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La folie des grandeurs de Michael Marmarinos plombe le KunstenFestivalDesArts.

Dying as a country” de Michael Marmarinos est la super production du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Cent cinquante figurants à la fois sur scène, de l’entrée  à la sortie d’une grande salle, au c?ur d’une friche industrielle : voilà pour le décorum. La taille du plateau du Palais des Papes d’Avignon n’est rien à côté de cet espace mégalomaniaque et complètement inadapté au théâtre. Pour se rendre sur les gradins, le public double une longue file de figurants. Une fois assis et en attendant que tout le monde prenne place, nous subissons la logorrhée verbale d’une jeune comédienne prisonnière d’un petit carré dessiné sur scène. Un spectateur, excédé, hurle en quittant les lieux : « mais tu ne vas pas la fermer ! ». Ce cri de rage annonce le calvaire qui va suivre.

« Je meurs comme un pays » est un livre publié par Dimitris Dimitriadis en 1978 : il y décrit l’agonie d’une nation, en perte d’identité. Métaphore de la Grèce au temps de la dictature des colonels, ce texte universel pourrait s’appliquer à bien des Etats d’aujourd’hui. Michael Marmarinos le met en scène ou plutôt en espaces. Le spectateur doit sans cesse naviguer entre le texte mitraillé en sous-titrage, les écrans vidéo qui retransmettent les visages des figurants dans la file, le plateau découpé en plusieurs cases avec au fond, loin là-bas, une scène de théâtre. La nation, pour Marmarinos, c’est d’abord le nombre, le territoire, la file verticale. Sa mise en scène n’est pas sans rappeler la mégalomanie de certains dictateurs lors des défilés militaires. Il y a une volonté consciente d’impressionner le public, de le mettre en position passive où la forme envahit le fond. Les acteurs professionnels, noyés dans la masse, ne font que courir d’un bout à l’autre de l’espace en hurlant ce qui aurait dû être joué ! Tout n’est que distorsion, cloisonnement, envahissement. Ce n’est même plus du théâtre, mais de la mauvaise performance pour spectacle joué sur la pelouse d’un stade de football.

Dépassé par le « dispositif », le public assiste impuissant à cette interminable procession sans qu’une seule fois son imaginaire ne soit sollicité. Comme à chaque édition, le KunstenFestivalDesArts se perd souvent dans les grands espaces scéniques. L’équation binaire entre la taille et le territoire n’est-elle pas dans l’impasse ?

« Dying as a country » est un spectacle mort-né.

Pascal Bély


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 « Dying as a country » par Michael Marmarinos a été joué le 24 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.
Crédit photo:
© Alexandra Cool – Academie Anderlecht

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Au KunstenFestivalDesArts, Beatriz Catani cafarde.

Le petit théâtre L’L accueille le KunstenFestivalDesArts pour la pièce Argentine « Finales », de Beatriz Catani, . Pour prendre place, le public traverse la scène où sont déjà installés nos quatre protagonistes pour deux heures trente d’une épopée hallucinogène, poétique, chaotique à vous donner le mal de mer, où le réel est abstrait, l’imaginaire la réalité.

Tout commence avec une énorme blatte vivante qui fait son entrée sur scène, prête à enrayer la machine théâtrale. Une femme, la quarantaine, s’en approche et l’écrase délicatement avec un bout de papier. Tel un bibelot, elle la pose sur le rebord de la cheminée. Elle bouge encore. Souffre douleur, l’animal est symboliquement disséqué, prétexte pour interroger la mort, la fin, la disparition, le sens. Deux jeunes femmes et un homme accompagnent notre quadra dans cette veillée auprès de cet animal agonisant qui a survécu depuis la préhistoire, avec une belle endurance, à tant de métamorphoses . Elle est des notres en ces temps de réchauffement climatique pour son dernier show à Bruxelles, preuve s’il en est, que la capitale de la Belgique est le centre du monde.

