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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Hubert Colas ne fait pas peur.

«La France a peur». C’était en février 1976, lors d’un journal télévisé. Trente-cinq après, la peur est toujours d’actualité, sournoise, invisible, envahissante. Elle traverse notre intimité, arbitre les liens sociaux, nourrit les dogmes politiques. J’étais en attente qu’un artiste s’empare explicitement de ce processus. Avec “STOP ou Tout est bruit pour qui a peur*” , l’auteur et metteur en scène Hubert Colas fait une tentative courageuse, mais trop à distance à l’image d’une théorie qui ne s’incluerait pas dans un processus réflexif.

Ils sont trois, cinq, sept: tout dépend de l’ampleur de la contagion. Le premier tableau est une scène en mousse où les corps ne savent plus où ils vont. Entre vidéosurveillance et stratégies de mise au pas, les déplacements et la lumière posent un contexte très pesant sur des acteurs aveuglés. Leur danse est une fuite pour ne pas vivre la relation : l’autre différent est une menace. On se scrute, on s’évalue. On fait groupe : «Si nous ne changeons pas de bord, nous sommes tous prêts à chavirer». Le texte m’échappe un peu d’autant plus qu’il me parait désincarné. Les acteurs en ont-ils peur? Je les (re)connais pour les avoir appréciés ailleurs. D’où me vient cette désagréable impression que leur «personnage» est emprunté à d’autres mises en scène (Claire Delaporte est troublante à rejouer «les 12 soeurs slovaques» de Sonia Chiambretto) ?

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Le deuxième tableau est probablement le plus convaincant. L’espace est plus ouvert pour y poser de grands canapés qui forment un appartement dont les murs cloisonnent les liens. Hubert Colas démontre comment la peur traverse les relations intimes et sociales, amplifiées par une caste médiatique qui en fait son fond de commerce. Le doute s’immisce partout et la peur de l’étranger (troublant Agustin Vasquez Corbalan) développe une société paranoïaque qui va chercher dans les ressorts psychologiques de chacun ce qui relève du vivre ensemble. Quant au tableau final, comment ne pas y voir un hommage appuyé aux scénographies de la chorégraphe Maguy Marin. Comme dans « Salves», sa dernière création, les corps apparaissent et disparaissent derrière des pans de murs. La société défile et se défile. Les déplacements me font penser aux jeux du chat et de la souris auxquels se prêtent les touristes dans leMémorial aux Juifs assassinés d’Europe du centre de Berlin. Les insultes fusent («tape-lui dessus») tandis qu’une phrase («il n’y pas pas de morale») signe la déchéance d’une civilisation (si chère à Claude Guéant). La peur est un théâtre?

Par son cheminement (l’intime, le social, la société), l’ensemble se tient, mais ne me percute pas. Hubert Colas fait l’économie d’une narration jusqu’à ne donner aucune identité aux acteurs. La peur est donc un processus qui semble échapper à notre conscience: elle structure l’inconscient groupal et fait «politique». Cette approche nous épargne les faits, relatés quotidiennement par les médias, et qui nous empêchent précisément de réfléchir à ce qu’il se joue. Hubert Colas ne tombe pas dans ce piège. Mais le texte peine à se hisser au niveau des processus : il donne l’impression d’être abstrait, sans chair (à l’exception notable d’une scène délirante où une femme délivre une injonction paradoxale à son mari). La peur finit par n’être que des mots. A plusieurs moments, j’ai pensé que cette oeuvre pouvait transcender le texte tant la scénographie charrie son lot de signifiants et de symboles, porté à certains moments par une chorégraphie du sensible.

Le metteur en scène a eu probablement peur de l’auteur (à moins que cela ne soit l’inverse). Qu’il sache que je n’ai pas eu peur d’écrire cet article. Juste un peu gêné de ne pas avoir été ému pour l’écrire.

Pascal Bély, Le Tadorne.

“STOP ou Tout est bruit pour qui a peur*” d’Hubert Colas au Théâtre du Merlan de Marseille du 10 au 16 février 2012.

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FESTIVAL ACTORAL PAS CONTENT

À Marseille : Montévidéo fermé, Tadornes déplumés?

