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Anne Collod nous repasse un message en beauté.

Nineteen sixty-five?« Je me souviens… ». À la Perec, on nous invite. Ça sent l’enfance… le moment où l’on n’est pas assez grand… mais où pourtant on respire les effluves d’interdit d’un frustrant et? bien trop loin ? « plus tard, quand tu seras grand ! »… 

Ce soir ça y est… je suis grand… , c’est déjà un peu plus tard?Je vais la voir cette « Paper dance », celle qui m’a fait rêver dans les années 75 quand un être cher m’en a montré des photos : « Jamais, on ne la verra jamais… Tu vois on aura manqué ça? ». Ce soir, je ne l’aurai pas manqué… Lui non plus, j’espère… Un soir ou un autre?

Le spectacle aiguise les parfums d’une époque passée, il fait resurgir la tendresse pour le grand culot « foutraque » qui répond à l’interdit et, au-delà de ça, témoigne d’une époque, d’une histoire individuelle et collective. Anne Collod nous convie à la réinterprétation de la pièce mythique d’Anna Halprin et Morton Subotnick, « Parades & changes».

Par delà la joie égoïste que je ressens, je vois ici, en partage dans une ironie sauvage et libérée, une page importante de ce qui a conduit aux propositions danse/performance qui se tentent sur la scène d’aujourd’hui. Ici, c’est une fête du quotidien bouleversé, une « messe » païenne et intime qui se parade sous nos yeux. C’est une claque au sécuritaire et au policé. C’est une porte ouverte aux rêves que la seule « folie » d’un autre peut ouvrir. C’est la possible magie des jeux d’enfance qu’on a conservée en nous, juste complicité, sans gangue de cruauté. C’est simplement un esprit de jeu magicien qui peut nous balader dans le plaisir partagé. Ils sont six, ils sont beaux, ils se font fort de l’histoire, ils sont fiers d’oser et de nous conduire dans les méandres de l’interdit (même pas daté), d’ouvrir les portes de nos « bienséances », ils bousculent tout, grand bien nous fasse.

Le propos politique de la pièce n’a rien perdu, « ça semble gratter là où ça fait mal »… Le temps va-t-il à contretemps ? 45 ans se sont écoulés depuis sa création… 

Certes, la nudité est devenue fait courant, mais, a-t-elle toujours autant de force et de justesse que dans cette pièce pour nous interroger sur la place de l’intime et la tendresse de le partager, voir de l’exposer ? « Parades & changes, replays » antichambres de nos « modernitudes » ou invitations à nous re-pencher sur la joie possible d’imaginer l’autre comme potentiel « complice » d’un jeu (je) partagé et à accomplir ensemble… 

Ces six là semblent partager le plaisir d’un être ensemble et de nous le communiquer. Ce soir là, ils ont fait briller l’espace d’un dedans/dehors magnifique, ils nous ont offert un moment de joie, qui utilement sèmerait quelques graines, pour qu’un possible demain soit moins terne et que l’autre ne soit plus source de crainte mais potentialité de fête. Le concours n’est plus de mise… l’enjeu est de se re-trouver… Anna Halprin et Morton Subotnick l’avaient crié à la face d’un monde en 1965. Anne Collod & guest nous repassent le message en 2010… 
Sommes-nous modernes dans nos forteresses ?… Change or replay (repeat again?)?… On regarde le miroir tendu ou on le voile à nouveau pour que dans 45 ans, Anna et Morton viennent encore nous botter les fesses ? Mais y aura-t-il une autre Anne pour transmettre le message ?
Ne manquez pas ce moment s’il vous passe à portée et laissez-vous rêver, c’est encore radical, ça fait de l’air et ça fait toujours du bien.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

Deux autres regards sur la blogosphère: Un soir ou un Autre, Images de Danse.

PARADES & CHANGES, REPLAYS (2008). Réinterprétation de Parades & Changes (1965) d’Anna Halprin et Morton Subotnick. Conception et direction artistique : ANNE COLLOD. A été joué au LU de Nantes le 26 janvier 2010.

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Le théâtre, notre penche de salut.

Le théâtre penche. Après les structures métalliques et les échafaudages qui ont envahi les scènes du dernier Festival d’Avignon, métaphore de la déshumanisation de nos sociétés, la tendance est à la pente. « Avatar » le film de James Cameron illustre ce monde en 3D, où le bas est en haut, où tout penche pour mieux rééquilibrer le vivant. Deux pièces méritent une analyse approfondie, d’autant plus que leurs scénographies se ressemblent étrangement.

 « Öper Öpus» de Zimmerman et De Perrot nous offre une scène toute en horizontalité, qui penche dangereusement. Métaphore de l’instabilité, elle voit un collectif pluridisciplinaire composé d’un DJ un peu déjanté et de quatre danseurs-circassiens où les corps longilignes des uns  répondent des corps tout en rondeurs des autres, dans un équilibre quasi parfait. Le décor est fait de tables et de chaises tandis que des morceaux de bois jetés à terre encerclent la scène. Il y a également des trappes qui permettent de voir à travers les planches. Nous voilà donc sur une aire qui s’amuse du déséquilibre pour interroger les relations humaines. Les corps minces, gros, musclés, imposants autorisent certaines audaces pour questionner les stéréotypes qui déséquilibrent les rapports sociaux. La mise en scène accentue le chaos permanent, où l’on joue de la pente pour tenter de se risquer dans le lien et l’humain avec humour, décalage, tendresse et énergie. On se s’ennuie pas à les voir se moquer comme des clowns, à recréer l’univers de Jacques Tati, mais on finit tout de même par se sentir un peu seul.

Étrange paradoxe. Le déséquilibre, c’est souvent de la douleur, du fragile. Cette approche est purement escamotée alors même que cette pièce ne parle que du corps !  L’horizontalité est ici approchée à partir d’une vision verticale (accélération-perte de vitesse, haut-bas, … ) où le déséquilibre ne se joue qu’à la surface si bien que le spectateur est séduit par la forme, mais rarement touché. Le tout s’inscrit dans une mécanique, un rouage que la technique sans faille des circassiens ne fait qu’accentuer. On cherche un point pour ne pas glisser aussi, mais à force d’observer la surface qui décline, on reste en dehors. Or, l’horizontalité a besoin d’un centre de gravité que l’on ne trouve jamais. On effleure juste le « sale » pour ne pas se salir les mains. À vouloir être à la frontière du théâtre, du cirque et de la danse, ils ne sont sur aucun territoire, sauf celui de la performance, d’une esthétique de l’excellence que le public ne se gêne pas d’applaudir quitte à faire fuir la poésie du fragile. À défaut d’« intranquillité », on joue avec le décor et des pans entiers du sol. Bien vu, mais sans risque.

