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Mai 2005-Mai 2010, « www.festivalier.net » a cinq ans : Êtes-vous un «spectateur Tadorne»?

«www.festivalier.net » est l’adresse de ce blog. En mai 2005, j’envisage d’écrire exclusivement à partir de la programmation des festivals de Marseille, d’Avignon et d’Aix en Provence (« Danse à Aix »). Mon positionnement est celui d’un « spectateur festivalier », appellation peu engageante et qui s’inscrit dans un temps bien défini. « Tadorne » sera le nom du blog et rares sont ceux qui le retiennent encore aujourd’hui ! À l’époque, j’ignore que cette métaphore me guidera bien au-delà festivals…

Petit rappel.

Le Tadorne est un grand canard (clin d’oeil aux journalistes qui ont vu pendant longtemps le blogueur comme une menace), c’est-à-dire une espèce protégée. Sa particularité « c’est qu’au cours du mois de juillet, il effectue une migration de mue qui regroupe des adultes nicheurs et des non-reproducteurs. Ces regroupements réunissent sur les bancs de sable plusieurs dizaines de milliers d’individus qui, une fois la mue terminée, regagnent leurs pays d’origine. Les tadornes ont des moeurs à la fois diurnes et nocturnes et sont très sociables ». Je suis donc un Tadorne ; les théâtres sont mes bancs de sable et mes déplacements, mes mues régulières. Au coeur de cette métaphore, c’est tout un lien à la culture, et particulièrement au spectacle vivant, que je mets en mouvement.

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Cinq années plus tard, le Tadorne est une « espèce de spectateur » où le lien à la culture lui permet de décloisonner  vie privée et vie professionnelle, d’assumer un statut hybride entre homme et oiseau, spectateur engagé et blogueur à distance. Il est « et » avant d’être « ou ».


Si l’art crée du lien, le Tadorne pense que tout se relie à l’art. Il ne peut donc plus être consommateur, mais créateur des reliances entre l’oeuvre, le contexte sociétal et l’évolution des paradigmes. L’extrait d’une interview de Bernard Stiegler dans la Revue Mouvement l’y encourage «Il faut cesser d’opposer la technologie, l’industrie et la modernité à la culture… Il faut se battre pour que la culture vienne au coeur de la lutte économique…Je me bats beaucoup pour la renaissance des figures de l’amateur. Nous nous sommes habitués à avoir des publics de consommateurs : que le public consomme nos produits, et nous voilà satisfaits…Mais ce public, on a perdu toute relation avec lui, et c’est pourquoi ce n’est pas un véritable public. » (à partir de 2’31, Stiegler ne parle-t-il pas du Tadorne?)

Le Tadorne veut donc appartenir au « véritable public ». Il met en place les conditions de son émancipation pour n’entrer dans aucune « case ». Qu’importe qu’il ne comprenne pas tout, l’important c’est qu’il soit touché, qu’il puise dans son ressenti les ressources pour explorer son imaginaire. Le Tadorne s’éloigne des formes classiques de la critique à partir d’analyses inscrites dans un cheminement. Aux regards binaires sur les oeuvres, il préfère des approches engagées où le politique se lie avec la poésie, où l’individu, la communauté et le devenir de l’humanité s’enchevêtrent. Le Tadorne tente des bilans (souvent à partir des festivals), des mises en résonance, des prolongements, des traversées loin des thèmes imposés dans les programmations. Il se pose localement (Aix-Marseille) mais ressent le besoin de « migrer » sur d’autres territoires (l’art contemporain au Printemps de Septembre à Toulouse ou à Munster, les spectacles petite enfance à Reims, le cirque,…) pour créer ses chemins de traverse (jongler n’est-ce pas danser ?). C’est d’ailleurs son regard sur la danse qui lui permet d’approcher les oeuvres à partir de leur dynamique : toute mise en scène est un langage des corps. C’est par la danse qu’il questionne la communication pour se mettre en mouvement. C’est de la danse qu’il puise le désir d’entrer dans des processus participatifs avec les artistes et les institutions pour s’éloigner de posture statique du « spectateur-consommateur ».

Le Tadorne milite pour une politique culturelle globale, au croisement du social, de l’accueil de l’enfant et de sa famille, de l’économique et du développement durable pour un nouveau contrat social entre artistes, citoyen et institutions pour en finir avec les prises de pouvoir de quelques-uns au profit d’articulations créatives. Il préconise une plus grande ouverture des structures culturelles vers le spectateur et son environnement afin de substituer aux logiques « industrielles » de remplissage des salles, une approche globale de la communication. Le réseau plutôt que les cases, car le Tadorne pense que l’art peut nous aider à libérer la créativité, ressource indispensable pour affronter les défis d’un monde globalisé.

L’enjeu est de permettre au Tadorne de « nidifier » et à l’ensemble de la société d’accueillir la culture comme moteur de son développement. Cela suppose des programmations qui « énoncent » plutôt que d’enfermer notre lien à l’art dans un « prêt à penser » sous prétexte de dénoncer.

