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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Au Festival Off d’Avignon, l’épuisement.

Un bruit sourd envahit la salle. Dans l’attente, nous crions pour nous faire entendre. L’assemblée des spectateurs et les entrées symbolisent la ville bruyante. D’un coup, le vacarme s’arrête. Un grand mur vidéo nous affronte pour nous plonger, dans un silence quasi religieux, dans le flot incessant de la circulation de la capitale belge. Le corps est en totale symbiose avec l’automobile. L’anonymat le plus absolu.

Tandis que l’actrice-comédienne Olivia Carrère apparaît du fond de son lit rouge sang, le théâtre s’incruste peu à peu. Nue, elle regarde le monde au travers des stores. À cet instant précis, le théâtre fait son cinéma pour filmer théâtralement la solitude d’une jeune femme. Pas un mot ne sera prononcé, tout juste résonneront «Dis quand reviendras-tu?» de Barbara et «The winner takes it all» du groupe Abba. Les premiers tableaux me rappellent «Le concert à la carte» de Franz-Xaver Kroetz, mise en scène par Thomas Ostermeier et présenté au Festival d’Avignon 2004. Mais ici, la solitude est en troisième dimension: le corps en scène, le mal de vivre en film, la quête d’un amour absolu en internet. Face à un tel dispositif, nous sommes probablement aussi seuls qu’elle : notre désir d’une certaine théâtralité doit cohabiter avec des effets scéniques qui nous éloignent peu à peu d’un propos que nous voudrions limpide.

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L’atmosphère rappelle “Inland Empire» de David Lynch comme pour renforcer sa descente aux enfers et nous guider vers l’inexplicable : elle préfère son avatar tandis qu’elle déforme son corps; elle s’ouvre vers la toile pour s’enfermer chez elle et finir barricadée alors que la ville capitale grouille d’humains. Fabrice Murgia filme, théâtralise, connecte pour distancier, isoler tout en tissant des liens d’effets et de causes. Nous vivons en direct, ce processus qui paraît inéluctable : le plus petit acte répétitif du quotidien fait sens, le corps ne répond plus au désir de le rendre beau, l’internet est une prison ouverte à partir de connexions infinies avec un homme-lapin, mais qui réduisent et définitisent tout. Effrayant. Nous voilà à distance alors que probablement, nous souffrons d’une solitude imposée par une société qui objective le subjectif, cloisonne l’inséparable. Désirons nous humaniser pour communiquer ? Supportons-nous l’improbable quand internet nous promet l’autre à notre image ? Acceptons-nous le corps biologique alors que le virtuel nous propose un lien amical désincarné ? Toutes ces questions sont superbement portées sur scène, au croisement des esthétiques qui, une par une, symbolise notre rapport au corps, au temps, à la représentation de la réalité. Le sort de cette jeune femme émeut à peine (sauf quand elle chante Abba avec sa belle robe rouge), comme si nous étions trop occupés à ressentir ce qui se joue sur la toile, cette réalité «psychique» dont nous ignorons encore les ressorts.

Fabrice Murgia mouvemente l’interconnexion du théâtre, du cinéma et de l’internet. Il ouvre des possibles pour mettre en scène nos connexions entre virtualité et réalité.

Il nous offre un art théâtral pour éclairer le Nouveau Monde.

Pascal Bély – « Le Tadorne ».
« Life : reset / chronique d’une ville épuisée » de Christophe Murgia à la Manufacture pendant le Festival d’Avignon 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, Angélica Liddell : D comme distance?

Elle nous revient. Après son triomphe l’an dernier au Festival d’Avignon dans le Cloître des Carmes avec « la casa de la Fuerza », nous sommes nombreux à attendre ce moment. Nous avons été profondément touchés par cette metteuse en scène hors norme qui n’hésite pas à parler de la douleur du monde à partir de ses propres souffrances. Avec Angelica Liddell, les frontières entre réalité et fiction, corps et texte, individu et masse ont sauté.

Elle nous revient de loin. Le Festival d’Avignon a eu la très mauvaise idée de l’exiler dans la salle des fêtes de Montfavet où le seul mouvement d’un spectateur fait grincer chaises et dents. Mais surtout, là où dans “la casa de la Fuerza”, la pierre du Cloître transpirait avec le corps d’Angelica, ici rien. Le minéral a disparu. Le décor en carton pâte accentue le factice : la chair et les liquides sont cachés sous des habits d’enfants, d’uniformes et de formes spectaculaires.

