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«Questo Buio Feroce» ou le «sid’amour à mort » de Pippo Delbono.

Assis au premier rang, nous sommes quatre à ne plus pouvoir nous lever. Éblouis par ce que vient de nous offrir Pippo Delbono. Apeuré et curieux de revenir vers vous, chers lecteurs, après cette épopée imaginaire entre la vie et la mort. Comment vous décrire ce que me fait cet homme à chacune de ses créations? Comment évoquer « ma plus belle histoire d’amour » théâtrale? Barbara aurait-elle traversé le plateau ce soir du Théâtre du Merlan, robe noire sur décor à fond blanc, pour nous chanter « la mort » dont le refrain me revient comme une invitation à unir ces deux artistes?

« Qui est cette femme qui marche dans les rues,

Où va-t-elle,
Dans la nuit brouillard où souffle un hiver glacé,
Que fait-elle?
Cachée par un grand foulard de soie,
À peine si l’on aperçoit la forme de son visage,
La ville est un désert blanc,
Qu’elle traverse comme une ombre,
Irréelle,»
Pippo Delbono serait-il lié à Barbara ? Elle chante, il danse. Elle clame le «sid’amour à mort», il convoque sur scène sa troupe pour «Questo Buio Feroce», fresque théâtrale inspirée du roman de Harold Brodkey, écrivain américain mort du sida. Dans mon imaginaire, elle lui chante «Mes hommes». Ce soir, il l’a rejoint, en dansant sur Aznavour,
«Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil»

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Pippo Delbono signe là sa plus belle oeuvre. Est-ce la dernière? «Questo Buio Feroce» serait-il le prologue de ses «Récits de juin» présentés au Festival d’Avignon en 2006 pour nous transmettre son patrimoine de l’humanité ? Je fais donc parti du voyage, entre obscurité et lumière, de l’épilogue au prologue. Il m’en coûte d’avoir mal aux yeux face à ce décor tout blanc. Mal au coeur, quand un homme très amaigri se lève puis se couche avec son masque de beauté. Ils défilent tous, éclopés, exclus, qui attendent leur tour, celui de baisser la garde, pour y aller.
Enfin.

Je les reconnais tous. Je m’accroche à mon siège pour ne pas chialer. Tel un thérapeute, Pippo est là, en coulisse, devant, en arrière pour nous soutenir et nous donner la bonne distance. C’est ainsi qu’il nous offre «My way», la «plus belle chanson du monde», chanté par cet homme beau et maigre comme un arbre prêt à refleurir en bouquet de roses rouges. Avec Pippo, la mort est un chemin qui se fait en marchant… C’est alors que ce blanc immaculé se teinte des couleurs de toute une vie, d’ombres et de lumières, d’histoires de sexe et de drogues, de contes et de légendes, de chansons et de danses. Pippo convoque notre imaginaire pour stimuler notre regard d’enfant, pour lâcher prise.

Enfin.
Avec Pippo, entre vie et mort, c’est la Dolce Vita où nos utopies et nos rêves les plus fous sont parés des plus beaux costumes d’un carnaval venitien, où nous jouons à cache-cache avec la mort. C’est sublime.
Il faut y aller. Elle attend, avec toute la force d’un groupe décidé à en découdre. Qu’importe ! Nous sommes au théâtre, espace de l’immortalité. Elle n’a plus qu’à reculer. L’artiste choisit, déterminé. Pippo danse, se couche religieusement puis se relève. Plus de masque, il offre son corps à la danse, à cet art de l’éphémère, pour devenir un ange.

Enfin.
Dis quand reviendras-tu?

Pascal Bély, Le Tadorne.

