Catégories
OEUVRES MAJEURES

Au Festival d’Avignon, le public combattant de Maguy Marin.

Ici, la pénombre éclaire, car nous avons soif de clarté. Ils sont neuf à arpenter la scène, à disparaître puis revenir, car le travail est long. Sera long. L’humain a besoin de temps.  A ceux qui attendent du mouvement dansé, je les invite à lâcher, pour une fois. La chorégraphe Maguy Marin n’a plus à répondre à ce type d’injonction.  Moi, je n’ai plus à accepter d’entendre cette paresse de la pensée (« mais ce n’est pas de la danse » !) née d’un imaginaire verrouillé qui laisse faire le « reste » tant que l’on n’a pas eu sa part de gâteau.

Ce soir, « Description d’un combat » me tombe dessus. Ils sont neuf, habités par les textes d’Homère, de Victor Hugo, de Peguy et de bien d’autres, convoqués pour la circonstance afin d’évoquer les combats entre les Argiens (une tribu grecque) et les Troyens. C’est le retour de ces textes mythiques récités par les danseurs comme s’ils déclinaient la liste des horreurs nées de toutes les guerres. Des costumes d’apparat dorés posés sur le sol se mêlent aux tissus rouge sang : cette orgie de couleurs rappelle le magma des doctrines concentrationnaires et des idéologies nationalistes. C’est impressionnant parce que les mouvements des corps les dévoilent peu à peu. En se déplaçant, les danseurs se transforment en étendards et le nationalisme se fait tableau. À ce moment précis, Maguy Marin s’adresse à notre conscience en convoquant le symbolique.

Alors que nous distinguons à peine leurs visages (mais d’où viennent ces voix ?), ils endossent ceux que nous avons ensevelis. À force de croire que l’histoire est un passif, nous ne voyons plus que nous construisons aujourd’hui une amnésie collective. À les voir ainsi, je pense à l’Allemagne et son courageux travail sur la mémoire. À l’opposé de notre pays qui même lors d’un conflit social dans les DOM-TOM, est incapable d’interroger sa mémoire vive.

Ils avancent puis disparaissent parfois dans le noir du fond de la scène. Comme un éternel recommencement.

Des corps, couverts d’armures, apparaissent peu à peu.

Le désastre.

Gorge nouée.

Leurs pas sur le gravier évoquent nos cimetières et la disparition du végétal.

Le génocide.

Tremblements.

Assis, au milieu de ces armures, il déclame un texte de Charles Peguy dont le sens m’échappe. Mais la tragédie m’envahit. De tout mon corps.

Je suis un homme de ce monde. Je suis traversé d’histoires. J’accepte d’en endosser le poids pour ne pas oublier : là-bas, leurs guerres, sont nos insomnies.

Pascal Bély – Le Tadorne.

"Description d'un combat", par Maguy Marin 8 au 16 juillet 2009 au gymnase Aubanel dans le cadre du Festival d'Avignon.
Photos : © Christophe Raynaud de Lage
Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE! PAS CONTENT

Jan Fabre fuck, avec préservatif, le Festival d’Avignon.

Ainsi, le metteur en scène – chorégraphe- plasticien Jan Fabre est ovationné par les spectateurs du Festival d’Avignon. Il leur a vomi une bêtise crasse, avec “Orgie de la tolérance” mais le public en redemande, après avoir sifflé quelques heures auparavant la courageuse Maguy Marin.

Mais ce soir, Jan Fabre a perdu. Il est adoubé en Avignon, alors qu’en 2005, nous l’aurions volontiers crucifié. Entre temps, il a vieilli. Il approche l’âge où l’on est reconnu par les institutions qui le lui rendent bien. Ici, il a quasiment sa case, sa rente, d’année en année. S’il continue sur cette voie, il aura droit à une nuit entière au Palais des Papes où le public finira bien par monter sur scène pour branler les acteurs. En ces temps de grippe porcine, masturber un inconnu sera un geste artistique et citoyen très fun.

