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Orage sur Avignon.

Ce dimanche matin, le ciel est dégagé. Les animateurs du blog le Tadorne se préparent pour leur 5ème Offinité, rendez-vous régulier donné depuis le début du festival aux spectateurs désireux de vivre un parcours de spectacles, de retours créatifs, et d’un temps partagé de création avec le chorégraphe Philippe Lafeuille. À 17h, en public, au village du Off, il chorégraphie nos savoirs sensibles. Lors de nos Offinités, point de vision dogmatique sur la «culture» ; point de discours usés jusqu’à la corde….juste un mouvement, une énergie pour penser autrement la complexité de nos rapports singuliers à l’art. N’est-ce pas les prémices d’un art politique ?

Le roi se meurt8 - -® Ye Danquing

Nous débutons au Théâtre des Halles. Une troupe de jeunes artistes Chinois jouent «Le roi se meurt» d’après Ionesco, mis en scène par Alain Timar. Ils rafraîchissent notre vision sur le pouvoir. Les jouets pour enfants en plastique envahissent peu à peu le plateau : ne sont-ils pas les métaphores de nos outils démocratiques précieux et fragiles ? Le sceptre est une louche pour nous en faire avaler des kilos. Les armes sont des barres lumineuses bon marché. Les véhicules, des tricycles musicaux pour harmoniser nos déplacements. Tout est léger et factice. Nous rions devant cette représentation de notre société en déliquescence qui voudrait tout contrôler alors même que le pouvoir semble impuissant, parce que déconnecté du terrain. Avec leur énergie et leur réactivité, ces artistes de Shanghai nous donnent de la force. Avec leur groupe généreux et créatif, ils symbolisent le regard extérieur dont nous avons besoin pour abandonner les modèles mortifères et penser le mouvement du renouveau. Toutefois, la mise en scène d’Alain Timar peine à nous relier : certains d’entre nous en sortent revigorés tandis que d’autres s’interrogent. Que peut bien signifier cette manière enfantine de questionner le pouvoir au moment même où nos processus démocratiques s’effondrent ? Doit-on y voir une forme de cynisme et de déni sur l’impérieuse nécessité de changer de modèle en s’y incluant soi-même ?

À la sortie du spectacle, une rencontre incroyable avec une artiste nourrit nos convictions. Ce que nous pressentions s’avère porté par cette femme visionnaire. La veille, lors d’une rencontre sur le thème «  L’art, prémices du politique », Marie José Malis (directrice du théâtre de la Commune, CDN d’Aubervilliers) débattait avec  Olivier Py (directeur du Festival d’Avignon), Marie-José Mondzain (philosophe) et Xavier Fabre (architecte du cabinet Fabre/Speller).

La politique culturelle, exercice de pouvoir, est opposée à la culture politique, à la puissance courageuse de création. L’art est politique dans son esthétique comme le précise Marie-José Malis : « Il est autre chose que ce qui est. Il nous déplace , nous transforme le monde. Nous avons besoin de formes nouvelles et profondes. ». Actuellement, on observe une culture séparée de tout le reste dans notre société. Comment identifier une politique culturelle alors qu’elle est incluse dans un ministère de la communication ? Toute l’Europe est frappée par cette gestion.

Les élus réclament de la vision. Pour cela ils financent la construction de lieux trop souvent médiatisés qui coutent cher en fonctionnement.  Faut-il accepter ces conditions en convenant qu’elles ouvrent des possibles tout en posant une stratégie rusée ? Mais l’art, le geste artistique ne s’incluent pas nécessairement dans la ruse. Des gestes radicaux peuvent être choisis, comme ceux de la Coordination des intermittents et Précaires, qui doivent faire face à ceux qui ont le pouvoir et l’argent. La lutte des intermittents métaphorise la crise générale. Ils apportent par le « pour tous » (« ce que nous défendons, nous le défendons pour tous »), une autre manière d’aborder le corps social. Nous perdons le courage et la rigueur de nous exprimer sur l’essentiel. La politique actuelle se confronte à l’impossible, dans cette perte du sens démocratique.