 

Certainement que tout va me sembler fade après «Questo Buio Feroce» de Pippo Delbono, moment intime où se lie le fantasmagorique et le réel.
Même si le déclic de cette oeuvre est la lecture d’un livre de Harold Brodkey, la place que tient la vie du metteur en scène dans ce spectacle est tout simplement grandiose. J’avoue avoir peur à l’idée qu’il pourrait s’agir de sa dernière création tant son imaginaire est mis à nu.
Comme avec tous ses spectacles, Pippo nous convie à partager un moment. On ne sait pas jusqu’où il nous emmène, peut-être au pays des merveilles, où tout ce qui peuple sa vie habite la nôtre.
C’est sur le plateau baigné d’une blancheur immaculée que l’humain va se succéder, faible et vil, capable du pire comme du meilleur.
Des scènes de torture en tant de guerre, de l’appel de numéro au guichet de la mort (nous sommes peu de choses !), de la maladie qui nous frappe tous, des contes qui baignent notre enfance où l’on s’identifie au héros ou à l’héroïne, nous sommes tous avides de pouvoir, si petit soit-il, afin de vivre le mieux possible dans cette jungle.
Mais lorsque, touchés par le sceau de la mort (« Me vois-tu ? Je disparais »), nous devons faire face à l’irréversible, alors nous nous retranchons dans notre monde où l’on espère trouver des merveilles.
Pippo Delbono, le bienfaiteur, dévoile, dissèque, expose l’abject comme le subtil sous mes yeux remplis de larmes.
« La Rabbia » et « Questo Buio Feroce » programmés dans le même temps par le Théâtre du Merlan est d’une coordination parfaite avec un fil conducteur : trouver sa force pour avancer.
Pippo a trouvé la sienne, c’est sa danse majestueuse.
Laurent Bourbousson.

« Questo Buio Feroce » de Pippo Delbono a été jouée à la Scène Nationale du Merlan les 14 mars 2008.

 

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Au Festival ActOral, “Mon képi blanc”, le beau monologue du pénis d’Hubert Colas.

Seul sur la scène de ce petit théâtre au coeur de la Friche Belle de Mai à Marseille, cheveux gominés, costume impeccable, il nous regarde sans sourciller. Il est légionnaire et son double se projette en direct dans une télévision décorée de ses apparats. Des micros sont tendus comme autant de perches pour entendre de sa bouche les mots de l’écrivaine Sonia Chiambretto. En entrant, je suis saisi par la beauté et la modernité du décor, proche de l’univers du metteur en scène allemand, Thomas Ostermeier. La scénographie audacieuse d’Hubert Colas met en relief le propos alors que le corps de l’acteur donne au texte des airs de musique militaire sur une partition d’opéra.

Manuel Vallade est exceptionnel. Son corps transpire à certains moments comme autant d’émotions refrénées qui s’immiscent dans le texte. Il fait corps, à corps défendant, avec cet esprit de corps. Sa beauté nous renvoie au film “Beau travail” de Claire Denis qui avait su nous restituer l’atmosphère de la légion à partir d’une chorégraphie endurante et sensuelle. En quarante minutes, se crée une alchimie faite de pureté, d’un engagement sans limites et d’une souffrance contenue. Je ne le quitte pas des yeux de peur que cet humain à l’état brut(e) ne tombe à terre.
Alors que les applaudissements se font chaleureux, “face au mur” (beau clin d’oeil à l’autre mise en scène de Colas actuellement au Gymnase), des prénoms de toutes les nationalités se projettent sur son dos comme un monument aux vivants.

La terre patrie défile. Sublime.

Pascal  Bély – Le Tadorne

”  Mon képi blanc”de Sonia Chiambretto par Hubert Colas a été joue le 6 octobre 2007 dans le cadre d’Actoral.6

 

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“Le silence des communistes” illumine Avignon et la gauche.

