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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Festival d’Automne de Paris: Pourquoi “Partita 2” peut-être une pièce-clé et comment a-t-elle créé le dissensus?

Du 26 novembre au 2 décembre 2013, les chorégraphes Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz présenteront «Partita 2» au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne. Nous sommes nombreux parmi les Tadornes à l’avoir vu au Palais des Papes lors du dernier Festival d’Avignon. Je me souviens encore de nos colères à la sortie d’un spectacle que nous n’avons pas accepté tant l’art de l’entre-soi considère le public comme une variable d’ajustement. Une véritable fracture était apparue entre les professionnels de «la culture» et les spectateurs : d’un côté, une critique d’érudits; de l’autre un public qui n’aurait pas compris. Cela faisait longtemps que l’on ne m’avait pas classé dans les ignorants. Soit.

Nous publions le regard de Sylvain Pack à qui je reconnais un beau travail de recherche, mais qui ne parvient pas à relier ma sensibilité à ce travail chorégraphique trop en hauteur…de vue?

Pascal Bély- Tadorne.

Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz n’auront pas besoin de mon regard pour défendre la pièce qu’ils ont interprétée en clôture du dernier Festival d’Avignon, mais je souhaite expliquer pourquoi je me dissocie autant de la critique entendue depuis qu’ils l’ont présenté dans la cour d’honneur. Prétentieuse, fainéante, élitiste, mesquine, plusieurs adjectifs qui résumeraient les reproches lus et formulés contre l’expérience proposée.

La structure en 3 actes : le temps de l’écoute, le temps de la danse, le temps de la rencontre entre son et mouvement semble pourtant être le meilleur choix pour offrir aux spectateurs les points de vue cardinaux sur l’objet d’une recherche scénique. Recherche de deux chorégraphes liés par l’écriture de la danse, la musicalité dans la danse et les avant-gardes en danse contemporaine. Ces deux artistes ont rencontré, collaboré et étudié les ruptures décisives (Lucinda Childs, Odile Duboc, Yvonne Rainer Deborah Hay, Simone Forti, ou plus récemment Julyen Hamilton, Mark Tompkins, David Zambrano…) Faisant un écho tardif aux arts plastiques, ces positionnements d’artistes ont permis à la danse de se dégager de la notion de représentation en se concentrant sur le quotidien du mouvement humain, en permettant aux danseurs d’utiliser les découvertes kinesthésiques, les relations somatiques aux gestes, un rapport plus naturel au sol et aux éléments, imposant de fait un nouveau lien au public. Mais celui-ci n’a pas encore eu accès à tout ce travail de fourmis, soit parce qu’il n’a pas été suffisamment présenté et expliqué sur les scènes nationales, soit parce qu’il est resté là, comme un malentendu technique, à l’abri, dans les studios de répétitions… me reviennent en mémoire des pièces de Merce Cunningham présentées il y a quelques années à l’Opéra de Paris, huées pendant la représentation ! Je crois qu’il est bon d’admettre que le public est sérieusement en retard et ce serait signe d’humilité de le reconnaître, ce qui n’est pas trop dans le caractère français. Avec Partita 2, nous avons donc eu la chance d’assister à une étude de premier choix. L’écoute d’un son intimiste et rigoureux, une chorégraphie intérieure et sans effet et enfin comment ces deux partitions peuvent s’influencer. L’art de la danse quitte ses apprêts et Anne Teresa de Keersmaker nous invite à la table avec un associé plus jeune, gourmand de contact, de buto, de danse urbaine. Ensemble, sciemment, ils ne choisissent pas la voie de la facilité : peu de portée, aucune acrobatie, pas de dramaturgie ni de décor, une partition lumière, à minima, accompagnant les 3 actes de la pièce.


Nous assistons à l’écriture de la rencontre en train de se faire. On rejoint de nouveau l’art contemporain et son goût du processus rendu visible. Deux chorégraphes et Amandine Beyer, violoniste à l’écoute, en attention, ramène cet espace « sacralisé » par son lien à l’art vivant, à l’atelier brut de l’artiste au travail, comme celui de Bruce Nauman, se filmant, traçant un carré au sol et marchant patiemment sur la ligne, jouant une note de violon jusqu’à épuisement. Ils montrent leur faille, dévoilant les imperfections spectaculaires du plaisir brut lorsqu’il est exposé, et de gestes plus internes, se risquant sur des questions inconfortables de danse : verticalité, marche, arrêt. Je pense qu’il est bon alors d’insister sur la cohérence de l’écriture : l’hésitation, la pauvreté, la nuance, la douleur, l’amour du mouvement dansé sont des motifs émotionnels qui ont dû, à plusieurs reprises, et en écho à Bach, être pensés. De ce temps nettoyé du savoir et de la technique, affleurent les raisons profondes et la vibration qu’il s’en dégage, l’enfance de l’art, le jeu absurde et répétitif qui permet de nous séparer de tout tuteur, mais qui lui demande cependant d’être le témoin de ses bêtises. Devenu complice, doit-on alors leur imposer les limites de notre raison et les codes esthétiques que nous avons retenus ? Ne peut-on pas accepter de nous mettre au niveau « souterrain » du jeu qu’ils nous proposent, réduisant nos ambitions de fantasmeurs professionnels, se tenant simplement assis dans cet immense espace rendu à sa taille humaine, en laissant passer le temps puis en réalisant enfin que nous avons en face de nous 2 chorégraphes qui ont une pleine maîtrise de leur langage (leur répertoire le prouve amplement), et nous livrent en secret cailloux et joyaux mélangés  ?