En quittant cette magnifique entrevue, l’orage gronde sur Avignon et la foudre tombe à quelques mètres de nous. Mais ce déluge est  salvateur, car il a attiré un nombreux public au Majic Mirror. Il revient donc au chorégraphe Philippe Lafeuille de clôturer ce parcours en incluant au collectif de la journée, ceux venus se réfugier pour échapper au déluge (quelle métaphore !). Cette heureuse proximité entre spectateurs de tous horizons permet à une vingtaine de spectateurs inconnus de nous rejoindre pour exprimer en mouvement leur ressenti sur les spectacles.  Dehors c’est le chaos, mais nous sommes  tous réunis dans cet écrin, concentrés dans un lien éphémère et créatif magnifiquement crée par Philippe Lafeuille. Il perçoit en chacun de nous, un regard sensible sur l’art puis nous relie pour faire émerger une vision, symbolisée par une sculpture de groupe.

«  La culture c’est la règle, l’art c’est l’exception » disait Godart. Avec Philippe Lafeuille, nous nous autorisons la rupture de la règle pour vivre l’exception, le surgissement et être auteur du geste.

À Avignon, il y a des journées inimaginables…À nous de les transposer dans des ailleurs.

Sylvie Lefrère – Pascal Bély – Tadorne.

Les Offinités du Tadorne du 10 au 24 juillet 2014 au Festival OFF.
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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

D’Avignon à Marseille, ô vous Front inhumain.

Dimanche 30 mars 2014, deuxième tour des élections municipales. Il y a cette petite affiche sur la porte de ma résidence : «Veuillez ramasser vos ordures à l’entrée. Nous ne sommes pas dans une cité des quartiers nord». Le contexte est posé. Bienvenu à Aix-en-Provence, ville d’art, de la parole raciste et vulgaire libérée…

Je pars à Avignon. Retour dans le Vaucluse, un soir d’élection, là où précisément je l’avais quitté en 1995, année où le FN avait pris la ville d’Orange. J’ai dû m’installer à Aix-en-Provence en 1997, tant le climat y était irrespirable. Cette fois-ci, c’est la ville du plus grand festival au monde qui est menacé. Je me réfugie au Théâtre des Halles pour la dernière création d’Alain Timar, «Ô vous frères humains» d’Albert Cohen. Mais avant, Alain Timar nous lit un beau discours qui prêche probablement des convaincus. Tout comme Olivier Py, directeur du Festival In, il semble impuissant. Ce n’est pas seulement le contenu de la parole FN qu’il faut combattre, mais le système que nous construisons pour lui permettre de se déployer. C’est bien un renouvellement de la pensée qui fera disparaître ce parti dangereux (lire à ce sujet l’excellent article de Pierre-Jérôme Adjej).

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Mais le théâtre d’Albert Cohen inclut dans la mise en scène toujours ingénieuse et généreuse d’Alain Timar fait d’«Ô vous frères humains» une réponse à nos questionnements face au discours raciste. L’essentiel émerge de ce vieil homme qui se souvient: il n’avait que 10 ans, quelques mois avant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’un camelot marseillais le traitait de sale juif. Aujourd’hui, ils sont trois à porter sa voix. Il me plait d’imaginer leur généalogie: Paul Camus petit fils de Churchil, Gilbert Laumord descendant d’esclave, Issam Rachyq-Ahrad enfant du monde arabe. Ils sont trois à mettre en mouvement leurs corps, le décor, le texte, pour creuser, arpenter la profondeur de l’âme qui se perdra dans le plus grand crime de l’humanité jamais commis.

