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Mon périple bruxellois (2/3) : le KunstenestpasmonFestivaldesArts.

Je ne m’attendais pas à une telle perte du propos artistique et de la mise en scène. Que s’est-il donc passé au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, pour qu’aucune oeuvre ne soit venue me chatouiller, me surprendre, m’émouvoir.  Après quelques hypothèses émises dans un précédent article, suite et fin avec ce deuxième compte-rendu.

Árpád Schilling est un metteur en scène hongrois. «À papn?» aurait pu être un événement théâtral: une immersion dans un village reculé de Hongrie où une enseignante envoyée par l’Union Européenne introduit le théâtre au collège mais doit affronter l’opposition d’un collègue à cheval sur le dogme catholique. Les enfants et leurs éducateurs sont sur le plateau tandis qu’un documentaire documente à partir de témoignages sur ce conflit entre art et religion, modernité et tradition. Les enfants jouent leur propre rôle à moins que ce ne soit une mise en abyme (un atelier théâtre porté à la scène) dans laquelle nous sommes mis à contribution (ce moment tombe totalement à plat).

Le théâtre est le grand perdant de cette forme hybride : on s’y ennuie souvent tandis que le documentaire nous captive dans ce dilemme qui divise la communauté. Árpád Schilling aurait pu convoquer un auteur pour créer le dialogue entre la scène et l’écran. Mon regard bienveillant s’est porté sur ces enfants forts et fragiles qui sont mes concitoyens d’Europe. Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens du travail de Florence Lloret présenté à la première Biennale des Écritures du Réel à Marseille en mars 2012. Dans « L’alphabet des oubliés»,  le documentaire sur les enfants servait leur théâtre et le nôtre.

Autre ambiance. Rendez-vous au Kaaistudio’s pour «Book Burning» de Hans Op de Beek et Pieter de Buysser. Ce dernier incarne le narrateur, tout juste accompagné d’une malle aux trésors dont les différents tiroirs font office de décor d’un conte compliqué et ennuyeux. Ici aussi, le Kunsten joue avec les formes hybrides en invitant ce philosophe et metteur en scène à nous proposer ce «transformatador» («un genre performatif littéraire et visuel qui transforme l’énergie quotidienne en une créature mythique avec des pattes élégantes, des ailes grotesques, des ongles politiques et de grands yeux inquisiteurs. En bref, un être qui rendrait même les toréadors nerveux»). Vous ne saisissez pas l’intention artistique ? Moi, non plus. Pendant une heure trente, je m’accroche à Pieter de Buysser. Mais son jeu ne me dit rien, car son corps théâtral est absent. La malle est probablement l’objet le plus fascinant même si elle ne délivre pas tous ses secrets. Ce conte «postmoderne» se perd parce que la fiction qu’il déploie n’est pas «théâtre». Tout juste une «lecture» performative. Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens des oeuvres de l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat. Cet homme me ravit car nos chemins se croisent, à pas contés.

Cette fois-ci, cela commence plutôt bien. Ils sont quatre sur scène: un belge (Pieter Ampe), deux portugais (Guilherme Garrido et Nuno Lucas), un allemand (Herman Heisig). Chorégraphes et danseurs, leurs corps se comparent aisément : petit, grand, maigre, costaud, poilu, imberbe. Manque la couleur : ils sont blancs. Quatre mecs qui dès le début se disputent la vedette autour d’un micro qui ne tarde pas à devenir la béquille de leurs talents si fragiles! Pour sortir de cette escalade, ils convoquent le théâtre, la danse, l’installation performative: qui rira bien qui rira le dernier! Ainsi, l’un glisse sa tête dans un ballon qui gonfle à vu d’ici (d’où l’expression «avoir la grosse tête»), tandis qu’un autre, puis un autre, entrent dans ce même ballon (si, si, je vous assure !). Comment ne pas penser à Magritte, aux surréalistes? C’est drôle et touchant. Mais peu à peu, le malaise s’installe: la danse est moquée jusqu’à lâcher la belle entreprise. Ils convoquent le divertissement (qui, du coup, ne fait plus rire) et finissent par tout casser lors d’un concert rock au ralenti assez pathétique (n’est pas Pierre Rigal qui veut).

Me revient alors le spectacle de Sophie Perez et Xavier Boussiron, «Oncle Gourdin», présenté au dernier Festival d’Avignon. Même rythme et successions de numéros qui moquent l’art chorégraphique jusqu’au final apocalyptique. Dans les deux cas, le propos est réactionnaire: au-delà de leur génie (qui est bien sûr immense, d’où la scène avec le ballon), il n’y a plus d’avenir pour eux, donc pour nous. Cette vision romantique du statut de l’artiste m’effraie: elle prépare le fascisme. À mettre en lien avec mon précédent article où je démontre comme l’esthétique de la communication a contaminé les arts de la scène au cours du festival. Est-ce encore de l’hybridité ?

Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je convoquerai la plus jeune génération pour qu’elle dialogue avec la plus âgée, en attendant que les trentenaires dépressifs fassent leur thérapie en dehors des plateaux. Je pense alors à l’oeuvre d’Anna Halprin et Morton Subotnick («Parades and changes, replay in expansion») créée en 1965, censurée pendant 20 ans aux États-Unis et revisitée en 2010 par la chorégraphe Anne Collod. La danse y était est un art total qui nous déshabillait pour nous inclure dans la parade du chacun pour tous.

“Matadouro” du chorégraphe brésilien Marcelo Evelin allait-il enfin me surprendre? Nu, il sonne l’alerte avec un tambour. Des aboiements accompagnent ces premiers pas. Il est rejoint par six hommes et une femme qui, après s’être déshabillés, tournent le dos au mur. Prêts à être exécutés et sauvés. Ils portent un masque et une machette collée dans le dos. Corps social et politique? Ils entreprennent alors une ronde infernale autour d’un micro sur le «Quintette à cordes en ut majeur» de Franz Schubert. C’est très éprouvant.  À la fois meute guerrière et pacifistes déterminés, je peine à les suivre dans leur recherche. Où vont-ils ? Peu à peu, ils me larguent même si je saisis la métaphore d’une «résistance» à toute épreuve. Mais je n’en suis pas. C’est en dehors de moi. Ici aussi, le final est sans appel. Tout ça pour ça?Dans «mon Festival des Arts» imaginaire, je me souviens de «Révolution» d’Olivier Dubois où douze femmes résistèrent en dansant le boléro de Ravel autour d’une rampe: «Je suis pris dans cette dynamique incroyable où le corps intime (symbolisé par la rougeur de l’effort et leurs perles de sueur) entraine le corps social, qui ne renonce pas même en l’absence d’un chef ! Telle une spirale ascendante, les phrases chorégraphiques finissent par créer une poésie particulière où le Boléro se métisse de rock et de jazz. La barre tremble sous le poids du corps, mais ne plie pas: elle est roseau; le corps est lierre, tresse et enchevêtre. La puissance au lieu du pouvoir !».

En 2013, je n’irai pas à Bruxelles. À moins d’un Festival des Arts pour l’imaginaire.

Pascal Bély , Le Tadorne.

A lire aussi:

Mon périple Bruxellois (1/3): trop sympa le KunstenFestivaldesArts !

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

 «A papn?» de Árpád Schilling / «Book Burning» de Hans Op de Beek et Pieter de Buysser / « A coming community » de Pieter Ampe, Guilherme Garrido, Nuno Lucas et Herman Heisig / «Matadouro» de Marcelo Evelin au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles du 16 au 21 mai 2012.

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La danse contemporaine est populaire.

Avez-vous déjà écouté un public crier de joie lors d’un spectacle de danse contemporaine ? Qu’est-ce qu’il peut bien se jouer pour que, peu à peu, femmes, hommes et jeunes enfants se lâchent à ce point, jusqu’à faire entendre un cri presque primal? Ce soir, à Gap, ils sont tous là (belle diversité du public) pour «Asphalte», chorégraphie de Pierre Rigal. Sa dernière création au Festival d’Avignon  («Micro») avait fait vibrer la Chapelle des Pénitents Blancs lors d’un concert rock chorégraphié. Ce soir, il provoque à nouveau une forme de transe où les applaudissements se fondent progressivement à la musique grésillante, alarmiste et envoûtante de Julien Lepreux.

