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FESTIVAL D'AVIGNON

Festival OFF – Essai d’un parcours imaginaire pour les lecteurs du Tadorne

Nous le savons. Nous avons l’expérience. La semaine du 14 juillet voit arriver tous les amis, les amis d’amis, les connaissances qui « débarquent » au Festival d’Avignon. C’est alors que revient toujours la même question : «Que faut-il voir ? ». Alors, je questionne : « quel est ton projet ? ». Pourquoi venir à Avignon ? Est-ce seulement pour se divertir ? Ne sommes-nous pas fatigués de nous divertir, de faire diversion alors que le pays vit une crise morale et politique sans précédent ? Je ne pourrais pas être à Avignon sans projet. Cela me serait insupportable tant l’atmosphère hystérique  prend souvent le pas sur la question du climat : « que dit Avignon ? » , « que se passe-t-il ? » , « Où en sommes –nous ? », « que nous disent les artistes ? ». Depuis 2005, je vis pleinement Avignon avec le projet du Tadorne (ce blog de spectateurs qui pousse les cloisons pour tenter de sortir d’un entre soi de la pensée…). Cette année, le OFF soutient le projet des Offinités du Tadorne, parcours théâtral pour spectateurs qui s’engagent à vivre un processus créatif pour questionner leur positionnement.  C’est notre relation à l’art que nous interrogeons pour révéler ce que nous jouons, ce que nous désirons, ce que nous projetons pour une société en mouvement. C’est la raison pour laquelle, le chorégraphe Philippe Lafeuille nous accompagne en fin de parcours à relier nos visions pour une chorégraphie de spectateurs.

Alors que faut-il voir ?

J’imagine un parcours…

 D’abord avec vos enfants ou avec les enfants dans la salle :

  • « Montagne » à la Condition des Soies à 10h écrit par Aurélie Namur, mis en scène par Florence Bernad, vous entraînera dans un voyage initiatique. Comment deux êtres différents, un ours et une biche vont cheminer sur un territoire, en se fédérant par la confiance ? La danse de Mickaël Frappat oscille sur la scène couvrant les moindres espaces. Notre imaginaire scrute à travers les branchages et monte sur le mur d’escalade. La douceur du plateau enveloppe les spectateurs adultes et enfants dont les corps, tendus, droits, sont à l’écoute ».
  •  Marche ou rêve” par la compagnie Lunatik (Espace Monclar à 10h30) vous offrira  une vision tournée vers le grandir. Deux comédiennes jouent avec les mots, en lien avec leurs chants rythmés. Elles sont l’enfant explorateur d’entrailles de bambous, chercheurs de trésor. Elles vont lutter contre vents et marées, en équilibre permanent entre réalité et rêve.

– Peut-être auriez-vous envie de commencer par de la danse. De la « belle danse » comme on n’en fait plus beaucoup, où l’élégance est un propos. Où le lien est une trajectoire ; où le soleil éclaire la noirceur d’un plateau provoquée par nos désirs d’en découdre avec l’inexplicable ; où 4 types se cherchent indéfiniment pour ne pas exploser et créer coute que coute le groupe, seul ensemble vecteur de sens. « Siwa-la Persistance rétinienne d’un Eden fantasmé » de Michel Kelemenis vous illuminera. Pour longtemps. C’est aux Hivernales, à 10H.

 Vous serez surpris de retrouver 4 autres types dans « Us-Band » de Samuel Mathieu aux Hivernales à 13h45 vous attendrons. C’est un beau coup de grâce, une danse généreuse, ouverte. C’est une respiration donnée part 4 hommes pour qui les gestes retrouvés de l’enfance sont autant d’actes héroïques.

 Vous aurez juste le temps de prendre « Le prochain train » d’Orah de Morcie au Théâtre Notre Dame à 14h35. Avec son écriture ciselée, Orah de Morcie nous permet d’entendre ce qu’il se joue, de saisir comment les outils de l’internet structurent durablement les relations et le regard que nous portons sur elles. « Le prochain train » est une belle métaphore d’un combat entre la poésie et l’outil, entre la complexité de l’humain et ce qu’elle est capable d’engendrer contre elle !

  Mais peut-être hésiterez-vous à prendre le train. Alors, « Rendez-vous gare de l’est » de Guillaume Vincent à la Condition des Soies d’Avignon à 14h25 suffira. L’œuvre est  magnifiquement interprétée par Emilie Incerti Formentini. Vous prendrez le train à grande vitesse d’une vie plongée dans les médicaments, dans la folie douce, celle de la maniaco-dépression.

 Vous aurez encore de l’énergie pour rester à la Condition des Soies et écouter Yves-Noël Genod  à 19h dans « Rester vivant, variations d’après Les fleurs du mal de Baudelaire». Et vous comprendrez pourquoi la poésie est un voyage intérieur, qu’elle s’adresse à votre corps, à votre peau. Qu’elle n’endort pas parce qu’elle éveille notre conscience sur la fragilité de l’immatérialité, patrimoine mondial de l’humanité. Yves-Noël Genod vous emmènera loin. Il est phare. Nous sommes des petits bateaux comme autant de lucioles dans la mer infinie où nos imaginaires échoueront sur les rives du théâtre.

Pascal Bély , Sylvie Lefrère – Sylvain Saint-Pierre- Le Tadorne

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LES FORMATIONS DU TADORNE

En 2013, à Marseille, une formation vers l’art chorégraphique pour médiateurs et travailleurs socio-éducatifs.

En 2013, Marseille Provence sera capitale européenne de la culture. Tout au long de l’année, la danse traversera la programmation en association avec différents partenaires, dont KLAP, la nouvelle Maison pour la Danse inaugurée en octobre 2011.