Comment se remettre du voyage au long cours des «Éphémères » de Mnouchkine proposé hier par le Festival d’Avignon ? Par un curieux hasard de la programmation, « Le silence des communistes » dans une mise en espace de Jean-Pierre Vincent poursuit le travail entamé la veille ! Quelle oeuvre ! Emu jusqu’aux larmes (encore?), je me lève pour applaudir ce trio d’acteurs exceptionnels (Gilles David, Melania Giglio, Charlie Nelson) en étant conscient d’avoir assisté à un moment inoubliable du festival, mais aussi d’avoir vécu un tournant dans ma vie d’homme de gauche.
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« Le silence des communistes » est un ensemble de lettres échangées entre des militants de la gauche italienne. L’un d’entre eux, Vittorio Foa, interroge deux de ses camarades sur leur silence à propos de la disparition de leur parti et plus généralement sur l’époque où le PCI est une force politique incontournable en Italie. Rien n’est esquivé, mais tout est posé avec panache, respect et sincérité. Gilles David incarne Vittorio Foa avec la puissance qui sied à ce personnage. Il est pour l’instant seul et se tient dans un coin, assis à une table de bistrot. Il se lève pour venir au centre de la scène, quasiment dans l’ombre pour nous fixer dans les yeux. Dans ce déplacement a priori anodin, Vincent interpelle avec délicatesse le public, comme pour l’inclure dans ce questionnement et l’interroger lui aussi sur la disparition du PC en France et sur la faiblesse de la gauche en général. Tout au long de la représentation, ces aller-retour entre les extrémités de la scène et son coeur se poursuivront pour maintenir magistralement ce « pas de côté » qui nous autorise à lire l’avenir de la gauche française à partir de la situation italienne. L’Europe est vivante, Vincent la met en mouvement.
L’arrivée de Melania Giglio dans le rôle de Miriam Mafai apporte les premières réponses. Elle interroge tout autant la doctrine passée du Parti que son rôle dans le déclin. Son engagement féministe transparaît et l’on sent chez cette femme une détermination à persévérer, à reconstruire la gauche sur d’autres bases. Elle entend, comprend les changements induits par la globalisation. Loin de la rejeter, elle intègre la nouvelle donne pour définir un nouveau paradigme. Sa voix, son corps, ses gestes traduisent ce changement. Je ressens la force de cette quête de sens. À l’issue de sa réponse, elle s’assoit, dos au public, lettres à la main, pour écouter le dernier protagoniste de cette épopée intellectuelle.
Charlie Nelson arrive et campe avec discrétion le personnage d’Alfredo Reichlin. Il ouvre le questionnement, pose de nouveaux enjeux avec la grâce d’un félin. On sent qu’il commence à tisser la toile entre ces trois personnages allant de l’un vers l’autre à l’image d’une maïeutique.
C’est à ce moment précis que Gilles David reprend la main, reformule, énonce les problématiques (ouvertes, questionnantes, complexes, incertaines, créatives, …).

La gauche renaît, là, sous mes yeux, au Festival d’Avignon. Je suis loin du sectarisme du Parti Socialiste, je ressens la pensée du sociologue et philosophe Edgar Morin, j’entends les termes posés par Ségolène Royal et François Bayrou. J’en tremble tant j’éprouve l’impérieuse nécessité de poursuivre leur débat (qu’ils jouent en dix secondes et provoquent le grand éclat de rire final du public !). La force de la mise en scène c’est de l’avoir inscrite dans cette salle (à Champfleury, où la déco est en phase avec l’ambiance d’une cellule du parti !), à distance du centre-ville comme pour mieux métaphoriser l’urgence de prendre du recul suite à la victoire de Sarkosy. C’est aussi d’avoir positionné le théâtre comme médiant entre les politiques et nous-mêmes, pour mieux signifier que sans la culture, les penseurs et les chercheurs, la refondation de la gauche est impossible. Jean-Pierre Vincent est donc passé à l’acte. Avec brio, justesse et talent. Que ces quelques mots puissent le remercier.
Il y a décidément des silences qui en disent long…

Pascal Bély.
www.festivalier.net

 « Le silence des communistes » mis en espace par Jean-Pierre Vincent a été joué le 15 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon.

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Pierre Rigal et Aurélien Bory au coeur de la surface de réparation.

