » à Marseille organisé par l’ADAMI. Deux danseuses interprètes furent sélectionnées et invitées pour l’audition finale du 13 décembre à Paris.
A l’entrée de la salle, on préfère nous avertir : « certaines scènes seront jouées dans l’obscurité la plus totale ». Le principe de précaution s’immisce décidément partout. Aurions-nous peur, même du noir ? C’est fort possible.
Le premier solo de Chloé Moglia aurait pu suffire. « Nimbus » fragilise notre regard sur la performance où la force s’éclipse pour le doute, l’égarement, l’imaginaire. Elle arrive avec son échelle pour atteindre son trapèze. Je plonge dans un ailleurs fait d’équilibres, de fragilité, où la lumière suspend le corps. C’est un espace immatériel ouvert alors que le vide l’entoure. Elle déploie son corps pour se mouvoir dans des ouvertures symboliques qui font référence à la créativité en temps d’enfermement. J’aurais aimé une descente moins brutale alors qu’elle rejoint la scène. Je ressens un propos épuisé, là où les danseurs auraient exploré bien d’autres pistes.
Le duo qui suit, « Ali » avec Mathurin Bolze et Hedi Thabet, propose une performance entre deux hommes dont l’un est unijambiste. Vingt-cinq minutes d’escalades, de liens conflictuels et amoureux, de recherches d’articulations entre le 1 et le 2. C’est le handicap qui fait le spectacle et Mathurin Bolze s’appuie sur lui pour parler d’eux. La bête de foire ne tarde pas à émerger et faire rire le public tandis que les applaudissements ponctuent les performances. Face au chahut, les voilà contraints de faire un signe pour réclamer le silence. Je décroche rapidement dans ce zapping de numéros où l’autre différent n’est finalement réduit qu’à ce qui le handicape. Tout est effleuré avec pudibonderie et finit par produire un consensus mou. Il aurait fallu toute la poésie d’un
Le dernier solo s’enlise dans le vide sidéral. « Croc » par la Compagnie Moglice, interprété par Mélissa Von Vépy
L’ennui s’invite à la Comédie de Valence. Je lutte contre le sommeil.
En ouvrant sa mise en scène sur des extraits de « Douleur exquise » de Sophie Calle, mis en son par Christophe Perruchi, Alexandra Tobelaim donne un souffle nouveau à Marivaux. Elle le veut contemporain. Elle l’arrache à nos représentations imaginaires et le transpose dans notre siècle où l’amour semble avoir fuit. Le sentiment amoureux et le sens du dialogue ne sont effectivement plus au centre de nos préoccupations. Comme pour entrer en résonance avec cette désertion, le plateau se présente comme un parterre de terre, représentation de ce que le corps est : un champ de bataille.