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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon, Jan a disparu, mais Isabella revient.

Jan a disparu. Un  par un, ses amis arrivent sur scène pour témoigner du lien particulier qui les unissait à lui. Ils n’ont pas encore la trentaine, ont une drôle de dégaine, un peu triste, à peine  heureux. À l’équilibre.

Jan a disparu et avec lui la synthèse : hétéro et homo, aimant et détestable, distant et proche. Il vient et va. A l’équilibre.

Jan a disparu. Ce n’est pas le groupe qui pleure, mais les parties qui le composent. Neuf témoignages complémentaires qui reliés s’annulent. Avec leurs égos démesurés, ils se font mal entre eux. Ce n’est pas dit, juste ressenti. À l’équilibre.

Jan a disparu. Il n’était pas un homme de théâtre, mais un plasticien, peintre, performeur. Ses amis reprennent le flambeau sur scène. Maladroitement. Les artistes flamands semblent les inspirer, l’improvisation domine, mais ça tient. Sur la corde raide. À l’équilibre.

Jan a disparu et avec lui tout un monde vivant en autarcie, socialement uniforme, blanc de couleur. Leur environnement fait de baies vitrées et de murs blancs est assez ennuyeux. Chacun a un petit malheur à raconter, une anecdote (dont la savoureuse «merde qui se coince dans le cabinet »). Chacun est capable de rejouer à l’infini une scène de dispute. À l’équilibre.

Jan a disparu. Celui qui le connaît à peine, occupe le devant de la scène avec son numéro d’équilibriste sur « on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs ». On ressent qu’il est à la bonne école. Il est garant de l’héritage amical et artistique. Cela promet pour la suite. À l’équilibre.

Jan a disparu et il laisse deux malheureux. L’un fume des pétards volumineux (lumineux Elie Hay) et se jette dans le vide ; l’autre chante à tue-tête « ma déclaration » de France Gall (charismatique Elina Löwensohn). On y croit. Mais le monsieur de l’omelette casse tout. A l’équilibre.

Jan a disparu et le théâtre ne sait plus très bien comment lui rendre hommage. L’homme n’est ni une star, encore moins une figure mythique de notre époque. Pour tout dire, son absence ne nous laisse aucun manque. On perçoit à peine l’espace vide, juste une curiosité qui s’émousse (mort, disparu, caché ?). À l’équilibre.

Jan a disparu et l’on finit par l’oublier. Qu’importe. Nous, c’est Isabella que nous recherchons. Nous n’en avons toujours pas fait le deuil. Héroïne de Jan Lauwers (Jan ?), « la chambre d’Isabella » avait reçu une ovation dans ce même Cloître des Carmes. C’était en 2004. Depuis, le public d’Avignon, cherche son histoire où il pourrait se perdre dans les étoiles. On nous dit qu’Isabella revient au Festival d’Avignon. Cela s’équilibre.

Jan a disparu et je finis par ne pas aimer cet homme. Je n’y crois pas. Il n’a peut-être jamais existé. Allez savoir. Il n’est qu’une apparition, qu’une incarnation d’une partie de nous même. Désolé, je n’en veux pas. Je n’ai rien demandé. Il n’est pas de mon monde. Il est aquatique, je suis terrien. J’aime le théâtre, il en joue.

Jan a disparu et je m’en fous.

À l’équilibre.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Le livre d’or de Jan” d’Hubert Colas jusqu’au 17 juillet 2009 à 22h dans le cadre du Festival d’Avignon.

Hubert Colas présentera aussi (à ne pas manquer):  “Mon képi blanc” (les 24, 25 , 26 juillet) et “Chto, interdit au moins de 15 ans” au Festival Contre-Courant à Avignon le 15 juillet.

Photo: Christophe Raynaud de Lage.

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Au Festival Off d’Avignon, Renaud Cojo propose une réjouissance sur la fantaisie. “Forcément” émouvant.

En ces temps de repli sur soi, le Festival Off offre avec « …et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust » de Renaud Cojo un espace de rencontre inoubliable dont on aurait tort de se priver.

Ici, le metteur en scène est sur scène pour jouer de et avec lui-même, de son art, de ses obsessions, de son désir d’inventer le théâtre de son époque. Il convoque pour la circonstance Ziggy Stardust, figure mythique incarnée par David Bowie entre février 1972 et juillet 1973. Ce dédoublement de la personnalité, est le point de départ d’une réflexion vivifiante autour de Renaud Cojo et d’amis invités sur scène. L’espace scénique est ouvert à la fantaisie, celle qui relie les hommes, loin de toute hiérarchie inutile. Ici, la diversité a trouvé son langage, incluant le spectateur, tout autant dédoublé !

Renaud Cojo étire le temps, comme un élastique, pour s’affranchir des barrières chronologiques. Avec Internet (dont You tube) et au hasard des rencontres, il est allé chercher où se cachaient les doubles de Ziggy Stardust. L’un d’eux est même sur scène (troublant Eliott Manceau) pour accompagner musicalement ce théâtre où l’image vidéo, la webcam, offrent des angles de vue qui quadruplent notre vision ! Nous voilà ainsi immergés dans ce processus psychique qui conduit l’individu à ouvrir son identité, à  construire sa toile, via internet, pour ne jamais s’isoler.