Mais la «Fuerza» est toujours dans le propos, même si le corps ne l’englobe plus. Un alphabet sert de fil conducteur, sorte de métalangage entre apprentissage normé et imaginaire florissant : A comme argent, E comme enfant, K comme Karaoké, L comme loup,  M comme méfiance, R comme rage, S comme société, U comme utopie, W comme Wittgenstein. Comme un abécédaire de la douleur, un kit de survie. Le Tunisien Mohamed Bouazizi ne l’avait probablement pas en poche quand il s’est immolé par le feu. Angelica préconise de son côté de se tirer une balle dans la tête devant «le président Français». Radical.

Comme Maguy Marin, Angelica nous envoie donc ses «salves». Là où la chorégraphe met en scène la crise de civilisation, Angelica se méfie «des champions de la civilisation». Son terrain, c’est l’intime, la famille (espace de l’idiotie où l’on empêche les enfants de grandir en les privant de livres). Il y a plus de chaleur humaine avec le « chinois du coin » quand on lui  demande le prix du pain qu’avec l’Autre («la vie n’est belle que parce que tu croises des salopards »).  La douleur la rend presque folle jusqu’à passer en boucle une sonate de Schubert interprété par un piano sans pianiste (ce dernier sera toutefois autorisé à jouer sur scène avec son corps souffrant et désarticulé dans le tableau final). Elle concédera une danse sur « Paint it, black » des Rolling Stones pour se calmer. Angelica ne croit qu’en l’artiste capable de poser sa douleur sur un plateau comme on passerait à table. Sinon, qu’il devienne un performer sportif : au moins, l’affect à distance produit parfois du beau.

 

Le propos d’Angelica Liddell diffère peu dans la forme de celui de Maguy Marin ou de Pippo Delbono : chacun évoque le trou béant dans lequel nous sommes tombés à force d’avoir pactisé avec le diable du divertissant, du médiatique, de la propagande qui régit nos vies intimes pour y placer les violeurs au sein même des familles. Ne prolongent-ils pas le propos de Jan Karski dans la pièce d’ Arthur Nauzyciel (qui a fait l’ouverture du Festival) où celui-ci prévoyait que l’Humanité ne se remettrait jamais de la Shoah ? Comment ne pas faire le lien alors qu’Angelica exhibe des lapins morts, ceux-là mêmes qu’elle faisait danser par des enfants dans le premier tableau pour les empailler dans le dernier? Comment peut-on effectivement imaginer «qu’un bon enfant fasse un bon adulte» ? Comment ne pas voir dans la sculpture finale, l’Humanité douloureuse avec des plaies provoquées par notre inconscience collective ?

Mais là où Maguy Marin et Pippo Delbono nous rassurent en nous transmettant leur poésie et l’énergie d’un festif pessimiste, Angelica Liddell inquiète. Sa douleur est à la frontière d’une folie dont nous pourrions être la victime.  «Être un homme c’est aussi avoir envie d’en tuer un ». Aïe…

Je me suis progressivement protégé dans «Maudit soit l’homme, qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation»). En a-t-elle conscience pour glisser dans la dernière partie vers une scène qu’elle met à distance en y posant une oeuvre plastique ? Sans traversée du corps, son alphabet m’est apparu peu à peu décharné. La douleur peut-elle être un alphabet où le mot se trouve pris dans un système englobant qui le réduit ? Dit autrement, la douleur n’est pas objet.

À moins d’une grammaire pour ne pas la confier.

Pascal Bély- Le Tadorne.  

A lire un autre point de vue, celui de Sylvain Pack.

« Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme : un projet d'alphabétisation » d'Angélica Liddell du 8 au 13 juillet 2011 dans le cadre du Festival d'Avignon.
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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Au Festival Off d’Avignon, hallucinant…

Il marche dans le noir. On serait tenté de le suivre des yeux. Seulement trente secondes: c’est juste le temps qu’il nous faut pour passer de la lumière du jour au noir de l’incertitude et entrer dans “les rêves” d’Ivan Viripaev, mise en scène par François Bergoin. Celui-ci apparaît au fond du plateau, assis sur un canapé rouge. Il est seul, juste accompagné de quelques livres et d’un poste à musique d’où l’on entend un rock sensible et envoûtant (Janis Joplin, Kurt Cobain, Jim Morrison, Jimi Hendrix). Quelques secondes et nous avons déjà “pris” la porte, symbolisée par l’enseigne EXIT. Tout un programme. Il est l’acteur-metteur en scène de ce groupe de quatre artistes, incarnant chacun un toxicomane. Il les guide en tirant une à une des balles traçantes à blanc pour jalonner notre parcours de spectateur éberlué par cette rêverie hallucinogène.