Cette proposition peut faire objet de défi à qui veut l’entendre et confirme le chemin que j’imagine dans la nouvelle voie engagée par Anne Teresa de Keersmaker depuis «En attendant» et «Cesena». Sa danse s’est subtilement détachée de l’illustration et de la narration musicale, comme si elle reprenait très lentement pour elle-même le changement de paradigme artistique du siècle dernier, confirmant cette transition en collaborant directement avec Boris Charmatz, qui a déjà assimilé ces modifications, né à la danse dans ce contexte et recevant une reconnaissance immédiate de ses pairs par la saisie convergente d’expressions physiques processuels.

Sylvain Pack.

«Partita 2» d’Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz  au Festival d’Avignon du 23 au 26 juillet 2013 puis au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne du 26 novembre au 2 décembre 2013.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

La danse peut-elle faire la conversation?

À l’attention des spectateurs parisiens.

Je publie à nouveau la critique du spectacle de Xavier Leroy « Low Pieces » vue au Festival d’Avignon en 2011 et actuellement programmée au Festival d’Automne de Paris. D’après les retours que j’en ai, il semblerait que le dialogue entre danseurs et spectateurs ne se soit pas bien déroulé. Preuve il en est que cette ?uvre est sensible au contexte dans lequel elle se joue. A moins que vous ne formuliez d’autres hypothèses en commentaire de cet article.

«La danse, je n’y comprends rien».  C’est une condamnation. De soi.

Que répondre ?

«La danse se ressent». C’est une injonction. Vers vous.

Que proposer pour fluidifier l’échange entre un art considéré comme abstrait et des spectateurs en quête de mouvement?

Il y a le festival «Questions de Danse» à Marseille où le chorégraphe Michel Kelemenis crée un dialogue subtil  et respectueux entre artistes et public.

Il y a des tribunes critiques lors du Festival Montpellier Danse où des journalistes engagés  analysent la programmation face à une assemblée silencieuse et très attentive.

Il y a le Musée de la Danse à Rennes où Boris Charmatz invente un lieu original pour un dialogue ouvert.

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Et puis au Festival d’Avignon, il y a Xavier Le Roy dans «Low Pieces» qui inclut dans sa dramaturgie le lien entre spectateurs et danseurs. Si bien qu’à la sortie, le public adopte la posture calme et déterminée du philosophe marcheur. Les échanges s’éloignent des anathèmes pour interroger ce qui vient de se jouer.  

C’est ainsi que la danse se mêle de ce qui ne la regarde pas : questionner l’espace théâtral, remettre en cause la linéarité de la représentation (attente dans la lumière, spectacle dans le noir, applaudissements). Mais ce soir, tout est différent.

«Dansez !», nous ordonnons. «Conversons !» répondent-ils !

L’intention de Xavier Le Roy n’est pas de débattre sur la danse, mais de l’inscrire dans un dispositif qui nous permette de dialoguer avec elle. Un cadre où, tout en nous interrogeant sur la communication, nous créons l’interaction avec les danseurs. Une relation pour un contenu complexe, loin des simplifications dont fait l’objet la danse quand nous la confondons avec une mécanique des mouvements?

C’est ainsi que Xavier Le Roy et ses dix danseurs proposent un espace contraignant d’où surgit, tel un geste, notre créativité.  Ensemble, nous jouons  sur  différentes temporalités : le premier temps de la surprise et du créatif; le deuxième celui où nous contemplons cinq tableaux chorégraphiques d’une précision exceptionnelle; le troisième celui du flou et de l’incertitude. Ainsi, en différenciant les temps, nous appréhendons la profondeur des mouvements. Ils nous permettent d’accueillir la danse par un dialogue permanent avec notre système de représentation. À la nudité des danseurs dans la deuxième partie, répond ma nudité dans la troisième. À leur prise de risque dans la première, réplique mon écoute dans la deuxième.

 C’est ainsi que leurs cinq tableaux forment une oeuvre d’une étrange musicalité : le mouvement se niche dans la dynamique d’un groupe statufié; la danse prend forme dans les déplacements aléatoires et calculés d’un collectif métamorphosé en troupeau de lions; le sens émerge d’une partie de jambes en l’air d’où surgit subitement un champ de blé soumis au vent; le souffle vital se fait mouvement alors qu’ils ne bougent plus. Pour entendre le tout, il y a une séquence de cris de mouettes dans le noir, où les sons forment un ballet enivrant dans lequel je suis emporté.