Le Tadorne est une espèce protégée.

C’est un drôle d’oiseau. 

Pascal Bély- www.festivalier.net

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG Vidéos

Mai 2005-Mai 2010, le Tadorne a cinq ans : aux origines…

Il y a mon enfance. Fils d’ouvriers, la culture ne vient pas à moi. Mais un metteur en scène me remarque (François-Henri Soulié ). Premiers pas sur les planches, premier court métrage. J’ai 12 ans. Je serais banquier comme mon grand frère pour financer le théâtre !

Il y a ma vie étudiante et le Théâtre Garonne à Toulouse. Éternelle reconnaissance pour ce lieu culturel qui m’a ouvert aux formes contemporaines de l’art. De l’option « économie privée », je bifurque vers une maîtrise « économie publique ».

Il y a un trou noir. Le sida est « passé par ici, il repassera par là ». Je tiens la main des amis qui s’en vont. Je ne vais plus au théâtre.

Il y a  le concert de Barbara à la Halle aux Grains de Toulouse en 1987. Elle chante « Sid’ amour à mort  ». Le public debout ne quittera la salle qu’à deux heures du matin. À ce moment précis, je sens que l’art est politique.

Il y a le festival « Danse à Aix » en 1997. Bernard me prend par la main pour « Paysage après la bataille » d’Angelin Preljocaj. J’ai 33 ans et c’est mon premier spectacle de danse. Le choc. Je ressens  que la danse peut-être démocratique.

Il y a la crise de l’intermittence en 2003. Ça hurle de toute part. Le public en veut pour son argent. Moi, j’erre dans les rues d’Avignon à la recherche d’un espace de parole. Au cours des saisons théâtrales qui suivirent, les spectateurs sont priés d’être solidaires et de ne pas trop bousculer le protocole : lecture d’un tract de la CGT ou du Syndeac, spectacle, applaudissements et ainsi de suite. Je bouillonne d’être aussi passif. Du haut vers le bas.


En 2004, il y a « The show must go on », du chorégraphe Jérôme Bel au Théâtre des Salins de Martigues. Confortablement installé, les projecteurs se retournent vers la salle. Les danseurs nous regardent. L’attente est interminable. Les cris fusent, les insultes aussi. La culture se mêle à l’intime…J’en sors bouleversé, avec cette question lancinante : « mais pourquoi vais-je au théâtre ? »

En 2004, il y a le théâtre du Gymnase qui organise un festival des jeunes créateurs. Je prends le bus entre Marseille et Aix en Provence avec des spectateurs. On échange. « J’aime », « je n’aime pas ». Mes arguments ne vont pas bien loin.

Il y a  le « non » au référendum en mai 2005. À Bruxelles, j’assiste dans un bar à un débat sur le traité constitutionnel. Les Français, rivés sur le rétroviseur, me mettent mal à l’aise, enfermés dans leurs cases. Je veux être acteur de l’ouverture plutôt que spectateur passif de la contestation permanente.

Il y a le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Capitale de l’hybridité, je respire. Les spectacles « pluridisciplinaires » m’ouvrent.

Il y a Peggy, journaliste, européenne enthousiaste. Elle me dit : « toi qui vas tant au spectacle, tu devrais créer ton blog ».

22 mai 2005, 14h22. www.festivalier.net  est né.

Pascal Bély – www.festivalier.net

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DANSE CULTE EN COURS DE REFORMATAGE Vidéos

Retour aux sources avec Odile Duboc.

La chorégraphe Odile Duboc n’est plus. Une de ses oeuvres, “Rien ne laisse présager de l’état de l’eau” m’avait bouleversé en 2008. Je me souviens des lumières de Françoise Michel et de l’état « liquide » dans lequel je me trouvais alors…Inoubliable…Cette danse sensible et éclaireuse va me  manquer…

Rarement la rédaction d’un article ne m’a autant impressionné. Intimidé, j’écris à partir de ma confusion, sans trop savoir où j’évolue. “Rien ne laisse présager de l’état de l’eau”, d’Odile Duboc, chorégraphie créée en 2005, est un spectacle pétri d’incertitudes car il interroge nos certitudes. Où va-t-on avec elle, avec eux? Ce titre est une musique qui trotte dans la tête, un air fragile et engagé qui, après une journée de travail épuisante, donne la force de dépasser sa fatigue pour se rendre au Pavillon Noir d’Aix en Provence.
J’y entre, je m’assois et je ne bouge plus. Je reste figé pendant une heure. À leur arrivée, ces dix danseurs sont loin ; je perçois à peine leur visage, mais leur corps s’impose. La scène rouge, légèrement pentue, est l’espace d’une course individuelle où les habits tombent puis changent telle une combinaison de couleurs d’un dessin animé. Ils stoppent. Le groupe, éclaté, fait fusionner les corps avec le sol comme une matière organique qui se mélange à la terre. Mon regard se fond avec eux. Je résiste pour comprendre la mécanique de ce fluide qui se répand. Je contrôle pour figer, pour découper. Il faut lâcher l’intellect sinon rien n’entrera.