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Six tableaux, tels des coups de semonce pour éveiller nos sens et accueillir cette poésie envoûtante et si charnelle: la Beauté, la Libération, l’Amour, Dieu, le Nirvana et l’Enfer. N’est-ce pas finalement les étapes du chemin du spectateur de théâtre? François Bergoin s’appuie probablement sur cette hypothèse: il nous fait confiance pour entrer dans la poésie “irrationnelle” de Viripaev. Il est inutile de gueuler pour se faire entendre; point de vidéo pour nous distraire. Ici, il y a seulement eux et nous. Nous ne savons rien de leur condition sociale (François Bergoin nous épargne  les clichés autour de la toxicomanie) mais la mise en scène nous tend un lien fraternel.

Magnifique Leila Anis: elle pourrait être notre petite soeur, égarée dans sa grossesse, dont elle serait le (de) nouveau-né. Épatante Catherine Graziani, en soeur aînée combattante et impuissante à la recherche d’une mère perdue. Troublant Karim Hammiche dont les mots du poète bégayent contre le mur où il fut probablement abandonné. Charismatique Xavier Tavera en enfant rési-liant. Épris de liberté sous l’emprise de leur toxicomanie, nous perdons connaissance grâce au travail remarquable de l’espace scénique: les projecteurs latéraux sculptent les silhouettes et invitent les fantômes. Le rêve de l’un traverse le corps des autres jusqu’à créer l’harmonie au coeur du chaos. La poétique des corps finit par chorégraphier leur descente aux enfers.

Leurs habits de poils et de lumière nous accueillent à nous y fourrer…et nous voilà ainsi à l’abri. Notre désir de théâtre se fond dans leur dose: cette mise en abyme provoque un silence quasi religieux dans la salle tandis qu’un magnifique chant russe nous guide vers l’enfer, vers l’apothéose.
Prises dans la brume, des volutes de fumée font disparaître la porte de sortie. Ils se volatilisent, car leur enfer n’est pas le nôtre. La musique de Rachmaninov nous sort peu à peu de l’abyme. Ce n’était qu’un rêve….Ce théâtre-là est une porte, mais surtout un pont pour traverser la poésie de Viripaev. Jusqu’à provoquer le désir d’y revenir.
Pour goûter encore à ce  voyage au bout de la nuit.
Pascal Bély- Le Tadorne
“Les rêves” d’Ivan Viripaev mis en scène de François Bergoin par la compagnie Alibi à la Manufacture d’Avignon à 12h30.
A écouter sur France Culture: “Les rêves” d’Ivan Viripaev.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, le mur du «Suicidé» nous tombe dessus.

« Le suicidé» de Patrick Pineau à la Carrière de Boulbon est l’un des spectacles d’ouverture de la 65ème édition du Festival d’Avignon. Celui-ci prend soin de préciser sur sa page Facebook qu’il ne faut se fier au titre : «“Le Suicide” est une pièce terriblement drôle, une comédie féroce et loufoque !». Les communiquants sont décidément toujours bien intentionnés pour ne pas perturber notre confort.

Nous sommes propulsés dans l’ère soviétique, de celle des appartements communautaires, du poids de la masse sur les individus et de la folie technocratique. Sémione Podsékalnikov est au chômage depuis trop longtemps. Au bord du suicide, il va faire l’objet de toutes les attentions d’un groupe prêt à le manipuler pour transformer son acte en geste héroïque envers différentes causes. Sa famille tente de déjouer les pièges, mais sa maladresse amplifie le chaos. Tel un jeu de dominos, l’auteur Nicolaï Erdman écrit une oeuvre à la mécanique infernale où l’action d’un personnage provoque le désordre dans la communauté.

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Malgré l’agitation sur le plateau, certains spectateurs déchantent, jusqu’à décrocher physiquement (entendez, dans les bras de Morphée). Car si l’on rit à certains moments, l’ennui nous gagne rapidement.

Il y a ce mur qui nous saute aux yeux, au coeur de la mythique Carrière de Boulbon. C’est déplacé. A plusieurs reprises, notre imaginaire rêve de franchir LE MUR : il est une barrière à la Carrière. On ne comprend pas pourquoi CE MUR,  alors que la Carrière est un vrai MUR  de pierres…Nous voici  dans le faux,  dans le jeu, dans la farce. C’est une mascarade assumée.  Il y a bien une bande de comédiens qui veulent jouer, qui jouent trop et c’est dommage. À regret, Anne Alvaro (la grande et belle) en devient caricaturale. Patrick Pineau en taureau désespéré s’en tire bien.