Mais en 2009, il faut coûte que coûte garder la place comme tant de têtes grisonnantes qui ont tout intérêt à désespérer la jeunesse. Jan Fabre est efficace: discours binaire (la société de consommation, ce n’est vraiment pas bien), vision réactionnaire de l’art contemporain (ces salops de commissaires qui se branle du travail des artistes), le fascisme est partout (ouh ! ouh !), les américains sont de gros pédés, et le sexe est une marchandise ! À côté, Besancenot est proche du Modem. Ce discours fournit la liste des clichés bien pensants qui assure à chacun de nous, l’estime et la reconnaissance de son prochain. Généreux Jan Fabre ! Ses cochonneries sur scène ne font même plus fuir le public : pensez donc, se mettre un fusil dans le derrière, se raser les couilles, prendre un godemichet comme nez de clown ne fait plus peur. Ces codes sont entrés dans le langage courant du festivalier. Jan Fabre est dans la norme qu’il a lui-même imposé à son public depuis tant d’années !

Artistes, politiques, citoyens sont nombreux en France et en Europe à se complaire dans cette dénonciation : elle leur assure de garder le pouvoir puisqu’elle s’adresse à notre partie rationnelle du cerveau. Le monde n’étant pas complexe, le public est prié de le voir, de le ressentir à partir de jugements descendants. C’est exactement le même processus qui conduit nos systèmes à leur perte, à leur dégénérescence. Ainsi, Jan Fabre en utilise les règles pour les dénoncer. Piteux.

Pour vous dire la vérité, je me sens bien au-dessus de cette proposition. Je remercie certains artistes et chercheurs de m’avoir « élevé » pour comprendre et ressentir la complexité de ce monde. Je les remercie de me donner la force d’être un sujet autonome et de développer mes dépendances lorsque la nécessité du sens le dicte.

Alors ce soir, je regarde amusé cet artiste sur le déclin, car je n’ai pas besoin d’une orgie pour faire preuve d’intolérance à la bêtise.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Orgie de la tolérance”, par Jan Fabre jusqu’au 15 juillet 2009 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

A lire la blogosphère, moins complaisante que tant de journalistes institutionnalisés: Images de Danse, Un soir ou un autre,

Catégories
THEATRE MODERNE

Au Festival Off, enfin la crise.

Pour Louis Jouvet, il faut une dose de vanité pour oser monter sur scène et une autre pour y rester : « Le renoncement de soi pour l’avancement de soi-même ».

« Occident » d’après Rémi de Vos, mise en scène et joué par François Bergoin et Catherine Graziani permet de ressentir ce dépassement de soi, ce qui échappe à l’acteur et confère à l’art ce « je ne sais quoi » d’indispensable pour donner sens à la vie. Cette oeuvre à la noirceur décapante, voit un couple se déchirer et maintenir l’équilibre précaire de leur relation de pouvoir, dans un contexte social et politique qui exclut la différence. C’est un théâtre où l’acteur s’accroche aux mots de Rémi de Vos telle une bouée de secours alors qu’il tangue, danse, sur  un plateau fait de matelas mousse.

La mise en scène accentue les injonctions paradoxales qui minent et nourrissent le couple (« si tu m’aimes, ne m’aime pas ») en multipliant les espaces par l’utilisation intelligente de la vidéo et des parois amovibles du décor. « Occident » est un hymne à la complexité, au refus du réductionnisme. Un hommage à l’acteur qui renonce au “je” au prix d’un jeu sans cesse déstabilisé par les mots, le bruit sourd du chaos et les rires nerveux du public. La puissance d’« Occident » est de propulser l’acteur et le spectateur dans un espace d’où l’ont peut voir le jeu et donner à chacun la force d’en modifier certaines règles. 

Allons au théâtre ! Renonçons. Avançons.