Nos quatre acteurs vont tout oser pour décrire avec violence, tendresse, renoncement, avancement, la « fin » de tant d’histoires qu’elles finissent par nous étourdir. Nous sourions de nous entendre, de nous voir, lors de ruptures amoureuses, de conflits familiaux, où finalement nous passons le plus clair de notre temps à penser la fin comme un éternel recommencement. Ces quatre acteurs sont prodigieux dans leur engagement à ne jamais lâcher, même quand le pont ne mène nulle part, même lorsqu’on s’enferme dans un schéma répétitif, ou se cacher dans un placard est le seul refuge pour se protéger du regard de l’autre. Beatriz Catani donne à chaque interprète une profondeur psychologique étonnante, où le corps se débat en même temps que la blatte lutte contre la mort (les séances de masturbation collective ne sont pas qu’intellectuelles…). Ce n’est jamais caricatural parce que profondément humain. On est étonné de leur énergie à passer d’une histoire à l’autre sans que la mise en scène en souffre, comme s’il fallait ne rien perdre de ce temps suspendu où la blatte n’est pas encore morte. C’est dans cet interstice qu’ils repensent leur vie comme un long poème, quelquefois drôle, le plus souvent surréaliste. L’atmosphère est celle d’un rêve éveillé, d’un cauchemar où les personnages de notre existence se donnent rendez-vous pour revisiter nos névroses et régler quelques comptes ! Le plateau transpire comme lorsque nous luttons en pleine nuit. Nous pourrions tous nous incarner dans chacun d’eux, dans leur quête absolu de vouloir recommencer, de rechercher le sens là où il n’y ait pas a priori. On ne peut  toutefois s’empêcher de ressentir une Argentine qui souffre mais espère des jours meilleurs en puisant dans sa créativité les ressorts du renouveau.

« Finales » joue l’angoisse et en joue parfois un peu trop comme si Beatriz Catani ne pouvait freiner cette descente aux enfers (fallait-il faire si long ?) A la mort de la blatte , assis sur leur canapé à la regarder, la poésie s’invite à nouveau. Ils vont pouvoir imaginer l’ « après ». La lumière s’éteint. C’est fini.

Quand le théâtre se fait divan.

Pascal Bély

?????? Finales”  de Beatriz Catani a été joué le 25 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

  © Almudena Crespo – Academie Anderlecht

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Le théâtre Argentin sur Le Tadorne avec Ricardo Bartis.


 

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Au KunstenFestivalDesArts, Rebekah Rousi powerpointise, p, O, w, E, r, P, o, I, n, T, i, S, e?.

Mais jusqu’où peut bien nous emmener le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles ? Après « Call cutta in a box » où, enfermé dans un bureau, je fus téléguidé en direct d’un centre d’appel Indien, je suis invité dans une université Bruxelloise pour assister à « la plus longue présentation PowerPoint du monde » par Rebekah Rousi, performer d’Adelaïde. Au total, 27 heures réparties sur trois jours (avec des plages horaires de 10h à 22h) pour l’un des grands moments du festival malgré un public clairsemé (le cours en anglais a dû en effrayer plus d’un et je me questionne sur l’absence des étudiants).

Habillée en maîtresse d’école ou en manager de chez l’Oréal (car elle le vaut bien !), Rebekah Rousi stupéfie son auditoire avec sa logorrhée verbale où les mots, les lettres du PowerPoint sont disséquées dans une rationalité poussée à l’extrême. Elle étire chaque phrase, chaque expression jusqu’à devoir entrer et sortir de la salle. Sa voix, prête à se briser, s’amplifie pour créer un contexte où l’absurdité devient une mélodie, une partition, un manifeste. Son cerveau fonctionne à plein régime, comme quand Google recherche des occurrences.

« Yes, yes, it issssssssss », « I’amm, I, A, M,. » « Ten, ..zero, one, two, three, ..”This is the point, I’m pointing to the point red. Red” sont des phrases cultes qui finissent par habituer le spectateur aux processus de déconstruction. Car, où allons-nous alors que nous sommes happés par ces mots, ces postures, ces torrents d’explications ? Que cherchons-nous ? Qu’il y a-t-il derrière ce désir d’assister à cette attraction de foire dans ce lieu d’éducation ? Il y a quelque chose de jouissif à voir la rationalité de l’enseignement poussé jusqu’?à son paroxysme. Tout questionne dans cette performance : notre passivité à rester là, malgré tout ; notre soumission aux mots, à l’explicatif même quand il n’y a plus rien à comprendre ; notre attitude de révérence quand nous entrons et sortons de la salle (je retrouve toute la gestuelle des élèves si respectueux de leur professeur !).