En écoutant attentivement les médiateurs et les travailleurs sociaux-éducatifs, on est sidéré par la créativité dont ils font preuve pour vitaliser la relation du public à l’art, au beau, au sensible à partir d’actions collectives. Ainsi, des innovations se créent, mais malheureusement ne s’écrivent pas et ne font pas patrimoine par manque d’espaces appropriés qui puissent les recevoir et les inscrire. Or, l’inclusion de l’art chorégraphique rend lisibles ces pratiques en leur donnant des fondements théoriques et méthodologiques indispensables pour qu’elles se déploient vers un projet durable et pérenne. En effet, il permet de comprendre certains processus à l’oeuvre dans le travail social par une vision globale de la communication, par une mise en perspectives des ressentis, par un regard pluridisciplinaire pour approcher la compléxité.

2013 marseille

2013 offre une opportunité unique pour fédérer les professionnels en les positionnant comme des «ambassadeurs» de l’articulation entre l’art et le social à partir de la programmation de la capitale européenne. D’où cette propositon d’une formation innovante qui viserait à :

– Mettre en réseau des travailleurs sociaux, des éducateurs et des médiateurs actuellement séparés par des dispositifs pour les relier autour d’un projet global de médiation dans le cadre de la Capitale Culturelle.

-Développer un imaginaire commun au service de stratégies co-construites de médiation pour un renouvellement des publics dans les lieux de spectacles ;

-Renforcer la qualité des partenariats existants en articulant les projets.

-Transmettre une culture chorégraphique pour mieux se positionner dans l’accompagnement des publics vers la création.

Nous visons la constitution d’un groupe de quinze personnes (travailleurs sociaux, animateurs, agents culturels, enseignants, éducateurs, médiateurs?) pour un cursus de huit journées à Marseille d’avril à décembre (avec un temps fort lors d’Août en Danse, du 24 au 31 août 2013).

Tout au long de la formation, les participants expérimenteront des médiations créatives en s’appuyant sur la programmation de Marseille Provence 2013 et la dynamique de réseau qu’elle suscitera entre institutions culturelles, chorégraphes et partenaires du champ social et éducatif.

Le cursus de formation alterne des modules sur le positionnement, sur une vision globale du paysage chorégraphique et sur des méthodologies créatives de médiation. Les participants  assisteront à des spectacles pour nourrir  leurs regards.

L’équipe pédagogique est à l’image du projet de formation, pluridisciplinaire et passionnée :

Catherine Méhu, psychologue, psychanalyste et consultante pour le service public (Vence)

–  Pascal Bély, consultant et animateur du Tadorne (www.festivalier.net), blog de spectateurs. (Aix en Provence)

Joëlle Vellet, Maître de conférences en danse à l’Université de Nice.

Vanessa Charles, Conseillère DRAC Danse à la région PACA (Aix en Provence)

Michel Kelemenis, chorégraphe et directeur artistique de Klap, Maison pour la Danse à Marseille.

La plaquette est en ligne ici: DANSE MP13 DANSE MP13

Pour vous inscrire, un téléphone : Pascal Bély (06 82 83 94 19 ; pascal.bely@free.fr) ou Vanessa Charles (06 11 01 42 45 ; vanessa_charles@hotmail.com )

 À très bientôt,

Pascal Bély, Le Tadorne vers Trigone.

Crédit photo: Philippe Lafeuille.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Festival d’Avignon : promis, nous recommencerons?

Chaque année, le Festival d’Avignon est une performance, un défi : 33 spectacles vus dans le In, 15 dans le Off, auxquels il faut ajouter l’animation de six rendez-vous avec les spectateurs et les artistes lors des «Offinités du Tadorne» programmée au Village du Off.

Il est encore trop tôt pour écrire le bilan artistique. Mais à quelques heures du départ d’Avignon, quelques images?

Sur la Place des Corps Saints, je n’arrivais plus à quitter Sylvie et Sylvain. Nous venions de vivre un moment exceptionnel avec l’exposition de Sophie Calle, «Rachel, Monique».

Sur la place des Corps Saints, nous improvisions avec Sylvie un meeting de protestation avec des spectateurs du nord de la France contre le spectacle de  Régine Chopinot. Tous ensemble, tous ensemble !

Sur la Place Pie, j’avais envie d’une glace à la fraise. Dans « Bonheur titre provisoire», l’actrice Pauline Méreuze m’avait donné le goût d’y croire encore?

Sur la Place du Palais des Papes, il était 16h. Nous sortions des profondeurs du Palais. Les rats des camps avaient fait le voyage jusqu’à Avignon. Frigorifiés. Exténués. « Sans titre» de Steven Cohen restera pour longtemps une expérience hors du commun.

Sur la Place des Carmes, à la sortie de «Tragédie» d’Olivier Dubois, j’avais envie de danser avec Sylvie tant nos corps électrifiés avaient de l’énergie à revendre.

Sur la place de l’Horloge, nous étions comme des abrutis à chercher quelle direction prendre. Avec Sylvie, nous trouvions que la création de Thomas Ostermeier, «Un ennemi du peuple», ne nous rendait pas intelligent.

Au Palais des  Papes, c’était l’entracte de “La Mouette” d‘Arthur Nauzyciel. Avec Sylvie et Igor, nous n’en revenions pas d’assister à tant de virtuosité tandis que les acteurs mouettes s’échouaient sur la scène.

C’était le lendemain. «Et si on y revenait ?» lançais-je à Sylvie pour plaisanter. On a vu deux fois «Conte d’amour» de Markus Öhrn, parce qu’il le fallait, parce que cette oeuvre était surréaliste dans le paysage théâtral contemporain.

C’était à 18h45. Elle arriva. Julia dansa. Premier frisson du festival.  «Disabled Theater» de Jérôme Bel fut une grande leçon de théâtre.

