« En 1988, Adriano Sofri, ancien dirigeant de Lotta Continua, fut accusé par un repenti d’avoir commandité l’assassinat du commissaire Calabresi 16 ans plus tôt. Après une dizaine de procès entachés d’irrégularités, d’incohérences et de manipulations, il fut condamné à 22 ans de prison avec deux de ses camarades. Recours juridiques, manifestations de solidarité, publications, spectacles, appels divers et demandes de grâce n’y ont rien fait : enfermé dans la cellule nº 1 de la prison de Pise, Sofri n’en sortira qu’en 2015. Il aura alors 73 ans. Pas très loin de là, son dénonciateur vend des crêpes. ».
Ce préambule, écrit par le metteur en scène Hervé Loichemol pour présenter « Lever les yeux au ciel » de Michel Beretti, pose le contexte de l’histoire, mais aussi la colère de l’auteur envers la justice italienne. Dans le cadre feutré de La Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon se joue une œuvre politique qui auraient eu sa place au Festival d’Avignon aux côtés de Peter Brook et d’Edward Bond. Pour nous raconter ce scandale, Hervé Loichemol a presque crée deux pièces dans une seule mise en scène.
La première voit trois acteurs s’affairer à nous décrire les faits: d’un côté une petite partie du Pôle Nord fond d’année en année du au réchauffement de la planète; de l’autre un homme qui est en prison alors qu’il n’a rien à y faire. En fait, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, le processus est le même : cela ne devrait pas exister. Alors que nous sommes capables de nous émouvoir pour un scandale écologique, nous laissons un pays européen bafouer les droits de l’homme les plus élémentaires. Ce rapprochement des faits pourrait paraître incongru, voire culpabilisant. Sauf qu’en posant les éléments du contexte antarctique, les comédiens nous préparent à l’écologie politique. Ils nous accompagnent, car le sujet a de quoi nous faire fuir : la justice italienne n’est pas une problématique facile à comprendre. Avec humour et gravité, ils passent d’une scène à l’autre, sans qu’il y ait toujours un lien de cause à effet, comme pour mieux nous démontrer l’absurdité de cette décision de justice. La mise en scène épouse à la fois l’aspect chaotique de l’Italie et la complexité de la situation d’Adriano Sofri.
Avec empathie et détermination (mention toute spéciale à Marie-Catherine Theiler), les comédiens nous tiennent en haleine pendant plus d’une heure. Ils réussissent à établir une proximité avec le public en créant les conditions de l’incarcération. Troublant.
La deuxième partie du spectacle est extraordinaire. Un homme en costume s’assoit face à nous. Il joue Adriano Sofri. Il nous raconte sa vie de prisonnier et ses déboires avec la justice italienne. Le théâtre opère la magie : il libère la parole de cet homme, sa cellule à Pise est dans la Cave des 25 toises de La Chartreuse. Et pour que ses mots ne s’évadent pas, il prend une caméra et nous filme. Notre image est projetée sur un écran. Nous sommes renvoyés à nous-mêmes, à notre conscience de citoyen européen. Ce positionnement à priori flou prend alors sa dimension. Le Pôle Nord et Adriano Sofri sont liés. Si l’un craque, l’autre aussi. Tous les deux sont interdépendants, car reliés au projet européen.
À nous de faire en sorte qu’il ne fasse pas seulement partie du décor d’un théâtre.
A voir, des extraits vidéo du spectacle.




« Au monde » est la proposition la plus réussie. La plus troublante aussi. Celle qui résonne chez chacun de nous, car elle évoque un système connu de tous : la famille. Dans le cas présent, nous sommes plongés au c?ur d'une entité familiale où les intérêts économiques (la succession du père, grand patron de l'industrie) s'entrechoquent avec la fragilité psychologique de ces hommes et femmes qu'a priori tout oppose. Le décor est noir à l'image de cette famille précipitée dans l'obscurité de ses secrets ; blanc comme l'ouverture vers l'extérieur, vers la rue bruyante. A partir de ce jeu de contrastes, Joël Pommerat scrute la famille. Ces différents angles de vue m'amènent parfois à me frotter les yeux pour vérifier que je n'ai pas rêvé. La musique appuie l'intensité dramatique comme le bruit de fond du secret familial qui se transmettrait de génération en génération. Les lumières et les changements de décor incessants produisent une étrange sensation : tout change, mais rien ne change même si le jeu des alliances et des coalitions peut donner l'impression du mouvement. Entrer dans cette famille, c'est être pris dans un jeu d’équilibristes dangereux. Et pourtant, elle est assiégée de partout.