On peut évoquer Gogol, Tchekhov,  toute la Russeideité, on peut y voir tout le désespoir d’un homme et de ceux qui l’entourent (à qui la faute ?).  Mais quand cette pièce rejoint le théâtre de Boulevard, quand on est témoin d’une telle rigolade,  il vaut mieux stopper là le jeu, se cacher derrière ce mur, qui devient  celui de toutes nos déceptions, de nos regrets et de notre amertume.

Francis Braun, Pascal Bély / Le Tadorne.

« Le suicidé » par Patrick Pineau au Festival d’Avignon du 6 au 15 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, pièce à vomir.

Cette oeuvre est un plat si indigeste qu’elle pourrait vous faire vomir. «La paranoïa», texte du dramaturge argentin Rafael Spregelburd, mise en scène par Martial Di Fonzo Bo et Elise Vigier est  une «pièce montée» avec tant de «crèmes» et de moyens qu’elle finit par provoquer du dégoût. La lecture des coproducteurs est si longue qu’elle donne elle aussi le tournis.

Et pourtant, quel scénario ! Nous sommes 5000 ou 20000 ans après J.-C, époque où les humains n’ont plus le monopole de la raison. « Les intelligences » sont bien meilleures qu’eux. Non seulement, elles leur piquent leur monnaie d’échange (« la fiction ») mais celle-ci commence à se raréfier. Hagen (mathématicien), Claus (astronaute), Julia Gay Morisson (écrivain vedette), Béatrice (robot à la mémoire corrompue) vont tenter d’inventer, sous la pression du Colonel Brindisi (chef des opérations spéciales terriennes), une fiction que « les intelligences » n’aient pas déjà ingurgitée. Il y a urgence, car il en va de la survie de l’espèce humaine ! À lire le résumé du scénario, on est (presque) plié de rire.  Mais les premières douleurs d’estomac se manifestent tant  la traduction de cette prose argentine frôle l’indigestion. Les phrases saccadées dans un style proche d’une mauvaise série B, vous plongent dans un texte boueux où votre cerveau s’engloutit peu à peu. Vous appelez au secours. Les acteurs viennent alors à votre aide. Ils sont excellents à caricaturer leur rôle. On reconnaît l’humour « gay », voire « queer », en vogue dans certains milieux ou chez certains chorégraphes (on pense au «Jardin des délices» de Blanca Li). On rit parfois et cela vous donne un peu d’air. Mais pas suffisamment pour rester un spectateur critique. Alors que Rafael Spregelburd dénonce les mécanismes de la fiction contrôlés par nos sociétés de consommation globalisées,  la mise en scène utilise les mêmes ficelles. C’est un grand classique dans le spectacle vivant. Le chorégraphe plasticien Jan Fabre, le metteur en scène argentin Rodrigo Garcia sont les experts en la matière : accuser le système en profitant de ses largesses.

Ici, tous les dispositifs scéniques entre en symétrie avec le jeu des acteurs : la vidéo, la bande dessinée, le plateau en arrière scène où l’on joue en direct des séries télés, le décor qui tourne en rond. Cette escalade est largement soutenue par une énigme « policière » absurde où la mise en scène épouse le propos : absurde. Tout finit par fusionner (le fond et la forme) et créer une matière théâtrale visqueuse, dégoulinante et totalement indigeste. À trois reprises, l’une des actrices est prise d’un fou rire, preuve qu’elle craque aussi. Dans un tel cadre, le sens critique est impossible : même si vous n’avez plus faim, on vous gave à nouveau et avec talent ! Cela n’en finit plus parce que Martial Di Fonzo Bo et Elise Vigier ne contrôlent plus le cadre de leur mise en scène comme s’ils étaient enfermés eux aussi dans un tourbillon créatif. On peut aisément imaginer que chacun dans la troupe y est aller de son idée pour créer un contexte explosif permanent. Nous ne sommes plus sur une scène de théâtre, mais dans un espace virtuel, celui de l’internet, où l’on clique ici, pour se diriger là, en passant par ici, et ainsi de suite. « La paranoïa » n’est qu’une escalade, qui emprunte bien des codes à la société du divertissement (rire toujours plus pour « ne pas se prendre la tête »). C’est réussi, car le « spectateur critique », pris de nausées, peine à penser par lui-même, étouffe dans un tel dispositif claustrophobe.

«Les intelligences» ont gagné ce soir. Mais heureusement, d’autres humains sont à la tâche pour ne pas se laisser contaminer par ces codes modernes du XXème siècle,  largement dépassés.

Pascal Bély, Le Tadorne“La paranaoïa” de Rafael Spregelburd, mise en scène de Martial Di Fonzo et Elise Vigier a été joué les 5 et 6 novembre 2009 à la Comédie de Valence puis au Festival d’Avignon du 9 au 15 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

Au Festival d’Avignon, Jan Karski héros d’un théâtre de corps et de cris.

