Le Théâtre des Salins de Martigues retrouvera-t-il quelques couleurs ? La saison 2007-2008 lui a permis d’atteindre de beaux scores de fréquentation au profit d’une programmation très consensuelle, loin des formes artistiques en émergence en France et en Europe. 2008-2009 annonce la fin de la convalescence et le retour des Salins avec de beaux moments de bonheur. Annette Breuil, sa directrice, file la métaphore en reliant la programmation à une recette de cuisine. Petit tour de sept jolis plats goûtés ailleurs.
« Le silence des communistes » de Jean-Pierre Vincent devrait faire grand bruit dans cette ville gérée par le PC et ses alliés. Outre que ces acteurs sont épatants de vérité, le débat qui accompagnera la pièce devrait mettre pas mal d’ambiance. À ne manquer sous aucun prétexte à l’heure ou le Parti Socialiste cherche sa voie.
Le débat devrait trouver son prolongement avec « Mefisto For Ever » de Guy Cassiers où un directeur de théâtre « collabore » avec les nazis puis avec les alliés. Spectacle troublant, magnifique qui devrait, si les Salins l’organise, provoquer des échanges nourris entre acteurs culturels et spectateurs sur le rôle de la culture en ces temps troublés.
Les chroniques sociales de Joël Pommerat avec « Je tremble 1 et 2» et « « Pinnochio » seraient une nouvelle opportunité pour réfléchir collectivement à l’évolution de notre société.
Au total, quatre ?uvres pour réinventer la gauche, loin des appareils. Mais une question émerge : suffit-il de programmer des pièces « politiques » sans construire l’espace du politique ? Le Théâtre doit intégrer le débat en accompagnement des spectacles à l’image du « Théâtre des idées » organisés par le Festival d’Avignon. Force est de constater qu’aucune structure ne remplit cette mission dans la région PACA.
L’époque incertaine et chaotique appelle plus que jamais les poètes. Avec Pippo Delbono, fidèle des Salins, les spectateurs devraient faire un triomphe à ce chef d’?uvre. « Questo Buio Feroce » est un acte d’amour de Pippo envers son public. Vital.
A retenir deux comédiens d’exception nichés dans cette programmation foisonnante : Manuel Vallade, exceptionnel de fragilité dans son costume de légionnaire. « Mon képi blanc » d’Hubert Colas, c’est du sur mesure. LLjir Selimovski est un acteur magnifique dans « La nuit juste avant la forêt » de Koltès mis en scène par Catherine Marnas (mais pourquoi est-il annoncé dans un coin caché de la brochure ??). Qu’attendent les Scènes Nationales pour programmer cet écrin d’humanité ?
Depuis l’ouverture du Centre Chorégraphique National, le Pavillon Noir à Aix en Provence, la danse n’est plus au centre de la programmation des Salins. La concentration institutionnelle a dépassé les frontières de ville aixoise. Soulignons malgré tout une co-production d’envergure: Olivier Dubois présente « Faune(s)». “Scandale” au dernier Festival d’Avignon, je persiste et je signe: “Faune (s)” préfigure un rapport différent entre l’interprète et le public. Une très belle oeuvre.
On goûtera avec plaisir à la danse exigeante de Russel Maliphant, de Hiroaki Umeda et, cerise sur le gâteau, en partenariat avec les Ballets Preljocaj (la boucle est bouclée), le « Gershwin » de la Compagnie Montalvo / Hervieu.
En périphérie, saluons l’arrivée du musicien Yann Tiersen, en duo avec Miossec. Ce dernier, souvent imprévisible sur scène (lire ici !), sera-t-il plus sage ?
Rendez-vous en juin 2009 pour un débat sur la saison passée et à venir. Prenons les paris qu’un jour, la démocratie participative, franchira les murs de nos si beaux théâtres !
À quand le sucré salé ?
Pascal Bély
www.festivalier.net
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La surprise est venue d’un solo époustouflant. Ivo Dimchev de Sofia, incarné en Lili Handel (« blood, poetry and music from the white whore’s boudoir »), diva de cabaret (ou d’une boîte de nuit gay ?), vendue au plus offrant. Ivo Dimchev nous offre le meilleur d’un répertoire de cabaret, où le corps n’est pas seulement objet d’un jeu de transformation, mais une surface de nos réparations, de nos projections, à la frontière du biologique et du sociétal (fait-il référence au VIH ?). Cette rencontre ne dure qu’une heure, mais elle est intense : en jouant sur différents registres, Ivo Dimchev dessine le portrait d’une Lili fragile (notamment quand elle chante) et provocante quand elle danse avec ses fesses, où l’on aimerait s’y s’engouffrer pour y trouver du réconfort ! Ivo Dimchev interroge avec brio le “corps marchandise” qu’on offre aux enchères (les putes ne sont pas toutes à pourchasser sur le trottoir de nos villes…). Avec Lili, le corps est «danse», les mots sont « théâtre ». La performance jaillit dans cet interstice et l’on pense à
Le public applaudit à tout rompre. Heureux. Soulagé. Comme si la danse venait enfin de nous faire un beau cadeau, alors qu’elle nous réserve tant de souffrances, de tensions voir de repli quand elle est en panne de sens. Ce soir, à Montpellier Danse, la Catalane Germana Civera fait avec « Fuero(n) » ce que notre société peine à réaliser : relier les générations dans un espace où l’imagination est au pouvoir ! Quarante ans après mai 68, elle redéfinit les contours d’un « vivre ensemble » où l’individu s’affranchit des cloisonnements qu’on lui impose. Pour réussir ce pari incroyable, plus de trente acteurs sur scène (dont pas mal d’amateurs), âgé de huit à plus de soixante cinq ans avec pour espace commun, la fin du monde, l’apocalypse vue à travers l’histoire de la danse ! « Fuero(n) » est un beau maillage entre un festival, un territoire européen transversal (Germana Sivera vit à la fois à Montpellier et à Barcelone), le public et notre bien collectif, la danse.
