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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival Off d’Avignon, « La Vouivre » et leurs magnifiques hivernales.

Pour atteindre le Studio des Hivernales, il nous faut monter les escaliers comme au bon vieux temps où nous nous cachions dans le grenier pour y soulever la poussière et jouer au docteur. Tout un symbole. L’espace est minuscule pour accueillir « La Vouivre », compagnie pour deux danseurs (Samuel Faccioli et Bérengère Fournier) et un musicien (Gabriel Fabing). Qu’importe la petitesse de l’endroit, l’oeuvre  se déploiera ailleurs.  C’est certain. Car « Oups + Opus » ose inclure la danse dans un imaginaire cinématographique et sonore et crée une belle fluidité entre des disciplines artistiques au service d’une esthétique et d’un propos intelligent et intelligible. Rien que ça.

Ce spectacle en deux parties sur le couple relie bien plus qu’il ne sépare et c’est au spectateur de faire lui-même les passerelles. Le beau matériau est là, donné avec générosité.

« Oups » commence par ce couple, endimanché, assis sur son canapé. C’est leur espace relationnel dans lequel la danse est une mécanique savoureuse qui tire avec élégance les ficelles de ces deux marionnettes. Ils recherchent l’accord parfait et nous rappellent le temps lointain de nos parents où les convenances sociales et religieuses régissaient la communication ; à moins que leurs mouvements ne soient très actuels dans une société qui standardise tout autant le lien dans cette recherche (épuisante ?) de l’articulation rationelle.

A les voir se chercher en permanence les seins et le sexe avec des airs de ne pas y toucher, on sourit face à une telle naïveté et l’on s’inquiète de la pudibonderie montante de notre société « marketée ». Leur espace est un croisement permanent entre passé et présent et leur temps n’est que celui de l’humain. Est-ce pour cette raison qu’ils nous émeuvent, loin du pathos, mais proche de nous ? Leur danse, profondément charnelle, nous les rend beaux. Malgré leurs habits, il nous plaît de les voir si nus.

« Opus » libère notre couple. Leur scène s’affranchit et se déploie dans un environnement « dématérialisé» peuplé d’oiseaux et de sons (exceptionnel travail de Gabriel Fabing).  Ces deux-là nous offrent l’un des espaces les plus ouverts qu’il m’est été donné de voir, où  les danseurs s’articulent dans une interdépendance saisissante (moment incroyable où les corps servent d’émetteur radio !), où l’on passe du duo au trio comme métaphore d’une ouverture vitale, où d’une danse quasi fusionnelle, ils s’en émancipent pour laisser le corps oiseau se déployer (magnifique solo de Bérengère vers les derniers instants). Le son de Gabriel Fabing est une toile pour que la place de chacun ne soit plus statue, mais mouvement émancipatoire.

Alors que la lumière s’éteint, alors qu’elle est partie, on regarde Samuel. C’est à lui maintenant de voler, d’aller la chercher, d’imaginer encore et encore de nouveaux espaces pour danser et nous donner, une fois de plus, la force de « relationner » !

Qu’ils nous montrent encore comment on fait…

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Oups + Opus” par “La Vouivre” au Studio des Hivernales à 15h30 jusqu’au 26 juillet 2009. Réservation fortement recommandée au 04 90 82 33 12.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, avec “Angelo, tyran de Padoue”, la tyrannie de FranceTelevisions.

La pièce est mineure, peu jouée et pourtant. “Angelo, tyran de Padoue” de Victor Hugo est programmée pour quatorze représentations à l’Opéra d’Avignon jusqu’à la fin du festival. Pour sa première création théâtrale, le cinéaste Christophe Honoré à droit à tous les honneurs, avec FranceTelevisions comme l’un des coproducteurs. Avignon semblait protégé de l’incursion de l’industrie télévisuelle dans la production du spectacle vivant. Cette année, une digue vient de tomber.

Angelo, personnage tyrannique et angoissé, incarné par Martial Di Fonzo Bo a donc une femme (Emmanuelle Devos) et une maîtresse (Clotilde Hesme). Une énigme abracadabrantesque permet aux amants et aux gardes du corps de jouer à cache-cache. Les deux comédiennes peinent à habiter une scène de théâtre, tout au plus seraient-elles plus à l’aise sur un plateau de cinéma. Quant à Martial Di Fonzo Bo, il hésite entre « la cage aux folles » et « Hamlet ».