On pourrait reprendre mot pour mot les critères de cette analyse pour le spectacle conçu par Mathurin Bolze pour la compagnie MPTA, “du goudron et des plumes”. Ici, point de DJ mais du jazz et du bon qui se fond dans le décor là où la platine s’imposait. Ici aussi, la scène penche tel un radeau de la méduse où des trappes permettent aux cinq circassiens de traverser cette scène pour se pencher sur notre ici-bas fait de logiques symétriques. Mais il y a une différence fondamentale avec le spectacle précédent: le déséquilibre nous invite à explorer le fragile, le sensible. Ici, on ne s’accroche pas au décor, mais on s’y relie pour communiquer. La pente produit de la poétique qui libère de l’espace, abat les cloisons là où elle n’était que mécanique chez « Öper Öpus» . C’est une poétique qui adoucit le monde circassien fait de barres, de cordes et de gestes symétriques. Le collectif emmené par Mathurin Bolze tend vers le mouvement dansé pour interroger notre vivre ensemble alors que tout penche vers le vide sidéral de la perte des valeurs. Ici, la crise de civilisation est palpable: d’un monde de fer, de planches qu’ils finissent par faire exploser, ces beaux artistes nous guident vers un environnement plus aérien, où le fragile est la ressource du lien, où l’articulation s’amplifie au détriment des rouages (de va-et-vient) qui formatent depuis si longtemps notre approche de l’humain. Avec eux, le centre de gravité sur scène est une passerelle où la force du collectif se joue du déséquilibre pour mieux se régénérer.

À aucun moment le public n’applaudit la performance physique parce que le propos n’est pas là: leur poésie habite tant notre imaginaire qu’on en oublierait notre place assise de spectateur. Quelques maladresses de mise en scène mériteraient d’être effacées (comme celle avec les ombres chinoises, grand moment kitchissime!) pour que ce goudron et ces plumes finissent durablement par nous coller à la peau.

Pascal Bély -www.festivalier.net

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“Du goudron et des plumes” de la compagnie MPTA a été joué les 28 et 29 janvier 2009 au Théâtre des Salins de Martigues.

 « Öper Öpus» de Zimmerman et De Perrot a été joué en novembre 2009 au théâtre du Merlan à Marseille.

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« Publique », 8 femmes version Mathilde.

Les hasards malheureux de la programmation me font découvrir cette pièce (“publique“) six ans après sa création. Mais, là, les hasards bienheureux du théâtre ont fait danser Mathilde Monnier près de chez moi juste le soir où il fallait. Regrets tout de même de ne pas avoir pu voir son travail depuis « Frère et soeur ». Magnifique Mathilde qui m’a fait retrouver et relier des émotions souvenirs, bien des années après “« Pudique acide »”. 1984, Angers, création, Mathilde Monnier et Jean-François Duroure, sublime rencontre/combat masculin, féminin… « Publique », sublime féminin tout court, orchestré par une femme de cinquante ans toujours aussi magnifique dans son corps dansé, qui « ose » inviter une cohorte de femmes d’âges divers à montrer ce que féminin sait faire et s’y coller en chef de choeur. PJ Harvey est au coeur de l’affaire et sa musique guide la danse dans la désinvolture singulière d’un intime exposé, en pudeur, pour partage. Comment font-elles pour être si « im-pudiques » sans se donner « publiques » que peut-être les hommes ne sauraient faire?  Elles le font simplement, jubilant avec tant de force regards et sourires partagés, qu’elles en forcent le respect.

Elles sont là, elles bougent, elles se bougent, ensemble, seules, elles se dédoublent en doubles pour se re-trouver au singulier, et finalement ça va bien quand même, elles se retrouvent singulières pour se faire un pluriel. A coup de perruques et tenues changeantes, elles nous montrent qu’il est bon de rencontrer terrain complice et de se construire unique sans rivaliser avec l’autre. Le partage heureux qu’elles nous offrent nous invite à une route à suivre vers les plages d’un être ensemble. Soixante cinq minutes de bonheur…, on bout de se lever et de partager leur plaisir, on résiste au désir de les embrasser, on se réjouit de voir tant de corsets jetés aux orties. Mathilde Monnier a gardé son exigence du mouvement et, avec, tisse toujours son interrogation du seul, ensemble, avec, contre, pour quoi faire ?… Pour être…même juste un peu. Elle « dirige » ces « questions » dans cette pièce avec un regard tendre, acide et malin, elle montre avec brio que la danse est ouverture, complicité, plaisir et partage. De cette danse simple et complexe à la fois, qui exige beaucoup de ses interprètes, se tissent les fils d’un humain possible et malgré tout. Je sais, ce soir encore, que Mathilde me touche, toujours autant, dans sa « bagarre » à parler le monde comme elle le voit, et à tenter de l’offrir en partage. « Publique » passe près de chez vous : n’hésitez pas, courrez-vous jeter dans la ronde ; ces huit femmes vous donneront la pêche et vous montreront ce que féminin peut dire d’un être ensemble salutaire et joyeux. Bernard Gaurier – www.festivalier.net “Publique” de Mathilde Monnier a été joué les 21 et 22 janvier 2010 au Théâtre Universitaire de Nantes.
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Avec « Gilles », David Bobée abandonne « nos enfants ».

Propos du metteur en scène David Bobée, feuille de salle de “Gilles“: « Entre pluridisciplinarité et délire loufoque, début de narration et fragmentation des scènes, entre exigence et générosité, la liberté de création est grande ; c’est ainsi que je souhaitais réaliser ce spectacle : au fil des répétitions et des improvisations des acteurs. Je voulais avant tout le laisser vivre pour, petit à petit, le découvrir »

Sur le plateau, de la terre, une voiture, un réverbère…Tous ces éléments seront crédités par le récit, mais, comme un souvenir de déjà vu…dans « La mélancolie des dragons » de Philippe Quesne : même si la terre remplace la neige, on peut se questionner. Les « clins d’oeil » n’en sont pas toujours et les « hommages » sont parfois douteux. Nous en verrons «malheureusement» d’autres plus loin dans la soirée.