Pascal Bély

www.festivalier.net

“Occident” de Rémi De Vos par la Compagnie Théâtre Alibi (Bastia) au Festival Off d’Avignon à la Manufacture jusqu’au 28 juillet à 16h05.

A voir également au Festival Off: “Le bal de Kafka”, mise en scène d’Isabelle Starkier, au Théâtre des Halles.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Le festival Off d’Avignon ouvre le bal avec Kafka. Dansons !

Parmi la profusion des propositions du Off, il en est une qu’il est urgent de voir parce qu’elle (r)éveille le spectateur, l’émerveille et le positionne à la traversée des chemins. Urgent, car en cette période d’abondance théâtrale, il convient d’aller directement au sens, sans détour inutiles pour trouver de multiples réponses à la question : pour quoi le théâtre ? « Le bal de Kafka » de Timothy Dalty, mise en scène d’Isabelle Starkier pour la Compagnie Star Théâtre, est une ode à l’espace transversal où littérature, culture yiddish, leçons sur le théâtre et la danse, tissent une toile où le spectateur tire les ficelles des marionnettes de ce conte dont la principale force est dans sa résonance avec nos histoires singulières.

Sur scène, Kafka, habité par l’exceptionnel Sébastien Desjours, fait corps avec sa table d’écriture. Tout autour de lui, parents, soeur et fiancée entrent pour jouer leur numéro d’équilibriste au sein d’une famille où la culture yiddish créée les chemins tout tracés.  Tout  semble donc déjà écrit et comme dirait Kafka, « ma famille a été crée spécialement pour moi ». Mais tout paraîtrait si linéaire présenté ainsi. Cette famille a aussi son double, celle du théâtre !

Revoilà les mêmes personnages, mais affublés de masques comme des fantômes bienveillants qui donnent la force à Kafka d’être le comédien (car suffit-il d’écrire pour survivre parmi eux ?) ; Et l’on assiste médusés à la lente métamorphose d’un homme qui lutte contre les cafards pour les transformer en papillon, qui échange son bégaiement pour la folle mécanique du poète, qui renonce au « je » pour avancer grâce au « jeu ». Le tragique et le rire se côtoient en bonne intelligence parce que la mise en scène n’oublie jamais que nous savons faire la part des choses. Et c’est ainsi que nous rions par amour pour Kafka et pour cette famille de dégénérés qui ne peuvent imaginer un « mariage juif intime » et qui ne voient même pas le danger de confier à un écrivain l’usine d’amiante qu’elle possède ! Ces comédiens, tous exceptionnels, nous aident à comprendre qu’il ne suffit pas de vouloir empoisonner sa famille si l’on n’endosse pas le rôle de l’assassin.

Finalement, le spectateur ne cesse d’être propulsé entre deux réalités qui finissent par n’en former qu’une : celle de notre condition humaine, traversée de paradoxes et où seul le théâtre peut nous aider à nous en amuser pour mieux les apprivoiser.

Pascal Bély

www.festivalier.net

“Le bal de Kafka” , mise en scène d’Isabelle Starkier au Théâtre des Halles à 14h jusqu’au 30 juillet 2009.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, Amos Gitai fait son cinéma.

Le bus (payant…) qui nous ramène vers Avignon est étrangement calme. Aucune passion, ni amertume de la part du public à l’égard de « La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres » d’Amos Gitaï adaptée du texte « la guerre des juifs » de Flavius Josèphe.

Il raconte la grande révolte des juifs de Galilée et de Judée contre l’Empire Romain au 1er siècle. La rébellion fut écrasée par le Général Vespasien et son fils Titus, qui deviendront tous deux empereurs. Cet événement signe la fin de la souveraineté juive et le début d’un exil qui durera près de deux mille ans.

