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Le son et lumière de Frédéric Flamand.

L'arrivée de Frédéric Flamand à Marseille à la suite de Marie ? Claude Pietragalla était une ouverture intéressante pour que je m'intéresse à ce chorégraphe. À l'automne dernier, j'ai subi « La Cité Radieuse » dans un contexte défavorable pour porter un regard distancié sur la ville de Marseille (grève dans les transports).
La présence de Flamand au Festival de Marseille pour « Métapolis II » est donc une occasion de l'approcher avec de meilleures intentions. Peine perdue. Je n'aime pas cette danse-là. Elle ne m'apporte strictement rien. La forme pourrait évoquer de la danse contemporaine. Mais c'est un trompe l'?il. Le fond est classique, conventionnel : c'est un enchaînement de regards sur la ville qui s'empilent les uns sur les autres, sans lien, sans message global. Où nous emmène-t-il dans cette ville qu'il imagine ? Le sait-il lui-même ? Les rapports humains sont réduits à leur plus simple expression, à l'image des mouvements du corps qui empruntent toujours les mêmes codes. Leur espace est d'autant plus limité que le groupe étouffe toute créativité. Les trois ponts qui circulent sur scène limitent la fonction des danseurs à des machinistes. C'est caricatural et sans réflexion globale. Les danseurs sont finalement des faire-valoir et leur corps font radicalement écran entre la vision de la ville de demain et nous. Les applaudissements sont polis, car nous sommes entre gens de bonne compagnie. Je ne suis pas rassuré: Marseille pourrait ressembler à ce « Métapolis II », ville clivée par excellence et sans âme. Le Festival de Marseille a de beaux jours devant lui, à moins que?

Crédit photo: © Pipitone

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A Montpellier Danse, Nacera Belaza et son temps du repli.

À la lecture de la présentation du spectacle, je comprends que Nacera Belaza, chorégraphe en résidence au Blanc – Mesnil, a vécu une période de repli sur elle-même. Ce qu’elle en écrit est intelligent : « Être danseuse et chorégraphe sont pour moi deux postures indissociables. Le point de vue de l’une alimente celui de l’autre, si je vois « clair » dans mes pièces c’est parce qu’aussi je suis à l’intérieur. J’ai souvent la sensation de les construire du dedans et du dehors. Mon espace de travail, lui, a toujours été un lieu privilégié qui m’a permis d’explorer mes principales préoccupations telles que : le silence, la lumière, le vide, l’obscurité, la vie, la fin, l’être humain…Tout cela à travers le corps. Cette recherche a nécessité par conséquent un véritable repli afin de nous couper du bruit de la rue et de nos vies ».
À présent, Nacera Belaza souhaite s’ouvrir, « refaire surface » et nous faire part de sa vision de l’être humain. C’est ambitieux, mais la danse m’a déjà habitué au défi de nous aider à comprendre notre complexité. Je suis donc curieux à l’idée de l’accueillir d’autant plus que je ne la connais pas. Le Théâtre de Grammont est comble, composé de pas mal de professionnels et d’amis de la chorégraphe, pour assister à « Titre provisoire / un an après… ».
Tout commence par une attente de dix minutes que le public semble ne pas supporter. Un magnifique jeu de lumières baigne la scène agrémentée d’un bruit d’une forte pluie tombant sur un toit. Cette alchimie m’évoque le repli sur soi, le travail intérieur, la découverte de nouveaux sens. Là où certains spectateurs manifestent leur angoisse du vide, je ressens la présence de l’artiste dans ce chaos. Progressivement, une silhouette se dessine à travers la vidéo. Je ne vois pas bien s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. L’ambiguïté est jubilatoire. Puis, par une étrange transformation, là voilà, humaine, qui arrive lentement sur la scène en hochant la tête. Sa venue rassure le public. Elle est suivie par deux danseuses, habillées à l’identique, dansant les mêmes mouvements. On croirait deux clones. C’est alors que le trio se met en place pour danser une valse où les gestes se répètent (rondeur, révolte, cassure). Ce langage du renouveau, du « refaire surface » est pauvre, presque anesthésiant. L’ennui me gagne. Cela ne m’évoque plus rien. À qui s’adresse-t-elle ? D’une posture de repli, Nacera Belaza nous offre une ouverture à partir d’un langage fermé. C’est comme si elle voulait expliquer la psychologie avec la musique des chiffres ! Je ressens progressivement un malaise…je ne me sens pas à ma place, comme un voyeur.
La fin du spectacle semble approcher. Elle reste seule et se met à tourner en rond. D’une ouverture, je ne sens que de la fermeture. Elle quitte la scène pour réapparaître sur l’écran vidéo. Elle danse au ralenti. Le langage ne change pas. Elle est dedans ; le public dehors.

