Dans le même objectif, mais avec une autre démarche, le chorégraphe belge Alain Platel des Ballets C. de la B. a fait sensation hier soir avec « VSPRS » dans la cour du Lycée Saint Joseph. J'avais vu ce spectacle à Bruxelles en mai dernier lors du KunstenFestivalDesArts. Mon article faisait référence à mes résonances provoquées par « VSPRS ». Deux mois après, j'ai vu cette ?uvre enrichie de mes réflexions. La fascination pour le travail de Platel demeure. Il réussit avec ses onze danseurs et ses musiciens à concevoir un nouvel espace de créativité et de lien social. Les fous (puisque c'est d'eux dont il s'agit) ont comme point de départ ce que nous leur laissons (c'est-à-dire pas grand-chose) pour créer des interactions entre l'art, le sublime, et le religieux. Alain Platel frappe fort pour faire bouger nos consciences. Il nous donne l'énergie pour changer de regard sur la différence par l'art. Sans aucun doute, « VSPRS » restera le spectacle phare de cette 60e édition parce qu'il est au c?ur de la reconstruction du lien social.
« Sans retour » du chorégraphe François Verret n'aura pas de tels honneurs. Et pourtant, sa dernière création était attendue. Je me souviens encore de « Chantier Musil » vu au théâtre des Salins de Martigues au printemps 2005. J'en garde l'image d'un chorégraphe créatif, qui sait relier les arts du cirque et la danse pour un propos porteur de sens sur le monde, notre société et la place des artistes. Avec « Sans retour », François Verret a l'idée de nous proposer un voyage en bateau avec un équipage traquant une baleine. Il s'est inspiré de la lecture de « Moby Dick » d'Herman Melville, illustrée par la lecture de strophes extraites de « The Fiery Hunt » de Charles Olson. Sur scène, trois énormes souffleries et quelques éléments dans un décor blanc sont censés nous faire voyager. Le groupe largue les amarres, en quête d'un idéal, pour se réinventer, seul et à plusieurs. Il est prêt à tout pour tuer cette baleine quitte à s'aveugler du pouvoir qu'il confie au capitaine. Les souffleries sont alors au maximum pour freiner les individualités et le projet. Pour appuyer son propos, François Verret joue son propre rôle, métaphore de celui qui tire les ficelles de ce monde qui part dans tous les sens. Une jeune femme en retrait derrière un pupitre crie et chante les strophes. La pression sur l'équipage est insoutenable. Notre groupe se reconstitue après la mort de la baleine et crée un nouvel espace où les individus pourraient vivre autrement, ensemble.
En cinquante minutes, François Verret produit quelques beaux effets, mais sa vision de ce nouvel espace est enfermante, sans perspectives. La pluridisciplinarité au c?ur de cette traversée est quasiment absente (seul le danseur Dimitri Jourde de la Compagnie Kubilaï Khan Investigations, vu hier dans « Gyrations of barbaroustribes” impose par sa présence). Les autres (trapézistes et circassiens) semblent porter à bout de bras ce voyage sans finalité. Quand le calme revient, ils paraissent tous désemparés, épuisés par ces souffleries qui les empêchent d'être des artistes. Entre le metteur en scène qui tire les ficelles et la chanteuse qui nous décrit le voyage (depuis quand me raconte-t-on une histoire quand je vais voir de la danse ?), tout paraît sous contrôle. Pour finalement savoir ce que nous savons déjà : les rapports sociaux dysfonctionnent, le lien social est malmené, les jeux de pouvoir personnels prennent le pas sur le projet. Il peut toujours mettre ses souffleries en marche, utiliser toutes les métaphores qu'il veut, sous-utiliser ses magnifiques acteurs, il n'a strictement rien à proposer. Il emprisonne la jeunesse dans une analogie qui n'ouvre pas.
Le public applaudit par convenance pour saluer ces artistes qui auraient mérité d'intégrer des compagnies métissées, ouvertes vers le monde et suffisamment mis en puissance pour être force de proposition. Finalement, François Verret est une métaphore à lui tout seul : celle d'un personnel politique enfermé dans des schémas linéaires de diagnostic.
La presse nationale légèrement complaisante parle, à propos de « Sans retour » d'un “nouveau départ“. Sauf que Platel et Micheletti sont déjà loin.
Pascal Bély
www.festivalier.net
| Revenir au sommaire | Consulter la rubrique danse du site. “VSPRS” d’Alain Platel. “Gyrations of barbarous tribes” du Kubilaï Khan Investigations . Le bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici! |

Première étape :
Au-delà, il nous interroge. Qu'est-ce qui est ridicule ? Son corps ou les codes de la danse ?