Jeanne Moreau s’assoit et tient dans ses mains un cahier, tel un livre de contes et  de légendes. Son charisme sert la fonction de l’historien Flavius Josephe qui, fait prisonnier, assista du côté des Romains à l’écrasement du peuple juif.  Elle assume ce rôle d’observateur-acteur même ici, où elle participe, impuissante, au naufrage d’une mise en scène qui  immobilise les spectateurs pris au piège d’une forme hybride (entre théâtre, lecture et travelling de cinéma) et resserre notre vision vers elle.

Le jeu se réduit à des mouvements en coulisse, à des happenings d’acteurs. La carrière de Boulbon n’est qu’un décor de cinéma plaqué sur une scène théâtrale où des échafaudages se déplacent sur des rails imaginaires qui ne mènent nulle part. Un orchestre joue les intermèdes à défaut d’être inclus dans une dramaturgie. Au final, la forme impose une vision du martyr juif si verticale qu’elle empêche au théâtre d’offrir un espace de transcendance.

Nous sommes quatre à débattre dans le bus du retour. Notre frustration est palpable, mais pas pour les mêmes raisons. Sylvie et Christine saluent la beauté du texte où les faits de l’histoire se noient dans les « larmes de l’historien ». La figure mythique de Jeanne Moreau habite Flavius Josephe avec distance et empathie et sert le parti pris d’Amos Gitaï : rendre hommage au peuple juif à partir d’une histoire peu connue, ensevelie par le conflit israélo-palestinien. Ainsi, paradoxalement, ce mythe fondateur fait ce soir « l’actualité ». Pour Martine, l’adaptation d’Amos Gitaï s’appuie sur le dialogue intérieur de l’historien où les échos, les apparitions, les mots s’entrechoquent. Hantée par la profondeur des paroles de l’historien, Jeanne Moreau incarne avec justesse le martyr du peuple juif.

Mais je m’interroge sur la fonction de notre frustration. Que nous dit-elle ? J’avance une hypothèse : aux larmes de l’historien, Amos Gitaï ajoute la défaite du spectateur qui ne peut composer son propre poème. Positionné dans une interaction maître-élève, dans une logique abrutissante de la cause et de l’effet renforcée par les déplacements rectilignes du décor et des comédiens, nous sommes dans l’incapacité de nous émanciper. Or, si la fonction de l’historien est d’ouvrir notre conscience, l’acteur de théâtre peut autoriser notre autonomie.

Ce soir, la leçon est belle, mais aura écrasé une troupe de comédiens.

Amos Gitaï n’entrera pas dans l’histoire du Festival d’Avignon.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“La guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres”, par Amos Gitaï du 7 au 13 juillet  2009 à 22h à la Carrière de Boulon dans le cadre du Festival d’Avignon.

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG

Piratons le Festival d’Avignon !

C’est le jour J. D’Aix en Provence vers Avignon, j’opère la migration pour trois semaines de spectacles, de débats et de repositionnements ! Ce matin, je pars pour enrichir ce blog et la figure de “l’amateur éclairé“, si chère au philosophe Bernard Stiegler.

Il est 7h40 et Thomas Baumgartner accueille dans « Les matins de France Culture », Olivier Mongin, écrivain et essayiste ainsi que l’enseignant-chercheur en sociologie Nicolas Auray. Le premier dirige la revue “Esprit” où son article  “De la piraterie protestante aux piratages contemporains. Ou de la capacité à s’incruster dans les interstices” est paru dans le dernier numéro.