Rebekah Rousi décompose les mots pour recomposer une image, un mouvement, une sensation qui crée ces nouvelles voies pour apprendre et écouter la complexité. Avec force et empathie, elle nous guide vers le déconditionnement linguistique pour introduire d’autres constructions propices à penser à partir du sens. Avec obstination et talent, elle offre aux spectateurs, le cours qu’il leur manquait pour comprendre le langage artistique de ce KunstenFestivalDesArts décidément si postmoderne !

Pascal Bély

?????? The longest lecture marathon”  de Rebekah Rousia été joué les 23, 24 et 25 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

  © Almudena Crespo – Academie Anderlecht

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Au KunstenFestivalDesArts, Toshiki Okada en liberté conditionnelle.

Après le coup de foudre pour « Five days in march » présenté en 2007 au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, le metteur en scène japonais Toshiki Okada et sa troupe de jeunes acteurs reviennent avec « Freetime ». Leur démarche corporelle, concentrée et légère, est à l’image de cette langue théâtrale qui plonge le public dans l’étonnement, le questionnement voire la sidération. L’expression mainte fois entendue, « entrer dans la pièce»,  prend un sens tout particulier ce soir à Bruxelles. Cette écriture est en émergence, qui loin d’être posée définitivement sur le papier, semble évoluer en fonction du regard du spectateur. Ici, le plus petit mouvement du corps, la plus infime variation de la voix est un battement d’aile de papillon qui participe à la dynamique de l’ensemble. Écrire sur « Freetime » est alors un exercice particulièrement difficile, car comment rendre compte de l’infiniment petit dans une écriture aussi complexe ? Je ne compte plus les ratures et les ronds dans mon cahier de festivalier.

Le décor pose d’emblée l’espace relationnel des acteurs et la surface de divagation du spectateur. La scène, pas plus grande qu’une chambre d’enfant, est la salle d’un restaurant familial japonais, un « famire » : il n’émerge du plateau que la partie haute des chaises et des tables. Six comédiens, aux corps contraints et aux histoires personnelles corsetées, vont habiter cet espace réduit, comme après une inondation ou un tremblement de terre. Ce décor d’une subtilité incroyable reflète le désir d’Okada d’articuler la société japonaise, où la liberté se mesure en nombre de minutes, avec la structure familiale.

Une cliente arrive ; elle s’accorde ses trente minutes quotidiennes avec pour compte à rebours, un rond qu’elle dessine à l’infini sur son carnet à spirales. À l’issue du temps réglementaire, la feuille est un trou noir dans lequel mon regard plonge, quasiment paralysé par le jeu de ces acteurs. Clients et propriétaires du lieu s’immiscent dans l’imaginaire de cette femme pour goûter à cette liberté si chèrement gagnée sur une société industrielle japonaise qui standardise l’imagination et les modes de pensée. À mesure que « Freetime » avance, les histoires s’entrechoquent et « dessinent» un territoire où le spectateur erre d’un acteur à l’autre, se perd, retrouve le fil et s’intègre dans les nouveaux liens sociaux désirés par Okada.. Ces « trente minutes » remettent en dynamique ce que la société a figé et la mise en scène épouse ce long processus.

Toute la première partie dégage une atmosphère comprimée, où les liens entre acteurs s’étirent doucement. Il faut attendre l’entracte pour que le temps soit transcendé, que les mouvements du corps et la musique des mots créent un nouveau groupe social. Okada dessine une fresque humaine, dans une société étouffante où l’on semble manquer d’air.

Il permet au spectateur de s’offrir, lui aussi, ses trente minutes de liberté. Certains ont préféré partir à l’entracte. Je suis resté.

On ne refuse pas une telle invitation même pour apprendre à faire des ronds dans l’eau.

Pascal Bély.


?????? Freetime” de Toshiki Okada a été joué le 24 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.
Photo © Geert Van Den Eede – Academie Anderlecht

 

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Toshiki Okada sur le Tadorne:
Five days in March palmé en 2007!


 

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Voyage en pays Calaferte par Alain Timar.