En quittant Montpellier Danse en fin d’après-midi pour rejoindre le Festival de Marseille, je ne me doute pas encore à quel point la danse est un art de l’emboîtement des contextes ! Il est 17h50 et Fréderic Bonnaud sur France Inter, la gorge nouée, prononce ses dernières paroles au micro alors que son émission culturelle passe à la trappe dès la rentrée. Il évoque la télévision publique de son enfance, parle de son refus de se travestir et de se compromettre face à une Direction obsédée par l’audience et la communication de façade. Il prévient que la radio connaîtra le sort de France 2. Nous avons le même age et je ressens intensément sa colère : sans le Service Public, je n’aurais jamais pu accéder à la culture. Des applaudissements ponctuent son intervention. Salut l’artiste?

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J’entre quasiment essoufflé au Grand Studio du Ballet National de Marseille pour la dernière création de Pierre Rigal et Aurélien Bory, «Arrêts de jeu». Les spectateurs arrivent au compte-gouttes, suite aux bouchons qui paralysent le trafic. En pénétrant dans la salle, je constate que les deux premières rangées sont encore vides, mais réservées pour une « agence-conseil en communication et image de marque » qui sponsorise la soirée. C’est une insulte faite au public et je repense à Fréderic Bonnaud : la loi de la com s’infiltre partout même dans ce petit théâtre?Je rêve que le Festival de Marseille soit une manifestation gérée par le Service Public?Je rêve.
«Arrêts de jeu» s’inscrit dans la culture de Service Public. C’est une oeuvre qui relie pour créer du lien social entre les Français. Elle permet, à son modeste niveau, d’interroger notre histoire commune et individuelle. C’était en 1982, lors de la demie-finale de la Coupe du Monde de football entre l’Allemagne et la France. Alors que notre pays mène par 3 buts à 1, tout bascule quand Battiston est agressé par le gardien de but. La France perdit aux tirs aux buts et j’entends encore les paroles de mes parents (j’avais dix-sept ans) : «salops de boches !». Ils sont donc quatre sur scène (une femme, trois hommes) pour nous rejouer ce moment historique. Pierre Rigal avait neuf ans ce soir-là et incapable de changer le cours du jeu, il dû faire un pas de géant dans le monde des adultes. C’est ce passage qu’il nous restitue avec force, poésie et humour. Il fait danser les rites du football (jubilatoire !), joue avec l’histoire (il métamorphose les joueurs en poupées de tissus, tels nos gros doudous de mômes). Même le panneau lumineux affichant le score devient pluie d’étoiles filantes ou météorites d’une victoire pourtant inéluctable.

«Arrêts de jeu» répare cette blessure narcissique et collective en transformant le terrain en partie de cache-cache entre la toute-puissance de l’imaginaire de l’enfance, la technique du sportif et la réalité de la loi du plus fort. C’est le corps chorégraphié par Pierre Rigal, mis en relief par les effets vidéo et de lumière d’Aurélien Bory, qui est cette surface de réparation, de passage de l’enfance à l’adulte. C’est aussi ce moment privilégié où le football est revisité par la danse, cet art du vivant, si éphémère et fragile, où les commentateurs sportifs omniprésents et tout puissants dans les médias sont métamorphosés en dialoguistes d’une ?uvre chorégraphique qui leur échappe. C’est ainsi que me reviennent les paroles de Michel Hidalgo, entraîneur à l’époque, évoquant la semaine dernière à la radio cette minute où il est entré dans l’histoire. C’était le 26 juin 2007, sur France Inter, dans «La bande à Bonnaud».
Les agences de com peuvent investir les gradins des théâtres. On sait qu’elles veulent aussi contrôler l’image de marque de nos souvenirs collectifs. Penalty.
Pascal Bély – Le Tadorne.

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Le maudit gazon de Mathilde Monnier à Montpellier Danse.

La force d’un festival, c’est de tisser des liens invisibles entre les oeuvres. Quitter Christian Rizzo à 20 heures au Chai du Terral pour retrouver Mathilde Monnier à 21 heures au Théâtre de Grammont est une invitation pour le festivalier à chercher une cohérence, tel un jeu de pistes. D’un puissant solo à neuf danseurs, le défi est excitant ! Mais au final, un grand écart, un mal de tête et une profonde déception couronnent mes efforts. Habité par la vision sublime de Rizzo, j’atterris sur le gazon de « Tempo 76 » chez Monnier sans parachute. Inutile de préciser que ce n’est pas sans douleur !