Christophe Honoré brouille les pistes. Où sommes-nous? Quel sens dégage cette forme artistique hybride où théâtre, 7ème art, télévision s’enchevêtrent? Les effets visuels sont de toute beauté avec ce décor fait d’échafaudages de fer où un habitat sur roulettes se déplace tel un traveling et nous conduit de la cave au septième ciel, ou en enfer. L’imaginaire homosexuel est omniprésent : l’atmosphère suinte l’odeur de sexe des backrooms, les femmes sont ici fatales et fragiles, solidaires dans l’épreuve. Ce parti pris englue la mise en scène dans un jeu proche du soap opéra avec des acteurs qui frôlent souvent l’amateurisme. La télévision s’en contentera. Comme elle sera ravie d’une incursion chantée, déplacée et pour tout dire ridicule : Honoré recycle « les chansons d’amour », son dernier film musical à succès.

Le malaise est profond, car la tyrannie d’Angelo envers ses conquêtes est à peine incarnée, tout au plus caricaturée. Honoré ne dirige pas les acteurs : il les incruste dans le décor, fruit de son imaginaire. Telles des marionnettes, les comédiens semblent jouer leur propre rôle (Devos en Devos, Martial en Martial, …) comme si le « people » prenait le pas sur l’acteur de théâtre (Le Monde dans son édition du 12 juillet s’essaye même au storytelling : « Les ruses de Christophe Honoré pour trouver son casting de rêve »).
La dernière scène où descend un écran plat de cinéma, voire de télévision, signe la toute-puissance de l’image et tyrannise le spectateur : “gens de théâtre, la télévision va vous imposer une esthétique. Il en va de votre survie ». Ainsi, de façon subversive, le théâtre de Christophe Honoré sidère par l’image et inquiète par sa tyrannie rampante. En phase totale avec le projet politique du pouvoir en place qui fait de la télévision le vecteur des esthétiques à la mode et des discours autoritaires.
Pascal Bély – www.festivalier.net

A l’heure où cet article a été écrit, je n’avais pas d’informations précises sur le rôle de FranceTélévisions. La revue Mouvement, en date du 25 juillet, donne quelques précisions.

“Angelo, tyran de Padoue” par Christophe Honoré jusqu’au 27 juillet 2009 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Photo: Christophe Raynaud de Lage.

 

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LES EXPOSITIONS

Aux Rencontres Internationales de la Photographie en Arles, douloureuse Nan Goldin.

Rien de tel pour commencer son périple photographique en Arles que l’Église des Frères  Prècheurs : la profondeur du lieu est une intersection idéale  pour croiser ma vision et celle de Nan Goldin, commissaire d’expositions.

A l’entrée, l’endroit surprend par le vide. Rien. La projection va débuter. J’avance, le regard alentour. C’est en haut que cela se passe, au coeur de la nef, habillée pour la circonstance en temple de l’image. Salle obscure pour pêcheurs.

J’accède à la hauteur et domine en contre bas. Un mannequin, allongé les yeux ouverts, le torse dénudé semble perdu au coeur de la rédemption. Le photorama commence sur trois écrans qui nous affrontent. NOUS SERONS TOUS JUGES. Les images de peintures médiévales défilent, crient, décrient notre faute à chacun: nous sommes tous coupables. Et Nan Goldin de nous parler de sa descente dans l’enfer, de sa vie cruellement si réelle dans  la douleur, de savoir que de toute manière tout est écrit, que l’on ne peut  échapper à son propre dérapage. Tout est là sur de la pellicule couleur. Et d’autres encore,  âmes en quête de normalité dans ces lieux de réadaptation où la désintox se veut frapper  la réalité des douleurs. Nan Goldin shoote sa dimension pour symboliser le shoot que la vie lui a administré.  Un refuge en extase. 

Nous serons tous jugés. Nous aurons tous une Nan Goldin  qui entrera dans nos existences, nous faisant étouffer les petits bonheurs pour signifier les grands malheurs. Celui de perdre un être cher. Car il s’agit bien de la perte ici, perte dans l’amour, perte de repères, perte de soi, perte de la perte.

On dit que tout suicide tue plus d’une personne.