Au final, « Titre provisoire / un an après… » est une œuvre égocentrique dont je ne doute pas de la valeur thérapeutique pour son auteur. Cela aurait pu être une danse autobiographique capable de faire résonance avec notre histoire. De résonance, je n’en ai pas entendu l’écho.

Créditphoto : G. Nicolas

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A Montpellier Danse, Radhouane El Meddeb déroute.

Le Festival Montpellier Danse nous invite à découvrir Radhouane El Meddeb, jeune chorégraphe tunisien, mais aussi comédien dans son pays et en France auprès de Jacques Rosner. Deux de ses créations nous sont proposées : “Pour en finir avec moi” et «Hùwà» qui, à l'instar de Nacera Belaza, traduisent une recherche personnelle.
«Pour en finir avec moi» est un solo dansé par Rahouane El Meddeb. C'est un homme plutôt rond, loin du physique d'un danseur occidental. Sa danse, minimaliste, est d'une précision, d'une poésie touchante. Il avance à petits pas, produit parfois des mouvements brusques pour ensuite redevenir rond. Son cheminement dans l'espace reflète son introspection faîte d'avancées et de recul dans un contexte tunisien pour le moins difficile dans la promotion de la différence. Son talent réside dans sa capacité à nous émouvoir lorsqu'il nous recherche du regard, à nous inclure dans son évolution personnelle. Je ressens chez cet homme un profond désir d'être aimé, d'être reconnu pour ce qu'il est. Il reçoit du public de chaleureux applaudissements comme un signe d'encouragement à poursuivre sa quête artistique. Espérons qu'il puisse à terme s'entourer d'autres danseurs pour donner à sa chorégraphie toute la portée politique et sociale qu'elle pourrait avoir.

Son deuxième solo, «Hùwà», dansé par Lucas Hamza Manganelli provoque un malaise perceptible à la fin de la représentation. Alors que les klaxons traversent les murs du Théâtre du Hangar (le foot réussit à s'immiscer partout?), le danseur arrive nu sur scène. Il marche à petits pas pour se poster face à nous, le regard fixe. Il balaie de gauche à droite pour revenir au centre. Ce regard m'émeut et me terrifie en même temps. Je ressens tout à la fois de l'humiliation et une détermination sans faille à nous défier. S'ensuivent alors de très beaux mouvements qui métaphorisent la difficulté de changer et l'impossibilité de rester le même. Cette recherche, loin de mener vers l'autonomie, le guide vers?Dieu. C'est à ce moment que le solo bascule vers la lourdeur, la répétition, la soumission. Changer pour aller vers Dieu engendre décidément toujours les mêmes postures, les mêmes effets. Radhouane El Meddeb nous impose alors ses états de la révélation divine. Parce que précisément ces états provoquent ce qu'il danse, cela ne me touche pas et ne me touchera jamais.

« Hùwà » aura quelques difficultés à s'immiscer dans le paysage chorégraphique en France : parce que nous sommes un pays laïc, la Danse n’est pas le langage des religions. L’est-elle du foot?…

Pascal Bély – “Le Tadorne”
Crédit photo: Eric Boudet

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A Montpellier Danse, « Bleu de terre rouge » laisse de marbre.

Au studio des Ursulines, Rita Quaglia et Lluis Ayet sont sur scène pour évoquer leur voyage à Jérusalem en compagnie d’un photographe. Comment faire part de ce voyage en articulant la danse et la photographie et faire ainsi ressentir toute la complexité de cette ville ? Comment relier  le langage du corps avec celui des images ? Ce joli défi esthétique est en parti réussi. La scénographie est de toute beauté lorsque les deux danseurs bougent des panneaux où sont projetés des éclats de photo. Cette mise en espace nous immerge dans une ville fragmentée, où les communautés se cloisonnent et n’arrivent plus à communiquer. La bande-son facilite l’immersion. Je ressens le talent d’Annie Tolleter, scénographe, déjà remarquée dans « La place du singe » de Mathilde Monnier et Christine Angot lors du Festival d’Avignon en 2005.
Mais cette esthétique masque le propos chorégraphique, souvent réduit, face à l’imposante mise en scène. Je n’arrive plus à percevoir le lien entre la danse et la photographie comme si la forme prenait le pas sur le fond. Surtout, je ne ressens pas Jérusalem à travers les corps. Les deux  danseurs semblent ne jamais communiquer. De murs, je ne vois pas de pont. Toutes ces fragmentations empêchent d’avoir accès au ressenti du photographe, au lien qu’il a pu entretenir avec les danseurs si bien que « Bleu de terre rouge » m’est apparu froid comme une mécanique bien huilée. À trop vouloir se perdre dans les rues de Jérusalem, Rita Quaglia et Lluis Ayet ne voient plus le  territoire et me perdent avec leur plan si détaillé.