Dans une vidéo, Renaud Cojo, coiffé et habillé comme Ziggy Stardust, s’inclue dans le processus en filmant, caméra cachée, une séance savoureuse chez un psychanalyste (lui-même très au fait de l’histoire de David Bowie). Loin d’être futile, cet échange est d’une belle profondeur où s’opère la rencontre entre l’art et la psychanalyse. C’est le début d’un maillage à partir du sens qui ne se perdra jamais.

Il accepte d’inclure sur scène Romain Finart, étudiant bordelais, qui souhaitait faire un stage dans sa compagnie « Ouvre le chien » autour du processus de création. Le voilà invité lui aussi à faire un pas de côté : pour appréhender un tel processus, autant le vivre, en se créant soi-même « son » Ziggy Stardust ! Avec son fauteuil roulant, Romain irradie de sa justesse par sa posture d’observateur – acteur, et offre à Renaud Cojo toute la sensibilité qui lui évite de glisser vers la caricature. 

En multipliant les contextes sans jamais perdre le sens (« retrouver Ziggy Stardust avec ce « nous » réunifié »[1] ), en ouvrant la scène à tous les possibles tant qu’ils permettent la « rencontre », Renaud Cojo crée un théâtre qui fait du bien parce qu’il promeut la figure de l’amateur éclairé et participe à l’émancipation du spectateur en lui offrant sur un plateau, la psychanalyse comme  lecture d’une démarche complexe, émouvante et vitale.

Renaud Cojo est peut-être né sur scène, en Avignon. Il nous vient lui aussi de Mars. Accueillons-le, le temps d’une introduction, pour réunir ce que nous aurions dispersé.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“…et puis j’ai demandé à Christian de jouer l’intro de Ziggy Stardust” de Renaud cojo à la Manufacture, Festival Off d’Avignon, à 14h10, jusqu’au 28 juillet 2009.


[1] Citation de Renaud Cojo issue du dossier de presse.

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Le festival Off d’Avignon ouvre le bal avec Kafka. Dansons !

Parmi la profusion des propositions du Off, il en est une qu’il est urgent de voir parce qu’elle (r)éveille le spectateur, l’émerveille et le positionne à la traversée des chemins. Urgent, car en cette période d’abondance théâtrale, il convient d’aller directement au sens, sans détour inutiles pour trouver de multiples réponses à la question : pour quoi le théâtre ? « Le bal de Kafka » de Timothy Dalty, mise en scène d’Isabelle Starkier pour la Compagnie Star Théâtre, est une ode à l’espace transversal où littérature, culture yiddish, leçons sur le théâtre et la danse, tissent une toile où le spectateur tire les ficelles des marionnettes de ce conte dont la principale force est dans sa résonance avec nos histoires singulières.

Sur scène, Kafka, habité par l’exceptionnel Sébastien Desjours, fait corps avec sa table d’écriture. Tout autour de lui, parents, soeur et fiancée entrent pour jouer leur numéro d’équilibriste au sein d’une famille où la culture yiddish créée les chemins tout tracés.  Tout  semble donc déjà écrit et comme dirait Kafka, « ma famille a été crée spécialement pour moi ». Mais tout paraîtrait si linéaire présenté ainsi. Cette famille a aussi son double, celle du théâtre !

Revoilà les mêmes personnages, mais affublés de masques comme des fantômes bienveillants qui donnent la force à Kafka d’être le comédien (car suffit-il d’écrire pour survivre parmi eux ?) ; Et l’on assiste médusés à la lente métamorphose d’un homme qui lutte contre les cafards pour les transformer en papillon, qui échange son bégaiement pour la folle mécanique du poète, qui renonce au « je » pour avancer grâce au « jeu ». Le tragique et le rire se côtoient en bonne intelligence parce que la mise en scène n’oublie jamais que nous savons faire la part des choses. Et c’est ainsi que nous rions par amour pour Kafka et pour cette famille de dégénérés qui ne peuvent imaginer un « mariage juif intime » et qui ne voient même pas le danger de confier à un écrivain l’usine d’amiante qu’elle possède ! Ces comédiens, tous exceptionnels, nous aident à comprendre qu’il ne suffit pas de vouloir empoisonner sa famille si l’on n’endosse pas le rôle de l’assassin.

Finalement, le spectateur ne cesse d’être propulsé entre deux réalités qui finissent par n’en former qu’une : celle de notre condition humaine, traversée de paradoxes et où seul le théâtre peut nous aider à nous en amuser pour mieux les apprivoiser.

Pascal Bély

www.festivalier.net

“Le bal de Kafka” , mise en scène d’Isabelle Starkier au Théâtre des Halles à 14h jusqu’au 30 juillet 2009.

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FESTIVAL ACTORAL PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival ACTORAL, David Bobee réchauffe les hétéros. A La Villette, pas si sûr.

