La crise sociale menace. Le PS se clive. La laïcité se fragilise. La démocratie vacille. Pendant ce temps, le théâtre français roupille avec Jean-Louis Benoit et son poussiéreux « De Gaulle en mai ». Le français Jean-Pierre Vincent est bien seul avec son « Silence des communistes », Joël Pommerat peine à nous faire trembler tandis que Stanislas Nordey fait du neuf avec du rance. En attendant, le flamand Guy Cassiers percute avec « Mefisto for Ever » (mais combien de théâtres auront -ils osés ?) et les Japonais s’immergent dans leur société tétanisée (Oriza Hirata, Toshiki Okada).
Quant à l’Argentine, elle exporte sa crise en Europe où débarquent sur scène des familles, à l’articulation du social, de l’économique et du politique. La faillite du pays en 2001 a bouleversé le milieu théâtral. En 2006, je découvrais Ricardo Bartis avec de « Mal en peor » lors du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Une famille, menacée de ruine, déterre les secrets comme autant de cadavres. Joué dans une maison, le public n’était qu’à quelques mètres des comédiens. Je me souviens de cette proximité comme d’un étouffement, accentué par le jeu très collectif des acteurs, où les mots mitraillent pendant que les corps souffrent, s’effondrent, se plaquent contre les murs. A l’issue de la représentation, souffle coupé, migraine tenace, je venais de vivre le pire des effets de la crise : perte des valeurs humaines, loi de l’argent et de la jungle, éclatement de l’unité.
Deux années plus tard, une autre famille se déchire avec « Espia a una mujer que se mata » de Daniel Veronese. Joué dans le minuscule Théâtre des Ateliers d’Aix en Provence sur une scène pour lilliputiens, l’étouffement me gagne à nouveau. Même procédé scénographique que Ricardo Bartis : une pièce de la maison familiale sert d’espace concentrationnaire, à l’image de la crise de 2001, où les Argentins ont bien failli disparaître, entraîné par une débâcle politique et morale. Ici, Veronese fait le parallèle avec la crise russe décrite par Tchekhov dans « Oncle Vania ». Si les comédiens sont exceptionnels dans leur engagement, la mise en scène peine à se renouveler : portes qui claquent, rebondissements à la limite du théâtre de boulevard, chaos indescriptible. L’espace toujours occupé permet aux mots d’alimenter des clivages tenaces entre tradition et modernité. On cherche l’air pour respirer un peu. En collant aux processus de crise, Daniel Veronese fait corps avec le propos, masquant trop souvent le jeu implicite entre les acteurs. Comme avec Ricardo Bartis, le public est trop dedans (certains sont même assis sur scène), accentuant un « théâtre réalité » qui répond au besoin du public français d’être touché émotionnellement.
L’Argentine Beatriz Catani a peut-être trouvé un juste équilibre avec «Finales», présentée au KunstenFestivalDesArts en mai 2008. Une descente aux enfers, métaphorisée par une blatte qui agonise sur scène. Nous ne sommes plus en famille, mais entre « amis », sorte de fratrie recomposée où l’on aurait perdu le lien de filiation. Ici, deux heures trente d’une épopée hallucinogène, poétique, chaotique à vous donner le mal de mer, où le réel est abstrait, l’imaginaire la réalité. Entre processus familial et phénomène de groupe, le spectateur a suffisamment d’espace pour repérer ce qui se joue en temps de crise existentielle. Plus à distance, Beatriz Catani se sert de cette blatte comme d’un objet flottant, à la fonction thérapeutique, comme si l’Argentine débordait de mots et de maux.
La blatte argentine n’est pas prête d’effrayer nos auteurs français. Faut dire qu’en matière d’insectes rampants, certaines institutions françaises ont d’excellents répulsifs.
Pascal Bély – www.festivalier.net
» de Daniel Veronese a été joué au Théâtre des Ateliers d’Aix en Provence le 22 novembre 2008.
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Le premier tableau est fulgurant, où le contraste se fait lumière, où deux corps allongés sur le sol noir, l’un au-dessus de l’autre, frétillent tel un spasme, un spermatozoïde. Le mouvement de l’une, se prolonge dans les vibrations de l’autre. Des pieds à la tête, le corps danse, couché. Cette danse de l’imperceptible, de l’infiniment petit dans le corps complexe est belle, envoûtante, englobante. Je ne bouge déjà plus malgré la fatigue. Elles sont habitées par le propos pour se mouvoir ainsi, pour donner au corps cette fluidité prête à se métamorphoser. D’une musique douce naît le chaos qui les fait se lever. Du couché au debout, je pense au travail du chorégraphe
Un camion blanc avance, téléguidé du plafond par un cordon ombilical. Boris Charmatz et Jeanne Balibard sont au sol, qu’ils décollent comme un plasma ; ils fusionnent puis se séparent. Je ressens une naissance, celle d’une nouvelle représentation du butô, l’une des danses les plus caricaturées qu’il soit. J’y suis. Ils ne me lâcheront jamais : du plasma à mes tripes. Les corps explosent, se liquéfient ; se fluidifient. C’est beau. Impressionnant. Elle se dégage, monte dans le camion. Elle a pris froid ; tout ceci finit par la fragiliser ; elle est enrhumée. Parle du nez. Le corps parle toujours.
Iriez-vous dans un jury régional comme spectateur pour participer à la sélection de deux danseurs parmi onze audités dans le cadre d’un concours national, « Talents Danse », organisé par l’ADAMI? Quand la Compagnie Kelemenis, mandatée pour coordonner l’audition à Marseille, m’a contacté, je n’ai pas hésité une seconde : c’est oui ! Il y avait dans cet accord, un désir : évaluer mon regard de spectateur après trois années d’écriture sur le blog et ressentir le contexte de la danse contemporaine, à partir de cette modeste audition. Car «
Cap sur le Japon avec une ?uvre qui restera un choc esthétique pour longtemps. C’est à Paris, dans le cadre du Festival d’Automne. Lui, c’est Toshiki Okada, jeune metteur en scène découvert à Bruxelles en 2007. Avec «
La surprise musicale nous est venue d’Italie, plus précisément de Sicile avec
« Jerk », mise en scène par Gisèle Vienne à partir d’une nouvelle de Dennis Cooper a séduit le public portugais et d’une façon générale l’ensemble de la critique européenne. Dont acte. Je me suis ennuyé. Joué en anglais (le français a perdu de sa superbe au Portugal !), je suis passé à côté malgré tout le talent du marionnettiste Jonathan Capdevielle. L’univers de Gisèle Vienne (celui des marionnettes), de la pédophilie, de la violence des textes de Cooper ne me touche pas. Comme en 2005 lors du