Créditphoto : D Ben Loulou.


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Le public de Montpellier Danse chorégraphie « Ha ! Ha ! » de Maguy Marin.

En mars 2005, Jerôme Bel avec «The show must go on» provoquait un joli séisme au Théâtre des Salins de Martigues en interrogeant, par la provocation, les raisons pour lesquelles nous venions le voir 
En juillet 2005, le Festival d'Avignon positionnait le public dans un autre rapport à l'art théâtral en proposant des ?uvres métaphoriques et des performances. Le débat « texte ou pas » clivait la presse nationale. 
En mai 2006, Le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles poursuivait cette dynamique en invitant le spectateur à repenser le rationalisme pour se projeter dans un monde plus complexe où les aléas et les incertitudes seraient source de créativité. 
Montpellier Danse ne pouvait donc pas rester à l'écart de ce mouvement de fond. La chorégraphe Maguy Marin, avec «Ha ! Ha !» a eu le courage d'interroger la fonction du rire dans une société qui fuit la recherche du sens. Comment expliquer le désir croissant du public à vouloir se détendre dès qu'il va au théâtre ? Comment interpréter la part dominante des émissions de divertissement entre 18h et minuit sur les chaînes de télévision ? À quoi font référence les expressions si souvent entendues, prononcées le plus souvent sur un ton moqueur : «Pourquoi te prends-tu la tête ?», «Si en plus il faut penser au travail quand je vais voir un spectacle !». Cette recherche du divertissement gagne progressivement le public de la danse. Que se joue-t-il ? Dans le contexte actuel français, le rire, loin d'être créatif et libératoire, cache, masque la complexité des situations. Il s'articule sans aucun problème à la pensée linéaire, au discours politique le plus simpliste. Une société qui veut rire de tout, se distraire à tout prix, prépare le fascisme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Courageusement, Maguy Marin a décidé  de réagir. Il y a urgence à renvoyer un questionnement au public, de peur de voir en France et en Europe, l'art disparaître. Pour cela, nous avons à nous repositionner : il n'y a plus d'un côté les artistes qui proposeraient une création pour, de l’autre, des spectateurs consommateurs passifs. Même Helena Waldmann a compris la nécessité d'interpeller le public lors de « Letters from Tentland Return to sender » vu une semaine auparavant.
Je ne souhaite pas faire part de ce qui s'est passé à l'Opéra Comédie de Montpellier, dimanche soir. Il y aurait un paradoxe à expliquer un processus qui vous empêchera de le vivre. Toutefois, avant de courir voir cette ?uvre, sachez que Maguy Marin inverse les prémices : nous sommes les acteurs, les danseurs sont les spectateurs. De la sorte, elle propose un art conceptuel et c'est à nous de recréer le concept. Ce nouveau positionnement nous aide à redevenir acteur, à sortir de la soumission imposée par la société du divertissement. Elle provoque un électrochoc salutaire en nous accompagnant à retrouver la posture du dedans ? dehors qui seule permet de recréer un lien avec l'art, avec les artistes.
Oui, grâce à Maguy Marin, je n'ai plus honte de me prendre la tête. Elle me redonne la force de continuer ce blog, de poursuivre le chemin tracé depuis tout jeune : c'est la recherche du sens qui fait une vie. Maguy Marin a porté ma voix, celle de beaucoup d'autres. Elle m'a libéré des vexations dont je peux parfois faire l'objet (la dernière en date : “à quoi ça sert de voir tous ces spectacles ? N’as-tu pas envie de lâcher ?” ; le tout dit en riant !).
J'ai crié « Bravo » pour masquer les insultes d'une partie du public. À ceux qui ne perçoivent pas la menace sur l'art dans notre pays, rendez-vous dans les villes où Maguy Marin proposera « Ha ! Ha ! ». Revenez sur ce blog. Échangeons. Passionnons-nous. C'est l'une des ripostes au totalitarisme ambiant.

Sous les pavés, l'art et le social?

