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République en péril, artistes en danger. Artistes en péril, République en danger.

Le numéro publié aujourd’hui par Charlie Hebdo est poignant à plus d’un titre. Outre l’hommage aux disparus qu’il réaffirme, trois ans plus tard, la rédaction donne à lire un inquiétant appel à l’aide du fin fond de son bunker.

Cet appel se concentre sur l’enjeu financier – le cout exorbitant des dépenses de sécurité – mais ne s’y réduit pas pour autant : il questionne notre modèle politique, cette démocratie républicaine. Il y a quelque chose de l’ordre d’une demande d’assistance à artistes en danger, à République en péril.

Depuis 3 ans, la rédaction a manifestement trouvé les ressources pour se reconstruire. Le miracle a eu lieu, Charlie n’est pas mort, contrairement à l’affirmation d’un frère Kouachi.

Mais le numéro se lit comme une opération porte ouverte : “Venez donc visiter notre prison, envers du patrimoine national. Entrez dans notre enfermement, et comprenez bien qu’il n’est pas que spatial. Il est aussi temporel, affectif, intellectuel.” Cette opération à coeur ouvert doit mettre à nu le corps politique du temps présent. Ce n’est pas beau à voir. Défaillance de certaines institutions, comme l’Education Nationale. Le milieu culturel n’est même pas mentionné : ce non-dit vaut tous les discours.

On attend toujours, par exemple, que Monsieur Olivier Py, directeur du plus important festival de théâtre au monde, le Festival d’Avignon, se rappelle qu’il prend la suite lointaine d’un poète héros résistant, l’immense René Char, et que cet héritage symbolique l’oblige.

On attend que Maguy Marin rejoigne le combat de Charlie en portant sur scène haut et fort l’impérieuse nécessité de promouvoir la liberté d’expression. Sa dernière création « 2017 » était la danse de l’effondrement de l’humanité par la financiarisation de l’humain. Qu’elle ose « 2018 » pour réveiller les consciences sur les dangers que fait courir l’Islam politique à la création artistique.

On attend toujours, par exemple, qu’un collectif d’artistes affirme haut et fort que la laïcité est l’unique protection pour créer en toute liberté.

On attend toujours, par exemple, que les théâtres dits « nationaux » organisent des soirées « Je suis Charlie » avec toute la créativité dont ils font preuve d’habitude pour organiser des tables rondes sur l’avenir de la culture.

Charlie Hebdo s’adresse directement à nous, “citoyens”. Il nous est dit en substance : “Nous parlons encore, mais nous ne savons pas combien de temps nous allons pouvoir tenir. Nous sacrifions notre liberté pour la vôtre. Si notre porte se referme, vous vous perdrez.

Beaucoup souhaitent que cette porte se referme : les djihadistes, des intégristes, des intellectuels faussaires en carton, les artistes décolonisateurs des arts, des médias qui publient leurs tribunes trouées, ceux que ces sujets ennuient, comme, j’imagine, on s’ennuyait des discours des rescapés des camps.

Beaucoup aimeraient fermer la chambre mortuaire, comme si c’était aussi simple. Comme si une chaine ne reliait pas Merah, Charlie, le Bataclan, l’hypercasher, dans un même processus.

Enfermés dans leur bunker, sur-protégés d’officiers de sécurité, l’équipe de Charlie s’adresse à une société elle-même bunkerisée, par qui ? Par quoi ? On peut certes accuser l’état islamique, incriminer la politique sécuritaire menée depuis 2015. Comme si c’était si simple. Ce qui menace plus fondamentalement encore le projet républicain, c’est plutôt l’indifférence qui s’est installée à l’égard de ce qui vit la rédaction, quand ce ne sont pas les accusations colportées par quelque idéologue moustachu.

Entre le corps à nu et le bunker, et vu que l’un conduira irrémédiablement à l’autre, il nous reste à interroger le modèle républicain et notre engagement citoyen.

Alors, à l’orée de cette année 2018, Le Tadorne adresse ses voeux à l’équipe de Charlie en lui glissant ce billet dans la porte du bunker.

On a déjà donné” nous dit Riss dans sa “une”. Effectivement, à nous, citoyens, de vous donner.

À vous artistes de les protéger.

Sylvain Saint-Pierre / Pascal Bély / Tadornes

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Une certaine tendance du théâtre français, retour sur 2014.