Acte 1: Au Festival Actoral à Marseille, en octobre 2008, par Pascal Bély

En entrant dans la salle, on nous distribue une bouteille d’eau. «Nous allons avoir chaud», nous prévient-on. «Warm» de David Bobée sur un texte de Ronan Chéneau dégage une chaleur torride, eu égard au nombre de projecteurs latéraux qui illuminent la scène. Le présentateur nous informe que cette pièce s’inscrit dans un cycle sur « Les écrits du cirque » qui devrait aboutir en 2013 par la création de la biennale des Arts du Cirque. La barre est placée bien haute pour une oeuvre qui n’atteindra pas des sommets.

Elle est enceinte de quelques mois. Elle dépose trois bouteilles d’eau sur la scène puis, de dos, récite un texte. Dans ses mots, il fait déjà chaud et la belle fantasme, alors que la canicule s’installe dans les rues de la ville. Les mots montent en puissance. C’est joliment dit, mais le texte colle à la peau comme le journal intime d’une adolescente à la recherche de sensations interdites. Soit. Cela s’entend sans problème. J’ai chaud, mais pas pour les mêmes raisons.

Les deux hommes arrivent. Ils sont beaux. L’un brun. L’autre blond. Parfait. L’un pantalon moulant. L’autre jean’s style hétéro cool. La jeune fille est contente. Elle poursuit ses délires sous l’effet probable du cannabis ou de l’extasie. Les deux mecs se regardent comme s’ils faisaient connaissance dans un sauna gay ; se suivent comme s’ils marchaient dans les jardins des Tuileries. L’imaginaire homosexuel fait monter la température et leurs emboîtements ne laissent aucun doute sur leurs intentions. Soit. Sauf qu’ils n’en ont aucune. Et alors ? Alors ? Rien. Ça se voit, c’est tout. Tout droit échappés d’un casting de mode, nos deux tourtereaux font ce que l’on leur demande. Elle peut toujours fantasmer, ils assurent le spectacle. Un Point, c’est tout. Ici, on est au cirque.
Les peaux dégoulinent. Après ? L’un asperge l’autre avec la bouteille. L’eau finit sur le sol. Ça patine. Et puis ? Et puis…ça continue de patiner.
Ne manque plus qu’un coup de vapeur et nous y sommes presque.
Ou plutôt, deux jeunes ados qui s’amusent sur un plumard. L’image a dû traverser l’auteur.
Soit.
Après ?
Bien après, il faut bien que cela se termine. Alors, les lumières baissent et la jeune fille se calme après une crise qui a fait trembler les glaces du décor.

À cet instant précis, mon écriture colle aussi.

Pause.

Analyse.
Un peu de hauteur. Je suis blogueur. Je dois faire attention à ne pas hypertrophier mon commentaire.

Je cherche l’écriture que l’on nous promettait au début du spectacle. Les corps collés aux mots gluants de Ronan Chéneau ne suffisent pas à dépasser l’illustration d’un fantasme calculé et prévisible. C’est effrayant de contrôler ainsi le désir. Effrayant cette écriture qui ne laisse aucune place à l’imaginaire.

J’ai froid.
….
La scène finale où l’on devine nos jolis garçons en train de se masturber n’ira pas jusqu’au saut final.
….
Ouf.
J’ai eu chaud.Acte 2: A La Villette, à Paris, en juin 2009, par Elsa Gomis.« De la douleur naît le désir ».Malgré la chaleur, malgré la transpiration qui empêche leurs portées, ils continuent.

Leurs corps se tendent sous l’effort, rougeoient sous l’effet des projecteurs. Pourtant, ils continuent.

Dans “Warm“, David Bobée semble vouloir montrer le dépassement et l’oubli de soi jusqu’au délire.

Les paroles de Ronan Chéneau, dites par une comédienne vibrante, sont au départ détachées des gestes des deux acrobates, puis elles les accompagnent, les commentent, les dirigent.

Sa voix est ferme. En dépit de la chaleur de l’atmosphère, son ton reste froid, parfois brutal, souvent dur.

Ici le sexe n’est ni doux ni drôle, il est affaire de juxtapositions physiques précises, d’un déroulé convenu, d’un scénario immuable. Un enchaînement que rien ne semble pouvoir rompre. A part la chaleur.

On reste fascinés par cette persistance, effrayés par les risques pris, intimidés par la brutalité des directives, mais pas émoustillés.

Comme dans Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue, nous assistons à une montée en puissance progressive, mais le propos n’apparaît pas clairement.

Il est sans doute question, au travers de cette scénographie, de montrer le sexe instrumentalisé.

A mon niveau, je ne perçois pas “Warm” autrement.

J’ai encore faim…

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France Inter – Bobée : David contre Goliath.

Vendredi 15 mai 2009, 8h50. France Inter. Edwy Plenel, le patron du site d’information Médiapart, est l’invité de la rédaction. Ses propos dénoncent le climat autoritaire qui règne sur la profession de journaliste (poids des actionnaires privés, l’intervention directe de Sarkozy sur la nomination des PDG des médias publics). L’homme est convainquant. Jean-Luc Hess, le tout nouveau PDG de Radio France, débarque dans le studio, « parce qu’il passait par là ». Ancien journaliste, il sait manier le micro et parler à l’oreille de l’auditeur. Il réagit aux allégations de Plenel et assure que les journalistes « pourront continuer à aboyer ». Je frémis. En prenant de façon autoritaire l’antenne, Hess communique à partir d’une injonction paradoxale : « vous êtes libre de parole mais ce matin, j’impose un cadre qui vous empêche de la prendre ». De quoi devenir fou. À mesure que le dialogue s’instaure, le discours des deux hommes se fond, s’annule comme s’ils s’entretuaient. À trop rester entre soi, on finit par s’entredévorer .  L’auditeur est alors seul. Avec talent, Sarkozy alimente le cannibalisme.