À peine sorti de « Singular Sensation », j’ai du mal à quitter Les Ursulines. Envie d’entrer à nouveau, d’échanger avec les cinq danseurs de Yasmeen Godder pour écouter leur ressenti, leur expliquer les raisons de mon total désaccord. Leur chorégraphe a voulu les interpeller directement dans leur posture et à travers eux le regard du spectateur, « pour pousser les limites…réagir à l’engourdissement général…pour échapper à l’individualisme ». Un propos entendu, rabâché, porté par Rodrigo Garcia, l’un des tenants de la provocation sur scène teintée d’un discours d’extrême gauche. De cette posture de toute puissance, Yasmeen Godder expérimente sur ses danseurs toute une série de mouvements, d’articulations pour désarticuler, les affubles d’objets aussi improbables les uns que les autres parce qu’il faut bien prolonger un corps impuissant, seulement capable de se faire exploser à l’image des kamikazes (Yasmeen Godder est partagé entre Israël et les États-Unis). Elle transforme la scène en un laboratoire où elle s’essaie à la provocation en continu et ne laisse aucun interstice pour que le lien entre les danseurs et le spectateur puisse se jouer. « Singular Sensation » me met dans une attitude passive, m’amuse parfois et finit par me rendre nauséeux. Tout devient laid à force d’escalade dans la provocation. C’est de la performance pour la performance. Dès qu’une émotion émerge, elle coupe la séquence pour imposer son objet, son liquide.
Je questionne donc le sens du propos de Yasmeen Godder: jusqu’où peut-elle aller avec eux, avec nous? Comment expliquer ce sentiment diffus qu’elle se sert de leurs corps à ses propres fins dans une injonction paradoxale: « soyez danseurs, mais ne dansez surtout pas». À quoi joue-t-elle pour les guider avec autant de lourdeurs et de maladresses (j’ai du mal à croire que la dame ait reçu autant de prix!) pour régulièrement les faire patiner (à la limite de l’humiliation, quand l’un vomit de la peinture sur le visage de l’autre). Elle nous jette ses danseurs en pâture, avec leurs cris et leurs souffrances, où les hommes dégueulent pendant que les femmes éjaculent. Elle les affuble de toute une série d’objets qui les ridiculisent faute de perspectives à la dénonciation. Le sens peut-il encore émerger de la protestation à l’heure où le monde change, où tant d’artistes guident le spectateur sans le disqualifier ? Yasmeen Godder dénonce l’individualisme, mais quel collectif nous propose-t-elle?
À peine entré à l’Hôpital psychiatrique où le chorégraphe Christophe Haleb nous a donné rendez-vous, une actrice me confie une valise avec une chaise pliante. En plein soleil, un décor de plage nous accueille puis le public se divise en deux groupes : ceux qui aiment le camping, ceux qui sont « no camping ». Belle entrée en matière où le spectateur est propulsé dans un imaginaire collectif, dans les méandres des souvenirs de l’enfance. Afin d’instaurer la confusion, un nouveau groupe est proposé, composé de détenteurs d’un PEL, d’une hypothèque sur leur avenir, d’une coquille sur le dos.
a fratrie s’invite ce soir. A chacun d’y trouver la métaphore la plus pertinente: nos frères et s?urs, la troupe de comédiens (et pourquoi pas celle de l’ERAC comme le suggère Ludovic Lagarde dans la note d’intention distribuée à l’entrée), votre équipe de travail ou celle de Raymond Domenech, le gouvernement…Ce soir, ils sont quatre frères, trois s?urs, à se réunir pendant quatre jours et quatre nuits pour faire l’inventaire de leur histoire commune. Toutes les techniques y passent (appel aux esprits autour d’une table, séance de Yoga, chants religieux, hypnose) pour libérer une parole trop longtemps étouffée ; le théâtre fait sous nos yeux ce qu’un thérapeute familial n’oserait peut-être pas entreprendre (quoique) !