Ce soir, Xavier Le Roy, ose désacraliser son art en nous légitimant comme être dansant. En mobilisant notre sensibilité pour communiquer, il nous permet d’entrer dans la danse à partir de notre corps de spectateur.  Cet acte artistique innovant est dans la lignée du théâtre de Jean Vilar.

Et c’est de la danse?

Pascal Bély, Le Tadorne

« Low Pieces » de Xavier Le Roy au Festival d’Avignon du 19 au 25 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, «Rien ne laissait présager» un tel final.

C’est toujours troublant une dernière journée au Festival d’Avignon, où l’esprit flotte, le corps chancelle…

Elle débute par la conférence de presse de bilan de la 65ème édition. Elle permet de repérer le niveau de «jeu» entre la direction du festival (Hortense Archambault et Vincent Baudriller), le public et l’artiste associé (Boris Charmatz). Celui-ci se montre bien peu prolixe sur son bilan, donnant l’étrange sensation qu’il avait eu ce qu’il voulait. De son côté, la Direction préfère rapidement laisser la parole au public comme s’il y avait urgence à entendre ” la vox populi“. Des questions sur les conditions matérielles d’accueil ont dominé les échanges («il faudrait apporter le même soin aux gradins que celui prodigué à la scène»). Des clivages apparaissent encore entre Avignonnais (accusés d’avoir un accès privilégié à la billetterie) et le reste de la population, entre le Off et le In. Finalement peu de retour sur les propositions, mais un hommage appuyé à la Maison Jean Vilar (lieu qui rassemble), le Cinéma Utopia et le Théâtre ouvert. La diversité des esthétiques artistique semble ne plus questionner et je finis par m’ennuyer lors cet exercice trop convenu.

 

Pour clore le festival…

Direction la salle Franchet où Tino Sehgal propose depuis le 8 juillet de 12h à 18h, «This situation», une performance totalement jubilatoire. Pensant entrer dans une salle d’exposition, je suis d’emblé sidéré : le public est assis par terre contre les murs et assiste un brin interloqué à un «théâtre des idées» où six personnes debout ou couchés philosophent tout en chorégraphiant la dynamique de leur pensée! Tel un jeu, un «acteur» lance le dé (« quelqu’un a dit?») et le groupe poursuit la partie. Mais tout s’arrête dès qu’un spectateur entre dans la salle?Ainsi, le public régule le débat, redonne de l’énergie aux mouvements. Il arrive qu’il participe pour ouvrir et éviter un entre soi entre chercheurs.

Pris dans cette dynamique répétitive, je me lève, m’assois, n’en perds pas un du regard. Mon corps est écoute, inclut dans un espace où la pensée est un mouvement artistique permanent dans un “ici et maintenant” ouvert où la tendresse est infinie envers celui qui ose penser la complexité du monde. Probablement l’une des performances les plus stimulantes de ma trajectoire de spectateur.

Pour clore le festival…

Je  suis donc totalement prêt pour «Fase, four movements to the music of Steve Reich». Cette pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker fut créée en 1982 et présentée au Festival d’Avignon en 1983. Presque trente ans après, ces quatre tableaux musicaux et chorégraphiques n’ont pas pris une ride. De vraies “danses libres” où le duo formé avec Tale Dolven explore avec brio la musique répétitive de Steve Reich. Déjà mis en mouvement par Tino Sehgal, mon regard ne perd rien. J’entre moi aussi dans cette danse avec ma virtuosité, celle d’un spectateur nourri par trois semaines de festival : «Piano Phase» me rappelle la transe de Meg Stuart dans «Violet» ; «Come out» me guide vers les mouvements vitaux d’Angelica Liddell ; «Violin Phase» m’évoque la spirale de la vie de Thierry Thieû Niang dans «du printemps» ; «Clapping music» me plonge dans des déplacements insensés, où le corps se casse, se plie, se déploie et change. A l’image d’une traversée festivalière. «Fase» est une chorégraphie pour spectateur reliant?
Pour clore le Festival?
Boris Charmatz nous donne rendez-vous à minuit trente pour une “‘bataille” avec le cornettiste Médéric Collignon. Entre duo et duel, les deux artistes s’écoutent, improvisent et nous offrent un feu d’artifice musical et corporel, le tout ponctué de références à la programmation du festival. Médéric Colligon est extraordinaire : délaissant son instrument, il s’abandonne pour créer les sons à partir de son corps, entraînant dans cette symphonie déjantée un Boris Charmatz pris dans cette tourmente créative. Peu à peu, l’improvisation fait émerger une forme totalement inédite: c’est par la danse que le corps est musique ; c’est avec leurs langues et leurs doigts dans la bouche que la performance atteint des sommets de drôlerie et de virtuosité.
Puis, le final est miraculleux: j’ai commencé le festival le 6 juillet à 15h, avec « Petit projet de la matière» d’Odile Duboc dansé par des élèves du quartier Monclar. Je le clôture à 1h30 du matin le 25 juillet avec une danse d’Odile Duboc par Boris Charmatz sur une partition musicale corporelle de Médéric Collignon. La traversée s’arrête là : «Rien ne laissait présager?» this situation.
En Fase 
Pascal BélyLe Tadorne. 
« Fase » d’Anne Teresa de Keersmaeker du 24 au 26 juillet 2011. 
« This situation » de Tino Sehgal du 8 au 24 juillet 2011.
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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Cet «Avignon» auquel je ne comprends rien.