C’est alors qu’ils s’avancent, deux par deux. L’un soutient l’autre qui finit par se liquéfier pour tomber à terre. Le mouvement se répète. Je glisse. Mon regard fuit, fixe, balaye, malaxe comme cette matière qu’Odile Duboc réinvente, telle une plasticienne. Une légèreté m’envahit. C’est magnifique comme un tableau de la renaissance; sublime quand ils cheminent hésitants, habités d’une force collective, échappés d’une scène de “May B de Maguy Marin. Progressivement, avec peu de mouvements, Odile Duboc transforme le corps en oeuvre d’art, aidée par les jeux de lumière emprunts de religiosité de Françoise Michel. Elle multiplie les petits espaces où les couples sont statues, où le groupe se sculpte pour se mettre en dynamique. L’immobilité devient alors un fluide corporel qui se propage au collectif. Magnifique. C’est ainsi que je change de territoire, où la scène est le liquide amniotique de mon imaginaire, où les hommes dansent comme des centaures, où l’animalité et l’humanité fusionnent et finissent par fluidifier mon regard alors que je voulais conceptualiser. Avec cette oeuvre, les affects sont à distance et me permet d’interroger mon rapport au corps.
Le talent d’Odile Duboc est de nous plonger dans les valeurs collectives du groupe comme espace du corps signifiant. Il n’y a rien de révolutionnaire dans le propos, mais cette interpellation est une cure de jouvence. Au cas où nous aurions oublié que le corps n’est pas une marchandise.
Même si cela coule de source.

Pascal Bély
www.festivalier.net

“Rien ne laisse présager de l’état de l’eau” d’Odile Duboc a été joué le 28 février 2008 au Pavillon Noir d’Aix en Provence.

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LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE Vidéos

Le beau dé(ball)age.

Ils sont trois hommes ou quatre, ça dépend des moments. Habillés de noir, couleur du mystère. Ils jonglent avec des balles blanches et font valser des notes de musique imaginaires qui finissent par vous trotter dans la tête. À moins qu’ils ne dansent, car tout glisse sur eux jusqu’à produire l’illusion du mouvement. De toute manière, je n’ai aucune référence à laquelle m’accrocher, si ce n’est le cérémonial d’un concert de piano auquel semble attachée la pianiste, qui lit la partition de ce trio sensible, parfois maladroit, au bord de l’abyme.

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Car « Pan Pot ou modérément chantant » du Collectif Petit Travers est une symphonie pastorale du déséquilibre qui finit par me soulever le coeur et me suspendre. Mais où suis-je pour jouir à ce point face à une telle virtuosité ? D’où me vient cette étrange impression d’être au coeur de la créativité, chaotique et poétique, où le musicien élabore sa partition, où le chorégraphe guide le danseur, où le cinéaste dialogue avec son personnage, où le plasticien touche sa matière ? Avec ces trois-là et leur mannequin en doublure (le tiers régulateur ? L’illusionniste ? Le fantôme ? La mort?), je poétise à partir d’un espace entre la scène et la salle où je projette mes flashs : une danse de Merce Cunningham, une scène de cinéma d’Agnès Varda, un tableau de Robert Delaunay. Il y a cette lumière qui délimite les territoires où chacun peut s’échapper seul, furtivement, pour revenir autrement dans le trio. Telles des virgules, ces échappées solitaires permettent la respiration au coeur d’un langage métaphorique si foisonnant. Elles nous renvoient à la solitude du créateur, à notre part d’humanité, à notre disparition.

Ces trois hommes nous font l’éloge de l’inattendu tant leur virtuosité nous surprend à chaque mouvement comme s’ils jonglaient avec le liquide. Leur danse donne naissance, elle est une explosion jubilatoire qui finit inéluctablement vers « la petite mort ».

Celle de mon lâcher-prise.

De ma renaissance.

De nos fragilités qui, à la sortie du spectacle, forment le choeur des spectateurs enchantés.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Pan Pot ou modérément chantant » du Collectif Petit Travers (Julien Clément, Denis Fargeton, Nicolas Mathis, Aline Piboule) a été joué les 1 et 2 avril 2010 à l’Hexagone, Scène Nationale de Meylan (38)

crédit photo : Philippe Cibille.

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THEATRE MODERNE Vidéos

La “nouvelle vague” new-yorkaise.

Le collectif Big Dance Theater fondé à New-York à profité d’une résidence à Lyon pour concevoir le projet fou d’une adaptation du magnifique «Cléo de 5 à 7», film culte d’Agnès Varda. Grand bien leur a pris d’oser ! Leur proposition est superbe, inventive, lumineuse et rend un bel hommage à la nouvelle vague.