« Bienvenue chez les Freaks », tel pourrait être un des sous-titres de la nouvelle création d’Alain Timar : «Je veux qu’on me parle – voyage en pays Calaferte ». La galerie de portraits à laquelle nous convie le magicien Timar prend naissance à travers l’?uvre du romancier et poète, Louis Calaferte. Écrivain contemporain mal connu, incompris et souvent ignoré, son écriture évoque l’univers des petites gens, leur difficulté à dire.

Sous mes yeux, le décor me rappelle le cirque. Alors, je prends place dans le plus grand chapiteau du monde : notre vie. En parlant de l’être humain, avec des mots simples, Louis Calaferte donne à réfléchir sur notre condition. Les saynètes se succèdent comme des numéros de clowns. Je revois cette femme désireuse de dire quelque chose d’important aux passants mais personne pour y prêter attention ; de la petite fille fière de son papa qui est chasseur, mais malheureuse de voir les animaux morts ensanglantés ; d’un enfant se demandant « comment c’est sous terre et ce que l’on y fait ? » et l’autre de répondre « on fait le mort » dans une angoisse palpable ; des deux traiders hyperspeed réfléchissant à l’après, à la fameuse lumière qui appelle à l’autre côté, spéculant sur ce que cela peut être, mais que de toute façon, on n’en sait rien ; du bonhomme qui nous rappelle que l’on finit tous sous terre et que nous l’avons tous dans le cul ; du marché de l’offre et de la demande et sa dynamique spéculative (tout cela pour un chapeau !!!).

Je prends peur, car je réalise que sous ces personnages se cache notre monde. Je ris (jaune) de me voir, de nous voir, mais je quitte la salle le sourire aux lèvres avec cette envie de tout bousculer : tout n’est pas encore joué, il nous reste des partitions à écrire et nous devons, “petites gens“, reprendre les choses en main. Le monde est à l’image de l’homme et son évolution necessite notre métamorphose.

Comme la vie et ses paradoxes, à la gravité de la situation, la mise en scène répond par la drôlerie et le burlesque. Les numéros s’enchaînent parfaitement les uns aux autres avec toujours le même fil conducteur : l’humain. Finalement, nous sommes tous des freaks.

Du théâtre à réfléchir et qui nous pousse à agir. Du théâtre militant ?

Laurent Bourbousson.


?????? “Je veux qu’on me parle – voyage en pays Calaferte” a été joué du 21 au 25 mai 2008 au Théâtre Des Halles Avignon. Sera repris durant le festival Off dans ce même théâtre.

 

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Avec « Le dragon bleu », le vaudeville “made in China” de Robert Lepage.

Le dragon bleu” du Québequois Robert Lepage est une immersion, en surface, de la Chine d’aujourd’hui. Tout dans cette production n’est que réduction pour spectateur amateur de modélisme. À l’heure où la Chine bouleverse l’équilibre du monde, je m’étonne qu’une vision aussi étroite de ce pays puisse trouver un écho positif chez les acteurs culturels.

Pierre Lamontagne est un artiste résident à Shanghai où il tient une galerie. Ce détail, s’il est mentionné sur la plaquette du spectacle, est loin d’être évident sur scène. Pour résumer, Pierre Lamontagne vit dans un petit duplex. Claire, ex-camarade d’École des Beaux Arts de Pierre, est publiciste montréalaise. Elle vient en Chine pour adopter un enfant. Pierre l’accueille chez lui et puis…vous devinez la suite…après un verre…Sa demande d’adoption ne fonctionnera pas. Mais Pierre a une petite amie artiste, Ling,  qui est enceinte de lui, mais il ne le reconnaît pas…vous imaginez la fin…Claire, Ling, l’enfant, Pierre. Mais Robert Lepage n’exclut rien ; il veut faire « confiance à l’intelligence du spectateur » en nous offrant trois alternatives à la fin du spectacle.