Cette année, le festival d’Avignon véhicule un théâtre de concepts portés par un collectif d’artistes réunis autour de l’artiste associé Boris Charmatz, directeur du Musée de la Danse à Rennes. Il s’en dégage la désagréable impression d’un entre soi qui isole l’art des idées, pose les concepts comme une fin en soi au détriment d’un propos qui créerait les conditions d’un dialogue vivant.

La «session poster» du 14 juillet fut révélatrice de ce constat. Organisée comme une exposition itinérante, le spectateur circule dans différents espaces, occupés soit par un danseur, un chorégraphe, un chercheur…Le « clan » de Boris Charmatz est là. J’observe, mais je peine à relier. Entre la partition chorégraphique sur le rire d’Antonia Baehr et la performance de François Chaignaud (qui demande aux spectateurs de l’attacher avec des ficelles tel un Christ sur la croix), je zappe… Je ne prends pas le temps de contempler la danse de Daniel Linehan trop occupé à scruter la métamorphose de Latifa Laâbissi. Épuisant.

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Le même soir, François Chaignaud (toujours lui, omniprésent dans les festivals, voir l’analyse que j’en faisais lors des Antipodes de Brest en 2010) présente avec Cecilia Bengolea, Marlène Monteiro Freitas et Trajal Harrell, «(M)imosa». Un entre soi autour d’une question : «que ce serait-il passé en 1963, à New York, si une figure de la scène voguing d’Harlem était descendue jusqu’à Downtown pour danser aux côtés des pionniers de la danse post-moderne ?». Bonne question sauf que je ne perçois pas l’ébauche d’une réponse. Les numéros se succèdent rappelant les travestis des années 80 dans les boîtes gay. Seule Cécilia Bengolea est sidérante alors qu’elle arpente le plateau, masqué de la tête aux pieds sous un bas qui laisse apparaître un godemiché et une mâchoire. Troublant, car symbolique des années sida. Mais il manque à l’ensemble une construction dramaturgique qui dépasserait leurs égos démesurés.

Celle d’Olivia Grandville dans «Le cabaret discrépant» est plus harmonieuse. Elle mobilise des noms proches de Boris Charmatz : Sylvain Prunenec, Vincent Dupont, Pascal Quéneau, Catherine Legrand et l’acteur Manuel Valade. Ils sont réunis autour d’Isidore Isou, créateur du lettrisme («mouvement qui renonce à l’usage des mots, s’attache au départ, à la poétique des sons, des onomatopées, à la musique des lettres»). Olivia Grandville tente de revisiter cet art en l’articulant aux oeuvres radicales qui jalonnent l’histoire de la danse. Entre exposition itinérante dans le hall du théâtre (une session poster plutôt réussie car cohérente) et un cours déjanté sur scène, chacun y trouva son bonheur. Sauf qu’à trop vouloir faire le spectacle divertissant, Olivia Grandville empêche toute lecture sur le sens de ce mouvement. Ici aussi, ce qui est montré semble avoir plus d’importance que le pour quoi s’est montré…

« Levée des conflits » de Boris Charmatz a été présentée au Festival «Mettre en scène» en novembre 2010. Bernard Gaurier avait apprécié cette proposition sur ce blog. Mais au Festival d’Avignon, cette oeuvre chorégraphique jouée sur l’herbe du Stade de Bagatelle (pour un Woodstock de la danse…sic), a perdu son sens. Nous retrouvons Olivia Grandville (bien peu inspirée), Catherine Legrand ainsi que  Boris Charmatz lui-même qui décrit « Levée des Conflits” comme un ensemble où «chaque danseur est pris dans un mouvement perméable à la fois au danseur qui le précède et à celui qui le suit, pour fabriquer une chorégraphie dont toutes les parties sont vues simultanément…c’est une sculpture. La pièce est donc essentiellement méditative». Soit. Sauf que l’énergie déployée par les danseurs n’est jamais arrivée jusqu’à moi, car enfermée dans un concept finalement trop «lisible» dans ses intentions. Je me sens ignorant face  à une telle virtuosité. Alors que je m’interroge sur la page Facebook du Tadorne, un lecteur me renvoi vers les cours de Roland Barthes pour décrypter le propos de Boris Charmatz, preuve en est que l’articulation entre la recherche et l’art ne fonctionne pas.