Pascal Bély – www.festivalier.net

Crédit photo: Chri;stian Ganet

 
 


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Le jour le plus long d’Anne Teresa de Keersmaeker à Montpellier Danse.

Le Corum de Montpellier est un bâtiment imposant. La dernière création d'Anne Teresea de Keersmaeker « D'un soir un jour » s'est moulée dans l'architecture de ce lieu dédié à la danse et aux orchestres symphoniques. Le résultat au bout d'une heure quarante est pour le moins décevant.

« D'un soir un jour » n'a pas la hauteur, la légèreté de ses deux précédentes oeuvres « Raga for the Rainy Season (musique d'un raga indien)  et « A love supreme » en hommage au jazz. Les musiques de Debussy, de Sravinsky et de George Benjamin interprétées en direct par l’Orchestre National de Montpellier donnent à cette journée des couleurs pâles, une ambiance de fin d'automne. Je m'ennuie à la limite de l'endormissement lors de la première partie. L'entracte me permet de reprendre de l'énergie et de me rassurer avec quelques spectateurs (« Suis-je fatigué, ou bien est-ce cette création? »).
La deuxième partie est plus enlevée, mais la fin traîne en longueur. Je suis surpris de ne presque jamais entrer dans cet univers comme si la danse, en collant de si près à la musique, perd de sa créativité, de sa puissance. J’ai parfois même l’impression que les danseurs attendent l’Orchestre! Il y a des passages d'un académisme troublant (comme si nous revenions à la danse de ballet !) ; d'autres sont plus contemporains, mais le collectif ne porte pas, ne fait que passer. Il y a une désarticulation entre le groupe, les solos et les duos qui m'empêche d'être porté par une dynamique d'ensemble. Il y a bien sûr, quelques moments de toute beauté (une danseuse, une table?une morgue à la fin. Sublime), et quelques clins d'?il amusants (une vidéo où des joueurs miment une partie de tennis, perdent la balle que nous retrouvons sur scène. Jubilatoire). Mais «D'un soir un jour » est triste, conventionnelle. Le baiser entre deux hommes qu’une femme tente d’empêcher frôle le ridicule. La seule scène de liesse tombe à plat, comme un bon jeu de mots qui glacerait une table d'amis !  Le décor proche d'une friche industrielle n'aide pas : la lumière vert pâle, les néons qui montent et descendent jusqu'à réduire cette scène immense à la portion congrue, limite la vision, empêche la danse et ne permet pas d'échappatoires.
Je quitte le Corum désabusé. Les klaxons de la rue m'agressent (la France vient de battre le Brésil). Je rêve d'une autre soirée, d'un autre jour. Avec pourquoi pas Anne Teresa de Keersmaeker accompagné d'un groupe de pop – rock ». Je ne suis même plus sûr d'en avoir envie?

A lire la critique sur «Raga for the Rainy Season » et « Love supreme » présentés au Festival de Marseille en juillet 2005. 
Crédit photo : Hermann Sorgeloos

Vous avez vu ce spectacle? Nous vous invitons à participer au palmarès du blog Scènes 2.0 en votant ici!


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Au Festival de Marseille, Emanuel Gat voit grand, petit à petit.