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Trois voix, trois corps, trois regards pour comprendre. Derrière eux, une cloison qui hésite entre tapisserie d’une chambre de sans sommeil, œuvre d’un peintre maudit, mur de la révolution (arabe, ukrainienne, …). On croirait même y apercevoir une vieille herbe résistante. Ce mur bouge en fonction de l’énergie vitale déployée par le trio: fermé pour que le discours claque, entrebâillé lorsqu’on y décèle l’insondable, ouvert quand la conscience d’une humanité reprend ses droits. Le texte percute à l’image des pages d’un livre qui vibreraient par temps de mistral. Albert Cohen tisse avec les mots la toile de la rhétorique du racisme accompagné par le jeu des acteurs qui veille à nous englober dans cette recherche sans fin: comment l’homme tue-t-il l’humanité? J’entends dans ce texte ce que les médias d’aujourd’hui nous rapportent du crime raciste: la lâcheté de l’église, le rôle du commerce qui confond marchandise et humain, la nécessité de pardonner pour construire une pensée politique complexe.

La mise en scène créée la distance avec des affects violents (d’où qu’ils viennent d’ailleurs) par le jeu des corps (il arrive un moment où les mots ne peuvent plus rien), par la musique qui les élève. Ce dialogue à trois acteurs est la métaphore d’une triadique (mots, corps, pensée) seule capable de développer une vision ternaire : car au-delà d’une époque (l’avant-guerre), le racisme est un contexte. Ce sont des institutions verrouillées de l’intérieur, c’est une économie contre l’humain, c’est une parole publique contre l’idée même de l’existence d’une humanité. Le racisme est le symptôme d’un système complexe en voie de disparition. La force de la mise en scène d’Alain Timar est d’inclure la vision ternaire d’Albert Cohen dans un dialogue à trois, dans un jeu où tout circule : les affects, la  complexité, le langage du sens (celui du corps), la musique pour le déployer. Avec Alain Timar, évoquer le racisme est presque jubilatoire et festif tant il n’emprunte jamais les chemins de la pensée clivante. Elle est donc là, la réponse que nous attendons: réfléchissons collectivement à ce qu’il se joue, libérons la pensée par le corps, abattons les murs de nos visions cloisonnées.

À la sortie du théâtre, le ciel est sombre sur Avignon. Les rues sont désertes. Nous décidons d’assister au dépouillement dans deux bureaux d’Avignon centre. Les bulletins FN s’accumulent. Il est même en tête. La rumeur enfle. Nos corps flanchent. Les mots ne viennent plus. Et puis, à 19h45, les quartiers populaires délivrent la ville.

Pendant ce temps, un enfant de 10 ans des 13ème et 14ème arrondissements de Marseille comprend qu’il n’est qu’une sale Arabe : son quartier vient d’élire un maire FN.

Dans une ville, le théâtre aura-t-il joué de tout son poids pour inverser la tendance? Toujours est-il que ce sont les quartiers les plus éloignés du Festival qui ont facilité la victoire de Cécile Helle, PS.

Dans une autre, le théâtre du quartier est muet, coupé des habitants, renfermé sur lui-même, ne s’adressant qu’à une toute petite partie de la population, qu’à l’entre soi. Des habitants qui n’ont probablement jamais entendu la parole d’Albert Cohen.

Oui, il faudra inventer un théâtre de quartier populaire.  Inventer un festival de théâtre à Marseille.

Inventer, car même celui d’Avigon est épuisé.

Pascal Bély – Le Tadorne.

«Ô vous frères humains» d’Albert Cohen, mise en scène d’Alain Timar au Théâtre des Halles d’Avignon, mars 2014.
La pièce sera programmée pendant le Festival Off.
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LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES Vidéos

La belle année 2013.

15 grands rendez-vous ont jalonné mon année de spectateur. Ils reflètent mes choix de privilégier des lieux accueillants ,des auteurs et metteurs en scène engagés à renouveller les formes au profit d’une rencontre, d’un propos. Certains s’étonneront de la faible présence de la danse contemporaine. Mais il y a eu  peu de propositions dans l’aire marseillaise (malgré le travail remarquable de Klap, Maison pour la Danse, pour changer la donne) et le festival Montpellier Danse s’est muré dans des valeurs trop sûres. Reste deux belles rencontres : le croate Matija Ferlin et Mathieu Jedrazak qui ont fait le pari de positionner la danse sur le terrain d’une vision à partager.