François Verret dans «Courts-circuits» propose un dispositif qui se suffit à lui-même (écrans vidéos, homme orchestre et chanteuse au centre, deux espaces scéniques, des danseurs et des circassiens). Le chaos est savamment orchestré pour narrer la catastrophe. François Verret dévoile ses références dans la note d’intention pour les accumuler dans une «session poster» d’images, de cris et de chansons. Je n’ai strictement rien compris si ce n’est que François Verret ne parvient pas à donner une force poétique à son propos en dehors de la dénonciation tant entendue ailleurs.

J’aimerai que l’on ne me rétorque pas que je manque de ces connaissances tant étalées. Les concepts et les penseurs dont il est question alimentent ma curiosité, mais la proposition n’arrive pas à ouvrir le sens à partir de ma sensibilité, me rendant incapable d’inviter ces artistes à nourrir le projet de ce blog.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Boris Charmatz a dit à l’Enfant d’aller jouer dans la Cour…

Quel est le rapport entre le Grand Palais à Paris et celui des Papes en Avignon où se joue «Enfant» du chorégraphe Boris Charmatz ? A priori rien. Sinon, ce soir, une machine extravagante et mécanique qui saisit ce qu’il y a au sol.
«Main Divine» de Boltanski qui choisit les vêtements des adultes et des enfants, «Main  hasardeuse»  qui sélectionne à la Fête foraine les jouets que l’on peut gagner… «Est-ce  la Main de Dieu, est-ce la Main du Diable»…..c’est la Main-Proie qui donnera naissance à La Danse aérienne, la Main qui enfantera le Malheur et l’Enfer….la Main du Bonheur peut-être, la Main de la Victoire de la Jeunesse…la Main de l’Espoir, la Main tentacule de Boris qui balance.
Boris Charmatz a dit à «Enfant» d’aller jouer dans la Cour, mais aussi de faire un tour à la Fête Foraine. Il lui a dit de faire semblant de jouer à la Poupée, d’être le temps d’un instant une chose informe, délaissée à l’autre, de devenir le «corps inanimé avez-vous donc une âme», de s’abandonner pantin désarticulé,  de voir pendant le silence,  l’autre en noir,  pendu à l’envers.
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La musique, c’est le bruit de la machine qui résonne. La machine c’est Work in Progress…Travaux en Cour;.., une autre Pèche Miraculeuse; c’est vrai qu’à un certain moment on croit voir des poissons sans oxygène à la surface d’une eau noire et glacée.
Et puis la Fête Macabre continue avec son escalier qui mène vers les tremblements, les secousses.
Les corps inachevés s’amoncellent pour devenir un magma de jambes et de bras saccadés….
L’Enfant Multiple est déposé un a un par son père, par sa mère, par un autre géniteur, par l’intrus qui en prends soin. On a peur de la dérive.
L’Enfant dort-il à ce moment-là ou est-il ailleurs ?
L’Enfant batracien devient le jouet et on a peur.
Peur de ce que l’on va faire de lui, poupée de cire, poupée de son prédateur.
Les Mouettes arrivent, oiseaux de bon augure…
Mer, vent, chant ils sont bringuebalés, malmenés, adorés aussi.
C’est le Radeau de la Méduse, le naufrage sûrement mais pas encore. Bientôt, on ne sait pas, bientôt on espère le Sauvetage en mer…
C’est un jeu qui commence pour finir par la guerre. Qu’a-t-on fait à l’Enfant. Comment l’a-t-on regardé ?
Les Hommes ont les yeux fermés, l’Enfant des Enfants ouvre les siens.
Ils prennent le pouvoir, deviennent les Enfants Rois, la Cornemuse n’en finit pas d’hurler dans la Cour…
Je crois qu’ils vont commencer à jouer dans la Cour. 
Francis Braun-Le Tadorne.
“Enfant » de Boris Charmatz au Palais des Papes du 7 au 12 juillet 2011.
A lire le regard de Pascal Bély.
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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE Vidéos

Au Festival d’Avignon, Boris Charmatz enfante d’un chaos enthousiasmant, d’une humanité à la dérive.

C’est la première d’ «Enfant» du chorégraphe Boris Charmatz. La mythique Cour d’Honneur va une nouvelle fois faire parler d’elle. Ce soir, “quelque chose a changé, l’air semble plus léger”. Un homme s’avance vers nous et lit un texte syndical sur les conséquences de la politique culturelle d’un “mouvement libéral agressif». À peine nous a-t-il remerciés pour notre «attention généreuse», que les clameurs montent des gradins. Le public se lève peu à peu et adresse ses applaudissements contre Frédéric Mitterand, Ministre de la Culture. Son cercle reste impassible tandis que le peuple, exaspéré, manifeste. Rarement vu dans la Cour.