À Marseille, rares sont les lieux dédiés à la création contemporaine. Montévidéo fait partie du paysage culturel de ce blog : j’y ai vu des oeuvres intéressantes qui m’ont permis de me forger un regard plus ouvert sur les formes théâtrales. Depuis quelques mois, le lieu est fermé sans que le public en connaisse précisément les raisons. Très concrètement, cela a des répercussions pour la vie de ce blog: la fermeture de Montévidéo m’a un peu plus éloigné de Marseille, de la création contemporaine et des artistes émergents.

Je publie un appel de l’association « les amis de Montévidéo ». Je vous invite à signer la pétition.

Pour eux. Pour nous.

Pascal Bély, Le Tadorne

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Nous, public, artistes, amis de Montévidéo, nous nous inquiétons de l’avenir et du développement de ce lieu qui nous est cher. Par sa singularité et sa liberté artistique Montévidéo, centre de création contemporaine et de résidence d’artistes à Marseille, a su prendre une place tout à fait particulière dans le paysage de la culture, que nous souhaitons voir perdurer. Nous nous inquiétons du temps qui passe et de constater qu’à ce jour Montévidéo ne puisse pas réouvrir pleinement ses portes. Nous sommes informés que Montévidéo traverse depuis quelques mois de grandes difficultés qui l’empêchent de fonctionner comme le lieu de découvertes et de création artistique qu’il est depuis dix ans, favorisant l’émergence de nouvelles formes.

Or, si nous savons que Montévidéo continue d’accueillir régulièrement des résidences d’artistes, les limitations d’ouverture dont il fait l’objet sont pour nous, amis de Montévidéo, très préjudiciables : c’est un espace rare d’expression artistique qui risque de disparaître. Un réservoir de découvertes qui se tarit à Marseille. Depuis 10 ans, Hubert Colas et Jean-Marc Montera, ses deux directeurs, ont su décloisonner les formes consacrées du théâtre et de la musique. Ils ont su bousculer les paroles et les sons, éprouver les rythmes et les silences, les espaces et les signes. En accueillant des artistes français et étrangers, ce lieu de convivialité propice aux échanges artistiques et à la proximité avec son public, s’est forgé une identité singulière, reconnu en France et à l’étranger.

Montévidéo est également un lieu déterminant à Marseille pour l’accompagnement des projets d’artistes régionaux, nationaux et internationaux, un lieu qui ouvre des perspectives de travail, de recherche et d’expérimentations essentielles au développement des démarches artistiques. Nous savons que les mois qui viennent sont d’une importance capitale.

Nous savons que d’importantes décisions relatives à sa pérennité doivent être prises. Nous y serons vigilants et y apporterons notre plein soutien.

Nous, artistes et spectateurs, fidèles du lieu, nous sommes persuadés que Montévidéo doit être sauvé. Nous souhaitons que Montévidéo soit pérennisé.

Nous interpellons et attendons de toutes les collectivités territoriales, qu’elles fassent tout ce qui est en leur possible pour  garantir la reprise et la poursuite des activités de Montévidéo, et qu’elles permettent à ce lieu emblématique de la création et de la scène contemporaine d’occuper toute la place qui doit être la sienne lors de l’année Capitale en 2013, et bien au-delà.

Les amis de Montévidéo. Pétition: ici

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FESTIVAL ACTORAL OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Dominique Frot : « liberté, égalité, soeurorité ».

Avec les créations de l’auteur et metteur en scène Hubert Colas, le parcours du spectateur a parfois toutes les allures d’un pèlerinage . Il vous conduit d’abord à Aubagne, où vous écoutez un légionnaire vous enivrer de sentences engagées et éclatées (« Mon képi blanc »). Puis, à Marseille, où vous rencontrez une jeune immigrée tchétchène, sidérante avec ses mots dictés comme des balles qui percent votre corps (« Chto, interdit aux moins de 15 ans »). Vous poursuivez votre périple, à Nice, dans une maison de religieuses pour entendre Soeur Rose, venue de Bratislava jusqu’en France alors qu’elle n’avait que huit ans (« 12 soeurs slovaques »). Nos trois héros existent à travers la plume engagée de Sonia Chiambretto, « notre écrivain public » qui ouvre la parole pour nous la restituer à nos oreilles de citoyens devenus parfois sourds à la différence. Ces trois rencontres constituent  notre « identité nationale » car nous sommes faits de ce croisement d’idéaux, d’errances, d’enfermements, de libérations, là où la « nation » avec son plus petit dénominateur commun nous isole un peu plus du complexe.