19h30. « Le téléphone sonne », émission animée par Pierre Weill, accueille Dominique Paillé de l’UMP, Marielle de Sarnez du Modem et Daniel Cohn-Bendit d’Europe Ecologie. Les deux derniers ont envie de nous parler d’Europe mais Pierre Weill réduit le propos et cherche l’anecdote. Le débat, autour du sens du projet européen, se perd dans le détail des frasques de la politique française. L’auditeur est seul. L’inspiré Pierre Weill, en phase avec le système médiatique dénoncé par Edwy Plenel, cannibalise le fond et la forme.

20h30. Théâtre de Châteauvallon, lieu majeur de la création avant l’arrivée du FN à Toulon en 1995, année de la faillite des valeurs. Début du cauchemar. Nous y sommes encore. Ce soir, le metteur en scène David Bobée propose “Cannibales”, sur un texte de Ronan Chéneau. Un groupe de jeunes spectateurs se manifeste bruyamment. Plus pour très longtemps. Alors qu’un couple de trentenaires se prépare à s’immoler, la tension dramatique monte dans la salle.

La pièce retrace le long processus qui les a guidés vers ce drame.  Cette « génération sacrifiée » devient l’héroïne et se fond dans le décor (mobilier Ikea, canapés, armoires transparentes à l’image d’une vitrine d’un grand magasin). Mais surtout, elle s’immisce dans notre histoire commune comme si le théâtre voulait relier ce que le pouvoir autoritaire en place clive. « Cannibales », en multipliant les références sociologiques, politiques, esthétiques, pose quelques repères au moment où nous en manquons cruellement. Comme un acte de résistance, la troupe s’empare de la scène, ingurgite les mots et les débite pour ne laisser aucune place aux doutes entre elle et nous. Comme s’il fallait nous parler coûte que coûte, nous écouter, sans nous neutraliser.

Comédiens, danseurs, acrobates tirent les fils, tendent les cordes, hissent les mats, dansent sur le lit, s’embrassent, s’engueulent pour quelques miettes abandonnées par terre. On fait des déclarations d’amour (il n’y a pas qu’internet et les SMS), on convoque le mythe (Spiderman) et la poésie en réponse à la perte des valeurs humaines, à la transformation du couple en unité de consommation. On y dénonce l’absence d’un discours de gauche proche des minorités et la faillite d’un système démocratique. Les acteurs parlent avec leurs corps, le sculptent avec leur imaginaire pour conquérir le nôtre. L’écoute est partout, aidée par une scène interactive, en trois dimensions, où le spectateur puise dans l’énergie de ses acteurs pour penser par lui-même.  Public et comédiens s’éloignent du rapport de force pour donner du sens à l’acte artistique, à l’image de ce couple pour qui le suicide reste le seul projet porteur de sens.

David Bobée est un scénographe hors pair qui évite soigneusement la culpabilisation individuelle et collective malgré le poids d’un héritage mortifère, celui de la révolution ratée de 1968. Il tente, comme beaucoup d’entre nous, d’inventer quelque chose de nouveau alors que la génération de 1968, toujours aux manettes du pouvoir médiatique et économique, créent les plafonds de verre qui empêche la jeunesse d’être autre chose qu’une force consommatrice.

Alors que la dernière scène nous « utopise », on se prend à rêver que la « France Inter » soit enfin le pays du rock ‘n’ roll.

Pascal Bély

www.festivalier.net

“Cannibales” de David Bobée par la Compagnie Rictus a été joué le 15 mai 2009 au Théâtre de Chateauvallon.

 

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Marie-José Malis: une hirondelle en réponse aux « faucons ».

Il nous reste le théâtre, quoiqu’il arrive.

En quittant le Théâtre Universitaire Antoine Vitez d’Aix en Provence, nous sommes sereins, sûrs d’avoir été respectés, considérés comme des sujets échappés d’une société médiatique et politique qui ne sait plus nous parler sauf à nous abreuvoir de considérations stratégiques et d’incantations à consommer toujours plus. La metteuse en scène Marie-José Malis et sa compagnie « La Llevantina » ont présenté « Le prince de Hombourg » de Heinrich von Kleist dans ce petit théâtre au coeur d’une université en grève. La représentation fera date.

Pourtant, dans la file d’attente, nous sommes quelques-uns à nous inquiéter : « Trois heures ? Allons-nous résister ? ». La durée de l’oeuvre se confronte déjà avec le temps de la société de l’information et de la consommation. Derrière cette inquiétude, s’en cachent d’autres : « Serais-je compétent?», « Suis-je encore en capacité de penser après une journée de travail? », « Le théâtre de texte peut-il encore m’émouvoir dans une société de l’image? ». Je choisis le premier rang.