« Si le cinéma Français existe par une centaine de films chaque année, il est bien entendu que dix ou douze seulement méritent de retenir l’attention des critiques et des cinéphiles, l’attention donc de ces Cahiers. »

2014: Année Truffaut. Exposition à la Cinémathèque de Paris, rétrospectives, célébration institutionnelle, reconnaissance générationnelle. Unanimité pour louer l’héritage d’un des pères fondateurs de la Nouvelle Vague. L’exposition de la Cinémathèque, riche de documents et émouvante par instants, s’achève pourtant par une séquence troublante : la projection d’une vidéo où l’on voit de jeunes comédiens interpréter une scène de Truffaut, parler. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Pourquoi nous les montre-t-on se montrer ?

Ils jouent mal, n’ont rien à dire. La séquence est gênante. Leurs noms sont affichés : la moitié ou presque sont des « fils/fille de »…Garrel, Haenel, Bonitzer, etc. Le metteur en scène Vincent Macaigne (adoubé par la critique pour son dernier spectacle au Théâtre de la ville de Paris)est bien entendu de la partie. De quoi sont-ils le nom ? De l’héritage aux héritiers, il n’y a qu’un pas : il est franchi, sans que personne ne sourcille. Cinéma, théâtre, média, même réseau, même processus de lutte des places quelle que soit la vacuité du propos et de la démarche. Mais finalement, est-ce si surprenant de voir le cinéma de Truffaut aboutir au conformisme creux et plat des années 2010 ? Le lyrisme et l’exploration du soi présents dans ses films ont préfiguré le délire égotique de la société du spectacle qui téléramise le cinéma comme les arts du spectacle. Où sont Jean Eustache, Philippe Garrel, scandaleusement absents, eux, de la rétrospective, les seuls à avoir travaillé le versant négatif de la naïveté truffaldienne ? Godard, à peine évoqué, leur brouille, ses raisons personnelles et artistiques, inexistante. Agnès Varda, Jacques Demy, et d’autres enfants cinématographiques de Truffaut, laissés de côté. Tous ces auteurs qui ont travaillé formellement l’héritage de Truffaut sont remplacés par une jeunesse déjà vieillie par les combats mondains. De l’exposition, je ne garde que ceci : un objet fétiche qui n’a d’autre consistance qu’un plaisir vide et éphémère. Alors même que les portes étaient ouvertes, elles se referment sur la jeune arrière-garde française. Définitivement : Godard, Garrel, Eustache.

De 2014 à 1954. Cette année-là, Truffaut publie un article demeuré célèbre : Une Certaine Tendance du Cinéma français. 60 ans plus tard, quelle boucle enchevêtre ce propos novateur à ce qui s’en est suivi? Quelle créativité le théâtre français a-t-il donné à voir dans une année marquée notamment par le Festival d’Avignon présidé par Olivier Py, le conflit des intermittents, le Festival d’Automne, et d’autres manifestations encore ?

Je laisse de côté la question de savoir pourquoi le propos de Trufaut s’est finalement retourné contre lui, et comment, après Les 400 coups, il a pu reproduire le cinéma archaïque qu’il abhorrait. La force du texte, elle, reste intacte ; elle tient à l’absolue actualité du propos, mais presque en négatif. Truffaut oppose cinéma de texte et cinéma de metteur en scène, cinéma « de la tradition et de la qualité » et cinéma d’auteur. Il écrit à un moment : «Eh bien je ne puis croire à la co-existence pacifique de la Tradition de la Qualité et d’un cinéma d’auteur.» La guerre que s’apprêtent à mener Truffaut et ses (futurs)-amis, c’est le refus de la Tradition et de la Qualité, cette position est irréconciliable. Et bien pourtant, 2014 a vu se poursuivre le processus inverse : la fusion des deux et leur dilution réciproque. Je généralise, il y a bien entendu des exceptions à cela (Hypérion de Marie-Josée Malis, Bit de Maguy Marin, et d’autres encore), mais elles sont reléguées à la marge. Je me souviens du “Py-être“ Festival d’Avignon 2014, son inconsistant théâtre du «retour au texte». Comme si le salut pouvait venir d’une divine poétique qui suffirait à faire oeuvre. Des mots-valises entendus à foison, comme pour faire oublier que l’heureux élu posait les siennes absolument partout, et entendait que cela se voie. C’est donc cela : Une certaine tendance du théâtre français. Mettre en avant le verbe pour s’exposer à la pleine lumière, au risque que le verbeux et le verbiage peinent à masquer les ambitions personnelles. Mais ce n’est pas tout car, comme l’écrit Truffaut : « Vive l’audace certes, encore faut-il la déceler où elle est vraiment. » L’adaptation de LIdiot par Vincent Macaigne, par exemple, est-elle drapeau révolutionnaire ou sac plastique, effigie cynique de la société de consommation ? Où se trouvent la prise de risque véritable, la violence symbolique ? Peut-on croire à la subversion par les cris, par le cru, par une débauche d’images (et de moyens…) quand c’est peut-être en réalité la subvention qui est recherchée, qui se trame, qui se joue derrière ces appareils ?