Imaginez un bloc posé sur scène, qui en fonction des enjeux et de l’énergie du groupe, génère une lumière qui métamorphose les corps. Accueillez cinq danseurs dont une jeune femme : ils forment la jeunesse colorée de France, où à la petite taille de l’un répond la haute stature pliable de l’autre, où la présence féminine, «objet» de désir, finit par sculpter la sensibilité du groupe. Ils courent autour de ce bloc, construit sans eux, métaphore d’un pays jadis glorieux qui affichait sa puissance et sa gloire, mais où sa beauté s’est depuis fondue dans la crise. Ils composent une partition chorégraphique d’une telle précision qu’elle s’approche de la rigueur de Merce Cunningham. Ils apparaissent pour communiquer et disparaissent pour fuir toute tentative d’uniformisation quand ce n’est pas sous la menace d’un terrorisme culturel armé qui ne dirait pas son nom. Ils tournent autour de ce bloc et provoquent l’énergie qui alimente le lien entre la salle et le public : nous  sommes en permanence connectés. L’électricité a sa danse.
Cette bande de danseurs hip-hop semble avoir confié son art des rues à un artiste du mouvement. Pierre Rigal a pris le soin de décortiquer chaque fait et geste pour leur donner une forme qui traverserait l’histoire de l’art. Ce qui défile devant nous, n’est rien d’autre qu’une humanité qui parlerait hip-hop. Tout son travail est là: à partir d’une pratique collective (le football dans «Arrêts de jeu», le rock dans « Micro »), d’un état (la position debout dans « Érection » ou pressurisée dans « Press »), Pierre Rigal  crée le métalangage capable de résonner en chacun de nous, en ralentissant le geste (le factuel) pour composer le mouvement (la communication) et nous restituer notre code génétique de danse. C’est ainsi que bouger les doigts est une danse hip-hop qui électrise les corps sensibles et leur rend leur chair originelle.
Chaque tableau émerveille et sidère, car Pierre Rigal libère le hip-hop des clichés pour nous en émanciper. Plus que n’importe quel autre chorégraphe siglé,  il inclut cette danse dans un mouvement «historique» jusqu’à remonter au temps des fresques préhistoriques après la bataille du feu. Il «hippopise» les corps fluorescents d’Alwin Nikolais, métaphore de nos folies actuelles (on va finir par perdre la tête de tant d’uniformités). Il chorégraphie l’apparition et la disparition à l’image du travail de Michel Kelemenis qui « évanescence » le geste. En déformant les corps, il accueille toute l’humanité des défilés de Pippo Delbono dans « Questo Buio Feroce ». La danse contemporaine entre alors dans des zones de turbulence à l’articulation de la peinture, du cinéma et de la bande dessinée. Elle provoque nos cris comme quand le bébé découvre «son» théâtre. Pierre Rigal nous restitue le nôtre.
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La dernière scène reproduit le célèbre tableau de l’évolution de l’homme. Mais voilà que s’introduit  celui qui n’est pas prévu. Ce schéma binaire qui laisse penser que l’homme moderne est une finalité de l’évolution explose. Si nous ne voulons pas disparaître, il nous faut remettre le progrès en mouvement à partir de nos différences et d’une autre approche du changement. C’est à ce moment que le public crie  plus fort et concurrence la musique.
Ce soir, à Gap, nous avons célébré notre réévolution.
Pascal Bély,  Le Tadorne
A lire un autre bel article sur Ventdart.
« Asphalte » de Pierre Rigal à la Passerelle, Scène nationale des Alpes du Sud, à Gap les 27 et 28 mai 2011.
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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES Vidéos

Le rock full sentimental de Pierre Rigal.

Micro” m’accueille avec ma fatigue de trois semaines de festival, avec mes doutes, mes enchantements, et mes barrières de défense. Mais elles s’écroulent dès la première minute, parce que sa générosité donne confiance. La dernière création du chorégraphe Pierre Rigal est un moment de pure jubilation, rassembleur sans être démagogique, populaire sans pour autant verser dans la facilité. “Micro” est une œuvre très soignée, où chaque «plan» (il y a des instants où l’on se croit au cinéma) est minutieusement réfléchi, où le lien entre les séquences évite d’emballer le vide, mais donne du souffle. «Micro» est drôle, très drôle. Le public rit. Beaucoup.

Car Pierre Rigal et ses quatre acteurs-danseurs-musiciens jouent avec le corps sans jamais tomber dans la caricature. Car « Micro » dégage une tendresse infinie, une empathie envers les groupes rock qui brûlent actuellement les planches des festivals de l’été. Après avoir créé la chorégraphie du football dans « Arrêts de jeu », Pierre Rigal s’attache aux rockers. Enfin. Qui plus est dans « la chapelle des Pénitents Blancs », sur cette scène minuscule, comme un hommage à la musique, à la danse seule capable de créer du sens dans un espace aussi réduit (pour ceux qui auraient vu « Press », on sait que cet homme pourrait danser avec son petit doigt dans une boîte d’allumettes).

Car qui n’a jamais été troublé par les déplacements des musiciens lors d’un concert, par la fascination qu’exerce leur corps sur les foules en délire, par la manipulation des instruments qui prolonge l’humain bien au-delà du biologique ? Pierre Rigal prend tout cela et nous embarque dans un concert d’une qualité exceptionnelle.