Dans l’imaginaire protestant, la figure du pirate conteste l’empire catholique et va puiser ses références dans un monde liquide. Il n’y a dans cet océan, ni frontière, ni prison, ni sépulture. Les logiques de flux  sont préférées aux structures verticales. C’est un environnement dangereux si l’on ne sait pas nager et pour éviter de se perdre, il est conseillé de suivre les courants. Le pirate a besoin des îles pour être en sécurité : le liquide produit donc du solide ! Ainsi, il se nourrit d’une utopie où les contrats se substituent à la loi, où l’on casse les constitutions de rente, où l’on aime mieux le « butinage » à l’implantation terrestre. La figure du pirate,  métaphore de l’internaute, est d’autant plus évidente que les mots « naviguer », « pirater » sont entrés dans le langage commun. Plus l’émission avance, plus l’analogie avec le spectateur – blogueur me paraît manifeste. Comme le pirate, il se crée une nouvelle identité, plus ouverte, où il cherche asile dans une forme d’écriture pour désacraliser le regard critique. Dans cet océan que représente la toile, le blogueur se nourrit des flux et joue des interstices.

J’approche d’Avignon. À l’abordage !

À peine arrivé, l’attaché de presse de l’ADAMI me contacte. Prévu initialement dans un débat (« Internet : un autre espace pour la critique et la promotion des artistes »), je ne figure plus sur la liste des invités. L’aréopage, est majoritairement composé de journalistes[1] qui reproduisent du « papier » sur l’internet. Il n’inclue pas les « pirates », ces blogueurs qui se sont nichés dans les « interstices » (à l’articulation du spectateur et du professionnel, de l’artiste et du journaliste, …). Au téléphone, nous ne parlons pas du même monde. J’évoque débat participatif englobant artistes, spectateurs, journalistes, blogueurs (« les archipels »), on m’oppose un « question/réponse » avec la salle après que les experts se soient exprimés (« l’État nation »). Il faut donc jouer ailleurs et ne pas attendre grand-chose de ces débats excluants où l’on parle à la place « de ».

Une heure plus tard, Maguy Marin est à la conférence de presse du Festival « in ». La chorégraphe paraît épuisée. Elle cherche à s’arrimer aux questions « terre-à-terre » du journaliste. Elle évoque sa prochaine création (dont le nom a été trouvé il y a seulement quinze jours, « description d’un combat », autour de la perte de la mémoire historique). Entre la tribune et l’assistance, un  flottement comme si la mémoire avait besoin de nouveaux espaces (des archipels ?) pour se régénérer. Maguy Marin parle et je me laisse bercer par l’incertitude qu’elle brandit comme un art. Elle est « pirate ».

À la sortie, un jeune homme fait la promotion d’ “Histoire d’amour (derniers chapitres)“de Jean-Luc Lagarce joué par la Compagnie du Veilleur à la Manufacture. Point de flyers. Il me tend un casque et m’offre 20 secondes de cette création. Je plane, je plonge.

En plus de me ressentir pirate, je me sens pousser des ailes.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 


[1] Modérateur : Jean-Pierre Bourcier, président du syndicat de la critique dramatique, rédacteur en chef Rueduthéâtre.info
avec :
Emmanuel Bourcet, cofondateur de Kinorézo.com
Fabien Bonnieux, journaliste La Provence et laprovence.com
Vincent Cambier, fondateur et rédacteur en chef du journal les Trois Coups (www.lestroiscoups.com)
Aurélia Hillaire, journaliste et éditrice Ruedutheatre.info, pigiste Libération
Hélène Kuttner, journaliste premiere.fr, Paris Match, radio J
Mathieu Laviolette, journaliste evene.fr
Agnès Lupovici, attachée de presse
Martine Silber, journaliste (ex. Le Monde) et blog (http://marsupilamima.blogspot.com)

Le 13 juillet à 15h au Conservatoire du Grand Avignon.

Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Quand le Festival d’Avignon rend fou!