Et pourtant…Avec Mathilde Monnier, je me suis toujours senti en confiance même lors du très controversé « Frères et s?urs » au festival d’Avignon 2005. J’entends et je ressens profondément sa pensée, qui prône continuellement l’ouverture comme mode de communication, la transdisciplinarité comme projet artistique. Pour s’en convaincre, je vous invite à lire « Allitérations », une suite de conversations avec le philosophe Jean-Luc Nancy où elle explique avec justesse et intelligence, sa vision d’une danse exigeante et vivante. Elle y évoque notamment son lien complexe avec l’institution puisqu’elle est directrice du Centre Chorégraphique National de Montpellier. Si bien qu’à l’issue de la représentation de « Tempo 76 », je m’interroge: pourquoi cette danse si normative ? Seul le dernier tableau (qui aurait pu être le premier) me réconcilie : les danseurs démontent plaque par plaque le gazon, font éclater des ballons, aidés par une meute de taupes bien décidées à voir le jour pour jeter vers le public, leur regard interrogatif.

À l’unisson (puisque tel est le thème de cette pièce), le groupe déconstruit, dans le chaos. Mathilde Monnier, nous donne alors toute la puissance de son talent lorsqu’elle est à la marge (souvenez-vous du puissant « 2008 vallée » avec Philippe Katerine ou de l’émouvant «la place du singe » avec Christine Angot). Mais pour déguster le dernier tableau, il m’a fallu ingurgiter les précédents où domine l’impression d’un déjà vu qui nous colle au raz du gazon pendant plus de cinquante minutes. L’unisson dansé par Monnier ressemble à ces formes groupales le plus souvent fusionnelles, qu’elle restitue avec talent, drôlerie, rythme et créativité ! Mais qu’apprenons-nous? Certes, je peux toujours admirer la scénographie d’Annie Tolleter qui n’a pas son pareil pour transformer une scène de théâtre en agora, pour la prolonger au-delà des murs, pour nous donner cette subtile sensation d’un dedans-dehors. Je peux toujours fixer l’un des danseurs, grand et massif (loin des stéréotypes) pour me convaincre que « Tempo 76 » est raffiné en s’appuyant sur la différence. Je tente bien de me laisser aller à ces mouvements où ils apparaissent et disparaissent comme au temps de notre enfance où nous rêvions du groupe comme échappatoire à l’enfermement de la famille. Je peux continuer à vous décrire ces différents moments où l’on sourit avec légèreté, mais où l’on finit tout de même par se demander : pour quoi ? On pourrait y voir une société uniformisée qui, à l’unisson, choisit un projet politique plutôt qu’un autre (suivez mon regard…) et qui se déconstruit à force de ne plus penser. On pourrait…

Mais alors, quel est ce langage chorégraphique pour qu’il me laisse à ce point désemparé, sans élan?

« Tempo 76 » signe peut-être une inclinaison dans la danse de Mathilde Monnier. À l’unisson, nous crions  notre peur : « Non,  elle aussi ??».

Pascal Bély
www.festivalier.net

«Tempo 76» de Mathilde Monnier a été joué les 25, 26 et 27 juin2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

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Avec “May B” de Maguy Marin, Nicolas Sarkozy, c’est déjà fini.

A Peggy, Smaïn, Alain-Marc, Igor, Marie-José, Evelyne, Sabine, Claire, Sylvie, Christian.

Oh mes théâtres!

A Ariane M.

A François B.

A Ségolène R.