Lorsqu’il arrive pour incarner le rocker, je suis fasciné par la précision du geste et la dramaturgie qui s’en dégage : le rock est solitude, mise à nu. Il y a là un langage, des codes où la béquille du micro n’est pas sans rappeler la barre de la danseuse classique, où la posture verticale est celle du perchiste. La question de l’émancipation est tout autant posée : comment s’affranchir de ces verticalités, déjouer les codes, tout en sécurisant le groupe ? Parlons-en du groupe ! Au commencement, on pourrait imaginer Pierre Rigal dansant seul au
milieu des micros et des instruments pour nous proposer une chorégraphie « acrobatique » dont il a le secret. L’arrivée des chanteurs (dont la troublante Mélanie Chartreux en «danseuse malade» échappée du camion de Boris Charmatz !) est un tableau inouï où Pierre Rigal s’amuse de l’interaction entre la technologie et le corps. Les machines se métamorphosent pour créer le fluide du vivant (et inversement!). À partir de cet instant, Pierre Rigal et son groupe s’autorisent toutes les audaces, car ils savent que le rock est la musique du croisement des arts, de l’hybridité et qu’il est révolution. Pendant plus d’une heure quarante, les corps créent l’interaction, définissent les contours d’une « micro » société où les prises de pouvoir s’entremêlent avec les liens de solidarité qui finissent par électriser des corps en folie. Avec Pierre Rigal, tout est affaire de démesure, mais dans le beau. Seulement dans le beau. Et avec humour. Les postillons sont feux d’artifice, des baguettes créent l’univers de la marionnette, des cymbales posées sur des visages donnent l’illusion d’un tableau de Magritte…Ici, tout n’est que fluide. Le sens se propage à la vitesse de l’humain avec l’énergie du désir. Celui d’en découdre avec les frontières (ici, le chant se transmet de bouche en bouche,…magnifique), avec l’individualisme (ici on se porte, on se supporte), avec l’idée que le concert n’aurait aucune dramaturgie (alors qu’ici, le metteur en scène joué par Pierre Rigal est omniprésent).

Je suis venu pour de la danse, j’ai assisté à un concert chorégraphié.

Vous étiez venu pour de la musique, vous avez eu une performance dansée de rockers endiablés.

Vous vouliez du rock, ils vous ont offert un théâtre de corps musicaux textuels.

Nous étions au Festival d’Avignon ; en eaux troubles et tumultueuses. Ils se sont jetés dans la fosse aux lions pour nous faire rugir de plaisir.

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Micro” de Pierre Rigal au Festival d’Avignon du 23 au 26 juillet 2010. 

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

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« Pierre Rigal m’a presser ».

J’ai donc fait l’aller-retour express entre Aix en Provence et Montpellier pour ne rater sous aucun prétexte, la chorégraphie claustrophobe de Pierre Rigal, «Press» . Alors que la crise nous met chaque jour la “pression”, comment la danse peut-elle explorer ce ressenti ? Cet artiste hors du commun, nous a déjà habitués à prospecter des territoires réduits par nos systèmes de représentation.  Avec «Arrêts de jeu», il fit du football une pratique chorégraphique particulièrement étonnante. Avec «Érection», il transforma le passage de la position couchée à la posture debout en un beau mouvement complexe. Ce soir, son espace est celui d’une pièce de quelques mètres carrés, d’une chaise, et d’un bras articulé censé l’éclairer. Il m’évoque les minuscules caméras vidéo qui quadrillent nos villes. Son terrain de jeu ne cesse de se resserrer alors que le plafond descend et remonte, accompagné d’un grondement, tel un «plafond de verre» assommant les bonnes volontés dans les entreprises, les organisations syndicales et politiques.

Les quarante-cinq premières minutes sont de toute beauté. Notre homme tente d’ignorer cet espace qui veut le réduire. Il le transforme en caverne où il semble dessiner des figures rupestres. Son corps se prolonge par ses mains ; il se fond dans la matière. Sa silhouette est une apparition, une image furtive. Il est le danseur qui s’extirpe du corps. Je suis le spectateur qui se projette à travers ses mains. Moment d’autant plus sublime que mon regard pousse les cloisons. Pierre Rigal dépasse la pression matérielle en puisant dans l’immatérialité de l’art. Le propos pourrait paraître évident et pourtant. Il réussit là où tant de chorégraphes échouent : nous inclure pour nous dégager de la pression qui pèse sur le spectateur de danse.