 Dans le bus de la Manufacture, Bernard, Sylvie et moi-même trouvions que Facebook était une belle toile d’humains. Merci à  Renaud Cojo de nous avoir reliés.

Dans le bus de la Manufacture, Claire me souriait. Nous venions de nous rouler dans les prairies des  plaines fertiles de Belgique où «Baal» du Théâtre Antigone nous avait invités !

À la descente du bus de Montfavet, je découvrais ahuri le vol de ma selle et de ma tige de vélo. Je savais bien qu’il ne fallait pas voir «Le trait» de Nacera Belaza.

 «Sylvie, où êtes-vous ?» restera une phrase culte. Tandis que Sylvie Lefrere partait avec son micro à la rencontre des spectateurs, j’ouvrais les débats sous le chapiteau avec ceux qui étaient présents pour «Les Offinités du Tadorne». Nous avons aimé ces rendez-vous, souvent sans filet, mais en sécurité parce que c’était bienveillant. Je me souviendrais de la complicité des artistes que nous avions invités (Christiane Véricel, Étienne Schwartz, Michel Kelemenis, Renaud Cojo, Gilbert Traina), de la profondeur des regards portés sur les spectacles avec le public (ah, Pascale, je vous aime !), du soutien sans faille de Christophe Galent du Festival Off, de l’engagement des professionnels de la toute petite enfance. On recommencera?Promis.

 «Pas d’accord», «D’accord», «Es-tu sûr de vouloir rester sur Avignon ?», ?Ah, la page Facebook du Tadorne ! Elle a été notre mur des Lamentations, notre mur pour nos graffitis amoureux, notre mur pour nous frapper la tête, notre mur pour nous soutenir, notre mur pour pouvoir le sauter, notre mur contre vos façades, ?Merci à Robin, Marie-Anne, Gilbert, Pascal, Emeric, Jérôme, Martine, Clémence, Johanne, Catherine, Marc, Ludo,Virginie, Hugues, Sébastien, Pascale, Thomas, Nicolas, Robin, Céline, Agnès, Noonak, Mickey, Alain, Philippe, Charles-Eric, Loïc, Bertrand, Christiane, Rita, Marc, Pierre-Johann, Simon, Emeline, Tiago, Sophie, Frederike, Valerie, Clémentine, Nicolas, Marie, Thibaud , Monica, Isabelle, Magali, Karime,…Vous avez été plus de 35000 visiteurs uniques pendant tout le festival! On recommencera?Promis.

Et puis…Laurent, Francis, Sylvain, Bernard, Sylvain, Alexandra. Et vous Sylvie! On a fait une belle équipe de Tadornes. On recommencera? Promis.

Et puis. Il y a tous les lecteurs du Tadorne. Le blog a battu son record d’audience. Près de 25000 visiteurs uniques (contre 11 000 l’an dernier). Vous avez beaucoup consulté l’article de Sylvie sur Sophie Calle, mes coups de gueule à l’égard du théâtre français et contre le spectacle de Régine Chopinot, les critiques des spectacles d’Olivier Dubois et de Markus Öhrn. Nos différentes sélections sur le Off semblent avoir été appréciées.

On recommencera.Promis.

Promis.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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KLAP, MARSEILLE LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Le Nouvel Observateur insulte la danse.

A la lecture du dernier article du «journaliste» Raphaël de Gubernatis, j’ai la nausée. Il me l’avait déjà donnée en 2011 alors qu’il tenait des propos racistes en «critiquant» un spectacle de Faustin Linyekula (lire: l’article incacceptable de Raphaël de Gubernatis)

Lors d’une soirée en févier dernier à Klap, Maison pour la danse à Marseille, il fut l’envoyé spécial du Nouvel Observateur. Deux spectacles furent proposés au  public : «My way», une création de Michel Kelemenis (directeur de Klap) présentée à 19h et «Christoffa» de Davy Brun à 20h30.  L’analyse minutieuse de l’article ne m’a pas échappé tant je suis extrêmement vigilant sur cet homme sulfureux, craint et détesté, qui a sa carte de presse et tous les honneurs qui vont avec.

Dès le début de l’article, Raphaël de Gubernatis se retient de vomir. Mais il a le hoquet. «Quelques mois après son inauguration, la Maison pour la Danse, située à Marseille, vit à plein régime. Le vaste hall d’entrée qui dessert les deux salles de spectacles (l’une d’entre elles, possédant une magnifique scène, attend que l’on soit en fonds pour garnir de sièges les gradins) est plein de monde. On présente ces jours-ci, en avant-première, un ouvrage de Michel Kelemenis dont l’opiniâtreté et la présence à Marseille depuis des lustres sont à l’origine de l’établissement, mais aussi l’essai d’un ancien danseur du Ballet de Lyon qui se lance dans la création chorégraphique.». J’informe les lecteurs que ce journaliste paresseux n’a pas assisté à la représentation de Davy Brun (qu’il ne nomme même pas, le qualifiant par son ancien statut de danseur). Certes, la salle de création de Klap n’a pas encore de sièges et je m’en réjouis. Enfin un lieu qui n’aligne pas les spectateurs où rien n’est permis! A Klap, on peut s’étaler pour admirer la danse et se laisser aller. Mais Monsieur de Gubernatis est probablement habitué aux fauteuils moelleux qu’il confond avec des chaises à porteurs.

Son hoquet vagal se poursuit :

Ce sont là deux des fonctions assignées à cette Maison pour la Danse commanditée par la Ville de Marseille : abriter les spectacles de son instigateur, mais plus encore ceux produits par les nombreux artistes chorégraphiques que l’on qualifiera “d’intérêt local”, et qui se sont multipliés à Marseille comme dans le reste de la France. L’avenir dira si la Maison pour la Danse n’est pas plus belle que les productions de ceux qui vont en bénéficier.»