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” Gilles” – David Bobée.
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“la mélancolie des dragons” – Philippe Duquesne

Narration : « Ils ne savaient pas comment m’appeler “Gilles” c’est court à dire, comme ça c’est pratique». Le spectacle lui,  n’est pas court et il en perd toute sa force et sa puissance. « Pratique »… il l’est peut-être tant il est passe-partout, tant il veut éviter toute polémique, toute tension, toute émotion, tant il brosse dans le bienséant, le politiquement correct et le sens du poil, tant il gomme tout chemin de traverse. Pourtant, le chemin singulier de Gilles est hors des « sentiers battus » et remet en cause bien des conventions. Mais, on n’est là ni pour réfléchir, ni pour s’émouvoir, surtout pas pour être dérangés. Est-ce le «rejet» subit par « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue », (sa dernière création, pamphlet anti gouvernemental), qui a poussé David Bobee à faire cela ?

Les scènes sont sans fin et tuent tout le contenu émotionnel du propos. Allons-y, qui plus est accompagnés par un gentil “docteur » : naissance de Gilles (déjà sous les sunlights), mariage de Gilles, l’enfant qui grandit, le clown vagabond, le « vieil » homme qui ne veut plus de sa mémoire…Et de le faire descendre dans la salle pour se jeter dans des embrassades imposées et faire lever le public les bras en l’air. Et de faire descendre deux jeunes acteurs (ayant pour « particularité » d’être porteur de handicap) pour faire tournée de bisous à un public captif. Cela n’apporte rien, ni au propos, ni à la pièce, mais contribue à «plomber» un peu « l’ambiance ». « La Compagnie de l’oiseau mouche »(1) associée à ce projet  mérite meilleur écrin pour son talent que ce racket organisé qui la conduit à s’exhiber. Que se passerait-il si un spectateur agressé refusait les baisers, en ce lieu imposé ? Il me semble facile d’exploiter cette veine pour s’assurer (obliger) les applaudissements.

Le handicap, s’il empêche certaines choses, n’exclut pas le talent, mais ce qu’il renvoie, encore aujourd’hui, exige que le «metteur en scène» conduise le public, avec force, à lâcher les clichés et les peurs pour modifier son regard et laisser place à l’être. Le handicap, comme d’autres singularités, dérange encore et provoque de nombreux troubles de comportement, des lois seules n’y changeront rien.
Loin le temps où le fait d’être porteur de handicap ou d’une différence et d’être sur scène ne sera plus une performance en soi.
Loin le temps où la différence aura place comme « normale » et « évidence » au point de n’être même plus soulignée dans une feuille de salle. Cela aiderait pourtant probablement ces acteurs à se sentir reconnus comme vraiment « professionnels de la profession » ; et, par probable répercussion, aiderait, des milliers d’hommes et de femmes à se sentir reconnus. Ce n’est pas la personne porteuse de handicap qui doit changer pour se « mettre  dans » la société, c’est cette dernière qui doit bouger pour faire de la place à celui/celle, qui, quoi qu’il/elle fasse, ne pourra pas gommer sa particularité et de fait « rivaliser, comme il se doit ». Le « monde de l’art » peut offrir un espace possible pour changer les regards de nos peurs et nos intolérances. Que lorsqu’il s’y colle, il le fasse avec exigence, conviction et force.  J’oserais dire le mal-être de certains spectateurs autour de moi qui, de toute évidence, n’avaient qu’une envie, que ça finisse et sortir pour, peut-être, fuir le malaise d’avoir accepté « ce cirque » et applaudi quand même. Dois-je dire qu’il est loin d’être évident de rester bras croisés à attendre que le show des « claps claps » soit fini, qu’il est encore moins évident de se lever et de partir ou de se « lâcher » à contester. Mais quand on applaudit… qu’est-ce qu’on applaudit au juste ?
Au lendemain de ce « spectacle », ma colère est toujours là… j’en veux à ce « Gilles » raté, pour avoir, je crois, cherché le consensuel sur un « fond de boutique » compassionnel. Je suis en colère de n’avoir pu vivre les émotions allumées par un beau texte et qu’ont fait mourir cette mise en scène.  Je ne peux m’empêcher, tant certains tableaux en sont copie, de penser à une autre mise en scène et à un autre spectacle.
« Flash back » d’émotions qui, là, ont pu se vivre: « Questo buio feroce » de  Pippo DELBONO s’est joué dans la même salle quelques semaines avant « Gilles ». Il travaille avec des personnes en situation de handicap, elles sont indispensables à ses créations. Sans elles, il y aurait manque car ce qu’elles proposent comme acteurs ne peut être proposé que par elles. Le metteur en scène sait qu’il ne peut pas demander à un autre ce qu’il demande à celui-là, compte tenu de ce qu’il est et de ce qu’il peut seul traduire.
Là se montre la force de la singularité et se prouve la place de chacun comme indispensable à un tout.

Je veux oser croire au “bousculement” qu’a fait vivre à David Bobée la rencontre avec le handicap psychique. Mais je m’autorise à penser qu’il doit autre chose à cette rencontre que ce « salmigondis » et que ce qu’elle a éveillé en lui est d’une autre teneur.

 « Puisqu’on allume les étoiles, c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires » ( MAIAKOVSKI)

Allumer les étoiles pour qu’elles nous soient utiles et fassent pétiller nos intelligences, nos cerveaux et nos coeurs, cela me semble être le minimum à demander à un créateur.

Des tableaux accumulés, quand bien même ils soient « subjectivement beaux », ne font pas un bon spectacle.

Ici quarante-cinq minutes auraient probablement suffi à faire lever le vent. Ce texte le méritait, ces comédiens aussi ! Une heure trente ont tout tué.

Que le créateur montre aussi à ceux qui croient en « Nos enfants » que le théâtre (subventionné ou non) n’a pas vendu son âme et que les enfants de demain pourront encore pousser les portes de cet ailleurs pour se remettre vent debout en allant croiser les « Saltimbanques ».

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

Gilles”, de Cédric Orain, mise en scène de David Bobée a été joué du 12 au 14 janvier au Théâtre Universitaire de Nantes.

(1) Troupe professionnelle et permanente qui compte vingt-trois comédiens, personnes en situation de handicap mental.

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Pascal Rambert à l’économie.