Poursuivons avec Truffaut: «Le trait dominant du réalisme psychologique est sa volonté anti-bourgeoise. Mais qui sont Aurenche et Bost, Sigurd, Jeanson, Autant-Lara, Allegret, sinon des bourgeois, et qui sont les cinquante mille nouveaux lecteurs que ne manque pas d’amener chaque film tiré d’un roman, sinon des bourgeois ? » Il suffit de remplacer ces noms par ceux de la « nouvelle génération ». La bourgeoisie, c’est la reproduction sociale, par le capital, les codes, le réseau, la culture ; la reproduction d’idées, par le conformisme. C’est la lutte des places, peu importe ce qu’on y fait, ce qu’on y dit : il faut en être. Que propose le jeune metteur en scène Sylvain Creuzevault comme pensée politique dans Le Capital ? La déconstruction permanente : rire de tout pour éviter de penser quoi que ce soit. Rire entre soi de références communes, ni approfondies, ni complexifiées. Et que dire de “Répétition” de Pascal Rambert ? Là encore, la déconstruction comme cache-misère, comme jeu de miroirs, et peu importe s’il ne reflète rien d’autre que le vide. La tentative initiée par Philippe Quesne de mettre en scène l’enfance dans Next Day ? Mais où sont donc les enfants de Nanterre, ceux qu’on trouverait par exemple dans les écoles de la ville ?

Nous avons des apothicaires qui font leurs comptes au lieu d’artistes capables de nous aider à penser le monde contemporain. Dans une société en crise, où sont les marginaux, les délaissés, les exclus ? On a beau chercher, on ne les voit pas. Il est plus que temps d’ouvrir la scène et les théâtres aux acteurs sociaux, aux précaires, aux enfants, aux personnes issues de l’immigration, à tous ceux qui n’appartiennent pas au monde de la culture : «Quelle est donc la valeur d’un cinéma anti-bourgeois fait par des bourgeois, pour des bourgeois ?» demande Truffaut. Quelle est donc la valeur d’un théâtre anti-bourgeois fait par des bourgeois, pour des bourgeois ?

Des portes sont ouvertes: en 2014, certaines oeuvres ont marqué les esprits (celles d’Angélica Liddell, Pippo Delbono, Roméo Castellucci, Matthew Barney, William Forsythe), proposé un dispositif radical, à la mesure des enjeux contemporains. En 2015, il faudra creuser ce sillon. Car il vient de loin, et ne date pas d’aujourd’hui : sur mon fil d’actualité Facebook, un ami renvoie au blog de Pierre Assouline qui retranscrit sa discussion avec Mickael Lonsdale. Ce dernier évoque Beckett, qui avait déjà perçu cet enjeu à l’époque :

« Après sa mort, j’ai relu tout ce qu’il a écrit. J’ai compris qu’il ne parlait que des pauvres, des fous, des clodos, des détraqués, des rejetés de la société, alors que depuis des siècles, le théâtre nous faisait vivre certes des situations tragiques mais auprès de rois, de puissants. Sans son humour, ce serait intenable. Sa compassion pour l’humanité est incroyable. Je l’ai bien connu dans sa vie privée : discrètement, il aidait les gens, les secourait lorsqu’ils étaient malades. Sa femme l’ayant fichu dehors à cause de leurs disputes, il vivait dans une maison de retraite tout près de chez lui ; mais quand elle est morte, il a préféré rester « parmi mes semblables » disait-il, au lieu de rentrer chez lui. Jusqu’à la fin, il faisait les courses pour un couple qui ne pouvait plus se déplacer. La générosité de cet homme ! Dès lors que l’on essaie de sauver les gens, c’est de l’ordre de l’amour, donc Dieu est là. Mais de tout cela, on ne parlait pas en marge des répétitions. Pourtant j’ai créé Comédie dont on peut associer la diction à celle des monastères. Recto tono ! Une vitesse de mitrailleuse ! Sans inflexion ni psychologie. Une machine ! Même si son inspiration pouvait être picturale, le Caravage surtout qu’il allait voir en Allemagne. En attendant Godot est né de la vision d’un tableau. Pour le reste, Beckett c’était saoûlographie totale. » (/)

Sylvain Saint-Pierre – Tadorne

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Figure-toi Maguy Marin, figurez-vous…mon métier est un art.