La créativité d’Annie-B Parson, de Paul Lazar et du vidéaste Jeff Larson, mêle avec bonheur, théâtre, danse et vidéo et finit par nous entraîner dans un univers à « la nuit américaine ». Agnès est à la scène et on vogue en vagues, douces, jusqu’à Demy, auquel on en vient à penser inévitablement. Mélange de folies sages et de drogues toutes douces qui embrument suavement le filtre blanc des Demoiselles fumé en « loucedé » par le Monsieur Dame des Parapluies. Cherbourg, Rochefort et Paris se font plages de Bretagne en voyage de Lyon à New York et la boîte à chapeaux se fait pleine de malice. La boucle se boucle, Varda et Demy font 1 et 1 à 2 ; le 5 à 7 de Cléo se nimbe d’un aujourd’hui aux couleurs encore vives d’un hier.

Des panneaux virevoltants masquent à peine le ballet des parapluies et, de tapisseries sans âge, se font écrans de nos nuits blanches à interroger la vie, la mort et l’amour. On découvre/redécouvre la magie et la force de l’oeuvre initiale qui, à travers son simple script, à pu éveiller des images qui ne trahissent en rien celles que l’on pourrait avoir en mémoire, voir même au contraire les ravivent et les portent au présent. Le format resserré (de deux heures on passe à une) semble témoigner d’un « air du temps » où la mort et l’amour n’ont plus de langueurs à prendre, où il n’y aurait qu’au regard des arbres et au frisson des feuilles que l’on s’arrêterait pour mesurer l’essentiel de l’instant à vivre pour, un peu, le prolonger.

Cléo, ici rock star surannée, nous offre le miroir de nos vanités et nous replonge dans la nécessité de nous entendre mortels pour « savoir » vivre le présent. Que ceux qui n’ont pas vu le(s) film(s) se rassurent : la troupe ne l’a (les a) pas vu non plus ! Un hier sans images peut faire un aujourd’hui autour de ce qui nous relie. La vie, la mort et l’amour sont transgénérationnels et l’on ne cesse, Mousses, Demoiselles, Monsieur ou Madame (…Dame), d’ouvrir des parapluies de crainte que ça nous tombe dessus. « Comme Toujours, Here I Stand » nous offre la force joyeuse d’une tuile, rose et/ou bleu, qui bruisse et frissonne au vent de l’envie d’aimer.

Et… comme hier…, comme toujours… là nous restons humains dans nos fragiles…Big Danse Theatre s’habille de Varda pour nous le (re)dire…et c’est bon? !

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

« Comme Toujours, Here I Stand »par le Big Dance Theater a été joé les 5 et 6 mars 2010 aux Antipodes à Brest.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

Fol espoir.

Mais qu’est-ce qu’il nous arrive pour nous sentir aussi bien au théâtre ? Ce soir, nous sommes une petite cinquantaine de spectateurs à nous tenir groupés à « La Cité », lieu accueillant au coeur de Marseille, pour « nous ne nous étions jamais rencontrés », spectacle créé par Michel André et Florence Lloret. Tout est dans le titre : à cet instant, tout nous paraît possible, parce que le théâtre s’apprête à opérer LA rencontre.  Avec la jeunesse. Celle justement qui nous fait peur « quand on la croise dans la rue »,  titre d’une des pièces de David Bobée. Car ne sommes-nous pas plus prompt à appeler la police lorsqu’ils « errent » qu’à leur porter un regard fraternel ?

Ils sont cinq (Daouda, Belinda, Nicolas, Chloé et Marion) sélectionnés après qu’un groupe d’ « Acteurs du réel » soit allé à la rencontre de plus de cent dix jeunes Marseillais. A chacun est associé un acteur  (Hugues FESNEAU, Karine FOURCY, Josette LANLOIS, Henry VALENCIA, tous magnifiques) pour mettre en jeu leurs mots prolongés par quelques moments joliment chorégraphiés. Mais Nicolas est seul : « son » comédien ayant dû abandonner au cours de l’aventure. La vidéo va donc palier ce manque : il danse aussi après nous avoir confié sa souffrance d’être différent, parce qu’un « peu trop efféminé ». De l’écran, les autres observent pour se projeter dans le corps de l’acteur et le regard des spectateurs. Un dedans dehors, une « vidéo miroir » en quelque sorte. Entre les différentes scènes, elle vient toujours à propos pour accentuer une mise en abyme : un comédien incarne le rôle d’un jeune qui à son tour joue l’évaluateur de la « performance ». Ainsi, à partir d’une mise en scène ingénieuse et sensible, nous sommes invités à ressentir le lien entre l’acteur et son « double ». C’est dans ce lien de confiance, de respect mutuel, d’accompagnement que leur poésie s’accueille là où notre société semble (pour l’instant) totalement incapable d’être bienveillante et fraternelle.