Les lumières éclairent le plateau, mais aussi les gradins. La sensation d’être dans un « dedans dehors », espace du sujet autonome, est immédiate. Le décor est celui d’une salle des fêtes des années soixante incluant une petite scène de théâtre d’où je distingue sur le fronton les initiales : « RF ». Le théâtre dans le théâtre : cette mise en abyme fait le pari de la complexité. La fête, le divertissement, la patrie, s’incluent dans le  débat philosophique : Marie-José Malis relie ce que notre société clive. Mon inquiétude disparaît.

C’est alors qu’il apparaît, éclairé par une lumière hypnotique. Ce prince (stupéfiant Victor Ponomarev) est un doux rêveur. Il est juste assez rond pour vous envelopper de ses mots d’amour destinés autant au théâtre qu’à sa fiancée Nathalie (troublante Sylvia Etcheto). La couleur de ses yeux cernés propage la tension du poète. Nous sommes en guerre (les Suédois approchent) mais il est ailleurs. Le temps s’étire, les voix caressent et le spectateur poétise. La mise en scène pose un principe : les acteurs n’ont nullement besoin d’hurler pour se faire entendre. Ils incarnent avec brio le corps « institué » pour affirmer le sens (intimidant Didier Sauvegrain dans le rôle du Grand Électeur, impressionnant Claude Lévèque dans la peau du colonel Kottwitz). Le corps « biologique » personnifie l’émotion et sa fragilité diffuse une énergie vitale communicative (inoubliable Hélène Delavault). La guerre est là et notre Prince poète est rappelé à cette réalité. Il doit partir au front, quitter la petite scène de sa vie pour celle de l’Histoire. Alors que le Prince désobéit et provoque l’assaut contre l’ennemi suédois, il gagne la guerre. L’Électeur de Brandebourg le condamne alors à mort pour désobéissance à la loi.

Par un jeu subtil de lumières, Marie-José Malis nous positionne au coeur du débat. Alors que les néons symbolisent le principe absolu de respect des règles qui protège la démocratie, les lumières orangées rappellent la décision intuitive du Prince.

La mise en scène enchevêtre l’ordre et le chaos par une utilisation recherchée de l’espace de la salle des fêtes et de sa petite scène de théâtre. Car il en est ainsi des questions complexes : loin de cliver, Marie-José Malis met en abyme (la force de la loi avec en arrière plan la tragédie du Prince). A l’écart du totalitarisme ambiant de notre société, la fragilité a toute sa place ici. Elle s’entend même alors que résonne la voix d’Anthony and the Johnsons dans “Hope”. Pour affronter ce débat, Marie-José Malis s’appuie sur la force du collectif et donne au jeu des acteurs l’espace pour que le sens ne soit jamais étouffé. Elle offre au spectateur les ressources pour qu’il ne tombe jamais dans une sensiblerie qui l’empêcherait de réfléchir aux enjeux politiques et sociétaux d’un tel dilemme.

Cette troupe nous fait aimer passionnément le théâtre : les comédiens, en incarnant l’humilité, nous libèrent du poids de leur statut et nous permettent d’élaborer notre pensée.  Et l’on s’interroge sur la confusion du dernier acte alors qu’Heinrich von Kleist permet une issue heureuse et où viennent s’immiscer des textes du philosophe Alain Badiou.

On ne résiste décidément pas au chaos sublime de Marie-José Malis. « Yes, we can ».

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Le Prince de Hombourg” par Marie-José Malis a été joué les 3 et 4 avril 2009 au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence.

A Arles les 7 et 8 avril puis au Forum de Blanc-Ménil les 14, 15 et 16 mai 2009.

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«Je tremble» de Joël Pommerat : deux contre un.