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Le propos se prolonge sur scène.  “Enfant” du chorégraphe Boris Charmatz est très attendu. Chacun y va de ses pronostics, de ses projections, comme un réflexe vital : la présence d’enfants symbolise notre désir d’utopie réparatrice. Les temps sont si durs. Précisément. Tout est noir sur le plateau. La fête foraine des trente glorieuses est terminée : une grue trône et des danseurs gisent à terre. Peu à peu elle tire des fils, comme si le théâtre ne tenait qu’à l’un d’eux malgré l’imposante architecture de la Cour. Ce que les Papes ont construit, notre société financiarisée peut le démonter. Lentement, elle traîne les danseurs qui finissent par pendre dans le vide. Le bruit est angoissant, presque inaudible au départ puis assourdissant par la suite: c’est l’humanité qu’on suspend. «Saturne dévorant un de ses fils» de Francisco Goya m’apparaît : nous sacrifions nos enfants pour maintenir une civilisation en coma dépassée depuis l’Holocauste. Les petites mécaniques poursuivent leur besogne pour rationaliser, industraliser l’humain. C’est finalement peu, au regard de la tragédie de l’extermination. À ceux qui réclament à “corps et à cris”, un propos lisible de la part de la danse contemporaine, Boris Charmatz leur répond: nos machines se chargent du mouvement. Le public de la Cour ne bouge plus. Aucune place à la polémique. Silence.

Comment évoquer ce qui va suivre sans rien dévoiler? Boris Charmatz poursuit sa démonstration : ce que nous faisons subir à nos enfants est innommable. Le théâtre n’en dit rien. La danse va assumer la charge. La scène est une oeuvre picturale grandeur nature d’un camp concentrationnaire à ciel ouvert. Le sol paraît gluant comme si nos lâchetés transpiraient. Nos enfants sont des marchandises que nous monnayons. Nos précarités sociales, économiques et psychologiques les métamorphosent peu à peu en petits adultes inanimés. Notre énergie à les déplacer tels des corps de plastique mou est sans commune mesure : immergés dans la société consumériste, ils ne répondent plus. De la chair à canon pour préserver nos frontières ; du corps marchandisé pour publicitaires affamés.

Boris Charmatz entreprend une magnifique recomposition : les vingt-six «enfants danseurs» et les neuf «danseurs chorégraphes» s’entremêlent  jusqu’au chaos indescriptible. Comment réanimer notre conscience collective ? Comment sortir du coma ? Ce que la machine faisait trembler dans le premier tableau, la scène s’en charge dans le deuxième. L’artiste se positionne pour provoquer stupeurs et tremblements en recomposant une communauté de destins. Sauf que les adultes ne  se laissent pas ainsi guider. Leur créativité est au plus bas. Ils répètent les mêmes gestes, totalement conditionnés par les sirènes sécuritaires , par une pensée du mouvement qui tourne en rond. Savent-ils que l’humanité a une conscience ? Boris Charmatz entreprend alors de chorégraphier les enfants dans leurs liens avec les adultes. Est-il le fils de Maguy Marin qui déclarait à propos de «Salves», sa dernière création : «au lieu de baisser les bras, d’être dans l’impuissance d’acte collectif, de liens entre les gens, organisons le pessimisme et tout d’un coup, quelque chose d’humoristique peut se révéler”?  Ensemble, ils créent la fête foraine pour que nos utopies reprennent  le chemin du mouvement, avec distance et drôlerie, pour une chorégraphie chaotique, désespérante, créative, profondément festive. La scène se fait chair pour accueillir le défilé d’une humanité qui prend sa destinée en main.

Il nous faut positionner  l’enfant et son adulte au centre de tout. Et qui sait,  nous pourrons peut-être, j’écris bien peut-être, changer?pour une civilisation pendue aux lèvres de ce qui reste de l’humanité.

Avec tous nos applaudissements, Monsieur Boris Charmatz.

Pascal Bély- Le Tadorne.

"Enfant » de Boris Charmatz au Palais des Papes du 7 au 12 juillet 2011.

 

 

 

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FESTIVAL D'AVIGNON

Pour une levée des conflits au Festival d’Avignon.

Avant de prendre la parole face au public venu nombreux, le chorégraphe Boris Charmatz se tortille. Se prépare-t-il pour danser et se jeter dans la fosse aux lions? Probablement. Artiste associé de la 65e édition du Festival d’Avignon, il sait que le rôle l’expose jusqu’à nous confier plus tard que tout commence pour lui avec cette première rencontre. L’homme a de la ressource pour créer un climat de confiance, d’autant plus qu’Avignon n’est pas un festival de danse. Le public fait preuve ce soir d’une belle curiosité, démontrant une fois de plus qu’Avignon est un festival de création et de langages.

