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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LE THEATRE BELGE! PAS CONTENT

La Biennale de la Danse de Lyon jette nos fleurs par la fenêtre.

D’un festival à l’autre, il y a mes passerelles. Elles m’appartiennent et insufflent dans les programmations savantes, des images qui s’incrustent sans crier gare. Ce samedi 15 septembre 2012, le Festival d’Avignon s’invite à la Biennale de la Danse de Lyon, tant les traces laissées par l’artiste plasticienne Sophie Calle sont durables. Cet été, à l’Église des Célestins, «Rachel Monique» fut une grande exposition au coeur d’un festival de théâtre (Au Festival d’Avignon, Sophie Calle: la traversée d’un continent intérieur). Elle y installa différentes oeuvres à la mémoire de sa mère, disparue en 2006 jusqu’à lire et découvrir quotidiennement les pages de son journal intime. Elle créa un lieu de mémoire, de ceux que l’on bâtit pour les grandes causes: elle l’a construit pour sa mère, vers notre destinée. D’elle(s) à nous. À chaque recoin de l’église, nous furent nombreux à nous inscrire dans cette filiation. «Rachel, Monique» n’était ni du théâtre, ni de la danse. Pourtant, combien d’oeuvres du spectacle soi-disant «vivant» sont-elles capables de susciter de telles résonances?

À Lyon, la proposition du plasticien Jan Fabre, «Preparatio Mortis», n’est pas de celles-là. Ce solo pour Lisa May est «dansé» comme un rituel après la mort subite des parents de Jan Fabre. Dès les premiers instants, l’exposition de Sophie Calle s’invite. Là où elle nous accueillait à l’entrée de l’Église avec un grand portrait de sa mère au milieu d’un fracas de vieilles pierres qui faisaient entendre les pages du journal intime, Jan Fabre nous plonge dans le noir, avec une musique d’église aux accents contemporains rapidement insupportables de Bernard Foccroulle. Cette obscurité dictée ne m’éclaire pas. Alors j’attends. C’est ainsi qu’un petit miracle se produit: par la lumière d’un lever de soleil, de longues fleurs bougent à peine et je perçois des figures, une évanescence de corps, de celle que l’on imagine dans les cimetières à la tombée de la nuit. À cet instant, les odeurs de fleurs invoquent le souvenir, presque le chagrin, et notre désir de survivre en convoquant Dionysos! Mais Jan Fabre tend rapidement le mouchoir, de celui que l’on s’empresse de vous donner de peur que vous ne débordiez. C’est alors qu’elle apparait. Lisa May se dévoile, se déterre, s’élève de cette pierre tombale de fleurs, tel un ver de terre. Elle renaît et je ne vois plus qu’elle. Elle fait et je la regarde faire. Elle pose pour Jan Fabre qui ne tarde pas à la posséder pour mieux la déposséder. Comme spectateur, je n’ai pas de place. Sur ce sol jonché de fleurs (la référence aux oeillets de Pina Bausch ne va pas plus loin que de les compter?), elle tourne autour de cette stèle mortuaire cachée par des couronnes fleuries qui peu à peu s’effondre?Je reconnais cette façon si particulière d’occuper l’espace (devant, derrière, au centre), d’hystériser les mouvements (ici les fleurs sont jetées, déchiquetées) à partir d’une gestuelle signifiant la mort par le sexe. Du déjà vu dans «quando l’uomo principale è une donna» où Lisbeth Gruwez dansait sur un sol rendu glissant par l’huile d’olive. Du déjà approché dans «Another Sleppy dusty delta day» où Ivana Jozic, sur un sol jonché de charbon, tentait le suicide par un saut dans le vide. Je reconnais tous les «gestes provocants» de Fabre qui mis bout à bout peine à créer le mouvement d’une faille, d’une incertitude. Il y a toujours ce combat avec le propos qu’il est censé transcender, comme s’il ne voulait rien lâcher. Ce sera une performance. Point. Peu à peu, ces solos tournent à l’obsession : mais de qui, de quoi, Jan Fabre est-il orphelin ?

Le corps entre dans la matière (fleurs, charbon, huile d’olive) mais n’entre pas en matière. Encore moins vers nous. Signifier, installer des évocations mortuaires, est-ce danser? À travers ses «égéries» guerrières, Jan Fabre «installe» sa posture. Que m’importe qu’il puise dans l’histoire des arts pour y trouver ses images et faire son deuil s’il ne les inscrit pas dans un lien généreux avec mon humanité!

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Tandis qu’elle s’installe nue dans un cercueil transparent où des papillons volent et se posent sur la vitre embuée, elle peint avec son doigt. Dans sa caverne, elle crée l’Image, tout en bougeant telle une chenille. Mais précisément: créer l’image ne fait pas Image. Je regarde et me revient le petit cercueil de verre où «Rachel, Monique» reposait en paix. Au-dessus, tel un papillon, le mot «souci» déployait ses ailes de désir.

Je suis déjà parti.  

