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FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE! PAS CONTENT Vidéos

Festival d’Avignon – Metteurs en  scène en péril.

Il est 17h50. La file d’attente  se forme à l’intérieur du théâtre de Montfavet près d’Avignon pour “Intérieur” de Claude Régy. Les intermittents s’adressent à la foule des spectateurs agglutinés dans le couloir. À Manuel Valls, ils envoient leur leitmotiv “Non merci!“. Le discours est en boucle depuis dix jours et sature visiblement le public. Puis, la consigne donnée par Claude Régy, metteur en scène âgé de 91 ans nous est communiqué: « à partir de maintenant, vous êtes priés de faire silence et d’entrer sans parler dans la salle ». Quelques minutes plus tard, une autre information nous est assignée : “Nous vous invitons dès que vous serez assis à vous serrer pour faire entrer le plus de spectateurs possible“. Dit autrement, le festival a besoin d’argent et nous demande son aide. Nous sommes quelques-uns à répondre, « Non merci ! ».

Cette anecdote me paraît symptomatique de ce festival qui, à bien des égards, aura joué une vision autoritaire, mercantile de l’art illustrant la crise qui traverse le métier de metteur en scène. En écoutant le débat entre Marie-José Malis et Thomas Ostermeier (tous deux programmés à Avignon), nous apprenons sa disparition inéluctable, faute d’auteurs qui n’acceptent plus que leur texte soit malmené, voire anéanti.

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En assistant pétrifié à « Intérieur » de Claude Régy, je me suis remémoré cette prédiction. En effet, le texte de Maurice Maeterlinck sort essoré d’une mise en scène alourdit par un jeu d’acteurs inspiré du théâtre No et où Claude Régy métamorphose le jeu de cette troupe japonaise en sanctuaire à la gloire de son esthétique théâtrale. Je refuse rapidement d’entrer en religion et attends patiemment de pouvoir sortir d’un théâtre qui m’oppresse.

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Lui n’impose rien à priori. Point de rituel à l’entrée du gymnase Aubanel. Juste, un filet qui sépare la scène et la salle et où sont projetées différentes séquences vidéos. Fabrice Murgia, metteur en scène Belge, est enfin adoubé par le In après avoir fait ses classes dans le OFF. « Notre peur de n’être » est librement inspiré d’un texte de Michel Serres, « Petite Poucette »,  manifeste joyeux et lucide sur la nouvelle génération née avec internet et baignée dans l’univers interactif des smarphones. Ici, la visée dynamique de Michel Serres est plongée dans la vision apeurée et dépressive de Fabrice Murgia qui dessine à gros traits le portrait d’un homme endeuillé, d’un fils cloitré dans l’univers du Net, d’une jeune femme en recherche de reconnaissance de ses compétences créatives dans les nouvelles technologies. Je suis rapidement saturé par un flot d’images au service d’un spectacle sans vision, autocentré sur des personnages qui, sous la caméra de Murgia, peinent à savoir où ils vont sur une scène de théâtre. Ici, la scénographie prend le pouvoir au service d’une esthétique téléguidée pour la télévision. Ainsi va le théâtre dirigé par un metteur en scène trouillard (la lettre lue à l’issue de la représentation est à ce titre éloquente.)…

La peur, encore elle, est au centre de la création de Marco Layera avec « La Imaginacion del futuro ». Ici, les derniers instants d’Allende sont retracés à gros traits d’humour et de cavalcades d’acteurs afin de projeter l’Histoire dans le contexte d’aujourd’hui. Ainsi, les ministres n’ont pour discours que ceux formatés pour la télévision ; ils prennent de la cocaïne volée dans la poche du Président ; font du théâtre participatif en forçant le public afin d’aider un jeune chilien en besoin d’éducation avant qu’il ne soit transpercé par une balle. Je ris à la pression exercée par une actrice envers un spectateur en le menaçant d’une fellation. Je ris quand Layera décrit Marine Le Pen sous des aspects scatologiques. Mais après quelques jours, le malaise s’installe. Qu’ai-je vu si ce n’est une approche binaire de l’Histoire où sans la déliquescence du système politique d’Allende, il n’y aurait pas eu la dictature de Pinochet. Ici, un metteur en scène découpe à grands traits les pages du livre d’Histoire pour produire un théâtre du chaos réactionnaire et finalement autoritaire : à ce jeu-là, Marco Layera prépare la venue d’un art révisionniste au service d’un pouvoir fasciste. Pas sûr qu’il apprécie ce raccourci futuriste et pourtant…