De la trilogie, il me manquait « 12 petites soeurs slovaques ». Je suis allé jusqu’à Nantes, pour faire connaissance avec Soeur Rose, incarnée par Dominique Frot. Elle est frêle, habillée de noir, si petite que l’on peine à imaginer l’adulte : est-ce l’effet du religieux qui véhicule cette étrange impression? D’autant plus que la scénographie (raffinée et imposante, comme d’habitude chez Hubert Colas) articulée à la présence d’un curé dont le chant transcende la parole (impressionnant Nicolas Dick, posté au dehors de la scène) renforce la fragilité de ce corps tout entier dévolu à Dieu. Elle parle malgré tout, raconte son périple de la Tchécoslovaquie communiste à la France catholique puis explique le lent processus de transformation d’une petite fille en soeur Rose pour ad vitam aeternam. Elle parle comme elle réciterait une prière trop longtemps apprise et jamais restituée.

Mais elle est sous surveillance, notre chère Rose. Les fantômes circulent au-delà de ce décor noir, comme au bon vieux temps où enfant, nous prenions peur à la vue d’une ombre venue vérifier l’intensité de notre sommeil. Car ici, sur ce plateau, la religion affronte le théâtre et pas qu’un peu ! Le visage de Dominique Frot reflète cette tension jusqu’à la faire pleurer tout au long de ces  cinquante-cinq minutes. Ce sont les larmes de la profondeur, de la libération, une réponse lumineuse à la noirceur du décor. Ce sont des perles de pluie sur un sol trop longtemps desséché par la rudesse d’une vie de groupe qui ne laisse aucune place au corps turbulent. Nous l’écoutons Rose et son flot de paroles nous parle d’autant plus que nous sommes presque tous pétris de cette éducation religieuse qui formate durablement notre approche du collectif, de la diversité, du commandement.

Le corps de Soeur Rose, c’est notre corpus religieux ; la mise en scène, c’est notre échappée belle en pays laïque, conquise contre l’obscurantisme. « 12 soeurs slovaques » place le spectateur dans cet interstice, là où précisément l’acteur renonce pour se donner corps et âme à son rôle. Dominique Frot est exceptionnelle dans cet engagement parce qu’elle octroie à Soeur Rose sa citoyenneté dans la patrie des droits de l’homme et renforce la foi des « pèlerins spectateurs » en un théâtre combattant les dépendances obscures.

Pascal Bély, Le Tadorne

« 12 soeurs slovaques » de Sonia Chiambretto, mise en scène et scénographiée par Hubert Colas, joué au Lu de Nantes du 1 au 5 décembre 2009.

Crédit photos: Bellamy/1D-photo.org

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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Claire Delaporte, notre petite soeur de Tchétchénie.