C’est un pari: puis-je m’accorder du temps pour aller à la rencontre des artistes alors que l’environnement professionnel m’attire vers d’autres tâches? Je suis consultant auprès du secteur public et associatif et j’introduis l’art comme vecteur de décloisonnement et de pensée complexe pour des projets globaux interactifs et vivants. C’est un autre pari: tandis que les organisations développent des process qui décentralisent la question de l’humain, il est urgent de réintroduire des processus de communication pour penser autrement à partir d’articulations dynamiques. La sortie de crise est dans ce travail, mais qui nous le dit? Comment puis-je nourrir ma pensée de consultant-spectateur pour dévoiler dans les organisations, des paysages où les chemins créatifs des professionnels en quête de sens croisent ceux de l’art?

En ce mois de décembre, je pars donc à la rencontre de cinq artistes: les chorégraphes Maguy Marin, La Ribot, Radhouane El Meddeb; la metteuse en scène Angelica Liddell et l’inclassable Roméo Castellucci. Cinq artistes différents, mais liés par mon seul désir d’en découdre: à la bêtise systémique ambiante, j’ai besoin de poser l’art sur le terrain de la complexité, de l’invisible à  l’oeil nu, de l’instabilité source de questionnements. Je veux fuir le certain, le lisible, le prévisible. Ils sont tous les cinq incasables, déjouent les frontières, occupent le plateau comme un espace intrapsychique où la relation entre le spectateur et l’artiste est en soi le propos.

Premier épisode d’une série d’articles à venir.

Tout commence ce vendredi soir avec Maguy Marin. Dans mon cheminement de spectateur, elle occupe un place centrale. Dans “Singspiele”, elle nous propose une rencontre avec l’acteur, metteur en scène, scénariste et réalisateur David Mambouch. Un artiste total pour créer un lien global! Nous n’apercevons sa tête que lors de courtes pauses où l’homme se désaltère, apparemment épuisé par ce long cheminement le long de ce mur gris blanc, juste transpercé de porte-manteaux, sur cette étroite scène, où son corps hésite entre précipice et dévoilement de l’âme.

David Mambouch ne dit rien. Son visage est masqué  par une série d’autres visages photographiés (connus ou inconnus) qui, telles des feuilles blanches noircies par l’artiste au travail, finissent une à une à terre. Entre temps, il accompagne chaque visage d’un geste, d’un habit, d’une posture. Je scrute  ses moindres mouvements et j’écoute. La danse s’écoute. Presque par effraction, elle force l’écoute. Je nous écoute. Me voici à nouveau consultant-spectateur…Cette galerie de portraits  est une exposition itinérante où chaque visage évoque, par le corps de l’acteur, le lien que nous entretenons avec la Figure. Peu à peu se dessine ce qui fait culture commune, ce qui signe nos différences culturelles, ce qui fait de nous des êtres de communication (le corps ne peut mentir). L’artiste fait lien entre l’Autre et moi jusqu’à déjouer les codes du genre: au-delà du masculin et du féminin, que dit l’âme? Ici, l’identité n’est pas un statut: elle se joue dans l’interaction avec l’Autre et c’est à l’artiste que revient le rôle de passeur, de développeur d’empathie. Lui ne voit rien, car c’est nous qui voyons! Le regard, c’est nous. Le miroir, c’est lui. Le dernier visage est un choc. J’y vois le cri de Munch. Un cri identitaire. Que sommes-nous devenus à force d’individualisme forcené? Où sont les visages…et les figures?

singspiele-3

Des visages, des figures
 / Dévisagent, défigurent
 / Des figurants à effacer
 / Des faces A, des faces B
 / Appâts feutrés
 / Attrait des formes
 / Déforment, altèrent
 / Malentendu entre les tours / 
Et c’est le feu
” Bertrand Cantat – Noir Désir- Album “Des Visages des Figures” (2001).

Pascal Bély – Le Tadorne 

Maguy Marin –  “Singspiele” – Marseille Objectif Danse le 13 décembre 2014.