Je vous laisse apprécier l’appelation «intérêt local». C’est le propos réactionnaire d’un journaliste qui disqualifie les programmes de décentralisation culturelle. Ignore-t-il que les grands chorégraphes français ont souvent débuté en région ? Qu’aurait-il écrit en 1979 sur  Jean-Claude Gallotta qui fonda à Grenoble, le Groupe Émile Dubois pour s’insérer en 1981 dans la Maison de la Culture de Grenoble? Comment peut-il qualifier Michel Kelemenis d’ »instigateur» de Klap alors qu’il en est l’inventeur, le bâtisseur (il le sait puisqu’il était présent à la conférence de presse d’octobre 2011 lors de l’inauguration de la Maison)? Cet homme maltraite les mots, car il ne peut écrire avec raison.

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Alors qu’il aborde «My way», Raphaël de Gubernatis commence à se vomir dessus :

«Visiblement ébloui par la grâce juvénile du jeune homme, Benjamin Duc, lequel a des atouts pour devenir plus tard un bon, voire un excellent danseur, Michel Kelemenis a l’imprudence de le précipiter dans un rôle qui n’est pas de son âge».

Je note d’emblée la mauvaise orthographe du danseur (il s’agit de Benjamin Dur). Lapsus révélateur qui le voit métamorphoser un danseur en duc (duc, du latin dux, ducis signifiant « meneur, chef », est le titulaire d’un titre de haute noblesse attribué par plusieurs monarchies européennes depuis le Moyen Âge). Premier éblouissement.

«On ne demande pas à un garçon sortant visiblement de l’adolescence d’assumer un rôle de séducteur avec le cynisme que cela induit. Benjamin Duc a la gaucherie, et sans doute l’innocence de son âge. Le jucher sur le haut tabouret d’où il joue brièvement un rôle de créature aguicheuse propre à l’univers du cabaret;  le faire se dévêtir sur scène et du coup porter le spectateur à une position de voyeur : voilà qui semble malsain. Ce jeune homme est bien trop vert, bien trop immature, comme danseur et comme acteur, pour assumer le rôle qui lui est dévolu. C’est le déflorer que de l’y pousser.»

Raphaël de Gubernatis a des pulsions qu’il ne contrôle plus. Entendons-nous bien. Cela m’arrive d’avoir d’étranges pensées lors d’un spectacle de danse. Mais cela relève de mon intimité, de ma relation à la scène, au corps. Il me faut en général quelques secondes pour revenir au propos. Or, dans le cas présent, Raphaël de Gubernatis est si ébloui par la beauté dure de ce garçon qu’il ne se contrôle plus jusqu’à perdre tout sens critique et accuser Michel Kelemenis de pédérastie. Mais qui donc avez-vous défloré, monsieur De Gubernatis, pour que ce souvenir vous aveugle ?

Ce n’est pas fini. Son délire se poursuit. Il s’imagine tête de réseau d’agents artistiques sulfureux :

«Et devant ces trois jeunes gens, trop frais, à la technique non encore maîtrisée totalement, on ressent le même malaise que devant ces petits garçons qu’on avait coutume, naguère, dans certains milieux populaires, de déguiser en petits adultes, ou devant ces fillettes que l’on laisse s’habiller en femmes et qui singent inconsciemment la vulgarité de leur mère.»

De mon expérience de spectateur de danse, je n’ai jamais lu un article aussi dégueu
lasse, mal écrit, à la rhétorique réactionnaire et obscène.

J’accuse formellement le Nouvel Observateur de détester la danse pour laisser ce journaliste de caniveau insulter artistes et spectateurs. J’informe ici programmateurs et chorégraphes « institutionnels » que je ne resterais pas inerte dans le cas où vous lui réserveriez, en ma présence, quelques privilèges qu’il vous réclame probablement à corps et à cris.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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KLAP, MARSEILLE Vidéos

Klap, Capitale maison pour la danse.

Depuis quelques saisons, la danse disparait peu à peu des programmations à Marseille et aux alentours, chacun déléguant la «tâche» au Pavillon Noir d’Angelin Preljocaj à Aix en Provence. Dans ce contexte, l’ouverture de Klap, Maison pour la Danse dirigée par Michel Kelemenis, est attendue. Pour qu’enfin, l’art chorégraphique se développe dans une ville qui fut, en son temps, si accueillante?

En ce jour historique du 21 octobre 2011, je suis invité à l’inauguration officielle. Au déjeuner de presse, les journalistes parisiens semblent saluer le projet : le bâtiment est entièrement dédié à la création. Symboliquement, la capitale phocéenne revient donc sur le devant de la scène avec le soutien de la Fondation BNP PARIBAS. Sur le ton de la confidence, sa déléguée générale, Martine Tridde-Mazloum, affirme son engagement auprès d’un projet qu’elle accompagne depuis le début, signe qu’un mécène peut voir plus loin que le financement d’actions ponctuelles, souvent spectaculaires?

À 18h, vient le temps des discours. Michel Kelemenis débute par un hommage appuyé à l’Afrique du Sud, pays où il puise la force des valeurs d’accueil du bâtisseur créateur. Avec élégance et émotion, il nous communique sa détermination à voir ce lieu occuper sa place dans un paysage structuré autour des Centres Chorégraphiques Nationaux et des institutions prestigieuses (Maison de la Danse de Lyon, Centre National de la Danse, ?). Jean-Claude Gaudin, Maire de Marseille, poursuit sur la lancée dans un numéro de fanfaronnerie dont il a seul le secret. En insistant sur la préparation réussie de Marseille Provence 2013, dont Klap serait le symbole, il en oublierait presque le sens du projet: après 2013, il y a 2014?Puis vint le Préfet de Région dont l’intervention restera dans les annales : après cinq minutes d’un discours policé, il lâche son texte pour évoquer avec Michel Kelemenis un souvenir de danse. À cet instant précis, Klap joue déjà sa fonction : accueillir tous  nos désirs de danse?