Pour Maguy Marin.
Le soleil apparaît enfin après une semaine pluvieuse. La Sainte Baume est rayonnante alors que nous filons vers La Penne sur Huveaune, ville de la banlieue marseillaise, pour assister à l’un des chefs d’oeuvre de Maguy Marin, « May B ». En cette veille d’élection, nous avons besoin de luminosité, pressentant le cataclysme du lendemain. Avant d’entrer dans le théâtre, mon ami et moi ne parlons que de cela. Je sens bien que ce contexte pèsera tout au long de la soirée.
Nous sommes le mardi 8 mai. Je n’ai toujours rien écrit sur « May B ». Tout a déjà été dit sur cette pièce majeure. Que puis-je ajouter ? La victoire de Sarkozy m’a sonné. Je pense à Maguy Marin, elle qui en avait « gros sur le coeur après la crise des intermittents et qui nous l’avait exprimé, un soir d’octobre 2005 en ouverture de la saison du Théâtre de Cavaillon. Je me souviens de sa colère, saine au demeurant, contre cette société du divertissement qui nivelle tout vers le bas. Après avoir été agressé par une partie du public lors d’une représentation d'”Umwelt” (« on ne vient pas au théâtre pour se prendre la tête »), elle leur avait répondu par « Ha ! Ha ! », oeuvre percutante puisqu’elle interrogeait notre passivité face au rire dégoulinant de nos médias. En ce dimanche de victoire Sarkozienne, Clavier et toute sa clique pérore sur la place de la Concorde, triomphe éclatant de tous ces bouffons qui, sous prétexte de faire rire la société française, l’ont annexée au moins-disant culturel. C’est ainsi que Maguy Marin a pressenti le succès de l’idéologie d’une droite décomplexée.
En ce mardi 8 mai, je pense à elle, à sa compagnie, à son Centre Chorégraphique National de Rieux la Pape, installé au coeur de la banlieue lyonnaise.
Quel décalage entre ce Président « inculte » (qui méprise les artistes « intellectuels ») et ce modeste blog, censé m’aider à réfléchir sur mon rêve de divertissement en le transformant en désir d’écriture pour communiquer!
C’est ainsi que le 5 mai, voir « May B » de Maguy Marin, est un acte de résistance, d’insoumission et de rébellion. C’est une oeuvre intemporelle (crée en 1981, elle continue de tourner pour assurer la stabilité financière de la compagnie) : la victoire de Sarkozy n’est alors qu’un petit phénomène au regard du dessein de “May B” qui n’en finira pas d’émerveiller des cohortes de spectateurs.

« May B », c’est le destin de l’humanité sur scène symbolisé par ce groupe d’hommes et de femmes enfarinés qui progressivement, se libèrent de leur animalité pour s’habiller de leurs costumes, métaphore du lien social.
« May B », c’est un jeu d’ombres et de lumières qui éclaire notre conscience sur notre avenir commun.
« May B » est une musique entêtante où l’autonomie se nourrit de liens de dépendance au coeur d’une dynamique groupale.
« May B » donne la force de croire que tout progrès peut devenir universel s’il crée de nouvelles solidarités.
« May B » est une palette colorée de nos petits gestes insignifiants, mais qui, par la magie de l’art (où la danse rencontre l’univers théâtral de Beckett), se transforment en mouvements subversifs libérateurs, loin des codes enfermants de nos sociétés mécanisées.
May B », ouvre et ferme à la fois, à l’image de cette phrase énigmatique qui fait office de prologue et d’épilogue : « Fini. C’est fini. Ça va finir. Ça va peut-être finir ».
Sarkozy est un homme poussiéreux qui feint d’ignorer que le monde ouvert part à sa catastrophe si nous ne remettons pas la culture et nos connaissances sur l’évolution de l’humanité au profit des nouvelles solidarités. « May B » de Maguy Marin est l’oeuvre qu’il fallait voir pour ne pas se laisser abattre. Elle nous a permis de nous enrichir du sourire bienveillant de Ségolène : on ne peut rien contre la longue marche vers de nouvelles fraternités.

Pascal Bély – Le Tadorne.

"May B" a été joué le 5 mai 2007 à la Penne sur Huveaune dans le cadre du Festival "Danse en mai".
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Au Festival d’’Avignon, « Combat de nègre et de chiens » résonne.