Une création ne mentionne plus la fonction de « metteur en scène » mais celle de « concepteur ». « An Old Monk » est la rencontre d’un auteur (Josse de Pauw) et d’un compositeur de jazz, Kris Deffort. À deux, ils ont conçu un spectacle déroutant et généreux sur le processus de vieillissement ou comment le jazz et la danse déjouent l’inéluctable (à savoir , s’assagir quand on la mécanique du corps ne suit plus). Ici, le jazz accueille le texte pour que la danse d’un « moine » (“monk”) plus tout à fait jeune dégage une énergie communicative vers les spectateurs. Tel un fluide qui se propage, je me surprends à bouger de mon siège comme si ma cinquantaine approchant se défilait par la grâce de ce quatuor. La « conception de ce spectacle »  célèbre une pensée florissante sur la régénération d’où jaillit un jazz résistant et fragile. Rien n’est sanctuarisé, ni revisité. La scénographie se limite à la projection de photographies de Josse de Pauw où sa silhouette d’homme nu se transforme en œuvre d’art pour déjouer les codes usés qui nourrissent notre regard sur la vieillesse.

Peu à peu, j’apprivoise son corps un peu tordu et me prends à rêver de poser ma tête sur son gros ventre pour y écouter le gargouillis jazz-band, métaphore d’une nouvelle civilisation où tout se réinvente par la magie des nouages créatifs.

Pascal Bély – Le Tadorne

Au Festival d’Avignon :
« Intérieur » de Maurice Maeterlinck par Claude Régy.
« Notre peur de n’être » de Fabrice Murgia.
« La imaginacion del futuro » de Marco Layera.
« And Old Monk » de Josse de Pauw et Kris Defoort.
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LE THEATRE BELGE! THEATRE MODERNE Vidéos

La Barjot de Jéhovah.

Je souhaite commencer cet article par une prise de parole salutaire : «Les catholiques, juifs et musulmans intégristes, les copéistes décomplexés, les psychanalystes œdipiens, les socialistes naturalistes à la Jospin, les gauchos hétéronormatifs, et le troupeau grandissant des branchés réactionnaires sont tombés d’accord ce dimanche pour faire du droit de l’enfant à avoir un père et une mère l’argument central justifiant la limitation des droits des homosexuels.» Nous sommes au surlendemain de la manifestation contre le mariage pour tous du 13 janvier 2013. L’article publié dans Libération de Beatriz Preciado, philosophe, directrice du Programme d’études indépendantes au musée d’Art contemporain de Barcelone, est saisissant. Elle y explique comment l’idéologie naturaliste et religieuse refait surface en s’inventant un enfant fantasmé. «L’enfant que Frigide Barjot prétend protéger n’existe pas. Les défenseurs de l’enfance et de la famille font appel à la figure politique d’un enfant qu’ils construisent, un enfant présupposé hétérosexuel et au genre normé. Un enfant qu’on prive de toute force de résistance, de toute possibilité de faire un usage libre et collectif de son corps, de ses organes et de ses fluides sexuels. Cette enfance qu’ils prétendent protéger exige la terreur, l’oppression et la mort». Elle poursuit sa démonstration en évoquant ses souvenirs d’enfance et le travail colossal qu’on dû entreprendre ses parents pour qu’ils acceptent son homosexualité. Cet article est important, car il pose les enchevêtrements complexes entre structure familiale, contexte politique, et dogmes religieux dans lesquels la parole de l’enfant n’est qu’une variable d’ajustement.