Les « amateurs », vous, moi, avons le vent en poupe. Nous abreuvons internet de notre créativité, de notre réactivité ; nous tissons les liens sociaux via le réseau associatif et le secteur mutualiste. Le « réseau invisible » remet de l’interaction et des valeurs au coeur du système économique et d’un corps social éclaté par la perte des repères. Nous inondons les « verticalités descendantes » de visions chaotiques obligeant les institutions à revoir leur modèle industrialisé de la relation.  L’auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre de GennevilliersPascal Rambert,  a compris ce mouvement de fond d’où des formes théâtrales « hybrides » qui déboussolent souvent, intriguent, agacent. Sa dernière création « une (micro) histoire économique du monde, dansée » n’échappe pas à la règle avec quatre acteurs, un philosophe (Eric Méchoulan), 26 participants aux ateliers d’écriture du théâtre et 21 choristes de l’Ecole Nationale de musique de Gennevilliers. Les codes traditionnels de la représentation sont ainsi bousculés (démocratie participative ? formation du spect’acteur ?…)1.

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Tout serait donc dans le titre. Comment appréhender l’histoire économique en quatre-vingt-dix minutes en articulant le micro et le macro, le texte et le corps, l’amateur (éclairé !) et l’acteur professionnel, le philosophe (celui qui donne le sens) au théâtre (ce qui fait sens) ? Cette scène gigantesque dans sa profondeur est l’immense toile de l’économique, du social et du culturel ! A nous de tisser.

L’économie est une interaction entre « le corps » au travail et son environnement (d’ailleurs, un chorégraphe ne serait-il pas plus pertinent dans certaines analyses qu’un économiste ?). Alors que les « travailleurs » reproduisent les gestes de l’économie où se dessinent les flux d’échanges des matières et des savoirs, la danse de Pascal Rambert redessine joliment l’espace. L’histoire économique nous apprend donc que le corps et nos façons de communiquer sont isomorphes avec le système. Cette partie du travail de Pascal Rambert est souvent émouvante et sensible, mais vite « rationalisée » par les interventions « écrites et ré-improvisées » d’Eric Méchoulan. Il nous perd dans ses explications, joue à l’acteur  pour illustrer son propos, met fin à l’interaction avec les amateurs jusqu’à les faire disparaître et occuper la scène à lui tout seul (belle image de son impuissance ?). Il réduit l’espace métaphorique avec le langage du savoir descendant pour nous dire ce que nous devons voir.

Le tableau sur la crise des subprimes moque une famille américaine qui agonise et caricature ses comportements. Les corps des acteurs et des amateurs peuvent bien glisser à terre pour mourir,  mais par quel processus ? Suffit-il de créer l’image pour donner du propos ? Cette scène symbolise à elle seule ce qui ne fonctionne pas dans cet ensemble : des professionnels qui caricaturent, un philosophe qui s’impose, des amateurs qui illustrent. Quelle est donc la place du metteur en scène ? Il propose le tableau, mais assume-t-il le point de départ de sa pièce à savoir sa colère, son émotion contre le système économique qui a généré la crise financière ? Il anime un « théâtre participatif », mais feint de ne pas en être le leader. À force de superposer les langages, on s’éloigne du « noeud » de la rencontre, de la turbulence qui nous permettrait d’articuler l’histoire avec la crise actuelle du système. Or, Pascal Rambert ne s’aventure pas sur le global et donc sur sa vision d’artiste. Il empile. C’est exactement comme cela que l’on nous parle d’économie aujourd’hui : de case en case.

Ce théâtre a les ressorts du changement systémique (en s’appuyant sur la base, en croisant les savoirs, en ouvrant la communication) mais il ne fait que renforcer la vision cloisonnée qui a généré la crise financière. Pour s’effacer, Pascal Rambert enferme le philosophe dans sa « leçon illustrée » de l’histoire, case les amateurs dans une très belle figure où peuvent résonner leurs pratiques, place ses acteurs dans des saynètes ridicules.

Ce n’est pas la première fois que je constate ce processus où les amateurs sont ainsi mis à contribution au service d’une réduction de la vision (doit-on y voir une nouvelle économie de la culture ?). Michael Marmarinos en avait convoqué une centaine à Bruxelles pour  « Dying as a contry » sur la période de la dictature en Grèce. Fréderic Fisbach dans la cour d’honneur du Palais des Papes avait effeuillé René Char dans la même proportion. La chorégraphe Mathilde Monnier avec « City maquette » redessinait la ville en chorégraphiant les interactions avec une cinquantaine de participants de tous âges. Chez Pippo Delbono dans « Enrico V », l’amateur fait corps avec l’acteur pour transcender et émouvoir. Quant à Christophe Haleb et Roger Bernat, ils transforment la scène (place publique, hôpital, …) en agora où le spectateur est l’acteur. A chaque fois, le nombre est imposant (métaphorisé par la file indienne, le choeur, ?), la scène déployée dans un espace profond où l’on circule. On s’appuie sur les pratiques artistiques des amateurs pour créer des synergies parfois intéressantes avec les professionnels : le « sensible » trouvant un prolongement dans le statut de l’acteur pour le mettre à distance. Il y a un désir d’impressionner, de sidèrer pour amplifier le sens. C’est une prise de pouvoir sur l’imaginaire. La plupart du temps, le metteur en scène mise sur la dynamique des interactions entre amateurs et professionnels au détriment d’un propos assumé. Or, le nombre de ces propositions « participatives » n’a rien changé à la place du spectateur dans l’économie de la culture enfermée dans le lien consommateur-producteur et au statut de l’artiste dans notre société. Je crains que le travail de Pascal Rambert s’inscrive une nouvelle fois dans ce processus.

La pièce va tourner en région et s’ancrer sur des territoires. Elle pourrait évoluer à condition que la mise en scène incarne (sans le discours) une philosophie de l’histoire économique. Pour cela, Pascal Rambert ne pourra pas faire l’économie d’être un artiste visionnaire, quitte à lâcher sur les concepts innovants dont il est le promoteur.

Pascal Bély, www.festivalier.net

(1) Avant d’entrer dans la salle, on nous tend un questionnaire pour sonder notre profil de spectateur : des cases, rien que des cases et toujours les mêmes questions d’un théâtre à l’autre où nous n’avons jamais le retour sur nos réponses. Pour mieux nous connaître, les lieux culturels utilisent les outils des sociétés de services. L’économie de la statistique se porte donc bien. C’est ce que l’on appelle « la culture » du chiffre. Dans les escaliers, une classe de terminale fait du bruit. La salle est quadrillée par le personnel d’accueil (sait-on jamais !). Je m’assois à côté de ces élèves, mais je peine à identifier la finalité de leur « sortie ». Avant même que le spectacle commence, je me questionne : le théâtre peut-il être un lieu d’interactions et de circulation des savoirs, à partir de quelles valeurs partagées ? Cette (micro) histoire économique peut-elle le repositionner au coeur de l’économie de l’immatériel?