 

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2012, ma panne de danse.

Être spectateur de danse a été particulièrement difficile en 2012. Je ne reviens pas sur la disparition de l’art chorégraphique dans les théâtres de mon territoire (Aix – Marseille- Martigues), ni sur les deux festivals qui atomisent la danse, faute de projet de développement. Seule la création de Klap à Marseille sous l’impulsion de son directeur, Michel Kelemenis, a donné l’outil de travail dont les artistes avaient besoin. Peu à peu, Klap s’impose comme un lieu incontournable. Nul doute que les chorégraphes reviendront à Marseille. Mais il faudra du temps et un changement radical à la tête des établissements culturels  pour que la danse retrouve un public.

Chaque année, le Festival d’Avignon réussissait à combler le marasme marseillais. En 2012, il l’a accentué. Le bilan chorégraphique du festival a été mauvais (à l’exception notable de «Tragédie» d’Olivier Dubois): une danse cérébrale, célébrant les bons sentiments, s’enfermant dans une esthétique  influencée par les arts «plastiques» où le corps n’est que matière…Pour la première fois cette année, la danse ne m’a pas permis de penser la complexité.

La Biennale de la Danse de Lyon, originale à plus d’un titre sous la direction de Guy Darmet, ne m’a pas convaincu avec sa nouvelle directrice, Dominique Hervieu. Elle fut globalement sans surprise avec l’étrange sensation que la danse n’est qu’un produit de communication courante…Quant à Montpellier Danse, une santé défaillante ne m’a pas permis de suivre les spectacles que j’avais programmés. Me reste le merveilleux culot artistique de Radhouane El Medeb et de Thomas Lebrun ainsi que le parti pris plastique assumé de Mathilde Monnier.

C’est ainsi que j’ai parcouru les théâtres, parfois découragé, à la recherche de cet art qui nourrit le projet de ce blog depuis 2005.

2012 a été l’année d’Olivier Dubois. Il m’a tenu éveillé. Il a nourri ma relation à la danse. Il l’a fait par une approche de l’humain englobé dans une humanité célébrée et éprouvée par les danseurs et le spectateur. Pour lui, interprètes et publics forment un tout: scène et salle se répondent en continu. «Révolution», «Rouge» et «Tragédie», trois chorégraphies liées par une quête absolue de l’émancipation. Le corps est une conquête; la danse d’Olivier Dubois est sa révolution.

Avec «Mahalli», la chorégraphe libanaise Danya Hammoud m’est apparue comme une «sœur» d’Olivier Dubois. Ces deux-là ont
d’étranges “matières”: une chair politique pour une révolution sociale. Danya et Olivier sont probablement habités par une vision commune: le travail sur soi est politique.

Autre introspection réussie, celle d’Israel Galván qui a affronté le flamenco traditionnel. Avec «La curva», à partir de ses racines et de ses rites, il l’a fait trembler sur ses bases jusqu’à ouvrir ses entrailles et accueillir la modernité. Ce fut exceptionnel d’assister à la décomposition d’une partition qui se consume pour inventer l’Autre musique, celle d’un flamenco théâtral.

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Autres métamorphoses sidérantes. Au Festival d’Avignon, sous le plateau de la Cour d’Honneur, le performeur sud-africain Steven Cohen a fait du corps intime un territoire de la Shoah. Exceptionnel. Quant à Mitia Fedotenko dans le «Sujet à vif», il a réussi son pari artistique avec François Tanguy: celui d’oser chorégraphier un Hamlet déchiré entre le Danemark et la Russie de Poutine.

En 2012, il y a bien sûr eu le rendez-vous incontournable avec Maguy Marin et Denis Mariotte. «Nocturnes» fut dans la continuité des œuvres précédentes. Là où j’attendais une rupture esthétique, Maguy Marin ne m’a probablement pas surpris. Seulement accueilli par un propos assumé sur la fragmentation barbare du sens, sur l’éclatement d’une humanité piétinée.

Après «Un peu de tendresse, bordel de merde !» présenté à Avignon en 2009, nous étions nombreux à scruter sa nouvelle création à la Biennale de Lyon. «Foudres» de Dave St Pierre m’a une fois de plus enchanté sans que je sois surpris. Devenus de grands malades de l’amour consumériste, il nous faut réapprendre à danser, à nous habiller de nos costumes de bal pour nous entrainer à nous lâcher au bon moment, à nous reprendre quand le rythme l’impose. Beau propos, certes convenu, mais si vivifiant !