2013, fut année de tous les superlatifs comme si l’excès devait contrer notre incapacitation à penser la complexité. Avec Katie Mitchell, ce fut le plus long travelling cinématographique sur scène où j’ai vécu de l’intérieur ce que le deuil d’amour veut dire ; dans «Mélanie Daniels» de Claude Schmitz,  le théâtre m’a guidé vers le cinéma, vers «Les oiseaux» d’Hitchcock, où il est l’art de l’art. Claude Schmitz proposa le plus bel espace mental pour et vers le spectateur où le cinéma ne se «fabrique pas», mais où l’Image est une émergence d’un long traveling théâtral.


Avec Angelica Liddell, ce fut le plus beau tango de Chine pour faire valser le propos sans concession d’une artiste unique; avec le collectif «L’avantage du doute», ce fut les dialogues les plus explosifs entre individus en proie à la marchandisation de la relation humaine. Dans « Le tourbillon de l’amour » de Daisuke Miura, le théâtre m’a immergé dans cette maison où l’on vient pour « baiser » avec des inconnus ; où l’on repart sans adresse, en mille morceaux, mais plus aimant…

« Après la répétition » d’Ingmar Bergman par le tg STAN a dévoilé deux acteurs en proie au tourment de leur théâtre amoureux où fiction et réalité forment un tourbillon poétique…

Je ne suis pas prêt d’oublier la troupe hongroise et roumaine emmenée par Alain Timar qui nous offrit un «Ubu papa», «Ubu maman» en papier, qui se froissent pour un oui ou pour un non. À l’image d’un pouvoir qui déchire les âmes pour régner sans toi, ni loi.

« Antiteatre » d’Après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin, a lui aussi joué du pouvoir. Et comment…pendant plus de six heures, j’ai quitté un contexte alourdi par les propos d’une classe politique épuisée pour rejoindre une contrée où des artistes abordent la douleur sociale en agitant la pensée créative d’un auteur.

Je me souviens encore des “Particules élémentaires de Julien Gosselin. Il a réussi à réunir des générations de spectateurs en déstructurant le texte de Houellebecq pour créer un lien ouvert entre littérature, science, art, tout en nous positionnant comme co-penseur de notre époque!

Dans « Sœur je ne sais pas quoi frère », Philippe Dorin nous a offert, petits et grands, une vision sans limites d’une fratrie où nous serions une partie et le tout ! Moment exceptionnel où le théâtre vous plonge dans les abymes de l’inconscient familial.

«À la renverse» de Karin Serres, mise en scène de Pascale Daniel-Lacombe, fut aussi une mise en abyme où j’ai ressenti ma trajectoire de vie incarnée dans celle d’un couple amoureux épris de Bretagne, de cosmos et de New York !

Et puis…en 2013, il y a eu deux grandes rencontres: avec le clown Ludor Citrick dans « Qui sommes-je ? » ; avec le Téatro Distinto dans « La pécora négra ». Deux rencontres pour puiser dans les ressorts créatifs des artistes, l’énergie de croire qu’il reste à créer ce que nous ne connaissons plus.

15 oeuvres…majeures.

«Reise Durch Natch », Katie Mitchell, Festival d’Avignon – Allemagne.

Angelica Liddel, «Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy)»Festival d’Avignon – Espagne.

«La légende de Borneo», le Collectif l’Avantage du Doute, Théâtre de Nîmes – France.

– « Ubu Kiraly », mise en scène d’Alain Timar, Théâtre des Halles, Avignon – France-Roumanie-Hongrie.

«Les particules élémentaires” , mise en scène de Julien Gosselin, Festival d’Avignon – France.