“Une (micro) histoire économique du monde, dansée” de Pascal Rambert en collaboration avec Eric Méchoulan. Au Théâtre de Gennevilliers du 8 au 22 janvier puis du 9 au 20 février 2010. En tournée en région pour la saison 2010-2011.

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Marseille Provence 2013 OEUVRES MAJEURES Vidéos

Marseille Provence 2013: la danse du ventre de Radhouane El Meddeb.

Nous sommes assis pour l’entourer, pour mieux contenir ce moment précieux offert lors de la clôture du Festival Dansem. Radhouane El Meddeb, danseur et chorégraphe tunisien, nous attend, patiemment, pour cuisiner son couscous. Tout est en place : ingrédients, instruments, plaques électriques, plats et couverts. On pourrait supposer qu’un tel agencement n’est pas le fruit du hasard : serait-il celui que préparait notre mère la veille, pour le petit déjeuner du lendemain? L’ambiance est studieuse, car la cuisine est une affaire sérieuse, au croisement de tant de cultures, d’histoires individuelles et collectives. La danse rencontre donc ce plat légendaire, populaire, complexe dans sa préparation, où le cuisinier, tel un alchimiste de l’amour, fait entrelacer le légume, la viande et le blé ! Le ton de cet article se veut lyrique, mais votre serviteur est né dans le sud-ouest, pays où la cuisine est un art engagé dans le  lien social !

La viande frémit, son corps s’élance. Le bouillon bout, il danse du ventre. La semoule lui file entre les doigts, il ouvre ses bras. Ses rondeurs accueillent la danse qui, jusqu’à preuve du contraire, est une affaire de plis et de bosses, de gras et du double, de liquides et de chairs. Entre deux préparations, il vient vers nous pour jouer avec le temps de cuisson qui s’accélère subitement. Il court autour de la scène comme si sa seule montre était les battements du coeur. Mais l’homme n’est pas dupe : il sait que nous l’envions, car il est vingt heures et que notre ventre est vide. Que regardons-nous, que ressentons-nous alors que les odeurs nous tenaillent ? Notre corps s’emballe tandis qu’il s’assoit tranquillement pour goûter quelques légumes. La faim rencontre notre désir de danse alors qu’il faut lutter contre nos pulsions de spectateur paresseux avide de folklore ! C’est dans ce chaos que s’opère la rencontre : ses mouvements nourrissent parce que je les ressens dans une transmission (de la mère vers le fils ?) qu’il métaphorise en s’avançant vers certains d’entre nous pour offrir une assiette. Le corps du danseur serait-il au croisement de plusieurs « nourritures », de dons transmis ? Mystère.


Alors que nous « bouillons », qu’il construit méticuleusement ses châteaux de semoule pour accueillir le liquide si précieux, il revient pour jeter à terre une nappe, des verres et des assiettes de pique-nique : le désordre avant l’ordre établi ! Interpelle-t-il notre soif de nourriture alors que les occidentaux gaspillent quarante pour cent des aliments qu’ils achètent ? Il y a peut-être dans ce geste brusque, un artiste découragé par la vanité de sa danse : nous en rions, lui aussi, pour conjurer le sort qui voudrait réduire les arts fragiles à des mécaniques divertissantes et abrutissantes.

Il nous invite à table puis disparaît. Alors que les spectateurs, tels des enfants après le théâtre, se jettent sur scène, j’observe puis quitte la salle. On ne touche pas l’objet artistique. J’aurais bien trop peur de trouver ce couscous délicieux et d’oublier que la danse a du goût.

Pascal Bély, le Tadorne.

« Je danse et je vous en donne à bouffer » de Radhouane El Meddeb a été présenté le 11 décembre 2009 au Théâtre de la Minoterie de Marseille dans le cadre du Festival Dansem. A voir les 11 et 12 septembre 2013 à 19h à la Friche Belle de Mai à Marseille dans le cadre du “Cuisines en Friche” puis les 15 et 15 septembre à 11h.

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Un dimanche, le monde selon Pina Bausch.

Dimanche matin.

Il y a ce commentaire de Pascal Bély, alias le Tadorne, sur ma page Facebook, suite à la mise en ligne d’un article du Monde relatif au futur changement de direction du 104, établissement culturel parisien. Alors que  Christophe Girard, adjoint à la culture de Bertrand Delanoë déclare : « On va se tourner vers des gestionnaires plutôt que vers des artistes », Le Tadorne estime que « gestionnaire ou artiste, là n’est peut-être pas la question! C’est le projet lui-même qu’il faudrait interroger ».

Dimanche, début d’après-midi.

Lecture du récent rapport de la Cour des Comptes relatif au bilan de la décentralisation. Les conseillers fustigent le Gouvernement de n’avoir pas suffisamment défini le niveau de qualité de service public attendu, dans le cadre des transferts de compétence de l’Etat vers les collectivités territoriales. Encore aujourd’hui, les relations entre ces deux niveaux se réduisent à des querelles sur le montant des compensations. L’objet même de la décentralisation a été négligé. Une nouvelle fois, la question financière avant celle du projet.

Dimanche, milieu de l’après-midi.

Proposition impromptue d’une amie : aller voir Vollmond” créé en 1997 par Pina Bausch et présenté au Théâtre de la Ville à Paris.

Sur scène, la profusion. Avec douze danseurs dont le fidèle Dominique Mercy aujourd’hui devenu directeur artistique du Tanztheater Wuppertal, Pina Bausch donne à voir sa vision de l’humanité. La comédie humaine qu’elle présente est celle de la joie de vivre, de la relation homme-femme pour dominatrices qu’elles sont chez Pina, les femmes n’en sont pas moins fragiles-, du burlesque parfois, du désespoir souvent.

Un cours d’eau d’abord tranquille a été mis en place en fond de scène. Il deviendra le lieu de mille trouvailles scénographiques. A l’image de cette eau qui ne cessera de couler durant les deux heures que dure le spectacle, l’?uvre vibrante et vivante qui se déroule sous nos yeux est celle d’une femme libre.