6h30. J’ai rêvé de spectacles toute la nuit : « Ciels», « Une fête pour Boris », « Ode maritime »…

Nous sommes les 13 juin, jour d’ouverture de la billetterie du Festival «In » d’Avignon, réservée exclusivement aux habitants du Grand Avignon. Mais j’habite Aix en Provence. Peu importe. La stratégie d’attaque est décidée depuis longtemps. Des amis autochtones feront la queue, ici au Cloître Saint Louis (siège du Festival), là-bas à la Fnac. Tous se sont levés tôt (certains à 4h du matin !) pour récupérer un ticket de passage numéroté afin que l’ordre numérique ébranle tout désordre possible. Nous achetons des places de spectacles par nombre : 2 pour Amos Gitaï, 4 pour le triptyque de Mouawad, 2 pour Jouanneau, 3 pour Hubert Colas, 2 pour Christophe Honoré… Une orgie théâtrale se prépare. Nous serons nombreux à festoyer !
Je navigue en électron libre entre les deux points, fiévreux de commentaires captés dans ces files d’attente.
9h30. Retour au Cloître. Ce lieu n’a pas encore retrouvé toute son effervescence festivalière.  Pourtant, un homme y aurait acquis 73 places! Le public fidèle du festival est là : Avignonnais, journalistes locaux, et passionnés. Une amie bout d’impatience depuis 7h30 avec son numéro 436. On annonce qu’il n’y a plus de place pour « Ciels ». De mon I-phone, j’appelle mon autre contact dans la file d’attente de la Fnac. Où en est-il ? Combien de personnes avant lui ? Le besoin de posséder ces tickets magiques, crée fébrilement le syndrome de la rareté. Il me faut, sans exception, toutes les places dont j’ai rêvé cette nuit.
Il me rassure. C’est son tour. Il les a toutes !  Je cours. Il me tend la pochette aux feuillets si précieux. Quel soulagement ! Mais je réalise que ce n’est que le « In ».
Il restera le Festival « Off » à conquérir. Il requiert un flair d’expert pour viser juste. Mille spectacles seront joués cette année. Une déferlante, un peu comme une rentrée littéraire où se nicherait le livre rare. Pour nous guider, un programme de 360 pages aux allures de catalogue qui finira par devenir la bible du festivalier. Mais comment s’y retrouver ? Dès les premiers jours, il est conseillé de privilégier les scènes avignonnaises ouvertes toute l’année (« Le Chêne Noir », « Le Théâtre des Halles », « Le Ring », …), les régions ou pays qui font leur festival (la Belgique au Théâtre des Doms, les Hivernales, la Champagne Ardenne à la Caserne des Pompiers, les Pays de Loire au Grenier à Sel,…) et quelques scènes de réputation (la Manufacture ou le festival CCAS à la Barthelasse). Puis, progressivement, être à l’écoute de ce qui se dit à la Maison du Off, lire la presse et se tenir informé grâce au Tadorne (sur son blog, sur Twitter et Facebook) Le blog de Martine Silber offrira également de bons tuyaux.

Demain, le Festival d’Avignon commence. Comme chaque année depuis dix ans, je verrais plus de 50 spectacles. De la folie du début, il ne restera que la sagesse. Celle des hommes, qui le temps d’un festival, baissent les armes pour repenser le monde. Serez-vous de ceux-là?

Pascal Bély

Diane Fonsegrive

Laurent Bourbousson.

www.festivalier.net

 

Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE LA VIE DU BLOG LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Montpellier Danse « l’hétérosexualité », le Festival d’Avignon la diversité.

J’avais prévu d’écrire sur le dernier spectacle vu à Montpellier Danse, « Do you remember no I don’t » de François Verret. Il est préférable de ne plus s’en souvenir. Certains artistes continuent d’infantiliser le public en leur proposant le discours antilibéral dernier cri. Cela se veut moderne, ce n’est que recyclage de “souffleries” déjà vues, de numéros d’acteurs usés jusqu’à la corde, d’influences artistiques si évidentes qu’on frôle le plagiat.