C’est au théâtre que l’on peut l’entendre. C’est à Istres, au Théâtre de l’Olivier où l’auteur et metteur en scène Fabrice Murgia propose l’une de ses dernières créations,  «Les enfants de Jéhovah» («…et de Frigide Barjot ?, NDLR»). Comment une secte peut-elle «engendrer» des enfants ? Comment se substitue-t-elle aux parents et par quels processus ? Avec ce spectacle, Fabrice Murgia fait résonner sa parole de petit-fils et rend hommage à son père, enrôlé petit et qui quittera la secte une fois adulte. Mais avant d’entrer sans effraction dans sa famille, une vidéo nous accueille. Un enfant italien répond à des questions sur le plaisir. Il crève l’écran. Il évoque sa sexualité et sa quête : chercher «la belle vie plutôt que de faire la guerre». Sa vérité  l’éloigne de l’innocence dans laquelle nous désirons l’enfermer,  à une vision du monde qui ne vaudrait pas grand-chose. Cette parole me saisit par sa force : Fabrice Murgia n’a plus qu’à dérouler sa vision d’artiste et d’enfant-adulte sur sa famille.

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«Les enfants de Jéhovah», est une magnifique prise de parole qu’il restitue à tous ses ancêtres. Il convoque une scénographie où la porosité entre réalités historique et psychique est sublimée. L’absence de propos linéaire, la vidéo comme prolongement du langage des corps et des mots, la présence fantomatique de trois femmes, propulsent le passé d’immigrés italiens des grands-parents dans notre actualité. Aux témoins de Jéhovah d’hier («je suis là pour vous écouter et commenter l’actualité») répond la religion consumériste d’aujourd’hui qui capte les désirs pour les métamorphoser en pulsions (qui commente pour nous éviter de penser par nous-mêmes ?). Tout est lié et Fabrice Murgia crée le dialogue entre une grand-mère proie des Jéhovah, une tante endeuillée par un frère qui ne reviendra plus dans les filets de la secte et la figure de Saint-Nicolas restituée à l’enfant après lui avoir été confisqué pendant tant d’années. Me voici immergé dans un système familial dont je saisis les enchevêtrements sans que cela réduise. Il y a dans ce propos de profondes similitudes avec la prise de parole de Beatriz Preciado, amplifiée par l’apparition sur l’écran du jeune visage de Fabrice Murgia. Il prend soin de formuler sa vision à partir d’un texte de toute beauté.  C’est un vivant poème fort et libre qui prolonge celle de l’enfant italien et disqualifie toute approche d’un enfant normé…

 « …/….

Pour avoir été perdu dans l’usine,
perdu parmi les siens,
je dédie ce spectacle à mon père…
je dédie ce spectacle à tous ceux qui rêvent plus qu’ils n’ont peur…
au monde de l’enfance qui n’a pas besoin du Ciel.

Parce que les adultes croient que les enfants sont des bons à rien,
mais peut-être que les enfants sont supérieurs aux grands
parce qu’ils ont une autre façon de penser
ils imaginent les choses
plus belles
plus pures
tandis que les grands les voient avec laideur

Comme toi”.

Beatriz, Fabrice, enfants de deux papas, de deux mamans, toi, moi…Je vous rêve.

Pascal  Bély – Le Tadorne.

« Les enfants de Jéhovah » de Fabrice Murgia au Théâtre de l’Olivier à Istres le 18 janvier 2013.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE Vidéos

En 2012, l’enfant phare.

En 2012, les plateaux m’ont offert de multiples opportunités  pour questionner  mon rapport à l’enfance et faire confiance au sensible pour ouvrir ma relation à l’art.

En premier lieu, je dois ce travail à Christiane Véricel et sa compagnie Image Aigüe. Avec sa dernière création, «La morale du ventre», adultes et enfants y incarnaient la mondialisation sur le plateau. À l’hyper globalisation qui dilue tout, elle a joué de sa focale pour ressentir dans le regard joyeux des enfants, la gravité du propos: en 2012, la faim a été un fléau. La libéralisation du commerce n’y a rien fait. Alors, elle a dénoncé en énonçant son art théâtral global: la musique pour border les corps dans les pas de danse, le silence pour ourler les ombres, les mouvements pour nourrir la fluidité de la mise en scène et créer des espaces de liberté. La création sera en tournée en 2013. C’est un moment précieux à ne pas laisser passer.