Pour masquer la faiblesse du texte et du scénario, Robert Lepage ne lésine pas sur l’esthétique. Comme dans un dernier spectacle sur la Chine vu dernièrement à Marseille, le changement constant de décor amplifie l’impression de survol de la psychologie des personnages. Certaines scènes, où sont reproduites des ballades en vélo, donnent l’étrange sensation d’assister à une mauvaise production d’Hollywood des années cinquante. Rien n’est crédible dans cette histoire où les relations n’ont pas beaucoup de surface, coincées dans la mécanique du décor et les effets de style. Robert Lepage se perd à nous décrire la place de l’artiste en plein boom économique Chinois d’autant plus qu’il peine à relier toutes ces informations à l’histoire de Claire. Là où le metteur en scène Français Joël Pommerat excelle à faire du décor un élément inclut dans la chronique sociale, ici les lumières et les objets illustrent plus qu’ils ne transcendent le propos. Le décor, bien trop descendant, ne nous emmène que trop rarement sur la relation.

« Le dragon bleu » est un « théâtre de séduction » mais dont la machine à rêver ne fonctionne pas tant l’histoire est linéaire. Seule la fin prête à sourire comme si Robert Lepage s’autorisait cette pirouette d’artiste gâté !

La vision de la Chine par Robert Lepage est le gentil calque de nos représentations dépassées.

Pascal Bély

 

?????? «Le dragon bleu» de Robert Lepage a été joué le 24 mai 2008 au MC2 de Grenoble.

Crédit photo: © Photo : Erick Labbé

 

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Sidi Larbi Cherkaoui, appellation d’origine contrôlée.

Les chorégraphes belges font maintenant partie de la famille des amateurs de danse contemporaine. On reconnaît leur démarche, leur posture, leur engagement à nous accompagner dans la postmodernité. Nous avons confiance en eux depuis le temps qu’ils bouleversent notre regard sur le monde et nos habitudes de spectateur. Les Belges sont de notre époque et portent les nouveaux paradigmes.

Sidi Larbi Cherkaoui est de ceux-là. Avec « Origine », il poursuit le travail de son collègue Koen Augustijnen qui avec « Import / Export » nous gratifiait déjà l’an dernier d’une vision pour le moins percutante de la mondialisation. Ici aussi, l’orchestre joue une place prépondérante, une musique en toile de fond qui soutient le mouvement des danseurs. Pour cela, il convoque des femmes, poètes religieux du VIIIème et  XIIème siècle (l’Allemande Hildegarde de Bigen et l’Irakienne Rabi’a al-Adawiya) accompagnées de chants traditionnels maronites et Syriens. Pour reprendre les propos du sociologue Michel Maffesoli dans son dernier ouvrage, ( « Iconologies. Nos idol@tries postmodernes » chez Albin Michel) on aurait aimé qu’« Origine » « réordonne l’avenir à partir du passé, et ce, en s’appuyant sur une pensée du
présent
 ». Or, si l’impression immédiate d’après-spectacle est positive, l’?uvre ne résiste pas à une mise à distance.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=xCmVtEl-hRg&w=425&h=355]

Ils sont quatre danseurs, symboles de la diversité culturelle, habités par différents personnages que l’on pourrait rencontrer aux quatre coins de la planète. Souvent seuls,  emprisonnés dans leur précarré, sans lien social, enfermés dans le couple, violentés par des systèmes totalitaires, métamorphosés par les coups de bistouri du commerce du corps, tout y passe. Les allers-retours entre l’intime, la relation, le contexte global sont incessants et confèrent à la chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui une impression de mouvement, comme des effets d’images du logiciel Google Earth. Le décor compartimenté trouve ses ouvertures par des jeux d’ombres et de  lumières qui se prolongent dans des espaces imaginaires. Comme dans « VSPRS » d’Alain Platel, les chanteuses rejoignent les danseurs pour y insuffler de la compassion, une enveloppe d’empathie. Tout est lié et le corps dansé est le vecteur de ces emboîtements,  où la relation de couple entre en résonance avec la mondialisation des échanges des biens et des personnes.