En mai dernier, le Théâtre du Merlan à Marseille, programmait “Je tremble (1)” de Joël Pommerat. A l’affiche du Festival d’Avignon, j’ai donc revu le (1) pour voir le (2). Joël Pommerat a de la suite dans les idées, mais semble s’égarer dans ce deuxième épisode très convenu et pour tout dire, sans intérêt majeur.
J’ai de nouveau rendez-vous avec lui, avec eux. Je les reconnais quasiment tous depuis notre dernière rencontre mémorable lors du Festival d’Avignon en 2006. Lui, c’est Joël Pommerat, metteur en scène. Eux, de la compagnie Louis Brouillard, c’est peut-être vous, c’est sûrement une partie de moi, c’est à coup sûr un fragment animé de notre lien social. C’est une troupe de comédiens qui jouent avec nos maux, nos parts d’ombres et de lumières, pour remettre en mouvement ce que nous figeons, faute d’espace et de liens. «Je tremble (1)» m’essore, me plie et me déplie, comme un processus d’inclusion et d’exclusion permanent.
Cela n’échappe plus à personne. Le politique se fond dans la société du spectacle. Encore une fois au cours de cette saison théâtrale, un animateur (télévisé?) ouvre le bal sur fond de rideau pailleté. Sur un ton décomplexé et détaché, il nous annonce qu’il va mourir ce soir, sous nos yeux. Puis se met à danser sur «Sex bomb». Nous voilà donc positionnés en voyeur d’une tragédie humaine que nous feignons tous d’ignorer à force de fusionner le lien social dans le lien économique et médiatique. Joël Pommerat pose d’emblée le contexte en insinuant, «regardez ce que nous avons fait de notre vivre ensemble». Il accentue le malaise quand une jeune femme s’approche du micro pour hurler son besoin vital de rêver, de se projeter, de faire appel à son imaginaire. Elle finit par dénoncer le silence des intellectuels et des politiques.
«Je tremble (1)» est une succession de tableaux, qui en disent long sur la déliquescence du lien social. Joël Pommerat allume les projecteurs, les éteint puis remet la lumière là où nous aurions bien remis une couche de paillettes. Avec empathie, il nous montre une souffrance à la fois intime et sociétale, loin du misérabilisme marchand de nos médias et de l’humanisme calculé de nos politiques. Ce modèle que nous co-construisons depuis une vingtaine d’années fait souffrir parce que nous ignorons «le vivre ensemble», nous enfermons l’autre dans une lecture comportementaliste, nous marchandons notre corps, nous censurons l’utopie. Il ressent notre impuissance alors que nous sommes habités d’intentions honorables (issus des idéaux de mai 68) mais qui ne peuvent plus rien face à ce modèle économique destructeur du lien social groupal. La force de Joël Pommerat est d’offrir un bel espace à l’expression de cette souffrance tout en suggérant, par sa mise en mouvement des mots et des corps, que nous pourrions imaginer un autre futur en nous appuyant sur le collectif comme force transcendante. Il positionne constamment le spectateur dans un dedans – dehors troublant, entre introspection, interpellation, mise à distance, dans un mouvement perpétuel entre le «moi» et le «nous», propice pour inventer nos utopies.
«Je tremble (1)» est la magnifique fresque d’un homme profondément à notre écoute. Joël Pommerat est un clinicien du sociétal, un peintre impressionniste d’une société déprimée.
Mais «Je tremble (2)» casse ce bel équilibre entre le «nous» et le «je». L’animateur du cabaret devient central et nous propose sa descente aux enfers, dans les entrailles du «mal». À partir de cette métaphore, Joël Pommerat met en lumières ses représentations du «mal» mais on finit par se perdre dans une confusion des niveaux logiques. Entre la scène du tribunal où les témoins sont corrompus, les petits meurtres entre amis, la mutilation du corps des femmes par soumission au désir des hommes, les trahisons dans le couple, le spectateur ne sait plus comment relier ces instantanés. Joël Pommerat met au même niveau des scènes du réel, d’autres plus symboliques où il questionne les paradigmes dominants. Mais on cherche la cohérence de l’ensemble. Le texte se désincarne, ne dit rien de bien nouveau comme si l’auteur et le metteur en scène n’étaient plus en lien, comme si le réel n’était plus transcendé. Joël Pommerat répète son propos en tentant de conceptualiser ce qu’il positionnait  auparavant sur un terrain beaucoup plus «résonnant». «Je tremble (2)» se refroidit sans qu’une pensée émergente puisse nous stimuler.
Comme beaucoup d’artistes, Joël Pommerat bute lui aussi à dessiner les contours d’une nouvelle société, d’un nouveau monde. Il semble tourner en rond et je me surprends à m’ennuyer.
«Je tremble (1)» se suffisait à lui-même. Le (2) n’est qu’un tremblement, là ou j’attendais la secousse.

Pascal Bély. www.festivalier.net

Je tremble” (1) et (2) de Joël Pommerat a été joué le 24 juillet 2008 au Festival d’Avignon.

 

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François Tanguy me largue en rase campagne.

À peine arrivé au Lycée Mistral d’Avignon, une jeune femme nous tend un épais journal de publi-reportages vantant la programmation du Centre National d’AngersFrançois Tanguy et son Théâtre du Radeau sont en résidence.
Gaspillage.
Plus tard, la bible de « Ricercar » inclut un texte de 25 pages sur dont je ne comprends rien. Pas grave. C’est de la poésie.
L’écrit n’est pas mon fort aujourd’hui, mais le théâtre devrait faire son oeuvre.
Avant même que débute le spectacle, mon voisin (et lecteur du Tadorne !) me fait remarquer que la scène a autant de profondeur que la longueur des gradins. « J’aime quand spectateurs et acteurs sont sur le même pied d’égalité ». Pas si sûr que cela soit vrai ce soir…
A l’issue des dix premières minutes, cette profondeur finit par m’engloutir. Noyé dans cette mise en scène où l’on voit défiler des corps vêtus de vieux habits et de longues robes, des chaises sur des tables, où glissent de longs panneaux du décor pour créer du mouvement. Le langage des comédiens est poétique, déstructuré et le plus souvent murmuré en Français, en allemand, voire même en italien. Car la musique sature l’espace et mes oreilles, alors que l’on balance un extrait de Beethoven, de Rigoletto et d’autres airs inconnus. Plus les personnages s’animent, plus je plonge dans un rêve éveillé, pendant que mon voisin somnole gentiment. Mon corps s’alourdit et je comprends vite que ce théâtre n’est pas fait pour moi. François Tanguy le confirme quand il déclare dans la bible du spectacle vouloir “chercher les fréquences propices aux circulations des résonances, rappelant de la pointe extrême du présent aux gestes peints dans les grottes, les plis et les ressorts de l’en commun des sens“. :( :( :(  ? ? ? « Ricercar » est donc un théâtre “fondamental”, comme me le rappelle dans la file d’attente une spectatrice avisée. Pour filer la métaphore, nous serions plus proche d’une recherche sur la physique des particules que d’une découverte transférable dans le quotidien.
À la sortie, je m’approche d’une spectatrice pour échanger avec elle sur ses ressentis. Elle se prête gentiment au dialogue. Elle n’a rien compris, mais s’est laissé porter par la poésie de l’ensemble.
Puis d’un air compatissant, me lance : « mais je ne peux rien faire de plus pour vous ».
Je suis définitivement largué.