Mais pourquoi ces quinze dernières minutes? Pierre Rigal quitte les parois pour interagir et jouer avec le bras articulé qu’il dévisse du mur. L’homme des cavernes devient l’homme-machine qui finit par se faire engloutir et disparaître. La danse colle à la proposition : la machine prend le pouvoir, s’introduit dans le corps, joue avec les affects. Pierre Rigal semble subir sa démonstration : il ne résiste pas à la pression d’avoir un propos explicatif, presque rationnel pour justifier la pertinence de sa danse.

Je me sens alors dans une posture d’évaluer sa performance physique et d’adhérer à ce consensus mou.

Retour express à la case départ.

Pascal Bély – Le Tadorne.

" Press" de Pierre Rigal a été joué le 24 mars 2009 dans le cadre de la saison de Montpellier Danse.
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Pierre Rigal et Aurélien Bory au coeur de la surface de réparation.

En quittant Montpellier Danse en fin d’après-midi pour rejoindre le Festival de Marseille, je ne me doute pas encore à quel point la danse est un art de l’emboîtement des contextes ! Il est 17h50 et Fréderic Bonnaud sur France Inter, la gorge nouée, prononce ses dernières paroles au micro alors que son émission culturelle passe à la trappe dès la rentrée. Il évoque la télévision publique de son enfance, parle de son refus de se travestir et de se compromettre face à une Direction obsédée par l’audience et la communication de façade. Il prévient que la radio connaîtra le sort de France 2. Nous avons le même age et je ressens intensément sa colère : sans le Service Public, je n’aurais jamais pu accéder à la culture. Des applaudissements ponctuent son intervention. Salut l’artiste?

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J’entre quasiment essoufflé au Grand Studio du Ballet National de Marseille pour la dernière création de Pierre Rigal et Aurélien Bory, «Arrêts de jeu». Les spectateurs arrivent au compte-gouttes, suite aux bouchons qui paralysent le trafic. En pénétrant dans la salle, je constate que les deux premières rangées sont encore vides, mais réservées pour une « agence-conseil en communication et image de marque » qui sponsorise la soirée. C’est une insulte faite au public et je repense à Fréderic Bonnaud : la loi de la com s’infiltre partout même dans ce petit théâtre?Je rêve que le Festival de Marseille soit une manifestation gérée par le Service Public?Je rêve.
«Arrêts de jeu» s’inscrit dans la culture de Service Public. C’est une oeuvre qui relie pour créer du lien social entre les Français. Elle permet, à son modeste niveau, d’interroger notre histoire commune et individuelle. C’était en 1982, lors de la demie-finale de la Coupe du Monde de football entre l’Allemagne et la France. Alors que notre pays mène par 3 buts à 1, tout bascule quand Battiston est agressé par le gardien de but. La France perdit aux tirs aux buts et j’entends encore les paroles de mes parents (j’avais dix-sept ans) : «salops de boches !». Ils sont donc quatre sur scène (une femme, trois hommes) pour nous rejouer ce moment historique. Pierre Rigal avait neuf ans ce soir-là et incapable de changer le cours du jeu, il dû faire un pas de géant dans le monde des adultes. C’est ce passage qu’il nous restitue avec force, poésie et humour. Il fait danser les rites du football (jubilatoire !), joue avec l’histoire (il métamorphose les joueurs en poupées de tissus, tels nos gros doudous de mômes). Même le panneau lumineux affichant le score devient pluie d’étoiles filantes ou météorites d’une victoire pourtant inéluctable.

«Arrêts de jeu» répare cette blessure narcissique et collective en transformant le terrain en partie de cache-cache entre la toute-puissance de l’imaginaire de l’enfance, la technique du sportif et la réalité de la loi du plus fort. C’est le corps chorégraphié par Pierre Rigal, mis en relief par les effets vidéo et de lumière d’Aurélien Bory, qui est cette surface de réparation, de passage de l’enfance à l’adulte. C’est aussi ce moment privilégié où le football est revisité par la danse, cet art du vivant, si éphémère et fragile, où les commentateurs sportifs omniprésents et tout puissants dans les médias sont métamorphosés en dialoguistes d’une ?uvre chorégraphique qui leur échappe. C’est ainsi que me reviennent les paroles de Michel Hidalgo, entraîneur à l’époque, évoquant la semaine dernière à la radio cette minute où il est entré dans l’histoire. C’était le 26 juin 2007, sur France Inter, dans «La bande à Bonnaud».
Les agences de com peuvent investir les gradins des théâtres. On sait qu’elles veulent aussi contrôler l’image de marque de nos souvenirs collectifs. Penalty.
Pascal Bély – Le Tadorne.