«J’irais les chercher jusque dans les chiottes». C’est ainsi que parlait l’ami de notre Président, au sujet des Tchétchènes. Cette phrase « poutiniare », la comédienne Claire Delaporte l’extirpe de ses tripes, face à nous, dans ce décor blanc tapissé de matelas au sol. Elle joue dans « CHTO interdit aux moins de 15 ans » d’après Sonia Chiambretto, mise en scène par Hubert Colas. Elle incarne ces filles de 18 ans rencontrées par l’auteur dans un centre d’apprentissage de la langue française. Elles ont fui la guerre. En réponse à la noirceur des « chiottes », Hubert Colas répond par la douceur d’un décor, qui s’élargit par la magie de l’outil vidéo, arme secrète de l’art pour pousser les frontières poreuses entre la tragédie du réel et la beauté d’une utopie, symbolisée par Marseille, où l’on va « dans la rue des convalescents apprendre la langue ». Le texte claque avec des « comme ça », ponctué de « RAH » et nous guide sur la route qui mène de « SAINT PETERSBOURG » au métro Noailles. Claire Delaporte incarne la brutalité du propos par son corps statique presque blessé qu’elle déshabille pour le couvrir à nouveau, à l’image des mots qu’elle épelle, en évitant soigneusement les élisions comme des balles qui passeraient au dessus de sa tête.
Elle restitue avec force le chaos psychique vécu de l’intérieur ; mais rien n’est donné comme ça. La relation prend le temps de s’installer comme si nous devions avoir confiance l’un envers l’autre et dépasser nos peurs (oui, je le concède, cette comédienne exceptionnelle m’impressionne).
Arrive alors le moment imprévisible où Claire Delaporte incarne dans mon imaginaire ma « petite soeur » de Tchétchénie. Le théâtre d’Hubert Colas opère cette rencontre en jouant avec l’espace qu’il ouvre, puis réduit nous permettant dans ces va-et-vient d’accueillir les mots brisés de Sonia Chiambretto ( « ça ne me quitte pas ça tout en moi dans ma tête ça revient »). Cette mise en scène de la connexion sidère parce qu’elle épouse le texte, libère Claire et renforce notre écoute empathique. Alors qu’elle évoque sa « Tchétchène nostalgie », le fil d’Ariane entre elle et nous se tend pour suspendre les mots du poète. Sublime.
L’Europe politique de mes rêves pourrait remettre les apostrophes manquantes aux mots de Claire, cicatriser ses coups de glotte, pour que l’on n’oublie pas ce crime contre l’humanité.
Sonia Chiambretto et Hubert Colas signent là le plus beau manifeste pour Marseille, capitale européenne de la culture et de la soeurorité.Pascal Bély – Le Tadorne“CHTO interdit aux moins de 15 ans” de Sonia Chiambretto, mise en scène d’Hubert Colas a été joué le s 2,3 et 4 octobre 2008 dans le cadre du Festival ACTORAL de Marseille.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon, Jan a disparu, mais Isabella revient.

Jan a disparu. Un  par un, ses amis arrivent sur scène pour témoigner du lien particulier qui les unissait à lui. Ils n’ont pas encore la trentaine, ont une drôle de dégaine, un peu triste, à peine  heureux. À l’équilibre.

Jan a disparu et avec lui la synthèse : hétéro et homo, aimant et détestable, distant et proche. Il vient et va. A l’équilibre.

Jan a disparu. Ce n’est pas le groupe qui pleure, mais les parties qui le composent. Neuf témoignages complémentaires qui reliés s’annulent. Avec leurs égos démesurés, ils se font mal entre eux. Ce n’est pas dit, juste ressenti. À l’équilibre.

Jan a disparu. Il n’était pas un homme de théâtre, mais un plasticien, peintre, performeur. Ses amis reprennent le flambeau sur scène. Maladroitement. Les artistes flamands semblent les inspirer, l’improvisation domine, mais ça tient. Sur la corde raide. À l’équilibre.

Jan a disparu et avec lui tout un monde vivant en autarcie, socialement uniforme, blanc de couleur. Leur environnement fait de baies vitrées et de murs blancs est assez ennuyeux. Chacun a un petit malheur à raconter, une anecdote (dont la savoureuse «merde qui se coince dans le cabinet »). Chacun est capable de rejouer à l’infini une scène de dispute. À l’équilibre.

Jan a disparu. Celui qui le connaît à peine, occupe le devant de la scène avec son numéro d’équilibriste sur « on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs ». On ressent qu’il est à la bonne école. Il est garant de l’héritage amical et artistique. Cela promet pour la suite. À l’équilibre.

Jan a disparu et il laisse deux malheureux. L’un fume des pétards volumineux (lumineux Elie Hay) et se jette dans le vide ; l’autre chante à tue-tête « ma déclaration » de France Gall (charismatique Elina Löwensohn). On y croit. Mais le monsieur de l’omelette casse tout. A l’équilibre.

Jan a disparu et le théâtre ne sait plus très bien comment lui rendre hommage. L’homme n’est ni une star, encore moins une figure mythique de notre époque. Pour tout dire, son absence ne nous laisse aucun manque. On perçoit à peine l’espace vide, juste une curiosité qui s’émousse (mort, disparu, caché ?). À l’équilibre.