Ma mère dit aux policiers : Dites aux enfants que c’était un accident. Qui essayait-elle de protéger ? Ce fut le moment de clarté qui décida ma vie, ma rupture avec ma famille, j’avais 11 ans. La tyrannie du révisionnisme même à l’instant de la plus grande angoisse. Banlieue résidentielle. Que les voisins  ne l’apprennent pas. Ou même les enfants. Réécrivez l’histoire immédiatement avant qu’elle ne soit écrite.

Nan Goldin, 2004

Et je suis sortie au soleil, heureuse de respirer. Simplement de respirer.

Diane Fonsegrive- www.festivalier.net

Nan Goldin, « Soeurs, saintes et sybilles » jusqu’au 13 septembre 2009 aux Rencontres Photographiques d’Arles.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES Vidéos

La nuit avec Wajdi Mouawad au Festival d’Avignon. En étiez-vous?

Deux regards de spectateurs…éclairés par une nuit de théâtre avec Wajdi Mouawad.

7h40. Les oiseaux affolés crient dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. C’est une fête au coeur de leur migration. Le public ovationne. Cela n’en finit pas. Depuis combien de temps la Cour n’avait-elle pas résonné, déraisonné ainsi ? Wajdi Mouawad rejoint sa belle troupe sur scène. L’homme est touché. Il entre dans l’histoire du Festival d’Avignon.

Comment un tel miracle a-t-il pu se produire ? Comment onze heures après, sommes-nous encore là, décomposés de bonheur, regards illuminés et couverts des sédiments déposés par nos imaginaires incendiés. Trois oeuvres ont fait leur travail. Nous avons fait la traversée. Ensemble. Car ce théâtre ne nous a jamais isolé, mais englobé dans un « vivre ensemble », une mémoire vive, une nation de spectateurs. Ce « nous » s’est construit tout au long de la nuit : à la troupe de comédiens sur scène répondait l’assemblée des femmes et des hommes venus le temps d’une nuit, se retrouver, dans la cour, «abattre ce mur», pousser les cloisons, pour un festin orgiaque de théâtre !

Le voyage du fils (exceptionnel Emmanuel Schwartz) pour enterrer son père dans sa terre natale (« Littoral »,), le périple de Jeanne et Simon, jumeaux, pour écrire l’histoire de leur mère décédée (« Incendies »,) l’enquête de Loup sur ses origines («Forêts») : autant de destinées qui finissent par se relier à la nôtre. Combien de deuils impossibles à faire, d’origines non élucidées, de chagrins enfouis parmi les spectateurs ? Pour créer un théâtre humaniste, il faut nous traverser et ne pas nous prendre de haut. Mouawad le sait. Pour cela, La Cour d’Honneur est priée de perdre de sa superbe : il l’habille de sons à l’aide d’un long rideau de lamelles qui, par léger mistral, produit une caresse auditive. Ce soir, point de décor imposant, tout n’est que chaises, murs lacérés, lumières horizontales, tables de bois, petit et grand cahier : avec peu, on fait beaucoup ! Ces objets portent encore l’empreinte des corps des ancêtres et des jeux de l’enfance. Son théâtre suinte ; sa scène transpire : le liquide est partout. Du vivant. Même les mots s’humanisent par cette palette d’accents qui jouent avec le Français comme autant de sonorités métissées au coeur de nos histoires enchevêtrées.

Ici, l’homme travaille, ne renonce jamais face au poids de la transmission : on s’émancipe pour ancrer l’histoire dans un futur à réinventer : cela en est presque magique. Avec Mouawad, les liens sont si tissés qu’ils vous accueillent pour soulager vos peurs et vos pleurs : ressentir sa mère trop tôt disparue, imaginer la grand-mère que l’on n’a pas connue, retrouver le frère, le jumeau, pour se rassurer et calmer sa violence. Et l’on traverse les terres (dans le désert, au loin, dans la forêt de France, pays des contes et des légendes) pour aller vers la mer ; et l’on traverse les corps décomposés, statufiés et dansés.

De ces terres arpentées et labourées, nait le jardin des délices.

Mouawad fait d’une scène le tableau du peintre, la focale du photographe. Tout n’est que visions inanimées que l’artiste «mouvemente». Ses arts florissants  nous redonnent de l’unité, recollent les morceaux : cela va chercher loin tout ça.