À 20h30, apparaît la danseuse Caroline Blanc en maîtresse de cérémonie. Ses intermèdes espiègles et enfantins sont autant de fils conducteurs pour nous relier à la toile de Klap, patiemment tissée tout au long de sa carrière par Michel Kelemenis. Je retiens cinq moments comme autant de symboles de la Maison pour la Danse.

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L’extrait de «Cendrillon» interprété par le Ballet du Grand Théâtre de Genève provoque l’hilarité. Cinq anges affublés d’ailes sur les fesses, maculés d’étoiles filantes sur le corps, enrobés de chaussures à col plumé, font voler la belle et pas seulement pour la réveiller. Avec des gestes amples et circulaires, la danse est conte de fée pour ranimer nos émerveillements trop souvent empêchés. Quelques minutes plus tard, nous sommes prêts à plonger dans le bleu, celui d’ «Henriette et Matisse», spectacle créé pour la Biennale de Lyon en 2010. La peinture, art pictural et chorégraphique pour minots et parents : Klap au croisement pour relier les âges?

Entre alors Thomas Birzan pour «Faune Fomitch». Il n’a que 17 ans. Il est interprète pour Josette Baïz. Sur la musique de Claude Debussy, une bombe humaine traverse le magnifique plateau du « Grand Studio ». Sous nos yeux, un jeune adulte se métamorphose par la magie de la transmission de Michel Kelemenis. Son «corps fleuve» relie nos désirs affluents. Entre eux, s’engouffre le souffle vital d’une danse pour l’humanité, de celle qui s’affranchit des codes pour créer un langage universel. Thomas Birzan est né à Klap. Je serai là, spectateur-parrain?

Arrive «That Side», interprété par Fana Tshabalala, dialogue entre ce magnifique danseur sud-africain et Michel Kelemenis. De sa force sensible, il déploie une gestuelle «coulée», «ouatée» où le corps est source de transmission, récepteur et ouvert, nourri du vécu, de cultures. Solo ennivrant.

Et puis…Michel Kelemenis lui-même. Pétales de rose dans une main, qu’un souffle pose sur la scène. «Kiki la rose» fut ma première grande émotion de danse. C’était sur la scène du Théâtre de l’Archevêché lors du festival «Danse à Aix». Non annoncé dans le programme de la soirée, le solo surprend l’assistance, médusée. Submergé par l’émotion de ce souvenir, mon corps lâche et se donne: chaque mouvement, du plus petit au plus ample, est une déclaration pour la danse, vers le public. À cet instant précis, Michel Kelemenis explore ce magnifique plateau de ses gestes ciselés pour accueillir les publics : à chacun sa rose, à tous sa tulipe. Pina n’est plus très loin.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Soirées d’inauguration de Klap, Maison pour la Danse les 21 et 22 octobre 2011.

 

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE

Klap, Maison pour la danse d’Henriette et Matisse.

À quelques jours de l’ouverture officielle de «Klap, Maison pour la Danse» à Marseille, son directeur, Michel Kelemenis, présente «Henriette et Matisse» créée pour la Biennale de la Danse de Lyon en 2010. À voir du 11 au 13 octobre, dans le cadre de la programmation du Théâtre Massalia.  Puis en tournée dans toute la France.

De la Biennale de la Danse de Lyonau Théâtre des Salins de Martigues, toujours ce même enthousiasme : enfants, parents et professionnels de l’éducation jubilent en découvrant l’univers du peintre. Nous sommes à la fois au musée, dans l’atelier et au théâtre. Qui plus est avec un chorégraphe! Michel Kelemenis nous offre, avec « Henriette et Matisse » une immersion dans la beauté, dans la création et le chaos. Imaginons Matisse et son chapeau de paille, interprété par Davy Brun, tour à tour Artiste et probable grand frère pour les tout-petits. Rêvons d’Henriette, le Modèle, la muse (troublante Caroline Blanc) dont la beauté fait tache d’huile sur la toile blanche d’un film d’amour, de capes et de fées. Jouons avec deux pinceaux (espiègles Lila Abdelmoumène et Tristan Robilliard) qui, peu à peu, glissent entre nos mains comme les deux baguettes du chef d’orchestre.

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 À quatre, ils occupent la scène dans tous ses recoins pour pousser les cloisons de nos imaginaires. De la salle, les « Ouah », « Ouh la la », « c’est magique » ponctuent en cadence la création de la toile jusqu’au silence le plus absolu alors que « le clair de lune » de Debussy éclaire « les Nus bleus » de Matisse. L’émotion serre la gorge comme si nous étions bercés par le chorégraphe, ébloui par le peintre. Ces deux-là seraient-ils complices pour puiser dans nos fragilités les ressorts de notre sensibilité ?

« Henriette et Matisse », sont nos ailes du désir à moins que ce ne soit le nom d’un bonbon à la réglisse aux effets secondaires. C’est une invitation à la poésie, à se rapprocher les uns des autres. Cette oeuvre crée la communauté au moment où tant de liens se distendent. Il y a chez Michel Kelemenis le désir d’un art total profondément accueillant qui ne laisserait personne de côté. Les conditions de l’invitation sont donc réunies. Ici, la musique joue son rôle d’aiguillon : tout à la fois polissonne, déroutante, envoûtante, pénétrante, elle débusque à chaque tableau ! Mieux qu’un guide de musée, elle pose ses petits cailloux pour petits et grands poucets. L’univers du peintre est un théâtre à l’italienne où nous pénétrons de nuit pour jouer à nous faire peur avec les fantômes (c’est bien connu, ils sont partout), où le décor de papier vous tombe dessus comme une toile de cinéma et s’enrôle autour des corps pour faire valser les couleurs.

