C'est la première ce soir. L'ambiance est électrique. Les intermittents occupent la scène de la Cour d'Honneur du Palais des Papes. La majorité du public applaudit alors que mes voisins profèrent des insultes. Je me retrouve trois ans en arrière quand, en 2003, des spectateurs vengeurs s'en prenaient aux comédiens. Deux hommes en viennent aux mains derrière moi en ce traitant de tous les mots. La situation n'a pas bougé et les clivages sont de plus en plus forts. En cinq ans, L'UMP aura divisé ce pays comme jamais. Des « Barbares »?
D'ailleurs, la pièce commence avec trente minutes de retard. Un jeune homme à la guitare, chante sur scène une chanson de Bob Dylan puis de Noir Désir. Mes voisins continuent les insultes (« il y en a assez de ces fainéants ! ») sauf que?le spectacle a débuté. Malaise. « Les Barbares » de Maxime Gorki écrits en 1905 sont toujours d'actualité. Éric Lacascade a vu juste en les mettant en scène pour la première fois au Festival d'Avignon.
Tout commence avec l'arrivée de deux ingénieurs chargés de construire un chemin de fer dans une province reculée de l'Empire Russe. Ils vont bouleverser la vie de toute une ville. Ils ne se gênent pas pour mépriser la population locale, pour jouer les justiciers au mépris des règles élémentaires de la démocratie. L'expertise donne le pouvoir et le contexte doit se plier aux exigences du projet. On connaît la chanson et je reconnais dans l'ingénieur en chef, un certain premier ministre français? Très vite, leurs petits jeux et autres mesquineries les mettent au même niveau que les habitants. La fin est tragique et l'on ne parle même plus de ligne de chemin de fer, mais de décomposition sociale, familiale et politique. J'ai rapidement l'impression d'assister à un thriller sur le changement. Lacascade joue sur des effets de mise en scène de cinéma (ma vue se trouble lors d'un changement de décor !). Il utilise le Rock pour renforcer les enjeux et faire monter la pression. L'espace de la Cour d'Honneur est merveilleusement utilisé : sur une petite scène, les lumières sont braquées sur un groupe pendant qu'autour les corps bougent au ralenti. A un autre moment, l'expert s'enferme dans son arrogance à l'image des projecteurs qui se referment sur lui. Magnifique. L'utilisation de ces petits espaces est intelligente, car ils obligent le spectateur à porter un regard horizontal sur les effets du changement et non de se concentrer sur une partie de la scène.
Les comédiens sont au centre de ce thriller. Ils sont tous impressionnants à se déplacer d'un point à l'autre, d'un groupe vers l'autre, de la haine à l'amour. Les différences physiques (les deux enfants du maire, l'un gros, l'autre menue) permettent d'identifier leur rôle de bouc-émissaire et de médiateur pendant que le système est au bord de l'explosion. Ils sont symptomatiques et pourtant ils facilitent le lien entre les deux groupes antagonistes. Lacascade, loin de les ridiculiser, les accompagne avec bienveillance.
Je ne vois plus le temps passer. Je suis pris dans ce tourbillon de sons, de lumières et de jeux d'acteurs. Je ne cesse de faire des associations comme si je me faisais mon théâtre au théâtre. Loin de m'attacher à l'un des comédiens, je tisse ma propre toile des relations quitte parfois à me perdre. Mais Éric Lacascade sait me rattraper quand il replace les projecteurs et la musique au c?ur d'un groupe, d'un couple, d'un individu.
« Les barbares » sont un beau moment de théâtre. Certains esprits chagrins s'offusquent de certaines lenteurs et de la liberté prise par Lacascade pour contextualiser la pièce dans notre époque. Qu'importe. « Les Barbares » arrivent au bon moment pour nous rappeler les dangers d'une arrogance venue d'en haut et les effets dévastateurs de l'affrontement entre communautés. Renaud Donnedieu de Vabre n'a pas pu assister à la pièce. Messager du MEDEF, il aurait pu devenir porte-voix des artistes. Hors jeu.
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“VSPRS” d’Alain Platel.
“Paso Doble” de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
“Combat de nègre et de chiens” de Koltès par Arthur Nauzyciel.
“Au monde” de Joël Pommerat.
“Human” de Christophe Huysman.
“Rouge décanté” de Guy Cassiers.
“Faut qu’on parle!” d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, “Sizwe Banzi est mort” de Peter Brook, “Récits de juin” de Pippo Delbono et “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois.
“La tour de la défense” et “Les poulets n’ont pas de chaises” de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
“Les marchands” de Joël Pommerat.
“Chaise”, “Si ce n’est toi” et “Le numéro d’équilibre” d’Edward Bond.
“Les barbares” d’Eric Lacascade.
“Pluie d’été à Hiroschima” d’Eric Vigner.
“Asobu” de Josef Nadj.
“Mnemopark” de Stefan Kaegi.
“La poursuite du vent” par Jan Lauwers.
“Battuta” de Bartabas.
“Mondes, Monde” de Frank Micheletti.
“Journal d’inquiétude” de Thierry Baë.
“Depuis hier. 4 habitants” de Michel Laubu.
“La course au désastre” de Christophe Huysman.
“Gens de Séoul” de Frédéric Fisbach.
En bons derniers…
“Sans retour” de François Verret
“Mozart et Salieri” et “Iliade Chant XXIII” par Anatoli Vassiliev.
“Ecrits de Jean Vilar” par Olivier Py.
“Le bazar du Homard” par Jan Lauwers.