Il me faut maintenant revenir.

Pascal Bély – Le Tadorne

 

Loup, Nawal, Wilfrid… J’ai fait votre connaissance le temps d’une nuit. Une rencontre issue de l’écriture de Wadji Mouawad .  Une journée s’est écoulée, et pourtant, je vous entends encore, je vous vois encore, je vis avec vous encore.

Douze heures. Il a suffi de douze heures de représentation dans le lieu magique de la cour d’honneur, pour être ému. C’est dans un élan naturel que je me suis levé pour vous applaudir au petit matin. La couverture, qui a recouvert mes jambes durant la représentation, est tombée à terre, comme ses corps torturés, en mal d’existence, chahutés par la remarquable écriture de son auteur.

Je vous ai scruté du regard de spectateur que je suis. En entrant dans l’enceinte du palais des papes, j’étais un, en ressortant, j’étais un autre. Oui, car l’écriture de Wadji Mouawad bouleverse, met en lumière la véritable nature humaine. Il s’agit d’un théâtre de l’humain, fait de chairs, de sentiments, d’amour.

L’année dernière, vous m’aviez fait exploser l’idée du cadre identitaire que je me représentais avec votre pièce « Seuls ». Aujourd’hui, vous m’avez  ouvert les yeux sur notre condition humaine et je vous en remercie.

C’est à l’unisson que le public vous a regardé, c’est à l’unisson que nous vous disons bravo.

Laurent Bourbousson.

 

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE!

À l’École d’Art, le “livre d’or” de Jan Fabre pour le Festival d’Avignon.


Il y a foule de spectateurs à l’École d’Art pour la rencontre avec Jan Fabre. Comme un besoin de confrontation (pacifique). Une heure d’échanges polis avec un public qui a fait son « travail » avec cet artiste flamand hors du commun. Le metteur en scène, chorégraphe et plasticien semble assagi, comme s’il faisait son dernier tour de piste en Avignon.

Son « Orgie de la tolérance » fait quasiment l’unanimité à l’exception de quelques journalistes (Nouvel Observateur) et blogueurs (Images de Danse, Tadorne, Un soir ou un autre). Et ce n’est pas le moindre des paradoxes. Le public présent ce matin questionne ce succès : « Alors que « Je suis sang » ou « l’histoire des larmes » nous interpellaient dans notre intimité, votre dernier spectacle nous touche beaucoup moins parce que situé au niveau sociétal. N’est-ce pas pour cela que nous sommes tous  d’accord ?». Est-ce pour cette raison qu’une connivence a été ressentie lors du salut final entre la salle et les danseurs ? Une spectatrice ose souligner que le public était « conquis, acquis d’avance » et qu’elle n’est pas «choqué par cette farce obscène ».  On a même droit à cette remarque savoureuse : « Auparavant, j’étais scotché par votre obscénité. Aujourd’hui, je suis emporté par le groupe ! ».  Mais «pourquoi utilisez-vous le premier degré pour nous faire passer le message ? ». « N’y a-t-il pas conflit entre « dénoncer un système et y être dedans » renchérit un spectateur.

A toutes ces observations et questions, Jan Fabre n’esquive pas.

Oui, « Orgie de la tolérance » est une oeuvre qui nous positionne sur le collectif, car « l’extrême droite flamande doit savoir de quel bois je me chauffe d’où l’utilisation du  premier degré ».

Oui, il est dans le système et se dénonce lui-même dans la scène de chasse.

Il se justifie sur l’obscénité en faisant remarquer que « la télé l’est bien plus », que les «publicités sur les numéros roses » sont des « services très mauvais » (sic), où les « orgasmes sont exagérés » d’où les « olympiades d’orgasmes » joués sur scène. Sa critique vise également le monde de la mode qui nous fait habiller en gangster et nous impose une idéologie de droite sur le beau.

Soit. Mais je ne saisis toujours pas au cours de ce débat, la fonction de cette démonstration connue de tous, car comme le souligne une spectatrice, “nous savons que la libido médiatisée vise à canaliser toute l’énergie qui pourrait exploser».