Pascal Bély
www.festivalier.net

“Ricercar” de François Tanguy et le Théâtre du Radeau  a été joué le 21 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.

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Avec Philippe Quesne, autant être cool comme un dragon.

Inutile de s’énerver.
Inutile.
Cela ne sert à rien.
Autant rester cool et zen après le naufrage de ce week-end où le Tadorne a perdu sa plume après tant de propositions frôlant l’imposture (Superamas), l’inutile (Emio Greco) et l’enfermement (Benjamin Verdonck, le Théâtre du Radeau).
Cool, zen.
On en remercierait presque Philippe Quesne et sa «Mélancolie des dragons» de nous proposer un spectacle aussi inutile, vain, mais tellement cool.
Alors que le mistral se déchaîne dans le Cloître des Célestins provoquant un bruit infernal (l’enfer est très tendance cette année à Avignon), ils sont sept hommes des cavernes à s’extraire d’une Ax Citroën en panne, au beau milieu d’un paysage enneigé. Le chien, Hermès, sort tranquillement tandis que l’autoradio passe subitement d’AC/DC à la musique du moyen-âge. Isabelle, arrive sur son vélo et propose de les aider. Elle finit dans le moteur et diagnostique un changement de delco. Vive les femmes…
Alors qu’il faut attendre une semaine pour réparer la voiture, nos compagnons d’infortune vont présenter à Isabelle leur prochain spectacle, embryon d’exposition d’art contemporain itinérant, inclut dans un parc d’attraction (dont ils n’ont pas encore trouvé le nom…) où l’air, l’eau, le feu, les bulles de savon et la nature forment une oeuvre globale. Isabelle en a donc la primeur : une générale individuelle en quelque sorte.
Cool, zen.
C’est incroyablement ridicule. Je souris, car c’est poétique («on est finalement tous des artistes en devenir »). Je m’inquiète souvent (« ils n’ont trouvé que cette idée pour démontrer l’absence de propos et de créativité des artistes français en ces temps troublés … »). Je m’endors parfois («respire, détends-toi, tu es au 62e festival d’Avignon»).
Cool, zen.

Et puis…cela commence à bien faire. Où sont Jan Fabre (édition 2005), Olivier DuboisChristophe Haleb ? Que le mistral emporte ces ballons de pacotilles et qu’on dépêche illico le régisseur pour acheter en urgence un delco pour Ax année 90 chez un concessionnaire d’Avignon. Qu’ils libèrent enfin le plateau!
Cool, zen.
J’ai presque envie de pleurer. Je pense à Pippo Delbono. Je me sens mélancolique
Cool, zen.
Mais ils sont si fragiles sur ce plateau. Ils parlent si doucement. Ils ont l’air si improductif dans un pays où le slogan «travailler plus pour gagner plus » va finir par orner les façades des écoles, des théâtres et des entreprises. Ils sont incroyables dans leur processus de création à s’appuyer sur tant d’immatérialité pour nous offrir, là, rien que pour nous, une oeuvre d’art contemporain . Et je comprends qu’il faut se laisser porter, sans chercher le sens caché si ce n’est celui d’une émotion tant contenue depuis deux jours. Ces ballons gonflés emportés par le mistral dans ce paysage enneigé ne sont-ils pas une réponse construite à l’envahissement des jolies formes dans le spectacle vivant (Roméo Castellucci serait-il un peu visé ?)
Cool, zen.
J’applaudis à peine presque plus intéressé par les réactions du public : enthousiasme, circonspection, indifférence polie….
A la sortie, j’entame le débat avec quelques spectateurs. Un jeune homme accompagne Laura (il était peut-être caché dans la malle de l’AX). Il me regarde attentivement, tout en souriant, me dépatouiller avec mes explications un peu fumeuses.
Il me regarde.
Cool, zen.
En les quittant, je chante dans la rue.
Prêt à m’envoler comme un ballon dégonflé.Pascal Bély

"La mélancolie des dragons" de Philippe Quesne a été joué le 20juillet 2008 dans le cadre du Festival d'Avignon.
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Au Festival d’Avignon, Stanislas Nordey, dépassé par le système.