Avec «Brilliant corners», Emanuel Gat m’a littéralement subjugué par sa visée du groupe. Rarement, je n’ai ressenti, avec une telle
précision, la complexité des mouvements vers le collectif où, à l’image des communautés sur internet, le groupe se déplace pour amplifier la relation horizontale et s’approprier de nouveaux territoires. Le collectif relie les fragments et avance jusqu’à produire la lumière du spectacle. Magnifique !

Combien de chorégraphes considèrent la musique comme fond sonore pour chasser un silence pourtant vecteur de sens ?  Avec Maud le Pladec et l’ensemble musical Ictus, je me souviens avoir vécu cinquante minutes euphorisantes, énergisantes, palpitantes où mon corps a eu quelques difficultés à contrôler mes pulsationsrock’embolesques. «Professor/Live» a  vu trois danseurs virtuoses restituer avec humour et présence, le rock électronique et symphonique du compositeur Fausto Romitelli. Inoubliable.

Il me plaît de terminer ce bilan 2012, par une rencontre. Celle avec  Alexandre de la Caffinière qui lors de «Questions de danse» nous a présenté un extrait de «Sens fiction» (œuvre à voir les 16 et 17 février au Théâtre des Pratiques Amateurs de Paris). Avec deux danseurs (troublants Anaïs Lheureux et Julien Gaillac), il a composé une œuvre délicate au croisement de la musique électronique et d’une scénographie numérique. Tandis que le paysage chorégraphique est saturé de musiques chaotiques et de vidéos conceptuelles, Alexandre de la Caffinière a fait un tout autre pari: celui d’un environnement numérique au service de la danse, pour des corps en mutation, vers la métamorphose d’une relation duelle. Chapeau, à suivre…

Je vous propose de continuer la route en 2013, année où Marseille sera capitale européenne de la culture. La danse y occupera une place scandaleusement faible. Il va falloir chercher, voyager, se déplacer. Putain de danse !

Pascal Bély – Le Tadorne.

1- Olivier Dubois; “Rouge” – Festival Uzès Danse. /  “Révolution”- Le 104, Paris. / “Tragédie” – Festival
d’Avignon.

2- Radhouane El Medeb, Thomas Lebrun; “Sous leurs pieds, le paradis” – Festival Montpellier Danse.

3- Israel Galvan; “La curva”- Théâtre de Nîmes.

4- Emanuel Gat; “«Brilliant Corners» – Pavillon Noir d’Aix en Provence.

5- Mathilde Monnier; “Twin paradox” – Festival Montpellier Danse.

6- Maguy Marin – “Nocturne” – Biennale de la Danse de Lyon.

7- Maud le Pladec – “Proffesor / Live” – Festival « Les musiques », Marseille.

8- Danya Hammoud – « Mahalli » – Festival Montpellier Danse.

9- Mitia Fedotenko – « Sonata Hamlet » – «Sujet à vif », Festival d’Avignon.

10- Dave St Pierre – Création Biennale de la Danse de Lyon.

11- Alexandre de la Cafinière – « Sens fiction » – « Question de Danse » à Klap, Maison pour la Danse, Marseille.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON OEUVRES MAJEURES

À la Biennale de Lyon, Maguy Marin et Denis Mariotte noircissent le tableau.

Deux tournes-disques, l’un à gauche, l’autre à droite de la scène, trônent et crachent un vrombissement (peut-on imaginer la danse contemporaine sans lui!), ponctué d’étranges sons rayés. Le nouveau spectacle de Maguy Marin et de Denis Mariotte, «Nocturnes“,  ne serait-il qu’un vieux disque, tel un propos qui se répèterait à l’infini? Je serais tenté d’y croire tant cette création, à la différence de bien d’autres, me laisse un peu sur le côté et ne semble provoquer dans le public que des applaudissements polis.