À chaque Festival d’Avignon, une oeuvre me sidère, colonise pour longtemps ma mémoire. Le metteur en scène Arthur Nauzyciel avec «Jan Karski (mon nom est une fiction)» offre au public d’Avignon une adaptation du roman «Jan Karski» de Yannick Haenel. Ce résistant polonais et catholique fut le témoin de la plus grande tragédie de l’histoire de l’Humanité : l’extermination des juifs du Ghetto de Varsovie. Tel un «messager», il partit à la rencontre des puissants, dont Franklin Roosevelt. En vain. «L’antisémitisme technocrate» a eu raison de l’Humanité.

Arthur Nauzyciel reprend les trois parties imaginées par Yannick Haenel : des extraits de l’entretien entre Jan Karski et Claude Lanzmann dans «Shoah» ; un résumé du livre de Jan Karski («Histoire d’un État secret») et une fiction sur certains éléments de sa vie. Pendant plus de deux heures et quarante-cinq minutes, le spectateur vit un cheminement qui dépasse de loin la vision linéaire d’une succession de trois chapitres.

Loin du sempiternel «devoir de mémoire» qui nous infantilise parfois en faisant fi de la complexité des personnages, Arthur Nauzyciel nous guide vers le corps de Jan Karski interprété dans la dernière partie par le magistral Laurent Poitrenaux. Depuis la Shoah, le  corps de l’Humanité a disparu. A jamais. Lorsqu’au premier chapitre apparaît Arthur Nauzyciel dans ses vêtements ternes sans Histoire et son expression impassible pour relater le dialogue entre Claude Lanzmann et Jan Karski, je comprends que le théâtre ne peut aller au-delà.  Pour l’instant. L’espace paraît vide. Nauzyciel s’assoit, puis se lève. Il raconte, raconte. Puis il entreprend un numéro saisissant de claquettes. Jan Karski était fou de music-hall avant la tragédie ?

Tout disparaît à nouveau au deuxième chapitre. Plus aucun acteur sur scène si ce n’est la voix de Marthe Keller posée sur la vidéo d’un plan du Ghetto de Varsovie, créée par le plasticien Miroslaw Balka. Quasiment vingt minutes où l’écran finit par donner mal aux yeux : tel un rat coincé dans une souricière, nous voilà enfermés dans ce récitt où l’image restitue la moindre parcelle du plan. C’est interminable. Mes voisins s’assoupissent comme dans le roman de Yannick Haenel où le Président Roosevelt baillait à l’exposé de Jan Karski sur la vie dans le Ghetto.

Je m’accroche. C’est mon devoir. Je tremble d’écoute.

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Apparaît alors Laurent Poitrenaux dans le décor splendide et angoissant d’un couloir de l’Opéra de Varsovie. Assis sur la banquette, nous ne le percevons que de loin. Il raconte à nouveau. Son corps paraît sortir des camps. À moins qu’il ne s’apprête à y entrer. Il est témoin de la fin de l’Humanité. Il est désossé. Il est le corbeau qui crie la mort. Il porte tout. À notre place. Le théâtre va l’alléger et nous alourdir : Laurent Poitrenaux parcourt l’espace théâtral comme si ses pas traçaient le chemin de Karski vers nous. Son jeu renoue les fils d’un dialogue rompu par la surdité («la ruse du mal») des puissants de l’époque. Les mots cognent d’autant plus que la lumière nous plonge parfois dans les ténèbres, métaphore d’un dialogue de sourds («Ne pas écouter faisait partie de la guerre» précise-t-il). Peu à peu, tout s’éclaire: l’?uvre m’éveille. Jamais l’humanité ne s’en remettra. Elle a disparu dans le Ghetto. Nous autorisons inconsciemment les politiques racistes : l’humanité ne peut plus les contrer. Nous gesticulons pour les combattre. C’est tout.

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Tandis que la danseuse Alexandra Gilbert apparaît, le corps de Poitrenaux se fige sur la banquette: cet immense acteur est son chorégraphe. La danse soulève les cadavres pour n’en faire qu’un. Celui de l’Humanité. Elle provoque l’écoute, celle qui a tant fait défaut à Karski. Elle est le spectre du Ghetto. Ma mémoire a maintenant des devoirs.

À l’instant où Laurent Poitrenaux s’éloigne, je serai courageux.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Jan Karski (mon nom est une fiction) » d'Arthur Nauzyciel du 6 au 14 juillet 2011 au Festival d'Avignon.
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DANSE CULTE FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, le «Petit projet de la matière» fait de l’ombre au “Sun” light.