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La danse provoque l’alchimie entre les matières, créée la troisième dimension du tableau, génère le mouvement évanescent du geste créatif. Elle vous emporte et vous déplace pour que chacun d’entre nous soit traversé.

Ainsi, « Henriette et Matisse » n’est plus seulement une invitation à ressentir ces peintures mythiques. C’est une ?uvre qui peint la danse comme un mouvement populaire.
Pascal Bély – www.festivalier.net

A lire le très bel article de Denis Bonneville dans La Marseillaise.

“Henriette et Matisse” de Michel Kelemenis àKlap du 11 au 13 octobre 2011.

Crédit photo: Manon Milley.

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OEUVRES MAJEURES

Voir pour entendre danser un baiser contemporain.

Igor Stravinsky écrivait : «J’ai dit quelque part qu’il ne suffisait pas d’entendre la musique, mais qu’il fallait encore la voir». Ce soir à Strasbourg, je l’ai vu. Plus qu’il ne pouvait l’imaginer. Au-delà, de l’entendable, jusqu’au dernier tableau, à couper le souffle. Inspiré d’un conte d’Andersen, il créa la musique du ballet «Le baiser de la fée», aujourd’hui chorégraphiée par Michel Kelemenis pour le Ballet du Rhin. On savait comment il explorait la musique (inoubliables «Aphorismes Géométriques», « Viiiiite » et « Aléa »), racontait d’étranges histoires aux enfants (« L’amoureuse de Monsieur Muscle », « Henriette et Matisse ») mais le connaissions-nous alchimiste ?  Il chorégraphie une musique pour une danse célébrant l’union de deux enfants liés d’amitié qui se retrouvent à l’âge adulte-amoureux.

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Bien au-delà du conte, Michel Kelemenis opère la rencontre entre le mouvement et la musique. Ce processus, qui pourrait paraître long au début (mais nous ne sommes pas ici sur le terrain du spectaculaire) se déploie dans un cadre pensé pour un tel dialogue : un choeur (celui qui ouvre l’étau entre la verticalité de Stravinsky et l’ampleur du geste dansé de Kelemenis), deux danseurs exceptionnels (Christelle Malard-Daujean et Renjie Ma) et un barman (troublant Grégoire Daujean). Ce dernier joue un rôle majeur : il leur fait traverser le coeur (métaphore d’un chemin que l’on ferait en marchant où rien ne semble tout tracé) et s’interpose quand la musique voudrait empêcher la respiration des mouvements. En permanence, le spectateur est sur la lisière : entre l’histoire et la marche de l’Histoire ; entre se laisser séduire par Stravinsky et accepter de ne plus l’entendre. Pour amplifier la  séparation entre les deux enfants, Michel Kelemenis nous offre de belles images : son décor de lamelles contient la respiration des corps et ouvre des voies de passages vers l’émancipation jusqu’à la boîte de nuit pour orchestrer leur libido! Il  pose un tapis roulant de chair pour percer les mystères du désir, joue avec des tabourets de bar pour tracer des chemins. Tout n’est qu’ouvertures…Le barman prépare chacun des deux amoureux à se séparer de l’enfance pour ne plus la quitter. Il ôte même ses vêtements, comme pour changer de peau, de rôles et s’effacer peu à peu. Sa modernité est là : soutenir pour mieux lâcher, leur confisquer la vue pour qu’ils entendent les fureurs et les douceurs de leur trajectoire incertaine, ne pas céder aux injonctions de Stravinski, mais accueillir son énergie. Ainsi va la vie : se nourrir du chaos pour créer son destin.

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Le baiser de la fée” nous offre leur destinée. Le dernier tableau, véritable chorégraphie d’une sexualité transfigurée, voit les deux corps entrer en fusion dans un ébat amoureux où l’animalité se confond dans un transgenre. Le féminin dans le masculin. Le masculin pour la féminité.

Et notre vue s’embrume parce qu’à ce moment précis, la musique se révèle : le corps est symphonique.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Le baiser de la fée » par Michel Kelemenis avec le Ballet de l'Opéra du Rhin a été joué du 1er juin au 7 juin 2011 dans le cadre de la soirée, « Trilogie Russe »
Crédit photo : JL Tanghe.
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KLAP, MARSEILLE

La danse, au centre.

Au-delà des institutions bien loties, la diffusion de la danse me paraît de plus en plus fragilisée. Nous perdons, me semble-t-il, la vision sur sa place dans une société qui ne cesse de « jouer » avec le corps et de bafouer l’éthique du vivant. Il nous faut donc investir des territoires où spectateurs, artistes et programmateurs élaborent un discours, non pour l’enfermer dans une rhétorique, mais pour l’ouvrir vers un espace circulaire. Nous avions à l’automne dernier salué l’initiative du chorégraphe marseillais Michel Kelemenis. Avec « Questions de danse », il avait créé le « plateau » en invitant des artistes en cours de création pour organiser ensuite un échange avec le public. C’est ainsi que la danse inclut et ne prend personne de haut. La même démarche a été engagée par « Les Hivernales » (centre de développement chorégraphique d’Avignon) avec son rendez-vous régulier « les lundis au soleil » où artistes et acteurs culturels de la danse proposent un regard, une production. Ce soir, Michel Kelemenis est l’invité avec deux danseurs (Fana Tshabalala, Caroline Blanc) et deux propositions (« Lost & Found », « That side »).