«A la renverse» de Karin Serres, mise en scène de Pascale Daniel-Lacombe, Théâtre du Rivage, Festival « Théâtre à tout âge », Quimper – France.

– «Après la répétition» d’Ingmar Bergman par le TG STAn, Théâtre Garonne, Toulouse – Belgique.

– «Antiteatre» d’Après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin, Théâtre de la Bastille, Festival d’Automne, Paris – France .

La Jeune Fille et la morve”  de Mathieu Jedrazak, Festival Off d’Avignon – France.

«Sad Sam Lucky» de Matija Ferlin, Festival Actoral, Marseille, Croatie.

«Le tourbillon de l’amour» de Daisuke Miura, Festival d’Automne de Paris – Japon.

– «Qui sommes-je ?» de Ludor Citrick, « Cirque en capitale », Marseille Provence 2013 – France.

« Sœur je ne sais pas quoi frère» par Philippe Dorin, Festival Petits et Grands, Nantes – France.

«Mélanie Daniels» de Claude Schmitz, KunstenFestivalDesArts de Bruxelles – Belgique.

«La pécora négra », Téatro Distinto, Festival Segni d’Infanzia, Mantova – Italie.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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Avignon Off 2012 : le bilan est féminin.

Le festival est dans sa dernière semaine. La programmation de cette année m’a permis d’y découvrir multiples propositions dans le Off et le IN, où les femmes comédiennes et metteuses en scène se distinguent. Des représentations de caractères où elles sortent des schémas  habituels.

On plonge dans une grande mer(e), comme celle où Sophie Calle nous a emmenés tout au long de ce festival lors de son exposition à l’Église des Célestins («Rachel, Monique»). Avec elle, nous évoluons dans un espace du beau, au “choeur” d’un monument spirituel, comme pour élever notre regard et notre pensée sur ce qui nous entoure (“Au Festival d’Avignon, Sophie Calle: la traversée d’un continent intérieur“)

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À la Manufacture, Pauline Sales dans “En travaux“, met en scène Hélène Viviès, comédienne engagée jusqu’au bout des ongles. Elle incarne ce rôle avec passion et son plaisir est palpable sur le plateau. Notre c?ur bat sous son bleu de travail, et va jusqu’à bleuir nos âmes (“Avignon Off 2012: Les beaux travaux de Pauline Sales et Thierry Baë“) .

Dans “Occident“, notre monde capitaliste s’oppose aux minorités…La femme  y est sujet, objet, sur lequel l’homme peut se défouler en l’insultant, la méprisant, la frappant encore trop souvent…Stéphanie Marc, inonde la scène de sa présence sensuelle et prend le pouvoir en retournant son mari, fort grossier personnage, en bête implorante. Sur ce plateau exigu, comme un ruisseau de montagne, elle véhicule un courant de paroles calmes et pertinentes, au milieu des failles. De sa fraîcheur, elle glace et noie cet homme pour le réduire en poussières.

Les tourbillons nous propulsent à l’intérieur des terres, dans un milieu artistique “bohème”, autour de «Piscine (pas d’eau)». Cécile Auxire-Marmouget, metteuse en scène et comédienne nous invite dans ce groupe de privilégiés à découvrir tous leurs petits jeux amicaux pervers et intéressés. Le vide de la piscine devient réceptacle de fiel, de rancoeurs, de jugements…L’envie dévore. Cécile se transforme en comédienne italienne du cinéma néo-réaliste des années soixante. C’est une sorte de “monstre”…Les dents de loups rayent le carrelage. Ses amis bienveillants me font penser à des traders qui calculent en permanence, sans scrupule dans un contexte de crise.

Dans “Bonheur titre provisoire“, oeuvre théâtrale et picturale d’Alain Timar, Pauline Méreuze nous questionne de ses grands yeux rieurs. Dans sa recherche de l’équilibre, elle exulte entre joie et désespoir. Son énergie l’emporte vers le bas et son nez coule sans fin. Avec l’aide de Paul Camus, elle raccroche petit à petit les pièces du puzzle et, plus sereine, ouvre une boite à outils: l’Utopie.