Wolfgang Amadeus Mozart et Emanuel Gat ont donné rendez-vous au public du Festival de Marseille pour « K 626 ». Celui-ci, comme tout spectacle, s'inscrit dans un contexte : le match de football France ? Espagne en huitième de finale, un public composé au quart de salariés invités par leur entreprise à se cultiver un peu entre deux brainstormings sur l'évolution du marché des chemises bioniques. Si le premier perturbe un magnifique solo par ses hurlements déchaînés, le deuxième n'hésite pas à regarder le match sur son portable et à applaudir mollement pour ne pas déplaire au chef. Parenthèse provisoirement fermée.
Pourtant, « K 626 » fera date dans l'histoire de la danse tant cette chorégraphie ne ressemble à aucune autre. Elles sont dix, venues d'Israël, habillées comme des petits soldats à qui l’on demande trop tôt de faire la guerre. Leurs petits pas, leurs bras, leurs doigts donnent à ce requiem imposant, sa part d'intimité. Avec elles, l'infiniment petit devient grandiose. Loin d'être à l'unisson, elles peuvent jouer leurs différences, mais font référence au groupe, quoiqu'il en coûte. Elles ne sont jamais seules. Il faut les voir faire ces haies d'honneur pour se relier entre elles, pour ne pas se perdre. Le groupe porte des valeurs que nous ne connaissons pas ici : elles peuvent danser l'hésitation ; rien n'est certitude, tout est créativité même dans la précarité. Cette chorégraphie est alors un refuge où l'on se serre pour se protéger, à l'image de cette mouette effrayée par les clameurs de la ville qui vient chercher la sécurité parmi nous? Leur corps évoque toutes ces valeurs : nous sommes à l'opposé de l'esthétique européenne où l'apparence fait parfois illusion. Ici les corps parlent d'Israël : loin d'être seulement modelés par l'effort physique, ils portent en eux la peur et le désir infaillible de danser alors que le terrorisme menace. J'ai la douce sensation qu'Emanuel Gat a chorégraphié leur histoire comme un peintre le ferait avec son modèle préféré. Rare.
Avec elles, ce Requiem inachevé à la mort de Mozart, trouve une continuité. En osant chorégraphier l'incertitude, Emanuel Gat pose un acte politique : réparer ce qui est rompu, poursuivre l'oeuvre de Mozart à partir du corps (qui pourrait l'en empêcher ?), continuer à créer même si le contexte coupe le son. Il y a dans cet engagement une puissance qui m'atteint, qui m'émeut profondément.
Elles sont dix, à l'image des dix doigts d'une main, qu'elles posent sur mon épaule. Emanuel Gat peut revenir avec elles. Ils rencontreront un public, encore trop occupé à rechercher ce qu'il connaît trop. Mais nous sommes quelques-uns à avoir été là, ce 27 juillet 2006, pour véhiculer le message de cette danse d'Israël, une danse d'exception. Mozart n'aurait pas rêvé mieux comme fin.


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“Zero Degrees”: patrimoine mondial de l’humanité.

J'ai fait un voyage. Dans le site merveilleux de Châteauvallon, trois musiciens, un chanteur pakistanais, deux sculptures de silicone sont au sol. Ils sont deux chorégraphes pour danser « Zero Degrees » : l'un est indien, Akram Khan, l'autre est l'enfant prodige belge des Ballets C. de la B., Sidi Larbi Cherkaoui. Avec eux  commence le voyage du Bengladesh vers l'Inde. Tout à la fois semblables et différents, ils dansent leurs mimétismes, leur conflit, leur réconciliation. C'est un voyage dansé comme un conte. Nous sommes alors des enfants capables d'observer leurs péripéties et la complexité des relations entre deux hommes qu'a priori tout oppose. Ce conte débute par une histoire de passeport à l'aéroport, racontée simultanément à deux voix. La musique des mots m'emporte et la danse de leur bras métamorphose nos deux voyageurs en oiseau de paix. Je m'envole avec eux parce que cela fait bien longtemps que je ne suis pas redevenu un enfant. Par enchantement, les corps se transforment en lampe d'Aladin, jusqu'à me faire tourner la tête, étourdi par tant de beauté.

Sidi l'européen nous fait un numéro de magie à même le sol : je ne le reconnais plus, tout à la fois oiseau, clown, chat. J'ai envie d'applaudir, d'en redemander. Mais j'ai peur : dans le train qui les emmène je ne sais où, un homme va mourir et sa femme ne peut l'aider. Ils hésitent à faire quoique ce soit, de peur d'être accusé par la police de l'avoir tué. Pris dans le paradoxe, mes deux anges dévoilent leur part d'ombre. Tout était trop beau, mais rien n'est perdu. Il est toujours possible de faire avec, même si c'est lourd à porter, à supporter. Le lien est là, il se construit avec ces parts d'ombre. Le voyage ne se fait plus à deux, mais à quatre. Chacun tire son double comme l'on tirerait la couverture à soi. On compte l'un sur l'autre pour s'alléger, pour danser de nouveau à deux, loin de ses lourdeurs culturelles et éducatives. Ils ne peuvent plus rien faire l'un sans l'autre. Le public d'enfants attend d'eux qu'ils continuent le voyage: cette danse est tellement sublime même avec deux mannequins blancs qui portent le noir. Petit à petit, les corps se figent, l'un est au sol, l'autre debout. Il faut porter, tirer, pour continuer le voyage. Il vaut mieux laisser les parts d'ombre ici pour poursuivre. Les enfants silencieux dans les gradins en feront quelque chose. Sidi et Akram disparaissent au fond ; enfant, je les accompagne. Adulte, j'ovationne pour relier « Zero Degrees » à mon corps, à mon devenir.

« Zero Degrees » est l’enfant d’« Icare ». C’est un nouvel envol pour Le Tadorne.

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