Jan Fabre a du souci à se faire.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Pascale Logié a écrit un très bel article sur ce spectacle. Un de ces articles que l’on aimerait écrire: http://lilledissidanse.unblog.fr/2010/11/19/preparatio-mortis-jan-fabre/

“Preparatio Mortis” de Jan Fabre. A la Biennale de Lyon du 14 au 16 septembre 2012.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE!

À l’École d’Art, le “livre d’or” de Jan Fabre pour le Festival d’Avignon.


Il y a foule de spectateurs à l’École d’Art pour la rencontre avec Jan Fabre. Comme un besoin de confrontation (pacifique). Une heure d’échanges polis avec un public qui a fait son « travail » avec cet artiste flamand hors du commun. Le metteur en scène, chorégraphe et plasticien semble assagi, comme s’il faisait son dernier tour de piste en Avignon.

Son « Orgie de la tolérance » fait quasiment l’unanimité à l’exception de quelques journalistes (Nouvel Observateur) et blogueurs (Images de Danse, Tadorne, Un soir ou un autre). Et ce n’est pas le moindre des paradoxes. Le public présent ce matin questionne ce succès : « Alors que « Je suis sang » ou « l’histoire des larmes » nous interpellaient dans notre intimité, votre dernier spectacle nous touche beaucoup moins parce que situé au niveau sociétal. N’est-ce pas pour cela que nous sommes tous  d’accord ?». Est-ce pour cette raison qu’une connivence a été ressentie lors du salut final entre la salle et les danseurs ? Une spectatrice ose souligner que le public était « conquis, acquis d’avance » et qu’elle n’est pas «choqué par cette farce obscène ».  On a même droit à cette remarque savoureuse : « Auparavant, j’étais scotché par votre obscénité. Aujourd’hui, je suis emporté par le groupe ! ».  Mais «pourquoi utilisez-vous le premier degré pour nous faire passer le message ? ». « N’y a-t-il pas conflit entre « dénoncer un système et y être dedans » renchérit un spectateur.

A toutes ces observations et questions, Jan Fabre n’esquive pas.

Oui, « Orgie de la tolérance » est une oeuvre qui nous positionne sur le collectif, car « l’extrême droite flamande doit savoir de quel bois je me chauffe d’où l’utilisation du  premier degré ».

Oui, il est dans le système et se dénonce lui-même dans la scène de chasse.

Il se justifie sur l’obscénité en faisant remarquer que « la télé l’est bien plus », que les «publicités sur les numéros roses » sont des « services très mauvais » (sic), où les « orgasmes sont exagérés » d’où les « olympiades d’orgasmes » joués sur scène. Sa critique vise également le monde de la mode qui nous fait habiller en gangster et nous impose une idéologie de droite sur le beau.

Soit. Mais je ne saisis toujours pas au cours de ce débat, la fonction de cette démonstration connue de tous, car comme le souligne une spectatrice, “nous savons que la libido médiatisée vise à canaliser toute l’énergie qui pourrait exploser».

Alors, j’ose une hypothèse : le consensus autour d’« Orgie de la tolérance » ne vise-t-il pas à revenir sur « l’orgie » de violences qui a suivi l’édition 2005 du Festival où il était l’artiste associé ? Jan Fabre revient sur ce qui a fait débat cette année-là. Subtilement. En soulignant d’abord que 2005 a ouvert la porte à des artistes. Que pour lui, il n’y a pas de hiérarchie entre le corps et les mots ; « ils s’influencent mutuellement », « alors qu’en France, le texte hiérarchise ». Dans sa troupe, composée de « performeurs du 21ème siècle », les arts se croisent et s’enrichissent. Avec une pointe d’humour, il souligne « qu’il est aussi un auteur à texte ». Fier de son collectif, Fabre s’appuie sur lui pour s’inscrire dans la tradition de la peinture flamande, où la subversion est une philosophie, un mode de survie.

Il termine par cette phrase, en forme de salut final : « la danse est toujours une célébration de la vie ». Chapeau l’artiste.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Jan Fabre vu par le Tadorne: Jan Fabre fuck, avec préservatif, le Festival d’Avignon.

Les débats à l’Ecole d’Art vus par le Tadorne:  À l’École d’Art d’Avignon, Amos Gitaï découvre le public d’Avignon. Sanglant.

Photo: www.théâtrecontemporain.tv

 

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FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE! PAS CONTENT

Jan Fabre fuck, avec préservatif, le Festival d’Avignon.

Ainsi, le metteur en scène – chorégraphe- plasticien Jan Fabre est ovationné par les spectateurs du Festival d’Avignon. Il leur a vomi une bêtise crasse, avec “Orgie de la tolérance” mais le public en redemande, après avoir sifflé quelques heures auparavant la courageuse Maguy Marin.

Mais ce soir, Jan Fabre a perdu. Il est adoubé en Avignon, alors qu’en 2005, nous l’aurions volontiers crucifié. Entre temps, il a vieilli. Il approche l’âge où l’on est reconnu par les institutions qui le lui rendent bien. Ici, il a quasiment sa case, sa rente, d’année en année. S’il continue sur cette voie, il aura droit à une nuit entière au Palais des Papes où le public finira bien par monter sur scène pour branler les acteurs. En ces temps de grippe porcine, masturber un inconnu sera un geste artistique et citoyen très fun.