Le théâtre opère la rencontre: Daouda  et son rap qui slame;  Belinda et sa difficulté de grandir dans la France d’aujourd’hui; Chloé accrochée à la phrase de Schopenhauer (« l’amour est illusoire ») qu’elle tend comme un poing levé pour une ré(e)volution possible; Marion pour qui « tout va bien », mais donne à entendre sa rage sur les droits des femmes en douce héritière de Simone de Beauvoir. Et puis il y a Nicolas et son corps plus tout à fait droit, comme s’il avait pris l’habitude de se courber pour éviter l’insulte.
A cinq, ils dessinent un tableau impressionniste où la poésie est l’unique langage métaphorique pour nous accueillir. A dix, ils se métamorphosent en héros d’un cinéma d’auteur né d’une « nouvelle vague ». « Nous ne nous étions jamais rencontrés » est un texte d’une force “politique” impressionnante servie par des acteurs garants d’une mise à distance nécessaire pour que ces paroles du « réel » ne se perdent pas dans une “sensiblerie” déplacée. Parce qu’elle ne tombe jamais dans la séduction facile et la démagogie, cette oeuvre dessine un « corps social » qui nous inclue à partir d’une poésie sans cesse convoquée. Michel André et Florence Lloret ont trouvé leurs « naufragés du fol espoir », titre de la dernière création d’Ariane Mnouchkine.

Justement. Le lendemain de la représentation, elle est l’invitée des « Matins » de France Culture . Pendant qu’au même instant Le Pen vocifère sur France Inter, elle nous parle de théâtre. Et là, à cet instant, par la magie de la radio, le spectacle d’hier soir me revient, comme si elle l’avait vu. De la jeunesse, elle affirme : « nous n’avons pas le droit de leur dire, – vous venez à la fin de l’histoire- ». Du spectateur, elle murmure : « au théâtre, le public prend des micros résolutions toutes les secondes. Il est ému juste après avoir ri ». De mon ressenti de la veille, elle répond : « Ce qui nous arrive au théâtre, c’est l’AUTRE. C’est la rencontre avec mon frère, ma soeur, mon semblable ». De l’acteur, elle affirme : « c’est celui qui trouve les symptômes des maladies de l’âme ». Des gens de théâtre, elle fait l’éloge : « cela nécessite qu’ils aient le courage de l’éclairage, que cela soit compréhensible et complexe à la fois ».
Vendredi 19 mars, veille du printemps. J’ai vingt ans.
Pascal Bély – www.festivalier.net

“Nous ne nous étions jamais rencontrés” de Michel André et Florence Lloret a été joué à “La cité” à Marseille du 11 au 26 mars 2010; puis le 30 mars 2010 à l’Entrepôt (Avignon) et le 2 avril 2010 à Espace culturel Busserine, de Marseille.

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HIVERNALES D'AVIGNON Vidéos

L’orgie de secours.

L’hiver n’en finit plus et nos corps se calfeutrent à l’image d’un pays apeuré qui maltraite tout ce qui n’est plus dans la norme. Le « bien » prend le pouvoir pour effacer le « mal » qui se propage. Nous « polissons » pour mieux masquer l’effroyable : les dérives fascisantes et sécuritaires du discours politique et managérial, la violence esthétique de nos entrées de ville, les principes de précaution qui moralisent la prévention. Notre société est incroyablement violente, mais nous cachons, voilons, dénions. Ce soir, à la Scène Nationale de Cavaillon, un chorégraphe, Christophe Haleb, veut nous parler d’amour, sans gants, au coeur d’un festival de danse, « Les hivernales », qui n’en finit plus lui aussi de nous refroidir. Ce soir, cinq interprètes provoquent la stupéfaction, sidèrent, au coeur d’une France qui réussit le tour de force d’anesthésier notre regard sur le corps et ses sécrétions jusqu’à marchander le sentiment amoureux.

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Ils sont cinq qui ne font pas deux couples, mais plus si « affinités ». L’équilibre est déjà quelque peu instable, mais c’est le risque si l’on veut se parler, danser, jouer les corps et l’amour. Tout commence par la manipulation d’une grande bâche, type couverture de survie, qu’ils étirent en long, en large et surtout de travers. Car la chose n’est pas facile à manipuler, quoiqu’on en dise. Ils voudraient bien la contraindre, mais la matière les fait glisser et tomber. Ils sont les abandonnés d’une certaine forme « industrialisée » de l’amour. Leur radeau est notre naufrage. La scène ne penche pas, mais c’est tout comme : comment ne pas confondre se protéger du sida et se prémunir du corps de l’autre ? Ils  prennent à bras le corps cette bâche pour retrouver, tels des bonobos au temps de la préhistoire, les chemins du jardin des plaisirs, le sens du délice d’un jet qui vous gicle sur la peau. Il y a urgence et c’est beau.