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« Lost & Found » est une création de Fana Tshabalala, danseur sud-africain intégré pour cinq mois dans la compagnie depuis novembre 2009. Ce solo est le résultat de son travail entrepris au cours de sa résidence marseillaise. Comme un remerciement, il nous danse. Et nous voilà embarqués dans sa ronde, dans ses déplacements où l’amplitude est un geste d’amitié. On ressent la quête d’un mouvement qui serait à la fois une recherche personnelle et une ouverture à la différence. Comment ne pas éprouver dans ce solo, la dynamique d’une danse « métissée », « globalisée » qui amplifie la diversité, mais nous relie à elle. Fana est magnifique.

« That side » est un « nouvel aphorisme ». Convoquant deux danseurs pour une même solo, Michel Kelemenis nous interroge sur notre rapport à percevoir sa danse à partir de deux interprétations. Fana Tshabalala et Caroline Blanc forment cet « entre », entre le chorégraphe et le public, entre l’écriture chorégraphique et leur réceptacle sociétal. Ils sont différents sur bien des domaines : leurs corps, leurs imaginaires, leurs cultures (africaine et française) et sur l’appréhension du langage de Michel Kelemenis (Caroline Blanc travaille pour la compagnie depuis 2004).

Ainsi,  le noir se fait et la Danse peut s’exécuter.

Le premier solo est interprété par Caroline Blanc. Elle connaît l’écriture chorégraphique de Michel Kelemenis, ses appuis, comme si son corps, ses muscles étaient tracés de ce langage, de son vécu. Elle traduit cette dynamique à l’aide de son « background » qui lui donne cette disposition particulière à se fondre dans ses gestes qu’elle fait siens. Elle impulse le mouvement avec une émotion palpable comme si « l’autre côté » portait sa part de cauchemar, amplifiée par la musique électroacoustique (pour jouer sur la dénomination electroacouCycle) de Christian Zanési. Onze minutes où le temps se réduit, s’étire. Entre le langage du mouvement et cette musique de l’enchevêtrement, elle explore le sensible, elle joue de sa force. Elle se couche, court, se perd et s’approche de la lumière. Elle sépare pour encercler et englober. Avec Caroline Blanc, la danse « arpente » la musique, qui n’est plus un « fond » mais participe au fond…Et c’est beau.

Fana Tshabalala nous revient pour rejouer « That side ». Dans les pas de Caroline, il peut y aller de sa force sensible. Son corps en mouvance illustre une gestuelle plus « coulée », « ouatée ». Ce magnifique interprète ajoute un sentiment d’humanité à cet « autre côté » où le corps est source de transmission, de récepteur et d’ouverture. Celui-ci est nourri du vécu, de culture et finit par bouleverser  le champ des perceptions.

Avec ces deux interprétations, le geste, évanescent, de par sa nature, démontre qu’un mouvement ne peut être identique et similaire. Le corps, matière humaine, ne sera jamais supplanté par les nouvelles technologies qui l’aseptisent, mais au contraire confère à la danse, ce charme de l’instant, ce rêve d’être l’interprète d’une musique qui danse.

En offrant à Fana ce solo qu’il pourra jouer avec trois projecteurs en Afrique du Sud, en lui permettant d’interpréter sa création née en France, en nous donnant une double lecture de « That side » où chaque danseur peut créer une improvisation dans un interstice, Michel Kelemenis dessine les contours d’un modèle démocratique de développement de la danse. Basé sur des valeurs de générosité, d’écoute mutuelle entre public et artistes, de dons et contre dons, il tisse la toile des liens qui nourrit la danse. Ce soir-là, le débat avec les spectateurs n’avait pas besoin d’une « médiation » clivante et réductrice, mais qu’importe : Michel Kelemenis sait nous faire parler de danse parce qu’il considère à juste titre, qu’elle est le territoire d’un sensible partagé.

Pascal Bély-Laurent Bourbousson- www.festivalier.net

“Lost and Found” de Fana Tshabalalaet “That side” de Michel Kelemenis ont été joués le 8 mars 2010 aux Hivernales d’Avignon.

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KLAP, MARSEILLE L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

Les baisers chics de Michel Kelemenis.

C’est à Lambesc, petite ville du pays d’Aix en Provence, où le chorégraphe Michel Kelemenis nous invite pour voir, revoir, « Besame Mucho ». Comme au bon vieux temps des tournées en caravane, je l’imagine transporter sa danse pour y déposer un mouvement poétique, ressource inépuisable d’un imaginaire partagé. Alors que nous vivons une crise profonde de civilisation, la danse doit quitter nos théâtres « dorés » pour s’engager dans les terres. Parce qu’elle est l’art de la régénérescence, elle se doit de labourer.

Créée en 2004, cette oeuvre régénère et prend le chemin de la chanson qu’elle honore : celle d’une danse intemporelle, au-delà des courants. « Besame mucho » est une danse où les mouvements chantent. Tout commence avec cette bouche grande ouverte de la toujours troublante Caroline Blanc. Ce cri de la naissance, de la solitude, de l’effroi, la danse va peu à peu l’apprivoiser, guider ses pas vers ses lèvres pour un baiser à « l’origine du monde »…

Michel Kelemenis invente alors une danse de l’âme amoureuse et c’est prodigieusement magnifique. Profondément habité. Joliment habillé par les vêtements dessinés par Agatha Ruiz de la Prada aux couleurs verte et rose d’une sucette à l’anis. L’envie d’y goûter est immédiate. L’habit fait alors le moine. Ils ne les quittent jamais, juste les soulèvent-ils parfois, oui mais pas tout de suite, pas trop vite. Car il faut du temps pour que ce « besame mucho » réveille nos peurs, nos joies, nos angoisses de ce baiser fatal. Que n’avons-nous pas essayé, tenté, arraché, malmené, pour lui ? Car ce baiser, loin des clichés gnangnan véhiculés par la publicité et la bonne morale, est un corps à corps où s’écrit ma plus belle histoire d’amour.