Cette année, les enfants sont sur scène. C’est l’un des choix artistiques de la direction du Festival d’Avignon. Ils sont amateurs, entourés par des professionnels qui doivent laisser s’exprimer ce qui relève de l’enfance, tout en évitant l’infantilisation. Retour sur deux propositions.

En ce mercredi 6 juillet 2011, le plus grand festival de théâtre du monde s’ouvre à 15 heures avec «Petit projet de la matière». Depuis janvier dernier, Anne-Marie Lescop travaille avec seize élèves de l’École Monclar d’Avignon afin de leur transmettre l’expérience de «Projet de la matière» d’Odile Duboc et Françoise Michel.

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Au commencement, un mouvement nous saisit : un petit garçon entre sur scène par la gauche pour la traverser et toucher l’?uvre de la plasticienne Marie-José Pillet. Sa démarche hésitante et déterminée n’est pas sans me rappeler la traversée du festivalier : où allons-nous  en ce début de festival? Vers quel projet ? Nous voilà accueillis de la plus belle des façons ! Une fois arrivé, un groupe d’enfants le rejoint pour ressentir à son tour ce décor minéral fait de grosses pierres, de mur de granit et de monticules de terre grise où les corps se fondent pour former des statues vivantes. Ce qu’ils éprouvent nous est immédiatement transmis.  Ici, le corps est sculpture pour entrer dans notre musée de la danse ! L’eau est partout et pourtant absente du plateau : cette danse qui fait illusion procure une douce sensation de bien-être d’autant plus qu’elle célèbre la communication ! Ici, on se jette dans l’espace pour se fracasser ou se fondre dans la matière, on se soutient, on s’isole pour se ressourcer et nourrir le lien avec l’autre. La force du groupe parvient pas à pas à faire entrer le végétal dans cet univers minéral : l’enfant pousse comme un lierre contre le mur, explore et malaxe comme un paysan qui laboure sa terre,  change comme la sève qui nourrit la branche. Peu à peu, un monde imaginaire de l’enfance se relie à notre vision d’adulte. De cette rencontre, naît la joie d’être un spectateur qui grandit avec eux.

Mais un regret : ces enfants paraissent parfois réservés comme si la transmission se confondait avec l’apprentissage d’un savoir normé.

«Sun» de Cyril Teste et le collectif MxM est une proposition théâtrale qui campe deux enfants en quête d’un ailleurs à l’aube de leur adolescence. La feuille de salle nous précise que l’histoire s’inspire d’un fait réel. Soit. On peut toujours s’y raccrocher lorsqu’on est pris de bâillements intempestifs. Le dispositif scénique articule avec une précision millimétrique vidéo, plateau pivotant, décor amovible et son numérique. Autant dire que nos deux chérubins sont cernés : rien ne vient explorer leur univers tant le langage est policé jusqu’à paraître lisse.  Le tout est trop suggestif comme s’il fallait démontrer la fonction des nouvelles technologies au détriment du sensible. Cyril Teste semble poser un postulat pour le moins contestable : l’enfance devrait nous faire rêver? On pourrait y déceler une poésie théâtrale, mais je ne vois qu’une scénographie travaillée aux dépens d’une mise en scène courageuse et assumée. On ne l’écrira jamais assez : l’outil en soi ne véhicule pas le sens. Un  enfant n’est pas comédien (sauf quand on lui fait dire des propos d’adultes) : le théâtre doit donc pouvoir lui offrir un espace de liberté dans son lien avec l’adulte. Dans «Sun», celui-ci se réduit à l’apprentissage d’un noeud de cravate et d’une caresse sur les cheveux.

Sans matière, sans chair, «Sun» est un petit projet…

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Petit projet de la matière » d'après « Projet de la matière » d'Odile Duboc et Françoise Michel les 6, 7 et 8 juillet 2011.
« Sun » de Cyril Teste du 7 au 13 juillet 2011 au Festival d'Avignon.
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ETRE SPECTATEUR

Portrait du Tadorne sur Arte, le dimanche 10 juillet 2011.

En juillet 2010, la documentariste Hélène Ricome entreprenait un film sur des spectateurs du Festival d’Avignon. J’étais dans la liste. Pendant trois semaines, caméra sur l’épaule, elle m’accompagna de spectacle en spectacle puis posa son micro pour une série d’entretiens. Sa présence m’était peu à peu familière. J’ai le souvenir qu’elle capta certains débats enflammés à la sortie des théâtres, mais aussi mon émotion alors que j’évoquais «La casa de la fuerza» d’Angelica Liddell.