Mais en 2009, il faut coûte que coûte garder la place comme tant de têtes grisonnantes qui ont tout intérêt à désespérer la jeunesse. Jan Fabre est efficace: discours binaire (la société de consommation, ce n’est vraiment pas bien), vision réactionnaire de l’art contemporain (ces salops de commissaires qui se branle du travail des artistes), le fascisme est partout (ouh ! ouh !), les américains sont de gros pédés, et le sexe est une marchandise ! À côté, Besancenot est proche du Modem. Ce discours fournit la liste des clichés bien pensants qui assure à chacun de nous, l’estime et la reconnaissance de son prochain. Généreux Jan Fabre ! Ses cochonneries sur scène ne font même plus fuir le public : pensez donc, se mettre un fusil dans le derrière, se raser les couilles, prendre un godemichet comme nez de clown ne fait plus peur. Ces codes sont entrés dans le langage courant du festivalier. Jan Fabre est dans la norme qu’il a lui-même imposé à son public depuis tant d’années !

Artistes, politiques, citoyens sont nombreux en France et en Europe à se complaire dans cette dénonciation : elle leur assure de garder le pouvoir puisqu’elle s’adresse à notre partie rationnelle du cerveau. Le monde n’étant pas complexe, le public est prié de le voir, de le ressentir à partir de jugements descendants. C’est exactement le même processus qui conduit nos systèmes à leur perte, à leur dégénérescence. Ainsi, Jan Fabre en utilise les règles pour les dénoncer. Piteux.

Pour vous dire la vérité, je me sens bien au-dessus de cette proposition. Je remercie certains artistes et chercheurs de m’avoir « élevé » pour comprendre et ressentir la complexité de ce monde. Je les remercie de me donner la force d’être un sujet autonome et de développer mes dépendances lorsque la nécessité du sens le dicte.

Alors ce soir, je regarde amusé cet artiste sur le déclin, car je n’ai pas besoin d’une orgie pour faire preuve d’intolérance à la bêtise.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Orgie de la tolérance”, par Jan Fabre jusqu’au 15 juillet 2009 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

A lire la blogosphère, moins complaisante que tant de journalistes institutionnalisés: Images de Danse, Un soir ou un autre,

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, Jan Fabre, normé ISO 9000.

Je suis au premier rang et j’ai le nez dans le décor d’ « Another sleepy dusty delta day », dernière création du chorégraphe plasticien Jan Fabre. Des monticules de charbon sculptés par un circuit de trains miniatures sont disséminés sur scène. Du plafond pendent des oiseaux. L’ambiance est quelque peu mortifère et le contexte n’est pas propice pour ouvrir leurs cages. De jaune vêtu comme les volatiles enfermés, Ivana Jozic s’approche du micro pour lire une longue lettre qu’elle déplie délicatement. Le bruit du papier caresse mes oreilles comme un secret prêt à s’ouvrir. Elle nous prédit son prochain suicide, en haut d’un pont. Le texte est limpide, glacial. Le corps parle peu, mais la voix se met à chanter « Ode to Billie Joe » de Bobby Gentry. Cette chanson évoque un repas familial où la mère annonce le suicide de Billie Joe d’un pont. Elle entre en résonance avec la vie de Jan Fabre qui a perdu sa mère dans d’horribles souffrances. C’est ce saut dans le vide qu’Ivana Jozic danse, où le corps devrait se dissoudre dans la matière. Sauf que la chute se fait sur un trampoline, sans risque, pour un public conquit d’être guidé vers une mort qu’on effleure.
Jan Fabre a du mal à admettre que sauter d’un pont, cela fait mal et éclabousse. Pour éviter d’y aller, il fait diversion : la bouteille de bière qu’elle se met dans la culotte pour uriner comme un mec (on aurait pu imaginer autre chose que ce touche pipi ridicule), les allusions à des slogans publicitaires. D’autres scènes viendront ponctuer cette chorégraphie où cette petite fille s’amuse à jouer à l’obscène: le charbon est touché, mais elle se salit à peine. Où est donc la dissolution avec la matière ? « Another sleepy dusty delta day » me donne l’étrange sensation d’un tableau que l’on peint la tête ailleurs, où le modèle ne cesse de bouger joliment pour éviter que l’on remarque un bouton disgracieux.
Jan Fabre est donc pardonné de ces outrances du Festival 2005, année où il fit scandale avec sa programmation.
Il n’y a donc rien d’étonnant à applaudir cette belle danse : elle est de qualité. On pourrait néanmoins attendre une autre vision que ce saut qui ne tombe pas.
Désolé pour la chute, mais elle ne vient pas.

Pascal Bély
www.festivalier.net

 «Another sleepy dusty delta day» de Jan Fabre a été joué le 16 juillet 2008 au Festival d’Avignon.