J’avais prévu de réagir aux propos douteux de Jean-Paul Montanari, Directeur de Montpellier Danse depuis 1983, qui déclarait sur France Culture le 3 juillet dernier : « C’est la fin d’une certaine forme de  danse contemporaine…le sida l’a tué. Il n’y  a plus de danse de pédés, mais une danse d’hommes, d’hétérosexuels ». Le journaliste (et artiste) Laurent Goumarre  n’a pas pipé mot (conflit d’intérêts ?), pas plus que la chorégraphe Héla Fattoumi. Ce propos purement réactionnaire et clivant ne correspond nullement à la vitalité de la danse aujourd’hui (renie-t-il l’édition 2009?) même si l’on peut regretter le consensus des créations des Centres Chorégraphiques Nationaux (sur ce point Monsieur Montanari a raison). Mais en proclamant, tel un tribun face au peuple affamé, qu’il fallait créer un autre festival, Mr Frêche (Président de la Région et cofinanceur de Montpellier Danse) donne une bien triste image de la démocratie française.

J’avais prévu d’évoquer la piteuse émission de France Culture, « le grain à moudre », consacrée à l’avenir de la critique dans le spectacle vivant. diffusée le 29 juin.  Ici aussi, la même génération pleure le temps passé, tient des propos réactionnaires, nie la créativité émergente dans le pays. Tels des rois déchus, ces critiques regrettent leur palais doré voué aux vents et marées de la nouvelle vague !

J’avais prévu…

Mais à  la veille de l’ouverture du Festival d’Avignon, la première plate-forme de  blogs en France, Over-Blog (1,5 million de visiteurs par jour), publie un éditorial du Tadorne ! Se positionnant comme un média alternatif, Over-blog promeut  les figures d’amateurs éclairés et apporte sa contribution au renouvellement des formes d’écritures sur le spectacle vivant.  Sur sa une, Over-Blog ouvre un dossier regroupant les articles de la blogosphère présente en Avignon. Enfin de l’air ! Vive la diversité !

Au même moment, le Festival Off énonce les prémices d’une réflexion globale sur l’articulation entre blogueurs et journalistes et choisit d’accréditer certains blogs (dont le Tadorne). Enfin des ouvertures !

De son côté, Martine Silber, ancienne journaliste au Monde pose  sur son blog les bonnes questions et ouvre le débat.

Demain, je serais sur Avignon pour trois semaines. J’ai déjà tout écrit sur le projet : ici et .

Envahissons les théâtres ! Le temps d’un été, nul besoin d’un emprunt national pour créer la relation créative.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

A Villeneuve en Scène, Philippe Car, l’enchanteur de Molière.

Approchez, approchez, bienvenue au chapiteau de l’Agence de Voyages Imaginaires” aurions-nous envie de clamer alors qu’apparaît sur une grande bâche le visage de Philippe Car, co-fondateur et metteur en scène des Cartoun Sardines Théâtre. C’est donc en toute confiance que vous pouvez aller voir en l’adaptation du “Bourgeois gentilhomme“, présenté au festival “Villeneuve en scène“.

Philippe Car et Yves Fravega ont adapté le texte de Molière pour une comédie déjantée où marionnettes, personnages de carton-pâte et robots se croisent. Un délire s’empare de ce Monsieur Jourdain et nous fait redécouvrir un classique mené tambour battant. Le savoir-faire de la compagnie en matière de divertissement est irréfutable.

Bien que la forme se suffise à elle-même (on arrive à en oublier le texte de Molière parfois), le fond, véritable critique de l’humain et de son paraître, résonne sous ce chapiteau et encourage à rester soi-même.

Le Bourgeois Gentilhomme” est un divertissement de qualité et offre au jeune public, un Molière résolument moderne loin de son image classique.

Laurent Bourbousson

www.festivalier.net

Dans le cadre de “Villeneuve en scène” du 5 au 24 juillet 2009, à 21h00.

Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Raimund Hoghe et Faustin Linyekula jettent leurs cailloux sur Montpellier Danse.