Dans «When the mountain change dits clothing» d’Heiner Goebbels, elles étaient quarante adolescentes à la voix de cristal (toutes appartenaient au Vocal Theatre Carmina Slovenica). Elles ont occupé toute la scène pour la métamorphoser à l’image de ce passage escarpé de l’adolescence au monde adulte. Heiner Goebbels leur a offert l’espace dont nous rêvions à leur âge: tout peut se dire tant que l’écoute est là; tout peut se jouer pourvu que la liberté soit célébrée; tout peut changer parce que rien n’est inéluctable. «When the mountain change its clothing» est une œuvre délicate, envoutante, émouvante et pour tout dire, utile.

Dans «Jours étranges», sous la direction de Catherine Legrand et d’Anne-Karine Lescop, ils étaient neuf adolescents à reprendre l’une des œuvres majeures de Dominique Bagouet. Avec une présence étonnante, un doux mélange de respect et d’affranchissement, ils ont démontré qu’une transmission pouvait être joyeuse et généreuse.

«L’alphabet des oubliés» de Florence Lloret fut une œuvre d’une belle texture. Son univers onirique a permis aux petits et grands d’écrire des poèmes dans une relation éducative bienveillante, accueillante, formatrice, ferme et ouverte sous la plume protectrice du poète de Patrick Laupin.

Certes, ce n’étaient pas des enfants, mais des acteurs handicapés mentaux. Pourquoi penser à l’enfance avec «Disabled Theater» de Jérôme Bel ? Peut-être parce qu’elle permet de  réduire la distance pour que la danse aille au-delà des codes usés de la représentation.

Avec «Conte d’amour», le suédois Markus Öhrn a bouleversé lui aussi les schémas classiques du théâtre. Il nous a donné rendez-vous au sous-sol pour y vivre, par caméra interposée, l’effroi de l’amour incestueux. Rarement je n’ai senti un public aussi présent face à une bâche de plastique qui nous séparait des acteurs. Nous sommes redevenus spectateurs aimants de cet art qui prend tous les risques, sans tabou et nous émancipe de la religion d’un théâtre français décidément trop conservateur pour descendre dans nos cavernes coulées dans le béton.

Comment ne pas rapproche ce conte du troublant «Chagrin des Ogres» de Fabrice Murgia. Telle une descente aux enfers dans les rêves volés de l’enfance, je me souviens encore de mon trouble. Tétanisé, j’ai compris que le théâtre avait cette force inouïe de réveiller le trauma pour le sublimer et faire de moi, un enfant qui a juste un peu grandi.

Pour ce couple Hollandais Wiersma & Smeets, l’imagination est une voute céleste ! «Lampje, lampje» est probablement l’une des propositions les plus enthousiasmantes de mon vécu de spectateur en compagnie des tout-petits! Avec deux rétroprojecteurs et divers ustensiles qui se projettent, ils ont créé la scène où l’infiniment petit devient gigantesque pour un univers de rencontres improbables teinté de lumières fugitives et multicolores. Peu à peu émerge un espace capable d’accueillir tous les imaginaires, où l’art contemporain fait dialoguer le sens de l’observation et le plaisir de la divagation. «Lampje, lampje» est un conte des cavernes pour lutins affamés d’histoires féériques.