Ils se moquent de tout sauf de la chair et du plaisir charnel. Aucune vulgarité, mais une détermination : il faut que ça gicle pour nous débarrasser de tout ce qui pollue notre rapport au corps amoureux, là où le discours a pris le pas sur le « liquide ». Il est loin le temps préhistorique où l’espèce humaine « forniquait » comme bon lui semblait, sans protection, sous hallucination dû aux plantes mâchées au grès des cueillettes ! Même les derniers jardins des plaisirs sont aujourd’hui rasés par des municipalités plus promptes à se protéger de l’amour, mais acceptent sans broncher l’indécence d’un panneau publicitaire qui marchande le corps des femmes. Nos cinq acolytes enchaînent alors simulacres d’émissions radio, de reportages et séances de spiritisme. La propagande ainsi détournée provoque la crise de rire sur un sujet épineux : à mesure que nous enveloppons le  corps (les pandémies ne font qu’accélérer le processus), nous maltraitons le lien amoureux.

Mais Christophe Haleb est victime de la manipulation qu’il dénonce. Son plateau de télévision et son studio de radio placés à gauche de la scène, attirent le spectateur bien que deux danseurs s’essayent sur la droite, à quelques figures chorégraphiques. Christophe Haleb se perd dans la dénonciation là où nous aurions eu besoin d’un lien généreux. Or, sa danse fabrique du « discours » pour illustrer les idéologies spirituelles et religieuses alors qu’elle aurait du les transcender. L’ensemble met finalement le public à distance alors que nous aurions pu nous jeter (symboliquement) sur scène comme à Uzès Danse en 2009 où Christophe Haleb nous avait présenté une étape de création. Huit mois après, le discours s’est radicalisé, le groupe s’est protégé du public avec une installation qui a pris le pas sur la danse.

« Un peu de tendresse, bordel de merde !» (1).

Pascal Bély – Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

(1) Titre de la pièce tout aussi « liquide » du chorégraphe canadien Dave St Pierre présentée au Festival d’Avignon 2009 qui dénonçait lui aussi la liquidation progressive du lien amoureux au profit d’un discours marchand.

“Liquide” par la compagnie “La Zouze“, chorégraphie de Christophe Haleb, a été joué le 18 février 2010 à la Scène Nationale de Cavaillon dans le cadre du festival des Hivernales d’Avignon.

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HIVERNALES D'AVIGNON Vidéos

La Belgique, terre d’accueil de Lespri Kò.

Le théâtre des Doms, « la vitrine sud de la création en Belgique francophone », reçoit deux spectacles de la programmation des Hivernales d’Avignon. Avec chaleur, le responsable du lieu nous accueille, jusqu’à nous offrir thé et café chaud à l’entracte. Ici, en terre belge, l’accueil est gratuit, sans bande sonore de supermarché. Il se trouve que les deuxpropositions sont accueillantes et réchauffe l’ambiance glaciale qui plombe le festival. Tout est donc lié.

Ce soir, Patricia Guannel impressionne, sidère, hypnotise.  « Lespri Kò » de Patrick Servius restera l’un des moments forts du festival. Pendant quarante minutes, elle nous inclut dans le processus si complexe de l’identité, là où tant d’autres (ailleurs) la réduisent à quelques critères d’un autre temps.
Elle est de dos. Elle se coiffe et nous arrivons presque à l’improviste, comme enfant quand nous surprenions notre mère  en train de faire sa « toilette ». Elle replie ses cheveux aériens telle une introspection. Elle est black, belle, généreuse. En fond de scène, nous imaginons une statue recouverte d’un drap gris, tel un fantôme à l’affût. Là voilà qui s’élance, avec sa jolie robe colorée dans un environnement si noir…
À partir de ses mouvements saccadés, elle explore sa danse, ses liens. Elle et nous. Black, blanc. Antilles, métropole. À ce moment précis, nous sommes séparés, à bonne distance et cela me va bien. Autonome, elle s’en va chercher son identité dans la langue de ses ancêtres, ceux-là mêmes que nous opprimions. Elle essaie, s’arrête, reprend. Ce travail demande du temps qu’elle s’octroie, avec détermination et confiance envers le public. Tout semble lui échapper comme si rien ne s’offrait avec facilité. Elle va, vient, recommence, nous sourit pour s’inquiéter plus tard de notre passivité. Peu à peu, sa quête devient la nôtre et finit par nous embarquer. Avec Patricia Guannel, l’identité est une recherche du mouvement, là où l’on voudrait la statufier dans la généalogie. Son jeu impressionne : c’est une actrice qui danse. Rare. Avec elle, l’identité est au croisement du corps et de la parole. Avec elle, s’identifier s’est réapprendre à parler la langue du corps. Magnifique.
Elle finit donc par enlever sa robe pour l’enfiler sur un buste. La voilà européenne, maillot et soutien-gorge. Noir sur noir. Les couleurs sont à distance. Elle tourne autour, s’élance et se perd. Nous perd. La chorégraphie se cherche à l’image d’un pays qui peine à tisser les identités. Dans les dix dernières minutes, la danse l’aliène et nous aliène. Plus souvent à terre, son espace semble subitement réduit. Et l’on voudrait enfermer ce buste normalisant pour redonner à la France ses couleurs. Patrick Servius doit poursuivre sa recherche. Et nous avec.