Mais à trop vouloir dénoncer ce que finalement nous savons déjà, Cherkaoui trébuche lorsqu’un homme, debout sur une carte routière en papier, se voit envahi par des poubelles. Ce n’est pas le propos qui est en cause, mais la forme. Le trait, grossi, fait sourire face à tant de naïveté artistique !  « Origine » surprend après coup : Sidi Larbi Cherkoaui perçoit la mondialisation avec une approche très linéaire et réductrice. Il grossit différentes cases « locales » pour qu’un effet de loupe suffise à donner les propriétés du « global ». Il multiplie les éclairages, mais n’illumine plus, comme s’il ne pouvait restituer sur scène la complexité du monde. Sa pensée d’aujourd’hui s’appuie sur une mythologie passée qu’il peine à actualiser pour appréhender les enjeux. Il ne surprend plus. On applaudit, car « Origine » rassure dans nos inquiétudes, mais c’est un  beau sur-place. Pendant ce temps, d’autres artistes guident les spectateurs vers de nouveaux espaces pour penser autrement les changements d’échelle.

La danse de Sidi Larbi Cherkaoui s’est soudainement standardisée. C’est un des effets de la mondialisation, mais ce n’est pas la mondialisation.

Pascal Bély.

 ?????? « Origine» de Sidi Larbi Cherkaoui a été joué au Théâtre de l’Olivier à Istres le 14 mai 2008.


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Quelques artistes Belges sur le Tadorne:
Sidi Larbi Cherkaoui avec “
Zero Degrees
Alain Platel et “
VSPRS“.
Import Export” de Koen Augustijnen.
Anne Teresa de Keersmaeker, « Steve Reich Evening »

Johanne Saunier et Jim Claybourg avec Erase-E (X) parts 1,2,3,4,5,6“.
Isabelle Soupart avec “
K.O.D” et “In the wind of time


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Christian Ubl : bravo, :) , !

Entre
eux et nous, ce fut un bel échange. Musclé, sincère, créatif et pour tout dire ressourçant. Eux, c’est le chorégraphe Christian Ubl, la danseuse Marion Mangin et le musicien Fabrice
Cattalano
, interprètes de « Klap ! Klap ! ».  Nous, c’est le public, assis dans la salle du 3bisF, lieu d’art contemporain de l’hôpital psychiatrique
d’Aix en Provence. Une heure pour interroger le sens des applaudissements, ce bruit qui résonne pour chacun d’entre nous, cette arme de destruction massive et passive, ce geste d’amour, cet acte
politique.
Entre nous, il y a tant à dire!  D’autant plus que nous avons changé. Nous ne sommes plus ce public uniforme et docile dont certains programmateurs rêvent encore.  Entre sphère réelle et internet, notre identité est multiple, nos attentes et nos désirs naviguent en permanence entre besoin de divertissement sécurisé (« ne pas se prendre la tête ») et recherche de sens (« sortir du quotidien »). Quant aux artistes, ils ne cessent d’interroger leur art, de s’ouvrir, d’introspecter de nouveaux champs pour créer de nouvelles formes. Jamais une profession n’a autant évolué que celle-là, où la relation avec le public est un centre de «gravité ».

« Klap ! Klap ! » est donc une ?uvre qui questionne notre lien avec les artistes, avec humour, créativité, délicatesse et profondeur. Pour cela, Christian Ubl pose un cadre contenant, jamais disqualifiant, qui autorise la parole, sans masque et avec respect. L’outil vidéo, subtilement utilisé, est ce miroir réfléchissant, cette glace sans tain, cet espace introspectif. Le son des applaudissements se fond dans une musique assourdissante, qui met en tension cette relation d’habitude si « molle », si convenue. Les corps  dansés traduisent la nature de cette interaction où le bruit de nos mains nourrit le déséquilibre, la prise de pouvoir, la manipulation de l’artiste, devenu un jouet le temps d’un salut final. Et l’on rit de voir cette relation aussi fade, quand viennent les applaudissements, au moment où notre époque développe des formes de communication de plus en plus circulaires.
Christian Ubl interroge, expurge sa peur, met en scène le sens de l’hystérie de ces applaudissements; il inclut le public dans le « jeu », lui signifie la signification de ses postures (même les plus passives dans un gradin !). Il nous interpelle sur la fonction de ces battements de mains qui deviennent, comme le statut de l’artiste, « objet » de convoitise d’une société qui place le divertissement bien au dessus de l’art (il suffit pour s’en convaincre d’observer l’attitude des spectateurs dans « Le grand journal » de Canal Plus où le corps n’est qu’une machine à ovationner au service d’une vision marchande de la culture, d’une approche descendante de la démocratie).
À mesure que « Klap ! Klap ! » avance, nous voilà donc liés, eux et nous, pour redonner une dimension nouvelle à ce geste, pour le complexifier, l’inclure dans une posture politique (quitte à enfiler des gants en latex et se protéger des propositions artistiques salissantes !). Avec Christian Ubl, applaudir devient un beau geste chorégraphique.
C’est un générique de cinéma qui clôt ce spectacle percutant. À mesure que défilent les noms, un entre-deux se met en place, un espace où le spectateur prend le temps de réfléchir sur le sens qu’il va donner à ses applaudissements. Et je me surprends à battre mes mains autrement, à leur faire jouer une musique différente, tout en me questionnant sur ce geste paradoxal dans le contexte de « Klap ! Klap ! ».
Mes mains n’expulsent plus, elles incluent.
Avec Christian Ubl, le spectateur est un artiste en devenir.