«Azuki» d’Athénor par Aurélie Maisonneuve et Léonard Mischler fut une perle posée sur un écrin théâtral pour un opéra miniature en plusieurs dimensions picturales pour tout-petits et grands! De leurs voix profondes et accueillantes, ils ont dessiné un paysage de sables colorés et de galets. Peu à peu, on s’est laissé aller à ressentir le chant comme une matière à explorer à moins qui sonde nos contrées enfouies. Ces deux beaux acteurs aux gestes délicats ont délié et relié les matières, les sons et les corps à partir d’un fil qui, en toile de fond, traverse ce qui sépare le beau de l’Œuvre….Petits et grands, à l’unisson, avons lu sur la toile : «le fil se détend…maintenant le cerf-volant…est une portion de ciel». J’étais  aux anges…
Tout comme ce matin-là, au festival Off d’Avignon, où, avec des professionnels de la toute petite enfance, assistions à «Un papillon dans la neige» de la Compagnie O’Navio. Elles écrivirent : «D’une feuille blanche apparait en deux traits de crayon un papillon qui nous transporte sur un nuage de coton et nous fait planer au fil des saisons. Tout en musicalité, nous voyageons à travers les mers, l’espace et le temps. Au seul regret de n’avoir pu partager son instant gourmand… Feuilles, vent, mouvements, doux méli-mélo d’un spectacle pour enfants».
Doux méli-mélo d’une année 2012 d’une enfance, phare…

1- Christiane Véricel – « La morale du Ventre » – Espace Tonkin, Villeurbanne.

2- Jérôme Bel – «Disabled Theater»- Festival d’Avignon.

3- Markus Öhrn – “Conte d’amour” – Festival d’Avignon.

4- Fabrice Murgia –  « Le chagrin des Ogres » – Amis du Théâtre Populaire, Aix en Provence

5- Heiner Goebbels – «When the mountain change dits clothing» – Festival d’Automne, Paris.

6- Florence Lloret – “L’alphabet des oubliés” – La Cité, Maison de Théâtre, Marseille.

7-  Dominique Bagouet – «Jours étranges» – Klap, Marseille.

8-   Wiersma & Smeets – «Lampje, lampje” – Festival de la Montagne Magique – Bruxelles.

9- Aurélie Maisonneuve et Léonard Mischler  – «Azuki» – Festival de la Montagne Magique – Bruxelles.

10- Compagnie O’Navio – «Un papillon dans la neige » –  Festival Off d’Avignon.

Pascal Bély – Le Tadorne

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Au Festival Off d’Avignon, l’épuisement.

Un bruit sourd envahit la salle. Dans l’attente, nous crions pour nous faire entendre. L’assemblée des spectateurs et les entrées symbolisent la ville bruyante. D’un coup, le vacarme s’arrête. Un grand mur vidéo nous affronte pour nous plonger, dans un silence quasi religieux, dans le flot incessant de la circulation de la capitale belge. Le corps est en totale symbiose avec l’automobile. L’anonymat le plus absolu.

Tandis que l’actrice-comédienne Olivia Carrère apparaît du fond de son lit rouge sang, le théâtre s’incruste peu à peu. Nue, elle regarde le monde au travers des stores. À cet instant précis, le théâtre fait son cinéma pour filmer théâtralement la solitude d’une jeune femme. Pas un mot ne sera prononcé, tout juste résonneront «Dis quand reviendras-tu?» de Barbara et «The winner takes it all» du groupe Abba. Les premiers tableaux me rappellent «Le concert à la carte» de Franz-Xaver Kroetz, mise en scène par Thomas Ostermeier et présenté au Festival d’Avignon 2004. Mais ici, la solitude est en troisième dimension: le corps en scène, le mal de vivre en film, la quête d’un amour absolu en internet. Face à un tel dispositif, nous sommes probablement aussi seuls qu’elle : notre désir d’une certaine théâtralité doit cohabiter avec des effets scéniques qui nous éloignent peu à peu d’un propos que nous voudrions limpide.