De gauche à droite, même son, même discours. Au centre, la complexité du monde tel qu’il va. De chaque côté de la scène, des coulisses sans profondeur d’où émergent des personnages et des objets. Pendant une heure, une série de saynètes se succèdent d’une durée de trente à soixante secondes ponctuée d’un intermède dans le noir de douze secondes pendant lequel j’entends des pas sur la scène. Chaque tableau me trouble, car il pose un contexte, une relation, une interrogation. Chaque plongée dans l’obscurité finit par m’agacer de ne plus pouvoir penser et faire mon spectacle. «Nocturnes» est une proposition que l’on peut ressentir comme autoritaire, mais, confiant en ces deux artistes, je décide de m’accrocher. Dans le précédent spectacle («Salves»), les danseurs tissaient un fil entre eux et nous. Leurs mouvements faisaient liens entre les tableaux (quitte à les faire tomber pour que nous les ramassions), chaque flash lumineux provoquait ma conscience tandis qu’un détail réveillait un souvenir. Ici, rien de tout cela. Quasiment plus aucun artifice scénique si ce n’est une lumière qui surplombe, traverse ou caresse tel un voile qui parfois me fait frémir.

Que m’est-il donc suggéré? Qu’est-ce qui justifie que l’on m’impose le noir et des scènes qui, à priori, n’ont aucun lien entre elles? J’entends l’effondrement, symbolisé par ces pierres qui font un terrible fracas en tombant sur la scène?Peu à peu, elles sont pierres tombales, où s’allongent des corps qui tendent vers nous la photo d’un ancêtre. Je pense aux miens, mais j’en ai si peu, tant mon génogramme est brisé. Alors, il faut chercher ailleurs, dans ces personnages offerts par Maguy Marin. À moi de tisser un lien avec eux. Mais tout va si vite. À peine apparus, les voilà disparus, comme un mouvement de danse qui se prolongerait dans mon imaginaire. Hommes, femmes parlent des langues que je ne comprends pas, mais le langage est ailleurs. Dans ce qui se joue. À mon insu, car je suis binaire et formaté. J’avance parfois à partir de certitudes usées qui me conduisent à effacer l’essentiel de ma mémoire. Nous bâtissons des murs pour nous protéger de l’urgence de l’essentiel.

Chaque personnage, chaque dialogue, chaque posture me questionnent: «qu’est-ce qu’il se joue?». Cette interrogation, obsédante, m’invite à relier les coulisses et la scène: à entendre ce qui est dit pour écouter l’enjeu de le dire; à ressentir le mur par les corps emmurés; à lier l’effondrement de notre civilisation et les corps marchandisés; à lire la trace tout en questionnant comment nous l’effaçons; à nier ce qui se trame pour se préoccuper davantage du processus d’émergence; à interroger  le futile pour y rechercher l’essentiel; à capter l’ombre d’un corps comme une apparition de l’âme?

Je pense. Je ne fais que penser. «Nocturnes» m’épuise.  J’avance et je ne sais pas où je vais. Mais je sens qu’il se trame la métamorphose de mon regard sur le monde. Soixante minutes, c’est trop peu pour continuer à tisser…

Il me faut revoir la scène où les six danseurs se déplacent de dos l’un à côté de l’autre et de leurs mains argentées dessinent au tableau noir.

Il me faut toucher la scène où un voile est lumière.

Il me faut compter mes morts pour unifier mon vivant.

Il me faut entendre le cri de la Grèce dans le choc démocratique tunisien.

Il faut me percher au-delà du mur pour savoir interroger le Nouveau Monde.

«Nocturnes» n’a pas encore fini son travail.

Pascal Bély, Le Tadorne.

 

Nicolas Lehnebach va plus loin…

Les épiphanies nocturnes de Maguy Marin et Denis Mariotte.

Après les salves, la nuit?

A l’aube d’un nouveau cycle de travail, non plus au Centre Chorégraphiqe National de Rillieux-la-Pape, mais à Toulouse, Maguy Marin et Denis Mariotte inscrivent leur dernière création dans la continuité de Salves leur précédent spectacle: une succession de saynètes telles des réminiscences d’un temps passé entrecoupées de noirs faisant entendre un son sourd, des bruits de pas, et le crépitement incessant tout au long du spectacle d’un disque rayé.

«Nocturnes», à l’image de la radicalité et de l’exigence des dernières propositions de Maguy Marin, est un spectacle sans complaisance pour le spectateur tant le spectaculaire en est absent, procédant par épiphanies successives, redondances subtiles, avec un sens consommé de la mise en scène et de la composition.