D'ailleurs, la pièce commence avec trente minutes de retard. Un jeune homme à la guitare, chante sur scène une chanson de Bob Dylan puis de Noir Désir. Mes voisins continuent les insultes (« il y en a assez de ces fainéants ! ») sauf que?le spectacle a débuté. Malaise. « Les Barbares » de Maxime Gorki écrits en 1905 sont toujours d'actualité. Éric Lacascade a vu juste en les mettant en scène pour la première fois au Festival d'Avignon.
Les comédiens sont au centre de ce thriller. Ils sont tous impressionnants à se déplacer d'un point à l'autre, d'un groupe vers l'autre, de la haine à l'amour. Les différences physiques (les deux enfants du maire, l'un gros, l'autre menue) permettent d'identifier leur rôle de bouc-émissaire et de médiateur pendant que le système est au bord de l'explosion. Ils sont symptomatiques et pourtant ils facilitent le lien entre les deux groupes antagonistes. Lacascade, loin de les ridiculiser, les accompagne avec bienveillance.


Au c?ur du Festival d'Avignon, existe un petit havre de convivialité et de lien social. Il faut traverser le pont de l'Europe (tout un symbole), se rendre sur l'Ile de la Bartelasse et suivre la ligne droite. Elle nous mène à Contre Courant. Animée par la CCAS (le Comité d'Entreprise des personnels EDF ? GDF), cette manifestation joue la carte d'une programmation de qualité (Edward Bond,
À peine remis de cette leçon, « Le numéro d'équilibre » d'Edward Bond mis en scène par Jérôme Hankins, accompagné par une armée de cigales, va faire l'effet d'une déferlante dans ce petit jardin.
C’est dans ce cadre qu'un théâtre a été installé. Sur scène, des cartons et des matériaux de récupération font office de décor. Nous sommes dans un théâtre de rue, un soir d'orage dans ce quartier d'Avignon.
Sizwe Banzi frappe à la porte de la boutique. Il veut une photo pour envoyer à sa femme restée au pays. Il est travailleur étranger et son « pass » est périmé. Il est sous le coup d'une expulsion. Il n'est plus rien. Styles le fait jouer pour lui faire la photo (« tu es le grand patron de l'usine?souris ! Clic ? clac »). Par ce petit jeu de rôles, Style donne plus qu'une photo d'identité ; il le rend humain. Mais il faut trouver un stratagème pour avoir un « pass ». C'est alors que Styles découvre un homme mort avec un « pass » en règle. Sizwe Banzi devient alors Robert Zuellima.
Survient ce qui sera sans doute le plus beau moment de théâtre de cette 60e édition : Sizwe (Pitcho Womba Konga, exceptionnel) se dirige vers le premier rang du public (cf. photo) et clame : « Qu'est-ce qui se passe dans ce foutu monde ? Qui veut de moi ? ?QU'EST – CE QUI NE VA PAS AVEC MOI ? ». Les sans-papiers en lutte aujourd'hui en France semblent crier avec lui. La cour résonne. Les murs d'Avignon et de l'Elysée tremblent. Je n'ose plus bouger. Les photos s'animent, les cartons se soulèvent. Le papier vit?
J'ai fait une magnifique rencontre, de celle qui marque la vie d'un spectateur. En sortant, je ne me sens pas tout à fait pareil. J'ai envie de voir le monde différemment, je m'encourage à le penser autrement pour ne pas céder au catastrophisme ambiant qui voudrait
Ils sont six pour dénoncer avec poésie, la façon dont nous regardons le monde par le petit bout de la lorgnette, nous arrêtant à la moindre difficulté (photo ci contre!). Plus tard, un homme est seul à tourner en rond sur lui-même pour nous parler de sa situation sociale avec un jargon (RMI, Allocation, ASS, ASI,?) qui étouffe progressivement sa voix et sa créativité. Il y a Lili (magnifique Colline Caen) qui cherche absolument à joindre la famille Toulou, mais elle se perd dans la communication verticale. Ils sont deux hommes à vouloir se prendre dans les bras, à trouver les mots pour le dire, mais il est plus simple de parler à leur place pour mieux les normaliser. C'est ainsi qu'alternent différentes scènes où chacun dénonce le statut donné à l'artiste, au poète par la société du divertissement et du zapping.
Mais Christophe Huysman va plus loin. Avec ses comédiens, des lignes verticales et horizontales, il crée des articulations où naissent des espaces audacieux: ainsi les mots s'entendent, la poésie éclaire notre chemin dans le chaos. En reliant le vertical au transversal, Huysman fait émerger une nouvelle poésie : les corps s'entremêlent, s'emboîtent, se soutiennent, impulsent d'autres formes. Si un élément flanche, tout s’écroule. L’interdépendance trouve ici sa magnifique traduction.Je suis médusé de voir ce jeu de Legos où je crée moi-même ma carte du monde. C'est de la poésie dans la poésie, si bien que l'on peut parfois se perdre dans cette complexité. Qu'importe, il suffit de se laisser guider par la musique des mots, de sortir de notre conditionnement qui nous oblige à tout comprendre, à tout moment. Ces acteurs sont magnifiques, ils portent la pièce à bout de bras (c'est le cas de le dire) et permettent de m'identifier à l'un, à l'autre. La vision de Huysman n'est pas pessimiste : si nous dépassons nos rigidités, nous pouvons créer un nouvel art conceptuel, basé sur la poésie et joué par des artistes pluridisciplinaires qui relie le corps et le texte. Le chaos est créatif si nous acceptons les articulations. « Human » est une réponse à ceux qui dénonçaient la place faites aux nouvelles formes artistiques lors de l'
