1) Le bilan du Tadorne.
En 2008, l’art du « débordement » a inspiré de nombreux artistes pour qui le spectateur, loin d’être un consommateur, fut considéré comme un « acteur » au « travail », au sens psychanalytique du terme. Rarement, mes capacités à m’émouvoir, à penser, ont été à ce point stimulées. Ces dix artistes ont fait de moi, de vous, de nous, de beaux « Homo Spectator », titre du dernier ouvrage de la philosophe Marie-José Mondzain.
1- Pippo Delbono, « Questo Buio Feroce », Théâtre du Merlan, Marseille.
2- William Forsythe, « Hétérotopia », Montpellier Danse.
3- Ivo Van Hove, « Tragédies Romaines », Festival d’Avignon.
4- Raimund Hoghe, « Boléro Variations », Montpellier Danse.
5- Christophe Haleb, « Résidence secondaire », Uzès Danse.
6- Wajdi Mouawad, « Seuls », Théâtre d’Arles
7- Oriza Hirata, « Tokyo Notes », Théâtre2Genevilliers, Festival d’Automne, Paris.
8- Philippe Quesne, « La mélancolie des dragons », Festival d’Avignon.
9- Heiner Goebbels, « Stiffers Dingue », KunstenfestivaldesArts, Bruxelles.
10- Emma Dante, « Vita mia », “Mishelle di Sant’Oliva“, Amis du Théâtre Populaire d’Aix en Provence.
On n’oubliera pas de si tôt, la force du théâtre de Pippo Delbono qui guida le spectateur aux frontières de l’amour à mort. On reste encore habité par l’immense travail déambulatoire de William Forsythe où notre errance sur le plateau du Corum de Montpellier structurait la relation avec le danseur. A quelques kilomètres de là, le chorégraphe Christophe Haleb nous guidait dans les allées de l’Hôpital psychiatrique d’Uzès pour danser et nous faire danser dans les entrailles d’une société française complètement folle. Le metteur en scène néerlandais Ivo Van Hove a osé lui aussi nous bousculer pour que nos corps se déplacent sur scène, au c?ur de la tragédie shakespearienne.
Le débordement n’est pas vain quand je repense à Wadji Mouawad se métamorphosant par la peinture pour nous accompagner lors de notre voyage dans l’invisible. C’est en voyant l’invisible, que Raimund Hoghe m’a bouleversé avec son « Boléro » de Ravel.
La famille, espace de l’invisible, fut habité par le metteur en scène japonais Oriza Hirata et la sicilienne Emma Dante avec les corps et les mots jusqu’à tisser la toile de mes résonances.
De cet invisible, je n’en avais pas vu grand-chose, un soir de mistral, au Cloître des Célestins d’Avignon, lors de « La mélancolie des dragons » de Philippe Quesne. Acte de résistance au « travailler plus pour gagner plus », cette mélancolie a fait son travail, bien des jours après.
A l’image de la mécanique poétique d’Heiner Goebbels qui, alors qu’aucun comédien n’était sur scène, vous envahissait du dedans pour vous plonger au dehors.
Pascal Bély
www.festivalier.net
A lire aussi,
Bilan 2008 (2/5) : Le top de la danse contemporaine !
Bilan 2008 (3/5): le théâtre fait sa crise.
Bilan 2008 (4/5) : mon Facebook démasqué.
Pour se souvenir, le bilan culturel de l’année 2007, 2006.
2) Le bilan de Laurent Bourbousson, contributeur du Tadorne.
L’année 2008 aura fait place au théâtre de l’humain, comme pour mieux souligner l’importance d’être, de l’être. Ce théâtre nous illustre, nous attaque, nous fait vivre. Des ?uvres politiques aux ?uvres sentimentales, de l’engagement au militantisme, l’urgence de l’art vivant est de montrer le monde dans lequel nous vivons, un monde fait de questions, de cruauté et d’amour. Tel serait l’antagonisme humain…
“La Rabbia” et « Questo Buio Feroce », de Pippo Delbono, font parti de ces ?uvres qui continuent d’évoluer au fil du temps. Indispensable et incontournable, Pippo illustre l’homme du XXIème siècle tout comme Wadji Mouawad, avec « Seuls ». La parabole du cadre identitaire et l’appartenance à un monde nous laissaient alors entrevoir que nous sommes tous semblables, donc seuls. Formidable.