Quatre portraits seront donc diffusés sur Arte le dimanche 10 juillet (celui du Tadorne à 17h15) lors de la journée spéciale consacrée au Festival d’Avignon. Le site de la chaîne ne précise pas ce programme : position étrange et pour tout dire incompréhensible?

Je le découvrirai en même temps que vous. En espérant qu’il puisse éclairer sur mes intentions de spectateur engagé que l’on ne saurait résumer à des qualificatifs réducteurs.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE Vidéos

Au Festival d’Avignon, Boris Charmatz enfante d’un chaos enthousiasmant, d’une humanité à la dérive.

C’est la première d’ «Enfant» du chorégraphe Boris Charmatz. La mythique Cour d’Honneur va une nouvelle fois faire parler d’elle. Ce soir, “quelque chose a changé, l’air semble plus léger”. Un homme s’avance vers nous et lit un texte syndical sur les conséquences de la politique culturelle d’un “mouvement libéral agressif». À peine nous a-t-il remerciés pour notre «attention généreuse», que les clameurs montent des gradins. Le public se lève peu à peu et adresse ses applaudissements contre Frédéric Mitterand, Ministre de la Culture. Son cercle reste impassible tandis que le peuple, exaspéré, manifeste. Rarement vu dans la Cour.

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Le propos se prolonge sur scène.  “Enfant” du chorégraphe Boris Charmatz est très attendu. Chacun y va de ses pronostics, de ses projections, comme un réflexe vital : la présence d’enfants symbolise notre désir d’utopie réparatrice. Les temps sont si durs. Précisément. Tout est noir sur le plateau. La fête foraine des trente glorieuses est terminée : une grue trône et des danseurs gisent à terre. Peu à peu elle tire des fils, comme si le théâtre ne tenait qu’à l’un d’eux malgré l’imposante architecture de la Cour. Ce que les Papes ont construit, notre société financiarisée peut le démonter. Lentement, elle traîne les danseurs qui finissent par pendre dans le vide. Le bruit est angoissant, presque inaudible au départ puis assourdissant par la suite: c’est l’humanité qu’on suspend. «Saturne dévorant un de ses fils» de Francisco Goya m’apparaît : nous sacrifions nos enfants pour maintenir une civilisation en coma dépassée depuis l’Holocauste. Les petites mécaniques poursuivent leur besogne pour rationaliser, industraliser l’humain. C’est finalement peu, au regard de la tragédie de l’extermination. À ceux qui réclament à “corps et à cris”, un propos lisible de la part de la danse contemporaine, Boris Charmatz leur répond: nos machines se chargent du mouvement. Le public de la Cour ne bouge plus. Aucune place à la polémique. Silence.

Comment évoquer ce qui va suivre sans rien dévoiler? Boris Charmatz poursuit sa démonstration : ce que nous faisons subir à nos enfants est innommable. Le théâtre n’en dit rien. La danse va assumer la charge. La scène est une oeuvre picturale grandeur nature d’un camp concentrationnaire à ciel ouvert. Le sol paraît gluant comme si nos lâchetés transpiraient. Nos enfants sont des marchandises que nous monnayons. Nos précarités sociales, économiques et psychologiques les métamorphosent peu à peu en petits adultes inanimés. Notre énergie à les déplacer tels des corps de plastique mou est sans commune mesure : immergés dans la société consumériste, ils ne répondent plus. De la chair à canon pour préserver nos frontières ; du corps marchandisé pour publicitaires affamés.

Boris Charmatz entreprend une magnifique recomposition : les vingt-six «enfants danseurs» et les neuf «danseurs chorégraphes» s’entremêlent  jusqu’au chaos indescriptible. Comment réanimer notre conscience collective ? Comment sortir du coma ? Ce que la machine faisait trembler dans le premier tableau, la scène s’en charge dans le deuxième. L’artiste se positionne pour provoquer stupeurs et tremblements en recomposant une communauté de destins. Sauf que les adultes ne  se laissent pas ainsi guider. Leur créativité est au plus bas. Ils répètent les mêmes gestes, totalement conditionnés par les sirènes sécuritaires , par une pensée du mouvement qui tourne en rond. Savent-ils que l’humanité a une conscience ? Boris Charmatz entreprend alors de chorégraphier les enfants dans leurs liens avec les adultes. Est-il le fils de Maguy Marin qui déclarait à propos de «Salves», sa dernière création : «au lieu de baisser les bras, d’être dans l’impuissance d’acte collectif, de liens entre les gens, organisons le pessimisme et tout d’un coup, quelque chose d’humoristique peut se révéler”?  Ensemble, ils créent la fête foraine pour que nos utopies reprennent  le chemin du mouvement, avec distance et drôlerie, pour une chorégraphie chaotique, désespérante, créative, profondément festive. La scène se fait chair pour accueillir le défilé d’une humanité qui prend sa destinée en main.