Festival d’Avignon, le 13 juillet 2006,

Au Gymnase Aubanel, le metteur en scène Arthur Nauzyciel présente « Combat de nègre et de chiens » de Bernard- Marie Koltès. Assis au dernier rang, je suis surpris par cette scène très profonde et ce voile très fin qui la sépare du public. Nous sommes en Afrique sur un chantier de construction qui emploie de la main-d’oeuvre locale. Horn, le patron, est l’ami-amant de Léone. Ils arrivent d’un long séjour à Paris. Alboury cherche le corps de son frère mort mystérieusement sous les yeux du contremaître Cal. Pendant deux heures trente, j’assiste, médusé, à la confrontation de deux mondes (L’Afrique et l’Occident), à la violence des rapports amoureux hors norme (Léone et Alboury finissent par s’aimer) et au racisme le plus ordinaire. Ce sont tous des acteurs américains magnifiques. À quatre, ils tissent patiemment la trame dramatique de cette histoire qui résonne pour tous les peuples colonisateurs, dont les Français.

Le début surprend certains spectateurs qui n’hésitent pas, au bout d’une heure, à quitter la salle. Mon corps est lourd et je lutte : vais-je tenir tant cela me paraît long ? La mise en scène entretient cette lourdeur: lumière tamisée, lenteur des déplacements, dialogues sur mesure pour signifier le poids du passé et des clichés. Elle suggère par petite touche la montée en puissance de ce combat: Alboury qui parlemente derrière le voile, Cal qui prend sa douche pour se laver de la (sa) boue, Léone et Horn qui échangent leurs lointaines impressions. Cette distance, voulue par le metteur en scène, se réduit au fur et à mesure de l’intensité des relations. Et puis, tout se craquelle : Cal devient de plus en plus violent, Alboury qui ne peut aimer Léone sans trahir les siens, Horn qui trompe la confiance d’Alboury. On s’attache à chacun de ces personnages, car rien n’est survolé. Le langage analogique est puissant (le sol qui devient boueux alors que tout s’écroule pour Leone, le décor qui s’embellit à mesure que l’histoire d’amour se construit, le son qui nous plonge dans la nuit africaine). Rien n’est totalement dévoilé pour laisser au spectateur la possibilité d’interagir avec chacun des protagonistes.

J’ai l’impression de voir un film de cinéma, d’assister à une chorégraphie, de ressentir la profondeur du décor comme du texte, tant cette mise en scène est intelligente. Elle ne fait pas appel à la compassion du spectateur, mais elle lui permet d’avoir la bonne distance émotionnelle pour l’inviter à réfléchir, à faire les liens avec le contexte français. Car le racisme est un processus complexe qui ne peut-être réduit à des jugements à l’emporte-pièce. Nauzyciel rend profond ce qui ne l’est pas à première vue. Son travail de l’espace scénique suggère le dedans- le dehors, seule posture capable d’appréhender le racisme.

Arthur Nauzyciel m’a offert un très beau moment de théâtre. Il l’a rendu possible alors que mon corps s’apprêtait à flancher. Je n’ai pas abandonné la partie. Les menaces qui pèsent sur notre société et le monde ne le permettent pas.

 Pascal Bély, Le Tadorne.

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Christine Angot-Mathilde Monnier: le beau souvenir d’Avignon 2005.

Il aura donc fallu en passer par là…Subir Rambert, Vienne, Decuvellerie pour enfin comprendre le projet global de la Direction du Festival. Cette déconstruction que vit le public (il perd ses repères habituels) est nécessaire pour l’aider à passer vers d’autres formes artistiques, métaphores du nouveau monde à construire. Nous sommes effectivement à la fin d’une époque (le monde binaire) pour entrer dans la globalisation (les réseaux). Le spectacle vivant pouvait-il rester à l’écart de cette mutation ? Cette édition restera sans aucun doute un tournant dans la vie agitée du Festival d’Avignon.
Alors à force de déconstruction, j’étais prêt pour accueillir à 19h la proposition de Christine Angot et de Mathilde Monnier, «La place du singe». Pour la première fois dans ma courte vie de spectateur, j’ai assisté à la magnifique articulation entre la Danse, la Littérature et le Théâtre.