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L’atmosphère rappelle “Inland Empire» de David Lynch comme pour renforcer sa descente aux enfers et nous guider vers l’inexplicable : elle préfère son avatar tandis qu’elle déforme son corps; elle s’ouvre vers la toile pour s’enfermer chez elle et finir barricadée alors que la ville capitale grouille d’humains. Fabrice Murgia filme, théâtralise, connecte pour distancier, isoler tout en tissant des liens d’effets et de causes. Nous vivons en direct, ce processus qui paraît inéluctable : le plus petit acte répétitif du quotidien fait sens, le corps ne répond plus au désir de le rendre beau, l’internet est une prison ouverte à partir de connexions infinies avec un homme-lapin, mais qui réduisent et définitisent tout. Effrayant. Nous voilà à distance alors que probablement, nous souffrons d’une solitude imposée par une société qui objective le subjectif, cloisonne l’inséparable. Désirons nous humaniser pour communiquer ? Supportons-nous l’improbable quand internet nous promet l’autre à notre image ? Acceptons-nous le corps biologique alors que le virtuel nous propose un lien amical désincarné ? Toutes ces questions sont superbement portées sur scène, au croisement des esthétiques qui, une par une, symbolise notre rapport au corps, au temps, à la représentation de la réalité. Le sort de cette jeune femme émeut à peine (sauf quand elle chante Abba avec sa belle robe rouge), comme si nous étions trop occupés à ressentir ce qui se joue sur la toile, cette réalité «psychique» dont nous ignorons encore les ressorts.

Fabrice Murgia mouvemente l’interconnexion du théâtre, du cinéma et de l’internet. Il ouvre des possibles pour mettre en scène nos connexions entre virtualité et réalité.

Il nous offre un art théâtral pour éclairer le Nouveau Monde.

Pascal Bély – « Le Tadorne ».
« Life : reset / chronique d’une ville épuisée » de Christophe Murgia à la Manufacture pendant le Festival d’Avignon 2011.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Européens épuisés, mais connectés.

Le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles a commencé depuis quelques jours et le spectacle de Fabrice MurgiaLife : reset / chronique d’une ville épuisée») semble avoir marqué certains esprits. Pour s’y rendre, il faut monter les raides escaliers du Théâtre National qui nous conduisent au 3e étage. Un bruit sourd envahit la salle. Dans l’attente, nous crions pour nous faire entendre. L’assemblée des spectateurs et les entrées symbolisent la ville bruyante. D’un coup, le vacarme s’arrête. Un grand mur vidéo nous affronte pour nous plonger, dans un silence quasi religieux, dans le flot incessant de la circulation de la capitale belge. Le corps est en totale symbiose avec l’automobile. L’anonymat le plus absolu.

Theatre-national-CHR0NIQUE-DUNE-VILLE-EPUISEELIFE--RESET.jpg

Tandis que l’actrice-comédienne Olivia Carrère apparaît du fond de son lit rouge sang, le théâtre s’incruste peu à peu. Nue, elle regarde le monde au travers des stores. À cet instant précis, le théâtre fait son cinéma pour filmer théâtralement la solitude d’une jeune femme. Pas un mot ne sera prononcé, tout juste résonneront «Dis quand reviendras-tu?» de Barbara et «The winner takes it all» du groupe Abba. Les premiers tableaux me rappellent «Le concert à la carte» de Franz-Xaver Kroetz, mise en scène par Thomas Ostermeier et présenté au Festival d’Avignon 2004. Mais ici, la solitude est en troisième dimension: le corps en scène, le mal de vivre en film, la quête d’un amour absolu en internet. Face à un tel dispositif, nous sommes probablement aussi seuls qu’elle : notre désir d’une certaine théâtralité doit cohabiter avec des effets scéniques qui nous éloignent peu à peu d’un propos que nous voudrions limpide.