Jan a disparu et l’on finit par l’oublier. Qu’importe. Nous, c’est Isabella que nous recherchons. Nous n’en avons toujours pas fait le deuil. Héroïne de Jan Lauwers (Jan ?), « la chambre d’Isabella » avait reçu une ovation dans ce même Cloître des Carmes. C’était en 2004. Depuis, le public d’Avignon, cherche son histoire où il pourrait se perdre dans les étoiles. On nous dit qu’Isabella revient au Festival d’Avignon. Cela s’équilibre.

Jan a disparu et je finis par ne pas aimer cet homme. Je n’y crois pas. Il n’a peut-être jamais existé. Allez savoir. Il n’est qu’une apparition, qu’une incarnation d’une partie de nous même. Désolé, je n’en veux pas. Je n’ai rien demandé. Il n’est pas de mon monde. Il est aquatique, je suis terrien. J’aime le théâtre, il en joue.

Jan a disparu et je m’en fous.

À l’équilibre.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Le livre d’or de Jan” d’Hubert Colas jusqu’au 17 juillet 2009 à 22h dans le cadre du Festival d’Avignon.

Hubert Colas présentera aussi (à ne pas manquer):  “Mon képi blanc” (les 24, 25 , 26 juillet) et “Chto, interdit au moins de 15 ans” au Festival Contre-Courant à Avignon le 15 juillet.

Photo: Christophe Raynaud de Lage.

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Au Festival ActOral, “Mon képi blanc”, le beau monologue du pénis d’Hubert Colas.

Seul sur la scène de ce petit théâtre au coeur de la Friche Belle de Mai à Marseille, cheveux gominés, costume impeccable, il nous regarde sans sourciller. Il est légionnaire et son double se projette en direct dans une télévision décorée de ses apparats. Des micros sont tendus comme autant de perches pour entendre de sa bouche les mots de l’écrivaine Sonia Chiambretto. En entrant, je suis saisi par la beauté et la modernité du décor, proche de l’univers du metteur en scène allemand, Thomas Ostermeier. La scénographie audacieuse d’Hubert Colas met en relief le propos alors que le corps de l’acteur donne au texte des airs de musique militaire sur une partition d’opéra.

Manuel Vallade est exceptionnel. Son corps transpire à certains moments comme autant d’émotions refrénées qui s’immiscent dans le texte. Il fait corps, à corps défendant, avec cet esprit de corps. Sa beauté nous renvoie au film “Beau travail” de Claire Denis qui avait su nous restituer l’atmosphère de la légion à partir d’une chorégraphie endurante et sensuelle. En quarante minutes, se crée une alchimie faite de pureté, d’un engagement sans limites et d’une souffrance contenue. Je ne le quitte pas des yeux de peur que cet humain à l’état brut(e) ne tombe à terre.
Alors que les applaudissements se font chaleureux, “face au mur” (beau clin d’oeil à l’autre mise en scène de Colas actuellement au Gymnase), des prénoms de toutes les nationalités se projettent sur son dos comme un monument aux vivants.

La terre patrie défile. Sublime.

Pascal  Bély – Le Tadorne

”  Mon képi blanc”de Sonia Chiambretto par Hubert Colas a été joue le 6 octobre 2007 dans le cadre d’Actoral.6

 

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Hamlet par Hubert Colas : le théâtre réinventé.

Il est minuit et l’orage gronde au moment où je quitte le Théâtre de la Criée de Marseille. « Hamlet » de Shakespeare mis en scène par Hubert Colas fait l’effet d’un tonnerre dans le paysage paisible du théâtre français. Je ne ressens ni joie, ni colère après ces quatre heures quarante de spectacle, mais plutôt un état d’apesanteur comme si je regardais le théâtre avec un autre point de vue. Rarement mon attention a été à ce point infaillible ; j’ai scruté avec minutie le moindre changement scénique, observé avec curiosité le positionnement des acteurs.
Hubert Colas a fait le choix d’une mise en scène complexe où plusieurs tableaux se jouent en même temps. On est loin des partis pris de Frédéric Fisbach avec la pièce « Gens de Séoul » présentée en Avignon l’été dernier qui multipliait les scènes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du plateau pour produire au final un langage théâtral compliqué. Avec Hubert Colas, chaque dialogue s’inscrit dans un contexte appuyé par des effets scéniques impressionnants : il y a toujours trois scènes en interaction. Au centre, elle est mouvante comme le sont les relations entre les protagonistes. Les jeux de pouvoir peuvent s’y exercer et le sol (en mousse ?) se métamorphose au gré des alliances et des coalitions. Imposant.