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Mais comment ne pas ressentir la relation que nous entretenons avec la danse : attraction, répulsion, et intranquillité. Elle créée le lien entre le mouvement, espace de divagation, et ce baiser, souffle vital. Tout se rejoint d’autant plus que la bande sonore composée par Jean-Jacques Palix à partir de douze versions est un beau fil d’Ariane qui amplifie l’élégance et vient chercher ce que nous avons enfoui, perdu, par habitude, parce qu’il est peut-être trop tard ou trop tôt. Michel Kelemenis convoque l’humour pour continuer d’en rire comme lorsque nous étions adolescent. Cette chorégraphie est une quête de violence et de douceur ; on y danse ce qu’on effleure pour donner de la profondeur. Elle joue avec les apparitions et disparitions et l’éphémère fait soudainement moins peur.
L’émotion me submerge : ces danseurs, tous virtuoses, font défiler mon Histoire d’amour. Leur jeu de cache-cache, de baisers volés, de ruptures et de coups de foudre, rouvre la plaie, comme une pudeur des sentiments maquillés outrageusement rouge sang.
Ce soir, j’ai de la danse sur les lèvres.
Pascal Bély – www.festivalier.net

« Besame mucho » par Michel Kelemenis a été joué le 27 février 2010 à Lambesc (13).
Crédit photo: Laurent Lafolie.

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ETRE SPECTATEUR

Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(3/3).

Troisième épisode de mon immersion dans le travail collectif du chorégraphe Michel Kelemenis. Aujourd’hui, la répétition se déroule sur le plateau du Pavillon noir. Guidé dans le noir à prendre place dans la salle, je m’installe tandis que Michel Kelemenis et Caroline Blanc font un filage de « viiiiite ». Alors que les lumières s’allument, je découvre un public d’enfants qui applaudit mollement la performance. Michel s’en émeut, mais poursuit inlassablement son travail pédagogique bien que la pression soit évidente à deux jours de la générale. Beauté d’un artiste qui s’engage coûte que coûte à expliquer, promouvoir son art. Sont-ils si nombreux aujourd’hui ?

L’ambiance n’est plus la même. Entre le studio et le plateau, du 3ème au sous-sol, de la lumière à l’obscurité, le groupe est tendu. Michel l’est aussi. Les détails techniques s’effacent pour faciliter le repérage des « points de butée », ceux qui font obstacle au positionnement individuel dans la danse collective d’ «Aléa». Tel un coach, Michel conseille chacun. Les danseurs semblent plus isolés ; des duos, des trios se forment comme pour se rassurer en attendant son tour ! Je ne vois que les traits tirés des visages avec l’impression qu’ils ne sont pas prêts. Ils me paraissent fragilisés. Mais que ne savent-ils donc pas ? Que travaillent-ils encore ? Je cherche, je scrute le moindre détail de leur travail d’orfèvre. Je ne saisis pas de suite ce qui se joue mais je sens que le plateau est un changement d’échelle qui dramatise les enjeux.

D’autant plus que la matière de la scène (bois, plastique) freine de nombreux danseurs. Le sol fait du bruit et installe une mécanique sourde : à chaque pas, un son. Michel précise : « il vous fait démécaniser vos jambes ». Ce bruit augmente la tension, rajoute un tempo inutile. Alors, faute de bande-son, il s’y colle avec ses onomatopées impossibles à retranscrire ! Puis, il prévient : « si on réussit les entrées, c’est magique ; sinon, on piétine la sortie » (les hommes politiques pourraient s’inspirer de cette maxime).

Alors que le filage d’ »Aléa » se prépare, Bastien revoit sa technique, Christian réintègre le groupe et l’oeuvre après sa semaine parisienne (il y présenta « Klap ! Klap ! »), Caroline se concentre, Marianne se fait une place, Tuomas et Olivier se rapprochent tandis que Gildas fait le tour du plateau. Ils dégagent presque un côté animal, cernés par les limites de la scène. L’expression “se jeter dans la fosse aux lions » prend tout son sens. C’est un collectif divers, comme si « Aléa » se nourrissait de leurs différences d’approches du geste dansé, de leurs corps éloignés des stéréotypes du danseur, de la complexité née de leurs articulations.

Ils habitent « Aléa », ce mot qui porte nos espoirs de sortie de crise, qui guide dorénavant nos projets. J’ai eu ce privilège de les observer, en veillant à ne pas franchir la limite, en ayant ce regard respectueux et curieux qu’une société devrait avoir envers ses artistes. Comme un réflexe à la tentation du repli, je me suis approché d’eux. Ils m’ont nourri de leur énergie pour redevenir créatif au cours de cette année qui s’annonce chaotique. Ils sont le moteur de notre croissance.

Michel monte dans les gradins et lance, juste avant de donner le top départ du filage: « Soyez clair avec vos camarades ».

Un chaleureux merci à Michel Kelemenis, Caroline Blanc, Olivier Clargé, Marianne Descamps, Gildas Diquero, Tuomas Lahti, Bastien Lefèvre, Christian Ubl, Nathalie Ducoin, Marie Tardif et Laurent Meheust.

Pascal Bély ,www.festivalier.net

A lire, le premier épisode: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of de “viiiiite”(1/4) !
et le deuxième: Michel Kelemenis à Aix en Provence : le making of d'”Aléa”(2/3) !
Et la générale: Michel Kelemenis, chorégraphe.