L’atmosphère rappelle “Inland Empire» de David Lynch comme pour renforcer sa descente aux enfers et nous guider vers l’inexplicable : elle préfère son avatar tandis qu’elle déforme son corps; elle s’ouvre vers la toile pour s’enfermer chez elle et finir barricadée alors que la ville capitale grouille d’humains. Fabrice Murgia filme, théâtralise, connecte pour distancier, isoler tout en tissant des liens d’effets et de causes. Nous vivons en direct, ce processus qui paraît inéluctable : le plus petit acte répétitif du quotidien fait sens, le corps ne répond plus au désir de le rendre beau, l’internet est une prison ouverte à partir de connexions infinies avec un homme-lapin, mais qui réduisent et définitisent tout. Effrayant. Nous voilà à distance alors que probablement, nous souffrons d’une solitude imposée par une société qui objective le subjectif, cloisonne l’inséparable. Désirons nous humaniser pour communiquer ? Supportons-nous l’improbable quand internet nous promet l’autre à notre image ? Acceptons-nous le corps biologique alors que le virtuel nous propose un lien amical désincarné ? Toutes ces questions sont superbement portées sur scène, au croisement des esthétiques qui, une par une, symbolise notre rapport au corps, au temps, à la représentation de la réalité. Le sort de cette jeune femme émeut à peine (sauf quand elle chante Abba avec sa belle robe rouge), comme si nous étions trop occupés à ressentir ce qui se joue sur la toile, cette réalité «psychique» dont nous ignorons encore les ressorts.

Fabrice Murgia mouvemente l’interconnexion du théâtre, du cinéma et de l’internet. Il ouvre des possibles pour mettre en scène nos connexions entre virtualité et réalité.

Il nous offre un art théâtral pour éclairer le Nouveau Monde.

Pascal Bély – « Le Tadorne ».
« Life : reset / chronique d’une ville épuisée » de Christophe Murgia au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles du 10 au 14 mai 2011. Puis à la Manufacture pendant le Festival d’Avignon 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE!

Au Festival Off d’Avignon, l’adolescence chagrine.

Belle tentative que d’essayer de mettre le doigt là où ça fait mal à l’adolescence. “Le chagrin des ogres”  de Fabrice Murgia s’appuie fortement (trop?) sur la technologie pour tenter de nous faire entendre (de nous rappeler) le bruit et la fureur de cet âge “cruel”.

Autopsie d’un passage où l’on doit lâcher hier pour aller vers un ailleurs dont on ne perçoit, à ce moment,  que le tonitruant bruit d’un renoncement de soi. L’enfance est là abîmée, ensanglantée, à l’image de cette poupée humaine qui arpente la scène et enjoint, câline ou vociférante, de ne pas céder. Le monde adolescent nous est montré comme enfermé dans la prison des espaces numériques, la relation à l’autre s’établissant via la caméra et internet à coup de « mensonges » scénarisés ou d’obsessions « infantiles ».

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Peut-être est-on avec «le chagrin des ogres» trop dans la métaphore archétypée,  tant dans les tableaux pathologiques des personnages que dans les rappels d’un réel de faits divers. Il me semble regrettable d’avoir raccroché ces portraits à des faits d’actualités trop marqués par les couvertures médiatiques dont ils ont fait l’objet. Le tableau me paraît trop tranché et pourrait renforcer l’idée que c’est par le « scoop » que l’on peut faire entendre sa souffrance. Cela bien sûr étant, je le crois, à l’encontre de ce que souhaite la troupe.
Ce travail pourrait être un excellent outil de prévention et permettrait d’ouvrir le dialogue avec ceux qui traversent ce bouleversement. En ce qui me concerne je n’ai pas retrouvé trace de mon histoire, je sais…, elle date du temps d’avant internet. Mais, en cela, cette proposition peut revendiquer une parole de son époque.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à une autre pièce vue l’an dernier au Off : « Chatroom » qui traitait une problématique similaire, mais avec une mise en scène moins « spectaculaire » et un propos à mon sens plus fouillé.
Cette proposition me laisse donc sceptique, je ne peux m’inscrire dans un regard net, c’est peut-être là l’un des objectifs de ce chagrin que de donner à questionner ce que l’on voit et de ne pas trancher. Puissent, dans ce cas, les larmes des ogres ouvrir des espaces où percevoir et entendre que l’enfance n’a pas besoin d’être jetée comme un vieux « doudou » pour se lancer dans le monde des « grands».

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Le chagrin des ogres” de Fabrice Murgia à la Manufacture (Avignon) jusqu’au 27 juillet 2010.

Crédit photo: Cici Olsson.