J’entendrai des spectateurs regretter l’épure de la mise en scène présente dans “Café Müller” ou dans “Kontakthof“. Mais pour spectaculaire qu’il soit, en raison notamment des trombes d’eau qui s’abattent parfois sur scène-, ce spectacle ne sacrifie rien à la puissance émotionnelle du geste dansé.

Au contraire, chaque tableau est porteur de rires comme de larmes. On s’esclaffe quand une danseuse à la voix de stentor s’exclame d’un ton excédé : « Si l’eau bout à 100 degrés, le lait c’est toujours quand on a le dos tourné ! ». On pleure quand une autre, hurle sa douleur d’être livrée à elle-même dans l’eau devenue sombre marécage.

Depuis dimanche.

Même si Pina Bausch est morte, je refuse à  me résoudre à ce que les organisations humaines laissent désormais la performance financière être leur seule raison d’être.

Pourquoi ai-je l’impression, qu’à l’image de Gyrations of barbarous tribes” de Franck Micheleti, la chorégraphie de Pina Bausch nous montre le monde tel qu’il devrait être ?

Sa danse est celle de la communion des êtres humains.  L’univers bouleversant qu’elle créée  nous indique que quel que soit le contexte, le vouloir être ensemble des hommes  doit prédominer. Avec notre diversité, ses danseurs viennent des quatre coins du monde: notre destin reste commun.

Ce monde-là est l’antidote à la gouvernance de l’argent. Il est la réponse aux questions posées par le documentaire de Jean-Robert Viallet sur la Mise à mort du travail” présenté sur France 3.

Je veux croire avec Edgar Morin citant Friedrich Hölderlin que « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve». Car au final comme l’écrivait Hervé Guibert pour Le Monde en 1982 « Ce n’est pas Pina Bausch qui nous blesse le c?ur, il était déjà blessé, seulement cette blessure était tombée dans l’oubli, on s’était employé à nous la faire oublier, à la faire passer pour futile, romantique, narcissique, et Pina Bausch, par l’intermédiaire des corps de ses danseurs, nous rappelle à la réalité, à la vitalité de cette blessure. Elle ne nous tend pas de miroir, ou l’illustration, mais une sorte de radiographie cinglante qu’elle accompagne en même temps d’émollients, d’une trousse de secours pour brûlés du second degré. »
Elsa Gomis -www.festivalier.net

© crédit photo: Laurent Philippe

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Avec Mathilde Monnier, la danse est contemporaine.

À trois mois d’intervalle, trois chorégraphes ont posé un acte artistique fort dans un contexte de perte du sens qui n’épargne pas la danse. Lors du dernier Festival d’Avignon, le Canadien Dave St Pierre avec «un peu de tendresse bordel de merde »  questionnait le lien amoureux, malmené par nos sociétés globalisées où presque tout se marchande. Début octobre à Nîmes, Anne Teresa de Keersmaeker avec « The Song » nous projetait dans un espace ouvert, loin des conventions, pour stimuler nos imaginaires dans un temps (1h50) particulièrement inhabituel. Au Centre Chorégraphique National de Montpellier, Mathilde Monnier revisite un bref solo mythique de la danse contemporaine,  “La mort du cygne”, écrit par Fokine en 1907 pour la danseuse Anna Pavlova. Elle l’étire tant et plus jusqu’à casser la corde qui enferme nos représentations sur le mouvement. Ce souffle novateur impulsé par le  collectif plonge à chaque fois le public dans un océan de sensualité où le corps du danseur catalyse des contraires pour restituer de l’humain, certes turbulent, mais magnifiquement vivant. Loin d’un propos conceptualisé, ces chorégraphes nous offrent la possibilité de questionner notre rapport à la danse, à notre futur pour nous conduire inéluctablement à interroger nos façons de communiquer.

À Montpellier, Mathilde Monnier a donc frappé fort. Neuf danseurs, vont et viennent suivant une même mécanique qui, tout en se perpétuant, change de forme et de nature. Une alarme retentit, le groupe avance puis s’effondre comme pris d’épilepsie, un solo émerge (une « mort du cygne » sans cesse réinterprétée), le chaos s’installe puis l’ensemble disparaît, happé dans les coulisses. Cette forme n’est pas sans rappeler les « Flash Mob » (« foule éclair » ou « mobilisation éclair ») qui bouleversent les codes classiques de la manifestation en dynamisant le collectif à partir de l’outil interactif et participatif qu’est internet. Car cette danse est une riposte : réinventons le mouvement semble proclamer Mathilde Monnier, puisqu’il nous permet de mettre en dynamique notre vision d’un futur, dont l’espace s’est considérablement réduit !

L’urgence est palpable : alors que le présent file à toute vitesse, comment s’appuyer sur nos mythes fondateurs pour transformer notre avenir à partir d’une mémoire commune? Comment appréhender ce « cygne », symbole de notre angoisse face à un futur incertain? Mathilde Monnier et sa superbe compagnie de danseurs s’en emparent afin que ce solo révolutionnaire en 1907 (il signait un changement de paradigme entre le classique et le contemporain), le soit de nouveau en 2009, alors que nous vivons une grave crise de système. Elle  réussit ce pari d’articuler le solo (le sens) avec le groupe (la communication). Tout ce que la société du spectacle réduit, elle l’interroge pour nous propulser vers un changement de civilisation: pourquoi chercher à tout prix le mouvement s’il n’est pas vecteur de sens, si le corps nous empêche de nous confronter au « politique », s’il n’éveille pas une conscience individuelle et collective. À partir du mythe, elle nous permet aussi de questionner notre rapport à la danse, métaphore de l’articulation passé-présent-futur.

Pour nous aider, à l’image d’un match de rugby, de nombreux objets circulent, non pour leur fonction plastique, mais parce qu’ils sont vecteurs du mouvement. Ce collectif ouvre tellement l’espace, que cela en est prodigieux : la poésie finit par vous emporter. La danse est le groupe, le corps est la matière du sensible et nous sommes des spectateurs inclus dans le mouvement, car c’est à nous de relier pour sculpter ce corps social, seul espace où nous pouvons inventer notre futur commun. « Pavlova 3’23 » nous traverse, bien plus qu’elle nous tétaniserait par sa beauté. À côté des objets, viennent s’ajouter des rideaux de plastique noir, positionnés sur chaque côté de la scène, qui montent et descendent, et produisent un son quasiment “liquide”, si cher à Christophe Haleb (chef d’oeuvre présenté à Uzès Danse). Le fluide est partout et finit par vous caresser la peau comme chez Dave St Pierre où les corps glissent sur l’eau, tandis qu’une bâche du plafond tombe à terre et devient liquide mélodieux chez Anne Teresa De Keersmaeker.