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Près du bar du in, où tous les noctambules se retrouvent, toutes castes confondues, le fantôme de Françoise Sagan plane sur “Toxique“. Un binôme de femmes représente ce corps d’artiste qui a brûlé sa vie dans un plaisir certain. Anne-Sophie Pauchet met en scène Valerie Diome qui compose une Françoise qui, dans sa chambre d’hôpital, nous ouvre sa fenêtre de réflexions de patiente immobilisée. La souffrance physique s’efface à travers les sédatifs, pour laisser libre cours à la douceur de l’accompagnement vocal et musical de Juliette Richard. N’est-ce pas la mère avec sa fille, tellement leur douce complicité est belle à voir ?

La Belgique m’appelle vers le Théâtre des Doms pour “La nostalgie de l’avenir“. Avec cette version de «La mouette» de Tchekhov par la metteuse en scène Myriam Saduis, un corps de femmes plane. Leurs silhouettes se dessinent, s’éclairent derrière des panneaux de papier calque. Elles sont une métaphore de sentiments, qui passe de l’ombre à l’explosion, sur un champ de fleurs. Les relations d’amour envahissent la scène, face à sa mère, sa soeur, son compagnon, son art, son égo…Toutes générations, elles apparaissent et disparaissent dans des jeux de plaids qui virevoltent comme les tourbillons de la vie.

C’est ainsi qu’au Festival Off, femmes et hommes sont égaux (enfin quasiment!): c’est tellement bon de les saisir, de les respirer…On en sort imprégné de leur parfum.

Cette liste de femmes n’est qu’une petite introduction, et je remercie tous ces artistes, tous genres confondus.

Je pars mouette, mer, utopie, libre…Heureuse.

Sylvie Lefrere ? Le Tadorne

« Rachel, Monique » de Sophie Calle ? Église des Célestins.

« La nostalgie de l’avenir, compagnie Défilé. Théâtre des  Doms à 11h.

« Bonheur titre provisoire », Alain Timar, Théâtre des Halles à 16h30

« Piscine (pas d’eau) », compagnie Gazoline, L’entrepôt, 17h30

« En travaux », Pauline Salles, Manufacture, 18h.

« Toxique », compagnie Akté, Théâtre du Centre, 20h30.

« Occident », compagnie In Situ, Théâtre des Halles, 14h.

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Avignon Off 2012: Au bout de mes rêves, un lapin bonheur.

Presque quinze jours de festival. Le corps est lourd. Sur Facebook, quelqu’un m’écrit: «les spectacles sont la nourriture de l’âme, mais il n’y a aucun plaisir à être en surpoids». Je souris. Comment m’alléger ? Il me faudrait un spectacle pour perdre le poids superflu. «Bonheur titre provisoire» d’Alain Timar va remplir cette délicate mission. Sans virgule dans le titre, comme sans respiration. C’est dire l’urgence à parler, à traiter en urgence de la question du bonheur, tout en connaissant la part d’incertitude qui en découle.

Un élément parait certain. Le théâtre peut procurer du bonheur quand le sens est «tricoté» de cette façon, sans amalgames, avec sérieux et dérision. Quand une actrice irradie la scène (magnifique Pauline Méreuze…elle m’avait subjugué en mars dernier dans «Visites» de John Fosse, mise en scène par Frédéric Garbe). Quand un acteur joue avec une si belle humilité (troublant Paul Camus). Quand Alain Timar, metteur en scène, veille, assis de côté avec son pinceau, avec empathie, pour se lever, peindre le décor blanc et se rasseoir. Quand le geste du peintre s’invite lorsque la parole trébuche, lorsqu’on n’en peut plus de crier, de pleurer. Pauline, Paul et Alain: on dirait presque le titre d’un film de Jacques Demy. Manque plus que la musique. Patience. Elle arrive. Un vrai bonheur. Des tubes de mon adolescence («Résiste» de France Gall, «Au bout de mes rêves» de Jean-Jacques Goldman) et du Bach (est-ce si sûr ? Qu’importe, j’ai entendu du Bach) pour raviver la mémoire du corps joyeux, créatif, amoureux. J’ai presque une envie de danser!