Dans le hall du Théâtre Universitaire Paul Valéry, une spectatrice attend. Elle semble avoir rendez-vous avec le chorégraphe allemand Raimund Hoghe qui, chaque année ici, renverse, bouleverse le public. Je m’approche d’elle ; nous échangeons quelques informations sur la météo locale, et l’environnement du théâtre. Nous abordons la vie culturelle à Montpellier. À ce moment précis, la danse nous sépare : elle la découvre au cours de ce festival. Les mots trébuchent, et l’intimidation la submerge. « Je n’ai pas les mots pour parler de danse » me dit-elle. À quoi lui répondis-je : « Vos mots sont vos ressentis ». Trente années de festival n’y ont rien fait : le discours autour de la danse reste excluant, presque anti démocratique. Mais qui cela intéresse-t-il ? Raimund Hoghe assurément. Nous entrons côte à côte. Nos langages se croisent déjà.
La scène est immense, totalement dépouillée à l’exception d’un petit tas de cailloux. Notre humanité est là : toute à la fois atrophiée et imposante. La danse a commencé. Ils arrivent ensemble, mais séparés. Lui, c’est Faustin Linyekula, chorégraphe congolais. Lui, c’est Raimund Hoghe, ancien dramaturge de Pina Bausch, chorégraphe et bossu depuis l’enfance. Leurs corps incarnent un territoire mêlé qu’une vision du monde éloigne. Les feuilles de papiers délicatement posés tout autour de la scène par Raimund  évoquent l’espace européen qui préserve son modèle de développement. Surtout ne pas se fier aux apparences : la douceur de Hoghe est une bombe à fragmentation. Ces stèles mortuaires glacent. Seraient-elles celles des sans-papiers ? Pendant ce rituel funéraire, Faustin trace avec son petit tas de cailloux des chemins sinueux. La rencontre entre les deux hommes est-elle possible ? Raimund ne bouge plus : notre modèle industriel, social et culturel ne créée plus la relation ouverte. Faustin erre, sans titre, sans papier. Il est notre héros qui marchait sur la lune il y seulement trente ans. Sa danse compliquée et tortueuse les éloigne. La scène symbolise l’écart : 20% de la population mondiale consomme 80% des ressources de la planète.

Alors, place à l’art ! Il va nous offrir d’autres itinéraires, non moins sinueux. Alors que les cailloux s’incrustent dans les corps et crée l’espace de la confrontation, ils tombent pour Faustin, sont jetés par Raimund. La danse met en mouvement le minéral dans le biologique et provoque la régénérescence. La rencontre artistique par le partage permet à chacun de faire son chemin, à partir de nouvelles formes esthétiques (la bosse de Raimund et les plis du corps musclé de Faustin forment le paysage de l’imaginaire). Symboliquement, la danse est un modèle d’élargissement : elle ne puise pas la ressource pour appauvrir l’autre, mais  créée le bien commun et les esthétiques de la rencontre (ndlr: et si les Centres Chorégraphiques se transformaient pour s’ouvrir?)

Avec un propos accessible,  « Sans titre » de Raimund Hoghe, libère le spectateur par la poésie. Il crée à l’aide d’une bougie, d’un tas de feuilles de papier et vingt cailloux. De la rareté éclot le sens. Point de langage descendant, tout nous revient et leur revient ; de la danse de Raimund Hoghe naît la rencontre à l’image de la dernière scène où le blanc et noir se fondent pour créer un corps commun riche de nouvelles articulations. Sublime !

Elle me regarde puis me dit : « Cette oeuvre est une émotion qui se niche dans toutes les parties de notre corps ».

Martine, traçons nos chemins avec nos cailloux, mêlons nos mots et ouvrons ensemble l’espace de la rencontre autour de la danse!  Il y a urgence. Un certain Président de Région (Monsieur Frêche), cofinanceur du Festival, a une tout autre idée de la danse.

Pascal Bély- Le Tadorne

"Sans titre" de Raimund Hoghe a été joué les 2 et 3 juillet 09 dans le cadre du festival Montpellier Danse.