Mais cette ouverture vers le futur serait impossible sans l’engagement des danseurs dans leur interprétation du solo. Cécilia Bengolea est impressionnante en Dalida fragile et évanescente, Olivier Normand vous emporte dans ses ondulations féeriques, I-Fang LI vous écartèle avec son grand écart, Julien Gallée-Ferré vous subjugue dans sa fuite mortuaire, et Thiago Granato nous fait pitié en roi déchu. Alors que les musiques d’Heiner Goebbels et Rodolphe Burger finissent de vous envelopper, vous ne rêvez plus : la danse contemporaine a signé l’un de ses plus beaux manifestes pour un nouveau langage des cygnes.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Pavlova 3’23 » a été présenté du 12 au 16 octobre au CCN de Montpellier dans le cadre de la saison Montpellier Danse.

En tournée au Festival “Automne en Normandie” à Evreux le 31 octobre 2010; puis au Théâtre de la Ville de Paris du 2 au 6 février 2010.

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Avec Dave St Pierre, les tendres enfants de Pina Bausch.

La danse est revenue en force au cours de cette 63ème édition du Festival d’Avignon. Et de quelle manière! L’époustouflant combat de Maguy Marin, la cérémonie majestueuse de Rachid Ouramdane, et le cri intérieur de Nacera Belaza ont marqué les festivaliers. À quoi s’ajoute le bel hommage à Pina Bausch, au coeur de la nuit, dans le jardin du Palais des Papes. Un parterre d’oeillets, crée par son ancien dramaturge et aujourd’hui chorégraphe, Raimund Hoghe, a magnifiquement accompagné un film composé d’extraits de spectacles joués dans la Cour d’Honneur. Un journaliste interviewe Pina Bausch sur la vision de son avenir. Hésitations puis…”le futur est un présent qu’il faut sans cesse réinventer. Avec amour“. L’image immobilise son visage. Une fragilité. Une force.

Le lendemain. 21h30. Il est assis sur sa chaise. Nu. Avec une perruque de longs cheveux blonds et bouclés. Il salue un à un les spectateurs entrants avec un geste frénétique de la main, accompagné d’un cri animal. Nous sommes quelques-uns à lui répondre. Nous rions de son culot. On le prendrait presque dans nos bras. Dans trente minutes, « Un peu de tendresse, bordel de merde ! » du chorégraphe canadien Dave St Pierre va débuter, mais nous y sommes déjà. Dans ce titre, un paradoxe, une injonction, une définition arbitraire de la relation décortiquée pendant une heure cinquante.

Ils sont dix-huit : neuf hommes, neuf femmes. Parité parfaite. Une se distingue du lot : habillée de noir, elle est la maîtresse de cérémonie, un big brother de la communication amoureuse, n’omettant jamais de parler en anglais traduit en français googolisé. Hilarant. Mais le sujet est grave : hommes et femmes seraient dans l’impossibilité de communiquer. Dès les premiers tableaux, le message, dansé par différents couples, est sans appel : nous sommes allés trop loin dans la marchandisation de l’intime, trop vite à étaler nos secrets sur Facebook. La démonstration n’est pas suffisante ?

Neuf anges bouclés, nus, échappés de Bacchus, débarquent sans ménagement pour monter dans les gradins. Ils hurlent, chantent, provoquent. Le public, hilare, ne sait plus où donner de la tête. Pendant qu’une orgie s’organise, les femmes, habillées, se disputent sur scène, s’insultent tout en imitant des actes sexuels. Tout n’est que sauvagerie. Le chahut dure dix minutes. Un bordel. Le nôtre. Comment s’y retrouver ? Chacun se perd dans un cadre qui explose. Pendant ce temps, Big Brother enlève sa culotte et la lèche. Elle se régale. D’autres démonstrations suivront : tout aussi savoureuses et explicites. Nous voulons l’acte d’amour, mais pas la relation qui va avec à moins qu’elle soit un « objet consommable » que nous réclamons, à corps et à cris. Big Brother ne se prive pas de faire le lien avec la relation que nous entretenons avec les artistes: du spectacle, du sang et de la sueur, mais surtout que cela ne nous éclabousse pas.

Dave St Pierre assume son propos, sans fard, ni démagogie : les femmes ne veulent plus jouer à ce jeu-là et quitte à goûter au gâteau de l’amour, autant se vautrer dans un vrai ! Les hommes, englués dans un imaginaire où la femme serait à la fois autoritaire et absente, se perdent dans des jeux puérils où la sexualité est une performance, un langage.

L’ouverture serait-elle à chercher dans une absence de sexe ? Pouvons-nous recréer la relation dans le tendre ? Les dernières scènes éloignent nos anges blonds et chacun, à nouveau civilisé, joue le jeu d’une tendresse ici célébrée. Elle requiert de s’immerger dans un nouveau liquide, celui d’une relation circulaire, où le corps imprégné retrouverait la souplesse du f?tus.

Dave St Pierre, a compris que la danse est l’art de l’intranquille, un espace d’interpellation et qu’elle requiert de la part des danseurs un engagement dans un corps torturant et généreux. Il est un des enfants de Pina Bausch, à qui il semble rendre hommage par cette rangée de chaises, symbole si fort de « Café Müller ».

Et l’on imagine ces dix-huit danseurs fraterniser avec Dominique Mercy, magnifique complice de Pina Bausch, et poursuivre la révolution des oeillets.

Pascal Bély – Le Tadorne

Pour prolonger, le regard de Francis Braun, spectateur éclairé…

On se souvient du célèbre “Pina m’a demandé” au Palais des Papes lorsque ses comédiens racontaient des bribes de leur vie intime ….c’était il ya plus de vingt ans, c’était dans le raffinement, le pudique.

Ce soir , aux Célestins , ses « Enfants » se sont fait l’écho de son passé, comme pour mieux la faire renaître…..ils n’ont pas fait pareil, c’était plus “dit”,  ils ont montré ce qu’ils savaient faire, ils ont dansé comme des fous, ils ont montré leurs sexes, leurs perruques et leurs fesses, ils ont montré leurs poils, ont joui, ont aimé, ont détesté, dans le calme, la violence et  l’orgie, sans scrupules, libérés, outranciers, jamais grossiers…toujours dignes et maîtres d’eux-mêmes.