Cette pièce est un vrai bonheur. Parce qu’elle met en jeu la naïveté de se poser une telle question d’autant plus que le naïf est mis à mal dans une époque où  le trait doit être droit. Parce qu’on y invite un penseur, un philosophe, Robert Misrahi. Il a consacré l’essentiel de son travail à traiter de la question du bonheur. Sa pensée traverse les dialogues, les corps et l’espace. Il faut toute l’ingéniosité d’Alain Timar pour nous inviter à entendre une telle musicalité dans les mots, à percevoir l’ampleur de la «tâche» quitte à glisser d’autres citations (celles de Stig Dagerman, Koltès, Claudel, Montaigne,…).

Qu’est-ce que le bonheur? Notre couple d’acteurs se réfugie dans le dictionnaire; celui-ci en donne une définition bien plate et rationnelle. Il passe alors aux travaux pratiques. En son temps, croquer la pomme avait changé le sort des humains vers les voies impénétrables du bonheur et du malheur. Mais en 2012? Tout au plus, ce fruit procure-t-il de la satisfaction! Alors, ils en remettent une couche. Celle du peintre qui se lève pour symboliser le bonheur avec son pinceau «fou chantant». Cela ne fait que raviver les plaies: Pauline craque. À genoux. À terre. Ses larmes sont la peinture qui dégouline de la toile lorsque l’art ne peut plus rien pour nous. Elle me fait trembler alors qu’elle déclame la liste des malheurs sur la terre, des maladies qui nous traversent (elle aurait pu citer les «mauvais spectacles» du festival!). Peut-on questionner le bonheur, connaissant tout ce qui nous empêche de le penser? Quel paradoxe! Pauline continue et bute sur ses neuf tentatives de suicide. Le bonheur n’est pas pour elle. Paul finit par la prendre aux maux. Mais chut….

Alors le peintre poursuit son oeuvre, coûte que coûte. Le plateau est toile parce que le bonheur est cette quête permanente de recherche sur soi à travers le geste qui nous redessine, nous montre à voir autrement, nous met dans l’action pour produire le sens?Pauline et Paul continuent à s’interroger, mais butent à chaque fois?ils ne trouvent pas. Définir le bonheur n’en  procure-t-il pas déjà lorsque résonne dans le théâtre des captations sonores de «gens» qui cherchent aussi?leurs définitions toutes personnelles révèlent à quel point la question mobilise chez chacun d’entre nous l’imaginaire, la créativité, la pensée en mouvement. Mais cela ne suffit pas?La définition est si complexe que l’on n’en viendra jamais à bout.

Ne reste plus qu’à convoquer l’absurde: le rêve impossible, l’utopie. L’UTOPIE! Je jubile alors à l’idée de ce festin mondial, où le lapin serait plus consistant qu’une pomme, où nous pourrions tous ensemble…Tous ensemble?

Mais pourquoi ne peux-tu pas venir ?

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Bonheur titre provisoire » d’Alain Timar au Théâtre des Halles jusqu’au 28 juillet 2012 à 16h30.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Théâtre des Halles, notre survie adviendra.

Les liens entre notre humanité et de nos modèles de (sur)vie tissés par « Simples mortels », roman de Philippe de la Genardière et titre de la dernière création d’Alain Timar, n’est pas un simple catalogue des catastrophes, mais un constat sur nos histoires intimes et collectives dans un monde globalisé.