Après un entracte chaleureux, c’est donc Zachée Ntambwé, alias Cheza, qui range ce buste ! Il nous vient de Belgique. C’est un grand gaillard à la timidité impressionnante. C’est bien plus qu’un danseur hip-hop. Avec « back to the Roots », il est un interprète magnifique qui danse son identité multiple. Avec joie. Car c’est homme est heureux de sa danse au coeur de rythmes blues, afro-krump, house et de musiques traditionnelles congolaises. Né en Belgique, originaire du Congo, il passe par la danse pour travailler ses racines. Il y inclut du texte qu’il tisse à partir de mouvements identitaires qui n’opposent pas l’Europe et l’Afrique, mais  les relient en croisant des histoires singulières pour créer l’histoire commune. Cheza nous invite à assumer notre passé colonial comme une ressource pour nous rencontrer. Sa danse opère la rencontre.
Croyez-le, ce moment est unique, car il vous donne l’énergie de repousser la peur de la différence et d’accueillir la diversité. A croire que la Belgique est le coeur du monde.

Pascal Bély- www.festivalier.net

« Lespri Ko » de Patrick Servius et « Back to the Roots » de Cheza ont été joués les 16 et 17 février 2010 au Théâtre des Doms dans le cadre du festival « Les Hivernales » en Avignon.

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EN COURS DE REFORMATAGE LES EXPOSITIONS THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

De la mélancolie des choses.

« Ce qui m’intéresse principalement aujourd’hui c’est que le spectateur ne soit plus placé devant une oeuvre, mais qu’il pénètre à l’intérieur de l’oeuvre » déclare Christian Boltanski au sujet de “Personnes”, l’exposition qu’il donne à voir jusqu’au 21 février au Grand Palais.

Dans la “Mélancolie des Dragons“, actuellement au Théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées, Philippe Quesne nous fait pénétrer dans le parc d’attractions de six hommes aux cheveux longs, amoureux des groupes de hard rock des années 1990, notamment de “Wind of Change“, le  tube de Scorpions extrait de l’album « Crazy World ». Crazy World.

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Marqué par le souvenir de l’Holocauste, Christian Bolantski cherche l’émotion à travers toutes les expressions artistiques qu’il utilise. Pour “Personnes“, il quadrille le sol du Grand Palais de centaines de vêtements disposés à plat, à même le sol. Au fond de la nef, des vêtements sont à nouveau accumulés pour former une montagne au-dessus de laquelle plane une mâchoire d’acier.

Philippe Quesne propose de renouveler le regard à partir de matériaux simples et anodins.  Il choisit de ré-enchanter notre imaginaire avec de l’eau, de la fumée, des bulles de savon et six bâches en plastique. Gonflées à l’aide de ventilateurs, ces dernières se dressent pour atteindre une hauteur de six mètres et surplomber la scène. Dans la salle plongée dans le noir, elles ondulent légèrement, tels des géants ventrus. Je pense à la scène d’American Beauty où le fils des voisins montre la plus belle chose qu’il n’ait jamais filmé : un sac en plastique dansant le vent.

Alors même qu’il met en scène un poignant hommage aux morts et aux victimes, Christian Boltanski nous rappelle sans cesse à notre statut d’êtres vivants. Des battements de coeurs tonnent en permanence et emplissent l’immense espace de la nef. Ces battements -dont la puissance est démultipliée par la présence d’enceintes réparties partout- architecturent l’espace comme Janet Cardiff et George Bures Miller l’avaient fait au printemps dernier au Hamburger Banhnhof de Berlin dans The murder of crows.

Les battements de ces coeurs s’opposent à l’architecture travaillée de ce lieu qui accueillit l’exposition universelle de 1900. Surtout, ils tranchent avec le suintement métallique de la grue qui enserre inlassablement une poignée de vêtements, pour les relâcher quelques mètres plus haut.

La dureté des mâchoires métalliques contraste avec la légèreté des étoffes qui volettent quelques mètres pour venir se poser en haut de la montagne de vêtements. Elles s’emplissent d’air comme si, pour quelques secondes, les fantômes de ceux auxquels elles ont appartenu témoignaient de leur présence.

Dans La mélancolie des dragons, les six compères, amateurs de musique qui cogne, créent une montagne en recouvrant de blanc une Citroën AX. Ils s’attendrissent devant l’envol de perruques qui marquent la présence d’hommes invisibles, qui dansent. L’univers bricolé qu’ils agencent sous nos yeux est composé d’éléments triviaux, mais grâce à l’émerveillement avec lequel ils considèrent les choses, ils dépassent le kitsch. Dans les fumigènes, même un dragon en plastique peut être mélancolique.