Pascal Bély

?????? «Klap! Klap!» de Christian Ubl a été joué le 16 mai 2008 au 3bisF d’Aix en Provence.
Crédit photo: © Matthieu Barret

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Christian Ubl sur le Tadorne, ;(
« ErsatZtrip »




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Au KunstenFestivalDesArts, « Appuyons sur la touche étoilée » de Rimini Protokoll.

Alors que beaucoup d’entre nous vont au bureau pour s’en échapper le soir venu et courir au théâtre, le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles inverse les prémices.  Le spectateur est invité à pointer pour 14 heures dans un immeuble, par une douce chaleur printanière. L’hôtesse me guide vers le bureau 408. Le décor est tristement banal (canapé, ordinateur, photo au mur) et je me ressens piégé comme un animal en cage. Soudain, le téléphone sonne. Personne. Je m’assois. Cinq minutes interminables passent. Je scrute le plafond à la recherche d’une caméra de surveillance. Paranoid park ? Une nouvelle sonnerie. Je décroche. « Sarasi, de la société ESCON à Calcutta, enchantée.. ». Elle travaille dans un centre d’appel. Elle commercialise des portables pour la « middle class » en Australie. Considéré comme des comédiens par le collectif d’artistes berlinois « Rimini Protokoll », elle joue le scénario qu’on a écrit pour elle. Vendre du théâtre ou un téléphone est un jeu pour cette jeune Indienne.

Qui n’a pas rêvé d’humaniser la relation avec le technicien d’une hotline d’Orange ou de Free basé au Maroc au moment où nous sommes pris d’angoisse alors qu’Internet bugue ? Qui n’a pas ressenti ce malaise de parler avec un Tunisien qu’on imagine incompétent parce qu’il manque d’empathie face à votre détresse d’Occidental matérialiste ? Le théâtre peut-il humaniser cette relation, mettre du rêve, de l’imaginaire dans une globalisation réduite à la sphère marchande et que nous percevons de plus en plus comme un espace contraint ? « On peut se tutoyer ? »…  « Qui es-tu ? »…« Parle-moi de toi ? » «Es-tu célibataire ? Marié ? ». Je suis sur la défensive à force d’entendre dans les médias que l’Inde est un pays émergent. Je prends l’échange de haut. Le jeu de rôles, ça me connaît…on ne me le fait pas. Je provoque pour choquer volontairement cette professionnelle de la manipulation, qui n’a pas la même culture que moi. Je résiste. Le théâtre n’est pas une marchandise qu’on ne peut standardiser. J’ai peur. Je suis décidé à imposer mon tempo. Sauf que la bouloire sur la petite table se met en marche alors que je n’ai rien demandé. Elle m’incite à m’asseoir sur le canapé pour me détendre avec un thé dont l’odeur évoque l’Inde.