Boris Charmatz commence donc par poser un contexte historique. Le sien. Enfant, il passait ses vacances à Berlin, là où la création artistique était déjà le fruit de croisements et d’enchevêtrements. D’Avignon, il se souvient d’un spectacle en 1989 où Maguy Marin avec  «Eh qu’est-ce-que ça m’fait à moi !?” se faisait conspuer. À partir de ces deux anecdotes, le message est explicite : vive la controverse, la diversité, et les nouveaux langages ! À une approche descendante du lien à l’art, Charmatz préfère les chemins de traverse : « Je suis resté un spectateur, car je ne pense pas les choses en terme d’échelon». A ceux qui attendraient de lui une vision bien précise de son rôle d’artiste associé, il répond modestement «qu’il est là aussi pour apprendre». S’ensuivent alors quelques extraits filmés de ses créations (aucune ne fait partie à proprement parler du «patrimoine» populaire de la danse). Nous découvrons, distanciés.  Puis vient un joli moment d’émotions avec «une lente introduction» (2007), sculpture vivante de chairs et de mouvements. Manifestement, Boris Charmatz danse en inversant les prémices, dans des espaces particuliers pour un «spectacle mental».

«Et pour cet été?», s’impatientent (en silence) quelques spectateurs!

Il fait un détour par le «Musée de la danse» qu’il dirige depuis deux ans à Rennes. C’est un Centre Chorégraphique National, pensé comme un musée en mouvement, ouvert dans le temps. Je le relie à Marseille, où Michel Kelemenis prépare l’ouverture de «KLAP Maison pour la danse», espace à disposition des complémentarités avec les acteurs culturels, pour ouvrir la ville aux chorégraphes.  Il y a chez ces deux artistes une vision moins descendante du positionnement institutionnel, plus rhizomique, plus créative.

Mais ce soir, le public souhaite savoir. Que veut Boris Charmatz pour Avignon ?

De l’ouverture, toujours de l’ouverture. A-t-il l’intuition que les Français sont à la peine pour penser les articulations créatives? «C’est le moment de s’ouvrir», précise-t-il, «il faut la perméabilité des corps, de la porosité, de ne plus être dans le regard qui juge». Tout un programme, qu’il va décliner à la Cour d’Honneur, avec dix adultes et trente enfants. Car «l’urgence, c’est la question de l’enfant. Nous faisons pression sur lui ; nos enfants portent nos angoisses et nos problématiques d’adulte. C’est donc politique». Mais à côté de la Cour, il désire nous faire vivre un moment particulier avec son dernier spectacle, « la levée des conflits», qu’il voudrait bien jouer dans un grand pré (et y retrouver l’esprit de Woodstock!).  L’intention est palpable : Boris Charmatz pose la question de la place du collectif au festival d’Avignon (tant du côté des artistes que des spectateurs). Il compte donc investir l’École d’Art pour «soutenir le geste collectif» (à partir de créations au croisement de l’exposition, de la conférence et de la performance), car «l’expérimentation est la chose la plus solide que l’on ait». «J’ai envie que le festival résonne collectivement, qu’il soit un espace de perméabilité» finit-il par préciser.

«Oui, mais qu’avez-vous à dire au peuple tunisien ?»

Boris Charmatz reste sans voix.

«Quel message voulez-vous faire passer pendant le Festival ?»

Boris Charmatz pense avoir été explicite.

«Pourriez-vous nous faire une improvisation ?»

C’est alors qu’il invite le spectateur à monter sur scène. Deux minutes pour créer le lien, l’alchimie, le souffle. Suspendu, le moment est unique, car généreux.

Mais Boris Charmatz sait probablement que le public du Festival est prêt pour des ouvertures à condition qu’elles ne soient pas seulement des expérimentations esthétiques. Pressent-il que l’édition 2011 devra faire du bruit et non du tapage? On est un certain nombre ce soir à vouloir l’accompagner, car «la nouvelle voie», si chère à Edgar Morin, s’improvisera collectivement.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Compte-rendu de la rencontre publique organisée par le Festival d’Avignon le 20 janvier 2011

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Avant le Festival d’Avignon, Boris Charmatz prépare sa (ré)création.

Le danseur chorégraphe Boris Charmatz avait rêvé d’un spectacle qui n’en serait pas un, qui serait une sculpture, une pièce méditative. Pas d’heure de commencement à laquelle impérativement gagner son fauteuil, plutôt un «monstre», disponible au regard pendant une durée donnée. Une compagnie éphémère de 30 danseurs pour une forme inédite de «chorégraphie immobile». Le tout sous l’égide de Roland Barthes pour qui le neutre est vu comme le «désir de la levée des conflits».

Mais…, Jacques à dit : un…, deux…, trois…,  vingt quatre…, soleil…

C’est comme un grand jeu d’enfant pour nous dire seul et ensemble.
Comme un coloriage en 24 corps pour nous offrir un dessin vivant.
Comme un happening de créativités individuelles pour former un corps social.
Comme un idéal participatif où l’un plus les autres, en co-apprenant, constituent un tout et où, si l’un manque, le sens s’appauvrit.
Comme une utopie d’amour enfantine qui fait que l’on est prêt à aller jusqu’à l’épuisement pour être de la partie improvisée sur la cour…
Comme un « rêve » que l’on « oublie » en devenant « grand »…
Comme un peut être compatible avec deux et plus, sans combat, dans le projet d’une réalisation qui tient du désir à vouloir créer, co-créer, un espace collectif qui ne prend pleinement sens que dans l’addition.