Il y a d'abord le retour du fils cadet, Ori, parti depuis cinq ans après avoir servi dans l'armée de l'air. Il revient, menacé d'aveuglement (dans tous les sens du terme), et va prendre malgré ses hésitations, la succession de son père. Il commence à se taper la tête contre les murs à force de ne plus voir la réalité, à s'enfermer dans sa chambre pour réfléchir à ce qu'il veut faire réellement de sa vie ; il sort le soir, alors que rode un individu qui assassine les femmes.
Car, rien n'est fermé dans cette pièce à l'image du dernier tableau où les trois s?urs unies nous proposent un nouveau modèle horizontal à même d'affronter la complexité.
Sur une petite scène, en dispositif bi-frontal, seize comédiens jouent la vie d'une famille japonaise installée en Corée. Nous sommes en 1909 et
Pour compliquer définitivement le tout, Frédéric Fisbach nous donne à voir un jeu dans la pièce. Tous les protagonistes qui ne jouent pas circulent autour de la scène, élaborent des affiches qu'ils placardent contre les murs latéraux. Des images vidéo se projettent sur ces dessins. Il se joue donc quelque chose que le texte ne dit pas. La multiplication des points de vue finit par épuiser le spectateur. Je n’arrive plus à relier et je m’agace de ces mouvements ampoulés, rigides. Fréderic Fisbach sous-estime les effets d'une telle mise en scène sur le public. Je souris a à la lecture d'une interview pour le Festival d'Avignon : « Je m'appuie beaucoup sur son écriture (celle d’
Michel Laubu et son « Turak Théâtre » n'ont pas mieux réussi avec « Depuis hier. 4 habitants ». Pourtant, le lieu s'y prête. Nous ne sommes qu'à quelques mètres de la Maison Jean Vilar et du Palais des Papes, dans ce si joli jardin de la rue de Mons. Une centaine de spectateurs prend place face à ce dispositif scénique pour le moins original. C'est un petit espace fait d'objet de récupération. En attendant l'arrivée des comédiens, des violons mécaniques jouent de la musique et des vieilles machines à café envoient de la vapeur. Ils arrivent à trois pour faire fonctionner ce bric-à-brac. À chaque extrémité du dispositif, deux se positionnent dans des petites cahutes en bois tandis que Michel Laubu, le marionnettiste, est au centre. Il a ramené des matériaux après un voyage en kayak sur la Durance dont du bois patiné par l'érosion des courants. « Depuis hier. 4 habitants » est une galerie de quatre portraits avec un questionnement pour le moins complexe : « Sommes-nous au même moment dans quatre endroits du monde ? Sommes-nous au même moment dans quatre endroits du monde ? Sommes-nous au même endroit à quatre instants différents ou avec le même individu à quatre moments de sa vie ? ».
Le résultat de ce questionnement est mitigé. Michel Laubu brouille les repères narratifs pour nous inviter à construire notre histoire alors que les objets sont omniprésents. Ils n'ont pas le pouvoir de me déconstruire: ils sont instrumentalisés et une technique linéaire régit leurs attitudes. Tout est trop bien huilé. Même si je ris à certaines scènes, je reste collé à cette mécanique. Je m'étonne même de ne rien ressentir comme si mon rire répondait aux rouages parfaits de l'objet. Seul un comédien peut réussir ce tour de force de m'emmener loin des sphères du réel.

Première étape :
Au-delà, il nous interroge. Qu'est-ce qui est ridicule ? Son corps ou les codes de la danse ?