La découverte des écrits de Louis Calaferte s’est faite par l’intermédiaire de “Je veux qu’on me parle“, mise en scène d’Alain Timar et de “Tu as bien fait de venir Paul ” mis en scène de Didier Moine. Véritable voyage au centre des relations humaines, l’auteur livre ses visions sans concessions, avec une parole toujours juste. Auteur voué au démon de son vivant, il serait de bon ton de le redécouvrir pour mieux nous connaître.
Parce que l’enfant que l’on était s’est construit pour devenir ce que nous sommes, Joël Pommerat et son “Pinocchio” contemporain nous content la difficulté de grandir dans ce monde en perpétuel mouvement qui ne laisse plus de place au souffle.
A contrario de Claire Le Michel et de son “Homme Approximatif” offrant une vision intimiste de l’être humain, plus sereine et pleine d’amour. L’amour, ce sentiment si compliqué ! Dostoïevski avec “Les nuits blanches“, mis en scène par Xavier Gallais et Florient Azoulay, laissent le charme du sentiment amoureux se développer, avec des mots purs, issus d’un autre temps.
“La seconde surprise de l’amour“ de Marivaux couplé à “Douleur Exquise” de Sophie Calle nous démontre que l’amour est bel et bien encore et toujours un sentiment existant.
Je suis donc un homme amoureux, dont le cadre identitaire défini vole en éclat lorsque je m’assois dans une salle de spectacle. Continuons à nous interroger et à nous regarder en 2009…
Laurent Bourbousson.
www.festivalier.net

En novembre dernier, je participais au jury régional « Talents danse » à Marseille organisé par l’ADAMI. Deux danseuses interprètes furent sélectionnées et invitées pour l’audition finale du 13 décembre à Paris.
A l’entrée de la salle, on préfère nous avertir : « certaines scènes seront jouées dans l’obscurité la plus totale ». Le principe de précaution s’immisce décidément partout. Aurions-nous peur, même du noir ? C’est fort possible.
Le premier solo de Chloé Moglia aurait pu suffire. « Nimbus » fragilise notre regard sur la performance où la force s’éclipse pour le doute, l’égarement, l’imaginaire. Elle arrive avec son échelle pour atteindre son trapèze. Je plonge dans un ailleurs fait d’équilibres, de fragilité, où la lumière suspend le corps. C’est un espace immatériel ouvert alors que le vide l’entoure. Elle déploie son corps pour se mouvoir dans des ouvertures symboliques qui font référence à la créativité en temps d’enfermement. J’aurais aimé une descente moins brutale alors qu’elle rejoint la scène. Je ressens un propos épuisé, là où les danseurs auraient exploré bien d’autres pistes.
Le duo qui suit, « Ali » avec Mathurin Bolze et Hedi Thabet, propose une performance entre deux hommes dont l’un est unijambiste. Vingt-cinq minutes d’escalades, de liens conflictuels et amoureux, de recherches d’articulations entre le 1 et le 2. C’est le handicap qui fait le spectacle et Mathurin Bolze s’appuie sur lui pour parler d’eux. La bête de foire ne tarde pas à émerger et faire rire le public tandis que les applaudissements ponctuent les performances. Face au chahut, les voilà contraints de faire un signe pour réclamer le silence. Je décroche rapidement dans ce zapping de numéros où l’autre différent n’est finalement réduit qu’à ce qui le handicape. Tout est effleuré avec pudibonderie et finit par produire un consensus mou. Il aurait fallu toute la poésie d’un
Le dernier solo s’enlise dans le vide sidéral. « Croc » par la Compagnie Moglice, interprété par Mélissa Von Vépy
L’ennui s’invite à la Comédie de Valence. Je lutte contre le sommeil.
En ouvrant sa mise en scène sur des extraits de « Douleur exquise » de Sophie Calle, mis en son par Christophe Perruchi, Alexandra Tobelaim donne un souffle nouveau à Marivaux. Elle le veut contemporain. Elle l’arrache à nos représentations imaginaires et le transpose dans notre siècle où l’amour semble avoir fuit. Le sentiment amoureux et le sens du dialogue ne sont effectivement plus au centre de nos préoccupations. Comme pour entrer en résonance avec cette désertion, le plateau se présente comme un parterre de terre, représentation de ce que le corps est : un champ de bataille.