Au c?ur du Festival d'Avignon, existe un petit havre de convivialité et de lien social. Il faut traverser le pont de l'Europe (tout un symbole), se rendre sur l'Ile de la Bartelasse et suivre la ligne droite. Elle nous mène à Contre Courant. Animée par la CCAS (le Comité d'Entreprise des personnels EDF ? GDF), cette manifestation joue la carte d'une programmation de qualité (Edward Bond,
À peine remis de cette leçon, « Le numéro d'équilibre » d'Edward Bond mis en scène par Jérôme Hankins, accompagné par une armée de cigales, va faire l'effet d'une déferlante dans ce petit jardin.
C’est dans ce cadre qu'un théâtre a été installé. Sur scène, des cartons et des matériaux de récupération font office de décor. Nous sommes dans un théâtre de rue, un soir d'orage dans ce quartier d'Avignon.
Sizwe Banzi frappe à la porte de la boutique. Il veut une photo pour envoyer à sa femme restée au pays. Il est travailleur étranger et son « pass » est périmé. Il est sous le coup d'une expulsion. Il n'est plus rien. Styles le fait jouer pour lui faire la photo (« tu es le grand patron de l'usine?souris ! Clic ? clac »). Par ce petit jeu de rôles, Style donne plus qu'une photo d'identité ; il le rend humain. Mais il faut trouver un stratagème pour avoir un « pass ». C'est alors que Styles découvre un homme mort avec un « pass » en règle. Sizwe Banzi devient alors Robert Zuellima.
Survient ce qui sera sans doute le plus beau moment de théâtre de cette 60e édition : Sizwe (Pitcho Womba Konga, exceptionnel) se dirige vers le premier rang du public (cf. photo) et clame : « Qu'est-ce qui se passe dans ce foutu monde ? Qui veut de moi ? ?QU'EST – CE QUI NE VA PAS AVEC MOI ? ». Les sans-papiers en lutte aujourd'hui en France semblent crier avec lui. La cour résonne. Les murs d'Avignon et de l'Elysée tremblent. Je n'ose plus bouger. Les photos s'animent, les cartons se soulèvent. Le papier vit?
J'ai fait une magnifique rencontre, de celle qui marque la vie d'un spectateur. En sortant, je ne me sens pas tout à fait pareil. J'ai envie de voir le monde différemment, je m'encourage à le penser autrement pour ne pas céder au catastrophisme ambiant qui voudrait
Ils sont six pour dénoncer avec poésie, la façon dont nous regardons le monde par le petit bout de la lorgnette, nous arrêtant à la moindre difficulté (photo ci contre!). Plus tard, un homme est seul à tourner en rond sur lui-même pour nous parler de sa situation sociale avec un jargon (RMI, Allocation, ASS, ASI,?) qui étouffe progressivement sa voix et sa créativité. Il y a Lili (magnifique Colline Caen) qui cherche absolument à joindre la famille Toulou, mais elle se perd dans la communication verticale. Ils sont deux hommes à vouloir se prendre dans les bras, à trouver les mots pour le dire, mais il est plus simple de parler à leur place pour mieux les normaliser. C'est ainsi qu'alternent différentes scènes où chacun dénonce le statut donné à l'artiste, au poète par la société du divertissement et du zapping.
Mais Christophe Huysman va plus loin. Avec ses comédiens, des lignes verticales et horizontales, il crée des articulations où naissent des espaces audacieux: ainsi les mots s'entendent, la poésie éclaire notre chemin dans le chaos. En reliant le vertical au transversal, Huysman fait émerger une nouvelle poésie : les corps s'entremêlent, s'emboîtent, se soutiennent, impulsent d'autres formes. Si un élément flanche, tout s’écroule. L’interdépendance trouve ici sa magnifique traduction.Je suis médusé de voir ce jeu de Legos où je crée moi-même ma carte du monde. C'est de la poésie dans la poésie, si bien que l'on peut parfois se perdre dans cette complexité. Qu'importe, il suffit de se laisser guider par la musique des mots, de sortir de notre conditionnement qui nous oblige à tout comprendre, à tout moment. Ces acteurs sont magnifiques, ils portent la pièce à bout de bras (c'est le cas de le dire) et permettent de m'identifier à l'un, à l'autre. La vision de Huysman n'est pas pessimiste : si nous dépassons nos rigidités, nous pouvons créer un nouvel art conceptuel, basé sur la poésie et joué par des artistes pluridisciplinaires qui relie le corps et le texte. Le chaos est créatif si nous acceptons les articulations. « Human » est une réponse à ceux qui dénonçaient la place faites aux nouvelles formes artistiques lors de l'








La relation entre Mozart et Saliéri est réduite à sa plus simple expression : les acteurs déclament leur texte comme dans les années cinquante à la Comédie Française. Les costumes renforcent le côté kitch de cette mise en scène d’un autre âge. La chorégraphie des musiciens et du chœur des anges fait davantage référence à une danse folklorique qu’à un travail sur les corps. La relation complexe entre les deux compositeurs aurait pu inspirer. En outre, Anatoli Vassiliev fait le choix d’accompagner l’intensité dramatique par toute une série de rites religieux. J’ai l’étrange sensation d’être à la messe. Ce choix artistique est paresseux. Je ne tarde pas à prendre mon blog de papier pour écrire : « Rendez-nous Jan Fabre ! » pour le montrer à mes voisins de côté et de derrière ! L’arrivée d’un diable avec un sexe de bois en érection finit par provoquer l’hilarité générale quand j’évoque l’arrivée de Sarkosy.