Boris Charmatz et ses compagnons de jeu nous offrent, en ces temps de colère, une vision ouverte où se projeter dans un être ensemble créatif. On aimerait alors monter sur la scène pour participer au tableau hypnotique et caresser la confirmation que l’on est moins sans l’autre, et inversement.
S’il a créé, comme il le dit, un « trou de danse », ce serait pour y glisser nos imaginaires « utopistes » ; mais aussi pour y laisser entrer, par les courtes phrases que chacun amène, les univers de multiples chorégraphes habitant l’histoire individuelle des corps en mouvement. En ce sens, c’est autant  au Roland Barthes de «Fragments du discours amoureux» qu’à celui de «Le neutre» ou «Comment vivre ensemble» que le propos me renvoie .
Cette danse mouvante et fluide, ce kaléidoscope de grains de sable humains qui se resserrent et se déploient, se frottent ou s’éloignent, ouvrent en grand les fenêtres. Les grammaires qui composent nos liens à l’autre ( à côté, avec, contre, sans, qui), trouvent là un espace où se déployer.
Boris Charmatz n’a pas pu créer l’objet dont il avait rêvé, les danseurs, épuisés, ne pouvaient pas tenir les 4 heures imaginées et les contraintes à lever quant à la place du public n’ont pu être résolues. Qu’importe, il a réussi à écrire le beau songe d’une danse « méduse » partagée, il a ouvert un espace empli d’une vitalité salutaire.
Là où le sculpteur enlève de la matière pour faire apparaître l’oeuvre, il a, lui, ajouté de l’être pour faire advenir une belle création.
Bernard Gaurier – www.festivalier.net
« Levée des conflits » de Boris Charmatz au festival mettre en scène à Rennes du 4 au 6 novembre – Au théâtre de la ville à Paris du 26 au 28 novembre – A Bonlieu/scène nationale d’Annecy les 23 et 24 février 2011.
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Au festival d’Avignon, les forces motrices de Jeanne Balibar et Boris Charmatz..

 

 

Bouleversé. Transpercé. Bousculé. Avec la danseuse malade“,  Jeanne Balibar et Boris Charmatz démontrent ce que l’on omet trop souvent: la danse est un art difficile, engageant, qui déforme, tord, essore, décolle, plie. Distancié de deux rangs seulement, je suis ébloui au sens propre, comme au figuré : rarement la danse ne m’a été évoqué de cette façon, avec autant de sincérité, de fragilité, d’humilité. Sans faire scandale, «la danseuse malade» fait rupture dans le consensus mou actuel qui entoure certains spectacles chorégraphiques, où le “public consommateur” se questionne peu sur le processus oubliant que cet art se régénère à partir de sa transdisciplinarité.
Tout commence par une explosion sur la tête. Le corps disparaît presque dans la fumée.
Ça tousse dans la salle.
Déjà.
Un camion blanc avance, téléguidé du plafond par un cordon ombilical. Boris Charmatz et Jeanne Balibard sont au sol, qu’ils décollent comme un plasma ; ils fusionnent puis se séparent. Je ressens une naissance, celle d’une nouvelle représentation du butô, l’une des danses les plus caricaturées qu’il soit. J’y suis. Ils ne me lâcheront jamais : du plasma à mes tripes. Les corps explosent, se liquéfient ; se fluidifient. C’est beau. Impressionnant. Elle se dégage, monte dans le camion. Elle a pris froid ; tout ceci finit par la fragiliser ; elle est enrhumée. Parle du nez. Le corps parle toujours.Nous voilà partis pour une conférence, où les mots de Tatsumi Hijikata « co-père » du buto, loin du bavardage, traversent le corps de Jeanne, prêt à se briser contre la vitre. Le camion véhicule le corps, mais peut à tout moment l’écraser, nous foncer dessus. Je le suis des yeux alors qu’il arpente la scène, avance, recule, tourne sur lui-même. Il nous éblouit et se fait danse. Les mots buttent, déchirent et le corps se cogne, à se prendre la tête.
Le butô vient du dedans, comprenez-vous ? C’est la danse des mots qui se heurtent au corps. Voyez-vous?
Ce spectacle me ronge de l’intérieur : il me révèle des émotions nouvelles.
Mes mots butent.
Ces deux-là m’ont trimbalé dans le chaos.
Boris Charmatz a fait danser le théâtre.

Pascal Bély
www.festivalier.net


“La Danseuse malade”, de et par Jeanne Balibar et Boris Charmatz, a été vu au Théâtre de la Ville du 12 au 15 novembre 2008. Actuellement, au Festival d’Avignon du 21 au 24 juillet 2010.

La blogosphére est inspirée: à lire deux regards sur “Un soir ou un autre” et sur “Images de danse