Que de propositions à « Question de Danse », festival marseillais animé par Michel Kelemenis ! La diversité du programme est prometteuse pour Marseille, si l’on accepte l'idée qu'elle puisse devenir un jour une ville où l'on y danse.
Au cours de la deuxième semaine du festival, Erika Zueneli avec deux duos autour du conflit et d'une table « carrée », nous a laissés perplexes. « Tournois » étant une étape (c'est aussi le principe de « Question de danse »), on évitera tout jugement définitif. Le travail est sérieux, recherché (trop ?). Il lui manque un supplément d'âme, un souffle, pour que l'on soit complètement touché.
A côté, le collectif franco-turc (incluant la compagnie C dans C et Ciplak Ayaklar Kumpanyasi) nous a offert un moment dansé réjouissant. À la table carrée, ils préfèrent le canapé Ikea, symbole d'une génération de la télévision et de l'internet, que l'on aurait tendance à vite classifiée comme désenchantée. Dans « Engin-Ar », elle a besoin d'amour, de collectif, de tolérance. Qu'un plus un, ne font plus deux, mais une infinité de combinaisons suivant l'humeur et le contexte. C'est une génération profondément européenne, dont l'énergie à vouloir inclure la Turquie dans notre projet est vivifiante. Les danseurs portent le collectif avec fougue parce qu'il est incarné dans des valeurs. On reconnait Orin Camus, qui nous avait ébloui dans “Indigo” de Paco Décina.
On en ressort stimulé, car leur danse sculpte nos envies de sortir de la spirale infernale de l'agressivité et du conflit dans laquelle notre pays est plongé. Ce canapé, métaphore de l'objet du désir, qu'ils manipulent dans tous les sens, pousse toutes nos tables contre les murs et dessine un pont bascule entre la France et la Turquie. Époustouflant !
On aurait aimé la même fougue de la part du collectif marseillais « Skalen ». « If I » est une ?uvre au départ incarnée qui se désincarne peu à peu en l'absence d'un propos chorégraphique assumé collectivement. Ici, « tout le monde est chorégraphe » précisera plus tard l'une des danseuses Michèle Riccozzi. Cela se ressent tant la danse se dilue dans la vidéo et le son de la guitare de Jean-Marc Montera. Cette pièce symbolise ce dont souffrent certains collectifs français : une somme de belles disciplines (le danseur Fabien Almakiewicz est impressionnant) mais une difficulté à passer de la pluridisciplinarité à la transdisciplinarité. Il est peut-être là le rôle du chorégraphe : donner le souffle vital pour opérer le passage.
Mais il y a surtout eu Ayse Orhon avec « Hava'nin a'si/ [a] of air ». Le titre en dit long sur ce voyage unique. Le spectacle qu'il ne fallait pas manquer. Un espace poétique si rare que le corps du spectateur ne peut résister. En nous offrant des voies de passages entre la voix (vibrant chant traditionnel turc), le mouvement dansé, la musique avec le fil tendu par le musicien Ahmet Altinel et l'air, Ayse Orhon bouscule bien des codes de la danse. Elle danse à partir de l'air qu'elle emmagasine pour le restituer. L'effet produit est quasiment indescriptible, car nous n'avons aucune référence sur laquelle nous appuyer, à part faire confiance à notre imaginaire. Le corps métamorphosé par cet « alliage » déplace le spectateur dans un ailleurs suspendu, totalement flottant. L'air, le corps, le son ne font qu'un et forme la matière d'un art incarné dans un fluide du vivant. Tout d'un coup, la danse est une artère sonore, un n?ud musical où se jouent tant d'articulations, que l'espace du corps envahit toute la scène et vous englobe. Ces deux artistes n'imposent rien tant leur fragilité est la force de leur transmission d'eux vers nous. C'est beau parce qu'indéfinissable.
Avec eux, la danse est le vecteur du sens qui autorise toutes les transdisciplinarités. Souffle coupé.
Pascal Bély ? www.festivalier.net
L’ensemble de ces propositions a été présenté dans le cadre du festival “Question de Danse” du 3 au 7 novembre 2009, en préambule au festival DANSEM.





La table est bien trop large pour
Avec la représentation du « Malade imaginaire » de Molière, Alexis MOATI réussit à bousculer les idées préconçues d'un public scolaire souvent réticent à l'égard du théâtre, n'y voyant qu'un lieu désuet, où sont présentés des « classiques » figés et immuables. Ici, il devra s'en affranchir pour s'éveiller à une forme «participative » inédite.
C'est une semaine turbulente, dans un climat de persécution et de décadence qui enveloppe tout le pays. La peur s'immisce partout, les barrières se dressent, le népotisme s'invite au plus haut niveau de l'Etat, l'argent infiltre les lieux du savoir, les commentaires sur les sites internet des journaux concernant Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, sont d'une violence inouïe. La société du spectacle et du jeu, érigée en propos artistique à la
À d’autres moments, ces âmes torturées ont le corps d’un f?tus se contractant sous les coups extérieurs. La mort est un prélude à la renaissance. Et puis, la cérémonie bascule : la danse se fait douleur. La danseuse tourne sur elle-même au cours de minutes interminables : elle risque à tout moment de perdre son centre de gravité, de se brûler les pieds par contact avec le sol. Cette torche vivante fait tomber les bras et la tête. L’art se niche au c?ur de la torture : beau et troublant à la fois.
Cet été, au Festival d'Avignon, le metteur en scène italien Pippo Delbono avec « La Menzogna » nous offrait un final éblouissant : seul le « fou » pouvait nous sauver de la débâcle. À Marseille, le fou est un roi qui se moque bien de notre triste sort ! Personnifié par Etienne Saglio dans « le soir des monstres », cette ?uvre de cirque étonne par son langage (entre tours de magie et théâtre burlesque sans texte). Le pouvoir s'incarne, mais Étienne Saglio peine à s'amuser avec le corps « institué » et nous inflige des mouvements plus proche d'un « one man show » que notre petit président jouent d'ailleurs à merveille. Malgré une réelle sincérité dans le jeu, l'ennui guette. Étienne Saglio a un talent prometteur, mais on aurait aimé un peu plus d'audace en lieu et place de ses numéros tuyautés qui finissent par lasser.
À côté, le fou incarné par Bonaventure Gacon détonne ! « Par le boudu » nous donne à voir l'un des clowns les plus complexes jamais rencontré. Il perd toutes notions d'espace et de verticalité. Assassin d'enfant, il va jusqu'à le manger. Pour s'asseoir ou se lever, il prend de tels chemins de traverse, qu'il peine à retrouver la mécanique de son corps. C'est un clown contaminé par notre société de consommation qui s'amourache d'un poêlon. Il finit même par engloutir n'importe quoi au risque de se casser les dents. Pour incarner nos névroses obsessionnelles d'ordre et de sécurité, il imite un soldat obéissant, prêt à tendre le bras vers Jean-Marie. Tout au long de ce spectacle drôle et subtil, me revient l'année 2002, celle où la France s'est couverte de honte. Étrange coïncidence, c'est la date de création de « Par le boudu ». Huit ans que ce clown cauchemardesque envahit nos théâtres et torture nos mauvaises consciences. Réussira-t-il à nous sauver ?