Alors, j’ose une hypothèse : le consensus autour d’« Orgie de la tolérance » ne vise-t-il pas à revenir sur « l’orgie » de violences qui a suivi l’édition 2005 du Festival où il était l’artiste associé ? Jan Fabre revient sur ce qui a fait débat cette année-là. Subtilement. En soulignant d’abord que 2005 a ouvert la porte à des artistes. Que pour lui, il n’y a pas de hiérarchie entre le corps et les mots ; « ils s’influencent mutuellement », « alors qu’en France, le texte hiérarchise ». Dans sa troupe, composée de « performeurs du 21ème siècle », les arts se croisent et s’enrichissent. Avec une pointe d’humour, il souligne « qu’il est aussi un auteur à texte ». Fier de son collectif, Fabre s’appuie sur lui pour s’inscrire dans la tradition de la peinture flamande, où la subversion est une philosophie, un mode de survie.

Il termine par cette phrase, en forme de salut final : « la danse est toujours une célébration de la vie ». Chapeau l’artiste.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Jan Fabre vu par le Tadorne: Jan Fabre fuck, avec préservatif, le Festival d’Avignon.

Les débats à l’Ecole d’Art vus par le Tadorne:  À l’École d’Art d’Avignon, Amos Gitaï découvre le public d’Avignon. Sanglant.

Photo: www.théâtrecontemporain.tv

 

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PETITE ENFANCE

Théâtre jeune public: Poésie et réalité, deux mondes qui s’entrechoquent au Off.

L’entrepôt, lieu de la compagnie « Mises en scène » (Avignon), propose deux spectacles destinés au jeune public, opposés mais stimulants.

« La balle rouge et Quatuor » offre une vision toute en finesse des rapports amoureux. Théâtre d’objet, les formes géométriques en mousse incarnent les protagonistes d’une aventure amoureuse qui lie un homme, une femme et un enfant.

L’histoire (la rencontre, l’amour, la naissance de l’enfant, la séparation) invite un quatuor d’instruments à cordes pour un voyage poétique. Nos yeux émerveillés, de l’enfant redevenu, laissent ces objets nous envahir et leur donnent une fonction de parole. Puissance de la métaphore ! « La balle rouge et quatuor » est une ode à la poésie et aux échanges humains.


 Il en est autrement pour « une vendeuse d’allumettes », d’après H.C. Andersen.

Plongée dans un monde ultracontemporain, notre vendeuse d’allumettes prend les traits d’une sans domicile fixe. À la veille de Noël, elle erre dans une zone commerciale. Son campement,  perdu au milieu de nulle part, se résume à son frigo, ses sacs plastiques et ses oranges.

Parabole de notre société, « L’Escabelle-Cie théâtrale »(Lorraine), convie les enfants, et les adultes, à réfléchir sur la condition des hommes et femmes que nous croisons sur les trottoirs ou au détour d’une rue.  Notre vendeuse d’allumettes invente son monde pour faire face à l’absence de regard d’autrui. Elle revêt ses plus belles bottes faites de sacs plastiques Lidl,  s’invite au restaurant, cuit son sac qui prend des allures de poulet. Elle combat ses propres démons (la faim, le froid et l’exclusion dont elle est victime) en véritable héroïne de manga et voudrait juste que nous la regardions comme une petite fille.

Nous la regardons tous. Nous regardons ce que la société fait de nous. Nous regardons ses traits s’éteindrent peu à peu. La vendeuse d’allumettes tue le père Noël, avant qu’il ne la tue. Elle laisse mourir le symbole de l’hyper consommation avant de s’éteindre et nous laisse notre sentiment de culpabilité.

A mettre entre toutes les mains à partir de 8 ans.

Laurent Bourbousson. www.festivalier.net

La balle rouge, du 10 au 24 juillet, à 10h30.

Une vendeuse d’allumettes, du 10 au 19 juillet, à 12h30

1 ter boulevard Champfleury
84000 Avignon

Téléphone réservation
06 27 11 48 84

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EN COURS DE REFORMATAGE

Aux Hivernales d’Avignon, “Métaphormose(s)” ou l’art de prendre un oeuf pour un boeuf

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=cmXP2liLj4o&w=425&h=344]

La compagnie Epiderme, de la région Rhône-Alpes, a installé son laboratoire de fortune pour seize jours au studio des Hivernales. « Métaphormose(s) » semble être un titre à tiroirs et l’on s’amuse à le décomposer : métaphore, métamorphose, osmose, méta… Et l’on pense à Kafka et rien qu’à lui. Le choix du titre n’est donc pas anodin.