Des années 80 à nos jours, Alain Timar brosse des portraits féroces de capitalistes consuméristes hédonistes (hédoniste au sens contemporain, à savoir le plaisir égoïste). Dans le no man’s land où se trouvent nos cinq formidables interprètes (Paul Camus en jeune homme sorti de l’adolescence, Yaël Elhadad onirique femme fatale, Nicolas Gèmy en trader, Roland Pichaud en costume pour poursuivre la fête (sic), Claire Ruppli en bourgeoise proche de la crise de nerfs), tout est chaos, poussière et délabrement à l’image de leurs pensées et de leurs corps. Bien qu’en façade, tous soient proprets, la montée du consumérisme et du capitalisme sauvage en a fait des êtres avides du néant.

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Ici, la complaisance se réduit au décor apocalyptique. Seul dans un même et unique paysage, chacun trouve sa force pour continuer à avancer. Il faut du courage pour tomber amoureux de la femme en rouge malgré les années SIDA, pour échapper de son bureau et voir s’effondrer les tours du World Trade Center, pour s’apercevoir du vide de son existence et se frayer un chemin dans ce monde globalisant.
Adoptant des postures tragédiennes, le jeu des comédiens déroute et nous met en touche. Il paraît dépassé, voire « ampoulé », mais illustre notre tragédie contemporaine, celle de ne plus savoir donner de sens aux actes et d’être perdus en chemin. La perpétuelle gestuelle finit par étinceler et éclairer la mise en scène. Elle accompagne les mots à leur juste valeur.
Depuis, je ne cesse de penser à ces belles images offertes. Me voilà coquelicot à l’image de l’affiche du spectacle : un être fragile au milieu des décombres de notre société, mais prêt à créer un monde nouveau.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net
« Simples mortels » création 2010 – Alain TIMAR a été joué au Théâtre des Halles, du 8 au 27 juillet, à 14h00.

Crédit photo: Manuel Pascual

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival Off d’Avignon, « Une voix sous la cendre » résonne.

« J’ai décidé d’arrêter le récit ici. Pour ceux et celles qui souhaitent le poursuivre, je vous renvoie à… ». C’est ainsi que se termine l’effroyable récit.

Le souffle court, il faut fermer les yeux pour éviter la lumière éblouissante d’un carré blanc. Il avance lentement, à l’image des wagons de la déportation. Le récit laissé en héritage par Zalmen Gradowski, déporté, affecté au Soderkommando, durant la seconde guerre mondiale, s’est déroulé avec lenteur.

Nous fermons les yeux afin d’échapper à ce carré blanc qui écrase. 

Rêvons-nous d’ailleurs comme quand le peuple juif, cantonné dans des wagons comme du bétail, imaginait une destination, où l’humain emporterait le pas sur la bête ?

Avec ce récit, porté avec force par François Clavier (saisissant de réalisme), Alain Timar, dans une mise en scène dépouillée, donne aux mots toutes leurs forces. Au même titre qu’Irène Némirowsky (1) ou Wladyslaw Szpilman (2), Zalmen Gradowski permet à l’humanité de pouvoir introspecter son histoire, sans fard et sans artifice et de laisser émerger son rapport personnel à l’histoire, d’autant plus que nous sommes dans une société rythmée par l’évènement, par l’émotion médiatisée.  Zalmen Gradowski laisse une page d’écriture de l’histoire de la barbarie, celle de la bête humaine. Serions-nous aujourd’hui en train de noircir cette page alors que les déportations et les génocides se poursuivent?

J’ai voulu le laisser (ce texte), ainsi que de nombreuses autres notes, en souvenir pour le futur monde de paix afin qu’on sache ce qui s’est passé ici tels sont les mots de Zalmen Gradowski. À méditer. Inlassablement.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

« Une voix sous la cendre » de Zalmen Gradowski. Mise en scène Alain Timar. Avec François Clavier. Jusqu’au 30 juillet. 17h00. Théâtre des Halles en Avignon.

(1) Irène Némirowsky, auteur de « Suite française ».

(2) Wladyslaw Szpilman, auteur de « Le Pianiste ».