Ils ont escaladé les gradins, enjambé les spectateurs en deux fois. La première, habillés année 50 avec des vêtements de tous les jours, la seconde fois complètement nus, en prise directe avec nous, joues contre fesses, sexe contre nez, trou du cul contre tête….l’un d’eux a même mis mes lunettes sur sa bite (soyons crus, on emploie les mots qu’il faut…ils vont bien avec ce genre de “show”).

Un show en traduction simultanée, dans un français traduit au premier degré…très rigolo, grinçant et terriblement incisif.

Les Enfants de Pina Bausch, Dave Saint Pierre et sa troupe nous ont raconté…..ils s’en sont tirés à merveille, ils nous ont nous emmener là où l’ont voulait secrètement aller sous les ordres ironiquement sarcastiques d’une Maîtresse Femme, qui a force de menaces et de manipulations,  vient s’effondrer  à la fin, gracieusement, mais épuisée.

Ce que ceux de Pina ne disaient pas, ses enfants l’ont dit….l’on montré avec joie et violence, se sont bien amusé. Ils ont dansé, ils sont passé sans complaisance du tragique au dérisoire, du rire aux sanglots…..

Merci a eux que l’on aurait aimé serrer dans nos bras, même trempés qu’ils étaient…ils auraient dû saluer parmi nous, dans les gradins……au milieu de nous…..bonjour la suite!!!!!!
Francis Braun

 
"Un peu de tendresse bordel de merde!" de Dave St Pierre du 21 au 26 juillet 2009 au Festival d'Avignon.
Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.
 
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La nuit avec Wajdi Mouawad au Festival d’Avignon. En étiez-vous?

Deux regards de spectateurs…éclairés par une nuit de théâtre avec Wajdi Mouawad.

7h40. Les oiseaux affolés crient dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. C’est une fête au coeur de leur migration. Le public ovationne. Cela n’en finit pas. Depuis combien de temps la Cour n’avait-elle pas résonné, déraisonné ainsi ? Wajdi Mouawad rejoint sa belle troupe sur scène. L’homme est touché. Il entre dans l’histoire du Festival d’Avignon.

Comment un tel miracle a-t-il pu se produire ? Comment onze heures après, sommes-nous encore là, décomposés de bonheur, regards illuminés et couverts des sédiments déposés par nos imaginaires incendiés. Trois oeuvres ont fait leur travail. Nous avons fait la traversée. Ensemble. Car ce théâtre ne nous a jamais isolé, mais englobé dans un « vivre ensemble », une mémoire vive, une nation de spectateurs. Ce « nous » s’est construit tout au long de la nuit : à la troupe de comédiens sur scène répondait l’assemblée des femmes et des hommes venus le temps d’une nuit, se retrouver, dans la cour, «abattre ce mur», pousser les cloisons, pour un festin orgiaque de théâtre !

Le voyage du fils (exceptionnel Emmanuel Schwartz) pour enterrer son père dans sa terre natale (« Littoral »,), le périple de Jeanne et Simon, jumeaux, pour écrire l’histoire de leur mère décédée (« Incendies »,) l’enquête de Loup sur ses origines («Forêts») : autant de destinées qui finissent par se relier à la nôtre. Combien de deuils impossibles à faire, d’origines non élucidées, de chagrins enfouis parmi les spectateurs ? Pour créer un théâtre humaniste, il faut nous traverser et ne pas nous prendre de haut. Mouawad le sait. Pour cela, La Cour d’Honneur est priée de perdre de sa superbe : il l’habille de sons à l’aide d’un long rideau de lamelles qui, par léger mistral, produit une caresse auditive. Ce soir, point de décor imposant, tout n’est que chaises, murs lacérés, lumières horizontales, tables de bois, petit et grand cahier : avec peu, on fait beaucoup ! Ces objets portent encore l’empreinte des corps des ancêtres et des jeux de l’enfance. Son théâtre suinte ; sa scène transpire : le liquide est partout. Du vivant. Même les mots s’humanisent par cette palette d’accents qui jouent avec le Français comme autant de sonorités métissées au coeur de nos histoires enchevêtrées.

Ici, l’homme travaille, ne renonce jamais face au poids de la transmission : on s’émancipe pour ancrer l’histoire dans un futur à réinventer : cela en est presque magique. Avec Mouawad, les liens sont si tissés qu’ils vous accueillent pour soulager vos peurs et vos pleurs : ressentir sa mère trop tôt disparue, imaginer la grand-mère que l’on n’a pas connue, retrouver le frère, le jumeau, pour se rassurer et calmer sa violence. Et l’on traverse les terres (dans le désert, au loin, dans la forêt de France, pays des contes et des légendes) pour aller vers la mer ; et l’on traverse les corps décomposés, statufiés et dansés.

De ces terres arpentées et labourées, nait le jardin des délices.

Mouawad fait d’une scène le tableau du peintre, la focale du photographe. Tout n’est que visions inanimées que l’artiste «mouvemente». Ses arts florissants  nous redonnent de l’unité, recollent les morceaux : cela va chercher loin tout ça.

Il me faut maintenant revenir.

Pascal Bély – Le Tadorne

 

Loup, Nawal, Wilfrid… J’ai fait votre connaissance le temps d’une nuit. Une rencontre issue de l’écriture de Wadji Mouawad .  Une journée s’est écoulée, et pourtant, je vous entends encore, je vous vois encore, je vis avec vous encore.

Douze heures. Il a suffi de douze heures de représentation dans le lieu magique de la cour d’honneur, pour être ému. C’est dans un élan naturel que je me suis levé pour vous applaudir au petit matin. La couverture, qui a recouvert mes jambes durant la représentation, est tombée à terre, comme ses corps torturés, en mal d’existence, chahutés par la remarquable écriture de son auteur.

Je vous ai scruté du regard de spectateur que je suis. En entrant dans l’enceinte du palais des papes, j’étais un, en ressortant, j’étais un autre. Oui, car l’écriture de Wadji Mouawad bouleverse, met en lumière la véritable nature humaine. Il s’agit d’un théâtre de l’humain, fait de chairs, de sentiments, d’amour.

L’année dernière, vous m’aviez fait exploser l’idée du cadre identitaire que je me représentais avec votre pièce « Seuls ». Aujourd’hui, vous m’avez  ouvert les yeux sur notre condition humaine et je vous en remercie.

C’est à l’unisson que le public vous a regardé, c’est à l’unisson que nous vous disons bravo.

Laurent Bourbousson.