 Plongé dans l’obscurité la plus totale, nous sommes conviés au jeu de la perception. La vue se trouve altérée avec une succession d’ombres et de lumières permanent. Est-ce une contrebasse ou le corps d’un homme, est-ce un ventre qui parle ou une forme indéfinie venue de l’espace, court-il ou fait-il du surplace?  Tout à la force d’être un et son contraire. Mais après? Les réflexions qui alimentent les tableaux tournent en rond annonçant une fin téléphonée, celle de l’effacement du corps du danseur.

Je décide de fermer les yeux et métamorphose à souhait ce spectacle jusqu’à sa disparition totale de ma mémoire.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net


“Métaphormose(s)” par la compagnie Epiderme (Nicolas Hubert) aux Hivernales dans le cadre du festival Off d’Avignon jusqu’au 26 juillet 2009.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon, Jan a disparu, mais Isabella revient.

Jan a disparu. Un  par un, ses amis arrivent sur scène pour témoigner du lien particulier qui les unissait à lui. Ils n’ont pas encore la trentaine, ont une drôle de dégaine, un peu triste, à peine  heureux. À l’équilibre.

Jan a disparu et avec lui la synthèse : hétéro et homo, aimant et détestable, distant et proche. Il vient et va. A l’équilibre.

Jan a disparu. Ce n’est pas le groupe qui pleure, mais les parties qui le composent. Neuf témoignages complémentaires qui reliés s’annulent. Avec leurs égos démesurés, ils se font mal entre eux. Ce n’est pas dit, juste ressenti. À l’équilibre.

Jan a disparu. Il n’était pas un homme de théâtre, mais un plasticien, peintre, performeur. Ses amis reprennent le flambeau sur scène. Maladroitement. Les artistes flamands semblent les inspirer, l’improvisation domine, mais ça tient. Sur la corde raide. À l’équilibre.

Jan a disparu et avec lui tout un monde vivant en autarcie, socialement uniforme, blanc de couleur. Leur environnement fait de baies vitrées et de murs blancs est assez ennuyeux. Chacun a un petit malheur à raconter, une anecdote (dont la savoureuse «merde qui se coince dans le cabinet »). Chacun est capable de rejouer à l’infini une scène de dispute. À l’équilibre.

Jan a disparu. Celui qui le connaît à peine, occupe le devant de la scène avec son numéro d’équilibriste sur « on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs ». On ressent qu’il est à la bonne école. Il est garant de l’héritage amical et artistique. Cela promet pour la suite. À l’équilibre.

Jan a disparu et il laisse deux malheureux. L’un fume des pétards volumineux (lumineux Elie Hay) et se jette dans le vide ; l’autre chante à tue-tête « ma déclaration » de France Gall (charismatique Elina Löwensohn). On y croit. Mais le monsieur de l’omelette casse tout. A l’équilibre.

Jan a disparu et le théâtre ne sait plus très bien comment lui rendre hommage. L’homme n’est ni une star, encore moins une figure mythique de notre époque. Pour tout dire, son absence ne nous laisse aucun manque. On perçoit à peine l’espace vide, juste une curiosité qui s’émousse (mort, disparu, caché ?). À l’équilibre.

Jan a disparu et l’on finit par l’oublier. Qu’importe. Nous, c’est Isabella que nous recherchons. Nous n’en avons toujours pas fait le deuil. Héroïne de Jan Lauwers (Jan ?), « la chambre d’Isabella » avait reçu une ovation dans ce même Cloître des Carmes. C’était en 2004. Depuis, le public d’Avignon, cherche son histoire où il pourrait se perdre dans les étoiles. On nous dit qu’Isabella revient au Festival d’Avignon. Cela s’équilibre.

Jan a disparu et je finis par ne pas aimer cet homme. Je n’y crois pas. Il n’a peut-être jamais existé. Allez savoir. Il n’est qu’une apparition, qu’une incarnation d’une partie de nous même. Désolé, je n’en veux pas. Je n’ai rien demandé. Il n’est pas de mon monde. Il est aquatique, je suis terrien. J’aime le théâtre, il en joue.