A l’occasion de l’exposition Personnes, Christian Boltanski propose aux visiteurs de poursuivre les «Archives du c?ur » -entamées en 2008-, en enregistrant les battements de leur coeur. L’artiste projette ensuite de conserver ces archives sonores sur l’île d’Teshima dans la Mer du Japon, afin de faire battre le coeur des hommes à l’unisson.

Si l’une des particularités de Boltanski est sa capacité à reconstituer des instants de vie avec des objets, Philippe Quesne insuffle de la magie aux plus prosaïques d’entre eux.

Alors, dans les deux cas, éloge à l’absurde de nos existences ? À la puissance symbolique de certains objets ?

Vouloir être respectueux de ces artistes consiste à ne pas chercher de réponses, mais accueillir leurs remises en cause avec ce qu’elles soulèvent d’émotions et de poésie. Juste accepter de regarder les choses pour le sens qu’elles peuvent porter, mais savoir aussi les détourner pour en créer d’autres, plus belles encore(1).

Elsa Gomis – www.festivalier.net

A lire aussi la critique “cool” de Pascal Bély lors de la création de “la mélancolie des dragons” au Festival d’Avignon 2008.

(1) « J’ignore ce que recouvre le vocable d’art moderne. L’art consiste uniquement à poser des questions, à donner des émotions, sans avoir de réponse » (propos de Christian Boltanski recueillis en juillet 2009 par Catherine Grenier, commissaire de l’exposition).

 

Personnes et la Mélancolie des dragons  sont à voir à Paris jusqu’au 21 février 2010.

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HIVERNALES D'AVIGNON PAS CONTENT Vidéos

La danse enterrée.

Ambiance glaciale pour l’ouverture du festival de danse contemporaine en Avignon, « les hivernales ». Le public n’est pas au rendez-vous pour « Switch me off », fruit d’une rencontre entre un metteur en scène (Thomas Ferrand) et un chorégraphe, directeur du Centre Chorégraphique National de Tours (Bernardo Montet). Pourtant, nous aurions du être nombreux pour accueillir la danse, art de l’ouverture, tant on imagine difficilement l’inverse : un chorégraphe dirigeant des comédiens. On serait en droit d’attendre que ce spectacle hybride nous conduise dans un ailleurs, un espace inédit. Déception. Je n’ai pas décollé du sol.

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Dans une récente interview à « La Nouvelle République », Bernardo Montet dit avoir bâti « une pièce qui a autant à voir avec la photographie, les arts plastiques que la danse. Une sorte de poème composé pour la scène?Une oeuvre où le vide est riche de sens, où l’invisible devient visible, où l’imaginaire de chacun est laissé libre, et où l’histoire collective devient soudain individuelle. ». Soit. Sauf que cet ensemble hétéroclite ne crée pas le paysage.

Bernardo Montet est un homme à la carrure impressionnante. Alors qu’il s’avance nu, les pieds dans la terre, son « ciel » est un magnifique assemblage d’ampoules dont le tout façonne un imaginaire baroque. Ses premières apparitions sont de toute beauté, car on ne sait d’où il arrive. Rapidement, cet homme « lourd » évoque notre humanité. Ses mouvements, ses cris, témoignent. C’est un retour aux sources de la vie. Dépouillé à l’image de sa danse, son corps transporte toutes nos fractures. Évoluant dans l’antre de la terre, là où les âmes se perdent, il s’ébat, crie « I’m here », comme pour mieux s’affranchir de sa vie.

Mon imaginaire est prêt à se laisser tenter par l’aventure, mais la mise en scène est une entrave. L’ambiance apocalyptique plombe l’évolution de la danse. Dans ses précédentes créations, le parti pris de Thomas Ferrand est d’en faire toujours trop avec les mêmes bruits d’un même chaos ambulant. Pourquoi donc l’affubler d’une perche où vient se nicher un micro (emblème phallique ?) afin que l’homme crée du son avec les ampoules ? Cet objet utilitaire, laid, rempli sa fonction, mais clive l’espace : ici le son, là le corps, ailleurs le mouvement. Pourquoi donc réduire la sphère entre la terre et le cosmos pour que l’homme trace son sillon de gauche à droite pour « travailler » sa danse à défaut de l’incarner ? Pourquoi donc ces « tics » de mise en scène (avec la musique stridente tant entendue ailleurs) qui illustrent (pour venir vers nous fort et déterminé, l’homme « retouche » son sexe dans la terre !), hypothéquant définitivement la force du mouvement dansé? Là où le décor fait oeuvre d’art, où le corps fait le danseur, Thomas Ferrand impose une installation et précarise la danse.
Le tout est une jolie démonstration qui force le respect. Et c’est bien là notre problème.

Pascal Bély-Laurent Bourbousson- www.festivalier.net

« Switch me off“, mise en scène de Thomas Ferrand a été joué le 13 février 2010 dans le cadre des Hivernales d’Avignon.