S’ensuit un dialogue surréaliste sur les plus beaux moments de ma vie, sur mes regrets, mes désirs. De l’imprimante, sort une photo d’elle et de sa famille, une enceinte diffuse un bruit de vent. Elle actionne le rêve depuis Calcutta. Je baisse la garde et me laisse doucement porter par cette inconnue qui veut scénariser des bribes de mon existence, m’invite à goûter son pays tout en mâchant un bonbon caché sous le clavier, à ressentir ce petit vent venu d’Inde alors qu’un minuscule ventilateur se met en marche sous l’écran. Elle m’évoque son ami, son désir d’enfants, sa famille, sa paresse au travail. Je vis en direct l’ambiance de son bureau où les applaudissements (comme au théâtre !) ponctuent le brouhaha dès que quelqu’un de l’équipe réussit une vente. Un théâtre de Guignols se crée petit à petit dans nos bureaux respectifs. Entre intimité et globalisation, une relation artistique émerge. D’un monde où s’empilent des pyramides, nous inventons un interstice fait de passerelles ! Un nouvel espace théâtral s’immisce sur la toile internet alors que son visage apparaît à l’écran de l’ordinateur (je ne peux en dire plus). Je m’émerveille face à cette créativité qui nous relie, elle et moi, elle et le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Je rêve de cette mondialisation qui n’a pas fini de nous faire découvrir ce que nous ne soupçonnons pas encore. Je comprends que tout va aller très vite dans ce monde ouvert et que notre posture de spectateur depuis peu habitué au théâtre de rue et aux performances,  se déploiera sur cette toile qu’on aurait tort de prendre seulement pour un espace majoritairement marchand.Le spectacle vivant a toute sa place pour insuffler de l’imaginaire dans ces nouveaux territoires.

Poussons les murs. Pas n’importe comment, ni avec n’importe qui. Inventons d’autres formes loin des standards des marchands. « Call cutta in a box » peut laisser un drôle de goût : celui d’une démarche expérimentale où le théâtre est gadgétisé et le spectateur manipulé. Mais reconnaissons que cela aide à réfléchir.

« Maintenant, vous pouvez raccrocher ».

Pascal Bély

www.festivalier.net

A lire aussi le compte-rendu de Peggy Corlin sur Rue.89

?????? «Call Cutta in a box” par Haug, Kaegi et Wettzel / Rimini Protokoll est joué jusqu’au 31 mai 2008 à Bruxelles dans le cadre du KunstenFestivalDesArts.
 

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Stefan Kaegi  sur le Tadorne avec « Mnemoark » au Festival d’Avignon en 2006

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

Au KunstenFestivalsDesArts, la danse détachée d’Aydin Teker.

Le KunstenFestivalDesArts offre à Aydin Teker, chorégraphe d’Istanbul, l’un des plus beaux lieux culturels de Bruxelles, « Les Brigittines », vieille église transformée en salle de spectacle. Mais cet espace surprenant où passé et présent s’accolent ne peut sauver « Hars », rencontre entre une harpe et une danseuse, pièce décidément trop décalée avec le projet du Festival « au sein duquel des artistes partagent leur vision personnelle du monde avec des spectateurs prêts à remettre en question et élargir leur champ de perspectives ». 

Il faut attendre les dernières minutes pour ressentir la poésie d’une telle union (prévisible), lorsque l’artiste entre dans l’instrument. La voilà sirène et nous naviguons avec elle en mer instable. Tout aurait pu d’ailleurs commencer ainsi. Mais pour en arriver là, la danseuse (et harpiste) Ayse Orhon prend possession de l’objet, non pour y créer un espace de créativité, mais pour s’y imposer par la force. Elle en oublie qu’elle danse avec un instrument jusqu’à jouer quelques games approximatives qui se noient dans une partition non écrite pour elles. Etonant. C’est conceptuel, dénudé, froid et pour dire dépassé alors qu’à notre époque, les objets perdent dans l’espace artistique, leurs propriétés fonctionnelles. Ce n’est pas tant le lien mécanique entre la harpe et l’artiste qui nous intéresserait que la compréhension d’un tel processus. Que se joue-t-il quand l’homme entre en symbiose avec l’objet ? Et si la harpe était métaphore du portable, de l’Ipod, autant d’objets « fusionnels » ?  À aucun moment, « Hars » ne donne des clefs, mais se contente d’un espace où le vivant domine la matière.

À l’heure où l’objet s’inscrit dans des interstices dématérialisées, le Kunsten aurait pu nous offrir un spectacle pour  comprendre les ressorts de ces nouveaux attachements. Au lieu de cela, nous en sommes restés à la femme – objet.

Déroutant.

Pascal Bély – www.festivalier.net


?????? “Hars” de Haydin Teker a été joué le 11 mai dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

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