Jan a disparu et je m’en fous.

À l’équilibre.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Le livre d’or de Jan” d’Hubert Colas jusqu’au 17 juillet 2009 à 22h dans le cadre du Festival d’Avignon.

Hubert Colas présentera aussi (à ne pas manquer):  “Mon képi blanc” (les 24, 25 , 26 juillet) et “Chto, interdit au moins de 15 ans” au Festival Contre-Courant à Avignon le 15 juillet.

Photo: Christophe Raynaud de Lage.

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FESTIVAL D'AVIGNON

A l’Ecole d’Art d’Avignon, Wajdi Mouawad et les spectateurs : la Rencontre.

Retour sur la rencontre entre Wajdi Mouawad et le public le 11 juillet 2009, après la trilogie « Littoral, Incendies, Forêts » présentée au Palais des Papes en Avignon de 20h à 7h40 du matin !

15h13.  J’avais décidé d’être tôt sur les lieux. Quelques personnes déjà. Il est temps de m’asseoir. Le corpus du public ne va pas tarder.

15h20. La petite cour de l’École d’Art est aux trois quarts remplie. L’attente commence. Certains se restaurent ; beaucoup lisent « Voyage » (éditions POL – correspondance de W. Mouawad avec Hortense Archambault et Vincent Baudriller, directeurs du Festival d’Avignon) et même « Forêt ». Un, deux, trois, quatre…Pourquoi « Forêt » ? J’obtiendrai  peut-être la réponse d’ici peu.

15h25. J’écoute autour de moi. Rien n’est vraiment dit. Chacun se réserve. Une femme derrière moi  demande la date du jour. Oui, quel  jour sommes-nous ? Je ne le sais plus. Je ne vis qu’au rythme des heures du festival qui se succèdent. On nous prie de nous serrer sur les bancs. Nous sommes nombreux  venus  écouter la parole de l’auteur.

16h00. Wadji arrive. Simplement, comme invité à retrouver des amis pour partager un moment. Il s’assoit sur le côté, à la gauche du public. Le côté du coeur. Car nous sommes au coeur d’un public transcendé de ses mots. Il sourit.

Trois règles tiennent le jeu de l’échange :

1/ Partons des spectacles vus.

2/ Exprimons nos impressions, nos ressentis.

3/ Ne pas avoir peur du JE.

Les premières questions lèvent le silence. « Qu’est-ce que le triptyque vous a apporté ? »,  « Aimez-vous la peinture ? »,  « Ce bleu si Klein… », « J’ai été admiratif et chamboulé de l’aspect psychanalytique de chaque personnage », « est-ce que ce sont vos thèmes obsessionnels ? »

Et Wadji de nous dire qu’il y a trois semaines, à Chambéry, tout restait à être. Les acteurs des trois oeuvres  se rencontraient pour la première fois, il fallait articuler les pièces. « Littoral », « Forêt », « Incendie ». « Incendie », « Forêt », « Littoral » ? Quel ordre serait le plus juste pour un ton à donner dans la temporalité d’une nuit ? « Cela fait douze ans que je ne fais que ça. Je ne sais pas si j’ai appris quelque chose. C’est tellement moi. C’est tellement moi. Il y a deux mots importants : « Chagrin » et « Joie ». C’est ce que l’on voulait mettre en exergue pendant l’aventure en Avignon ».

Il avoue avoir tissé des liens imperceptibles pour le spectateur, tisser les toiles dans une immense fresque: quatorze hommes dans Incendie, quatorze femmes dans Littoral ; « c’est sûr » reprit par le notaire avec redondance, la chaise à trois pattes… Et le vent, oui le vent que l’on ne peut ignorer dans la mise en scène qui va glacer le spectateur tenace qui fut un, qui fut mille, ces nuits de représentations.

Oui, mais tout cela est une écriture. Il avoue ne pas réfléchir à ces thèmes. Il sait ce qu’il veut dire et transcrit spontanément les mots qui surgissent. « J’écris à la manière d’un enfant. Il faut que je sois le premier à être surpris. Si je le suis, le spectateur le sera. »

Se donner à penser. Pourquoi suis-je ? Pourquoi êtes-vous ? Et ces peuples, pourquoi formons-nous  des nations ? …

Wadji décrit l’ironie de son nom qui veut dire « La vie », celui qui est « La vie », patronyme écorché de tous, car sa famille se prénomme que de prénoms français. Il rit de la prémonition de celui qui est destiné à être, prédestiné à attraper le bonheur de vivre, comme on gagnerait le pompon au manège de la vie. Déterminé à assembler chaque instant pour défendre la femme, l’enfant, la destinée, l’amour, la famille, la haine. Un humaniste.