Cinq heures, trois actes et une évidence : je n’aime pas être caressé dans le sens du poil. Cela me donne des démangeaisons.
« Das System », de l’auteur allemand Falk Richter, mise en scène par le Français Stanislas Nordey, est une immersion dans « un théâtre politique de notre époque », celle des images en boucle de l’effondrement des tours du World Trade Center, celle où les Allemands ont envoyé leurs militaires en Afghanistan. Alors que nous vivons une dépression économique, sociale et écologique, Stanislas Nordey nous balance un texte sur la guerre en Irak, contre Bush, à partir d’un triptyque qui voit se succéder un pamphlet anti-américain, une fable et une fiction percutante sur le consulting moderne.
Face à l’agression des Américains, Nordey répond sur le même registre (quelle paresse…): pas d’image (adieu le théâtre post-moderne), corps quasi statique (à l’exception d’une danse ridicule et sans objet sur un air de Françoise Hardy; les américains, eux, cachent le corps des morts) mais surtout un texte d’une violence inouïe (les faucons de Bush ont la même rhétorique).
Les comédiens (tous exceptionnels) semblent jouer sous la contrainte d’un metteur en scène tout puissant qui leur fait débiter des mots ciselés, sans autre échappatoire que de nous regarder longuement dans les yeux, de faire un petit tour par l’arrière-scène ou de se coucher pour en finir. La durée assomme car, sous couvert de changer la forme du propos, il nous répète à trois reprises la même chose: putain d’américains, salope de Merkel, connards de consultants d’entreprise. En prime, une petite fable sur l’homme dépendant de sa voiture qui fait les courses à sa place! Et comme si cela ne suffisait pas, on fait dire des paroles d’adultes à un enfant. Éthiquement contestable.
Le plus inquiétant dans cette proposition, c’est qu’elle utilise les mêmes armes du système dénoncé: mise en scène verticale, approche manichéenne du monde (la complexité n’effleure même pas Nordey qui se contente de coller au texte de Richter. J’ai rarement vu un metteur en scène aussi dépendant d’un auteur!), approche culpabilisante (« nous savons ce que vous ne pouvez pas savoir»). Cette approche géopolitique bipolaire (les gentils et les méchants… Sur ce registre, « Les guignols de l’Info » sont plus drôles) confortent les spectateurs de gauche dans leur vision bloquée d’un monde bien plus lisible quand il n’y avait que l’Est et l’Ouest. Nordey pense que le théâtre politique est l’espace pour exprimer la colère. Cela le conduit à répéter inlassablement la même mise en scène quelque soit le contexte (à lire ma critique sur « Gênes 01 » sur l’assassinat d’un manifestant lors du sommet du G8 en 2001). Soit. À ce rythme, il nous proposera demain, avec son décor dépouillé, ses rampes de lumières, ses acteurs mortifères, la dénonciation de la gauche socialiste française de 2007!Sauf que le monde va bouger bien plus vite que la pensée linéaire de Falk Richter.  À peine dénonce-t-il Bush que les Américains s’apprêtent peut-être à voter pour un candidat noir. À peine décrit-il la toute puissance de la voiture dans une de ses fables, que le pétrole cher va obliger toutes les sociétés à revoir leur dépendance aux énergies ; à peine évoque-il le modèle dictatorial de l’entreprise, qu’émerge ici et là des assemblées d’actionnaires avides de démocratie et où la crise des subprimes fait vaciller le système. À coller à l’actualité, Richter et Nordey font comme les chaînes d’information continue: des images en boucle, une incapacité à prendre de la hauteur pour nous offrir un nouveau paradigme.
« Das System » est un théâtre de texte inscrit dans un modèle sociétal archaïque. Il empêche le spectateur de penser par lui même, de créer son propre système de représentation. La fonction du théâtre politique consiste à dépasser les clivages tout en dénonçant les barbaries ; à ouvrir l’espace de l’imaginaire dans lequel chacun va pouvoir se projeter dans une utopie.
Oublions donc ce théâtre de sensations et souvenons-nous. C’était à Avignon, l’été dernier. « Le silence des communistes » mis en scène par Jean-Pierre Vincent à partir d’un dialogue entre Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin. Trois comédiens exceptionnels ont incarné un syndicaliste et deux anciens responsables communistes s’interrogeant sur l’avenir de la gauche italienne en période Berlusconienne. Ce fut un triomphe, un moment inoubliable de théâtre qui a redonné aux citoyens de gauche un espoir dans la refondation (cette pièce sera en tournée à partir de l’automne 2008) :

« Notre avenir est incertain, mais peut-être que l’incertitude, personnelle et collective, est la condition dans laquelle nous devons nous habituer à vivre » Myriam Mafai.

« Je suis toujours plus convaincu qu’il y a quelque chose de plus important que la redéfinition de la gauche à travers son identité présumée : il faut chercher une identité nouvelle, ouverte sur des thèmes qui vont au-delà de notre monde politicien. Pour réformer la res publica, nous devons avant tout nous réformer nous-mêmes. Commençons par le langage . » Vittorio Foa

Pascal Bély – Le Tadorne

 «Das System» par Stanislas Nordey a été joué le 18 juillet 2008 au Festival d’Avignon.