Il nous faut positionner  l’enfant et son adulte au centre de tout. Et qui sait,  nous pourrons peut-être, j’écris bien peut-être, changer?pour une civilisation pendue aux lèvres de ce qui reste de l’humanité.

Avec tous nos applaudissements, Monsieur Boris Charmatz.

Pascal Bély- Le Tadorne.

"Enfant » de Boris Charmatz au Palais des Papes du 7 au 12 juillet 2011.

 

 

 

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Patrice Chéreau fait naufrage.

Il y a des décors qui sont en soi une oeuvre d’art. Celui d’ «I Am the Wind» de Jon Fosse par Patrice Chéreau est de ceux-là. Tandis que le public s’installe, gît un morceau de bois dans l’eau boueuse, témoignage qu’un cataclysme est passé par là. Au loin, le fond de scène est d’un gris bleu profond. C’est infini. L’eau, le minéral, le végétal : mon regard s’égare déjà, mon  imaginaire fait  dialoguer les éléments et se fertilise. La scénographie happe tout en maintenant la distance : se perdre au loin pour reconstruire ici. Serions-nous l’explorateur de notre âme à la dérive ? Qu’emporter sur notre “Arche de Noë” ?

Nous sommes au centre: de nombreuses places sont condamnées à droite et à gauche. Nous voilà «concentrés». L’exigence est là : une salle se façonne comme une scène.

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Tom Brooke et Jack Laskey s’approchent.  Leurs vêtements mouillés nous collent à la peau. L’un porte dans ses bras l’autre. Le torse blanc de l’autre se fond dans le pull de l’un. Le contenu dans le contenant. À ce moment précis, me revient une scène créée par Pina Bausch. « Café Müller » ressurgit : l’essentiel est sauvé de la débâcle. Trois minutes où la chair nous dit tant de ces deux hommes et de leurs liens : un amour improbable où l’inconsciente légère de l’autre dialogue avec la lourdeur de l’un.

Vient l’instant où l’un entreprend de rhabiller l’autre. Les gestes de l’un pour mouvementer l’autre. Le silence est impressionnant et l’on entend le vacarme de la tendresse, le bruit sourd de l’angoisse, les froissements de la métamorphose. La chenille est papillon. Ce moment théâtral est sublime : le théâtre est chair. Patrice Chéreau est un chorégraphe de l’âme. Les mots qui suivront pourront-ils rivaliser avec une telle entrée en matière ?…

Commence alors leur voyage. Pieds dans l’eau, le corps squelettique de l’autre s’est habillé. Ils vont prendre la mer, manoeuvrer leur bateau, l’amarrer à une crique, déjeuner, reprendre la mer. L’autre disparaîtra.

 «Je ne suis plus que mouvement

je suis parti avec le vent

je suis le vent» dira-t-il avant de sombrer dans l’eau.

Mais pourquoi Patrice Chéreau les a-t-il abandonnés, confiant leurs corps et leur âme à un dispositif scénique tout puissant? Le bateau monte et descend sous la pression d’une machine censée restituer une réalité, celle d’une mer calme ou en furie. Entre questionnements métaphysiques et matérialité, je m’égare dans une machinerie théâtrale qui objective : c’est elle qui fait mouvement. Sans chorégraphie, ce théâtre-là n’est qu’une armature. La chair a disparu. Le texte s’amarre à l’action, aux faits et gestes et la mise en scène ne suit plus.

On rêverait presque de les voir nus pour entendre leur âme. Car «I am the Wind» est une oeuvre sur l’insondable. Mais les corps ne sont plus traversés et font semblant de tomber à l’eau : c’est tout simplement insupportable. Les deux hommes sont sur le registre de la conversation, de celle qui pollue notre espace social. Leurs gestes illustrent et finissent par créer peu à peu la distance : les corps s’automatisent, le chaos intérieur ne s’entend plus pris dans la mécanique de la machine. Qu’est donc devenue l’intensité de la première scène, la puissance poétique de certains dialogues ? Entre l’un qui s’attache à la vie et l’autre qui la transcende, Patrice Chéreau préfère un théâtre de masques, un théâtre d’images où la scénographie fascine.

«I Am the Wind» est un naufrage : celui d’un théâtre qui séduit là où il devait créer la turbulence entre notre un et nous autres.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« I Am the Wind » par Patrice Chéreau a été joué du 15 au 18 juin 2011 aux Nuits de Fourvière à Lyon. Au Festival d'Avignon du 8 au 12 juillet 2011.