« Merci » vous a répondu à répétition  votre public qui vous a mangé, vécu et survécu dans la plus grande preuve d’amour, celle de vous avoir veillé une nuit jusqu’au petit jour ,sans envie de vous voir écrire le mot FIN.

Et j’ai quitté la conférence, convaincue d’avoir participé à un instant unique de votre théâtre, celui de la communication de votre raisonnement.

Diane Fonsegrive- www.festivalier.net

Photo: Dwayne Brow

 

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Au Festival Off d’Avignon, Renaud Cojo propose une réjouissance sur la fantaisie. “Forcément” émouvant.

En ces temps de repli sur soi, le Festival Off offre avec « …et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust » de Renaud Cojo un espace de rencontre inoubliable dont on aurait tort de se priver.

Ici, le metteur en scène est sur scène pour jouer de et avec lui-même, de son art, de ses obsessions, de son désir d’inventer le théâtre de son époque. Il convoque pour la circonstance Ziggy Stardust, figure mythique incarnée par David Bowie entre février 1972 et juillet 1973. Ce dédoublement de la personnalité, est le point de départ d’une réflexion vivifiante autour de Renaud Cojo et d’amis invités sur scène. L’espace scénique est ouvert à la fantaisie, celle qui relie les hommes, loin de toute hiérarchie inutile. Ici, la diversité a trouvé son langage, incluant le spectateur, tout autant dédoublé !

Renaud Cojo étire le temps, comme un élastique, pour s’affranchir des barrières chronologiques. Avec Internet (dont You tube) et au hasard des rencontres, il est allé chercher où se cachaient les doubles de Ziggy Stardust. L’un d’eux est même sur scène (troublant Eliott Manceau) pour accompagner musicalement ce théâtre où l’image vidéo, la webcam, offrent des angles de vue qui quadruplent notre vision ! Nous voilà ainsi immergés dans ce processus psychique qui conduit l’individu à ouvrir son identité, à  construire sa toile, via internet, pour ne jamais s’isoler.

Dans une vidéo, Renaud Cojo, coiffé et habillé comme Ziggy Stardust, s’inclue dans le processus en filmant, caméra cachée, une séance savoureuse chez un psychanalyste (lui-même très au fait de l’histoire de David Bowie). Loin d’être futile, cet échange est d’une belle profondeur où s’opère la rencontre entre l’art et la psychanalyse. C’est le début d’un maillage à partir du sens qui ne se perdra jamais.

Il accepte d’inclure sur scène Romain Finart, étudiant bordelais, qui souhaitait faire un stage dans sa compagnie « Ouvre le chien » autour du processus de création. Le voilà invité lui aussi à faire un pas de côté : pour appréhender un tel processus, autant le vivre, en se créant soi-même « son » Ziggy Stardust ! Avec son fauteuil roulant, Romain irradie de sa justesse par sa posture d’observateur – acteur, et offre à Renaud Cojo toute la sensibilité qui lui évite de glisser vers la caricature. 

En multipliant les contextes sans jamais perdre le sens (« retrouver Ziggy Stardust avec ce « nous » réunifié »[1] ), en ouvrant la scène à tous les possibles tant qu’ils permettent la « rencontre », Renaud Cojo crée un théâtre qui fait du bien parce qu’il promeut la figure de l’amateur éclairé et participe à l’émancipation du spectateur en lui offrant sur un plateau, la psychanalyse comme  lecture d’une démarche complexe, émouvante et vitale.

Renaud Cojo est peut-être né sur scène, en Avignon. Il nous vient lui aussi de Mars. Accueillons-le, le temps d’une introduction, pour réunir ce que nous aurions dispersé.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“…et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust” de Renaud cojo à la Manufacture, Festival Off d’Avignon, à 14h10, jusqu’au 28 juillet 2009.


[1] Citation de Renaud Cojo issue du dossier de presse.