Un texte puissant d’Angot sur la bourgeoisie qui fait lien entre elles, Monnier qui danse les non-dits (nombreux dans ce milieu), une scénographe, Annie Tolleter, qui métaphorise par des objets (un drapeau français, une estrade,une table) le contexte du charme si discret de la bourgeoisie. Tout au long du spectacle, je suis fasciné par la justesse du propos, la sincérité des acteurs (pour la première fois dans ce festival, j’entends un « je » engageant) et la puissance de Monnier qui utilise son corps comme défouloir d’une souffrance trop longtemps enfouie.
Le public est debout, ovationne ce trio. Emu par ce lien entre elles et nous, entre le Festival et son public, entre les arts et le monde…
Une (re)construction.
Pascal Bély- Le Tadorne.
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Pascal Rambert coule le Festival d’Avignon.

En ce dimanche caniculaire, le déluge vient de s’abattre sur Avignon. Pascal Rambert y présente « After / Before », une création très attendue (les places s’arrachaient sur le parvis !). Au départ de cette œuvre, une question très linéaire que Rambert pose à des terriens au hasard de ses rencontres à travers le monde: «En cas d’une grande catastrophe, d’un nouveau déluge , qu’emporteriez-vous surtout du monde d’avant pour le monde d’après ?». A cette question d’une paresse intellectuelle effroyable, les terriens s’efforcent de donner des réponses complexes, drôles, réfléchies, percutantes, jamais ennuyeuses au cours d’un film projeté au début du spectacle. On y entend les réponses intelligentes d’Olivier Py et de Christine Angot. Une jeune fille souligne tout de même que l’on ne peut prendre un élément en dehors de son contexte ; Olivier Py évoque l’impossibilité d’isoler un élément d’un tout (à croire qu’ils ont tous lu Edgar Morin !). Une femme émouvante parle du temps à ne plus perdre, de la communication à ne plus disqualifier. Bref, ces terriens sont formidables ! Ils sont tous porteur d’un tout, d’une globalité. Ce film est un petit bijou ; la pièce aurait pu s’arrêter là et ARTE aurait signé pour le diffuser au cours d’une Théma !

Mais Pascal Rambert a une toute autre idée de la question et des réponses (après tout c’est son droit). Son point de vue consiste à recycler les paroles des terriens! Pour cela, il démonte les paroles , coupe, remonte à sa guise. Les jeunes comédiens sont isolés chacun dans une rangée où trône à la fin une personne plus âgée. Les deux générations essayent bien de communiquer, mais en vain (on est loin de« Trois Générations » de Jean-Claude Galotta). Tout est cloisonné, les paroles sont isolées de leur contexte (seule la Télévision sait faire aussi bien !), voire disqualifiées (la réponse d’Olivier Py est ridiculisée). Un chien sur le plateau fait diversion et amuse un public manifestement désemparé pour en rire !

Non content de s’en tenir à cette première relecture des « terriens », Rambert nous remet le couvert avec une mise en musique et donc en paroles ! Et là, l’apocalypse, le vrai déluge de Rambert sous nos yeux…Les comédiens chantent faux, dansent comme à l’école primaire, se déguisent pour un carnaval funèbre. Des cris fusent du public (« Rendez-nous le chien »!);  j’ai honte de cette création et pitié pour ces comédiens ! A sa propre question, Rambert n’emporte même plus les paroles des terriens et engloutit la création du festival d’Avignon dans un océan de ridicule….

A la fin du spectacle, je suis  sonné pendant une bonne heure…J’ai apposé une affiche au cloître Saint Louis, siège du Festival : « Pascal Rambert utilise la parole des spectateurs. Reprenons-là!»

Je me suis imaginé Jan Lauwers, le fabuleux créateur de « La chambre d’Isabella » répondre à la question de Rambert. Il en aurait fait une ode à la joie, avec  Olivier Py comme vainqueur!

A vous de voir…Rambert et sa troupe squatte le Théâtre de Gennevilliers les 18 et 19 février 2006…Préferez la montagne!

Pascal Bély.