Sur chaque côté, l’ensemble des acteurs peut s’asseoir et observer le jeu. Ces postures contiennent le jeu, à l’image d’un inconscient collectif qui enverrait ses informations. Mais il arrive aussi que l’on doive lever les yeux. Hubert Colas envisage le ciel sur scène, symbole rouge du spectre pesant sur nos têtes. Avec une telle scénographie, mon regard ne cesse d’être circulaire et je fais toujours référence au tout dès que je me centre sur un seul personnage. Quelle belle leçon de complexité et de modernité !

Malgré tout, je me sens très à distance. Rien ne vient toucher mon affect comme si tout n’était que jeu dans lequel le spectateur serait hors du coup. D’ailleurs, alors que le public prend place au début du spectacle, les comédiens se préparent en s’injectant un liquide dans les yeux pour s’aider à pleurer. Je comprends après coup le sens de cette scène anodine. L’affect est ainsi caricaturé, mis de côté, comme si nous devions le laisser alors que nous nous installons. C’est sûrement ce que mon inconscient a fait. Mais alors, quel est donc ce théâtre ? Je n’ai toujours pas trouvé la réponse et mes affects semblent ne pas vouloir m’aider.

Pascal Bély – Le Tadorne

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

« Face au Mur » d’Hubert Colas : une « Buscherie » théâtrale.

En arrivant au Théâtre du Gymnase, l’ambiance est feutrée pour la dernière création d’Hubert Colas, trilogie composée des courtes pièces de Martin Crimp, « Whole blue sky », « Face au mur » et « Tout va mieux ».Pendant que le public s’installe, un jeune acteur cravaté au regard froid attend sur une scène parsemée de ballons blancs. D’emblée, j’ai l’impression de me retrouver l’été dernier dans l’attente des spectacles de Roméo Castellucci lors du Festival d’Avignon. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si « Face au mur » est une co-production d’Avignon 2005. Le décor minimaliste d’Hubert Colas semble signifier une rupture, à l’image de certaines oeuvres de l’été dernier. Je m’attends donc à passer un moment…tragique!

Dès « Whole blue sky », je suis happé par le texte de Crimp et le jeu des comédiens. Le texte percute car il parle tout à la fois de notre intimité (l’amour, la famille,…) et de notre société. Le style de Crimp par ce jeu rationaliste et froid de questions-réponses entre les acteurs, m’évoque le modèle libéral de l’Angleterre de Tony Blair. La violence décrite par Crimp est souterraine, imperceptible à l’oeil nu, peu médiatisée mais elle ronge notre société à l’image du corps des acteurs bien qu’immobiles, semblent gagnés par la rage. Je ressens viscéralement le texte de Crimp car, loin du bruit médiatique, il parle de cette société qui, pas à pas, se dirige vers la violence la plus ordinaire, vers le fascisme le plus édulcoré, à l’image de ce militaire, mirage de cet océan de ballon blancs qui clôt la pièce. Le décor minimaliste est un leurre comme ce que nous donnent à voir les médias et les politiques. Loin de nous aider à lire ce monde chaotique, ils alimentent cette violence pour mieux nous délivrer les remèdes les plus simplistes. Pour accentuer ce trait, la mise en scène d’Hubert Colas comportementalise le jeu des acteurs. Elle est à l’image d’une société qui, pour soigner la violence, codifie les comportements pour mieux les contrôler. La force de la mise en scène de Colas est de positionner la trilogie de Crimp dans cette sorte d’immobilité apparente alors que ce trame des processus d’une violence inouïe.. Il arrive que le public rit par facilité mais la tension est palpable dans la salle. Le final avec la sublime musique d’Arcade Fire renforce l’aspect dramatique de la pièce et positionne pour longtemps « Face au mur » dans la postmodernité.

C’est une pièce politique. Aussi précieuse qu’un édito de Philippe Val dans Charlie Hebdo. Et ce n’est pas une caricature.

Pascal Bély – Le Tadorne