Le dispositif scénique est épuré: un plateau noir avec quelques points d’entrées et de sorties sur les deux côtés de la scène, sur le mur du fond de scène neuf chandeliers avec ampoules électriques sont accrochés. Apparitions, disparitions, ré-apparitions forment le corps de cette création. Tout commence avec un homme qui semble dormir affalé sur une chaise, un autre -plus tard- mangera quelques grains de raisin accroupi sur quelques pierres jetées sur le plateau avec fracas, deux jeunes filles se maquilleront tout en parlant français et allemand, essaieront des vêtements, se chuchoteront des secrets à l’oreille à grand renfort d’éclats de rire, un homme et une femme converseront en italien, un groupe d’hommes cherchera à apercevoir un autre groupe de femmes derrière un mur, un père et un fils se déchireront en arabe, une prostituée à perruque blonde alpaguera une autre jeune femme en allemand, une autre parlera en grec, un couple d’amoureux chantera la Llorona. Car«Nocturnes» est tout à la fois une accumulation d’images saisissantes qui naissent et meurent le temps d’un flash, et l’évocation d’une Europe au sens large dont les racines et la culture embrassent tout le pourtour méditerranéen.

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Le rythme est implacable, les saynètes défilent les unes à la suite des autres ponctuées par ce noir oppressant et ces bruits de pas qui semblent se déplacer en rangs serrés pour ensuite se perdre. Le spectacle égrène les jours et les heures. Le temps passe. Un siècle se termine et les gens fuient encore et toujours les ravages de leur époque. Petit à petit, des cailloux sont jetés sur scène, puis disparaissent pour finalement réapparaître toujours plus nombreux. Nous vivons sur des ruines qui voudraient s’effacer et qui pourtant s’accumulent sans cesse. Ce que nous avons tenté de reconstruire retourne inéluctablement à l’état de ruine, et s’accumule sous nos pieds, à l’image de cet homme mangeant son raisin une fois, et qui reviendra manger plus tard un sandwich avec un coca : le temps file, les ruines s’accumulent.

Dans un certain sens, nocturnes semble se présenter comme la copie conforme de Salves, les lecteurs de bandes magnétiques en moins, la parole des interprètes en plus. Dans un certain sens seulement puisque malgré une continuité évidente entre les deux spectacles, Maguy Marin et Denis Mariotte vont plus loin, tendent à rejoindre notre époque. Les interprètes habitent chaque instant d’une présence intense et simple à la fois, le geste quotidien renoue avec le fil d’une Histoire qui dépasse chaque individu. On sait tout l’intérêt que la compagnie porte aux grands textes poétiques (De rerum natura d’Ovide dans le spectacle Turba, l’Iliade d’Homère dans Description d’un combat), dans «Nocturnes» une place leur est donnée avec justesse.

Les langues de cette création sont l’italien, l’allemand, le grec, l’arabe, l’espagnol. Tout cela fait partie d’un écho, un écho aux relations conflictuelles qui agitèrent ces pays tout au long du XX° siècle, première et deuxième guerres mondiales, berceau de dictatures sanglantes, guerres d’indépendances. Le passé nous ramène inexorablement à des enjeux actuels, extrêmement contemporains. “I am Greece” écrira à la craie sur le mur du fond de scène l’une des interprètes. “I am Tunisia” écrira un autre. La guerre se joue sur les mêmes terrains qu’autrefois, elle a juste un nouveau corps, tels ces visages photographiés, figés, et qui seront examinés régulièrement tout au long du spectacle. Avec nocturnes, les chorégraphes entendent porter une ombre sur notre présent en éclairant le passé. Chaque situation est examinée à un niveau micro (pour utiliser un jargon de sociologue), c’est la dimension ?infra, intérieure, qui est portée à la scène. L’Histoire est celle qui se cache dans les anfractuosités du quotidien ?pas sur les champs de batailles. Il n’est plus temps pour une Iliade recommencée. Le spectateur est plongé dans les «coulisses de l’Histoire», dans l’envers du décor.

Le dispositif sous forme d’épiphanies est très évocateur de cet état d’oubli dans lequel nous nous trouvons actuellement. Un sac de sable est versé sur le sol, l’instant d’après il n’est déjà plus là. Que reste-t-il des traces de nos erreurs? Nous sommes témoins, et pourtant incapables de tirer les leçons qui s’imposent. Chaque action nouvelle de notre contemporanéité n’est qu’une copie quelque peu modifiée d’une action antérieure. L’humanité a les deux pieds engoncés dans un «éternel recommencement». Il nous faut en finir avec le XX° siècle, semblent-ils vouloir nous dire, même si ce siècle déborde encore sur le suivant. Le nôtre. Le constat est pessimiste, mais lucide. Et voici ce qui fait tout l’intérêt de nocturnes ?même si d’aucuns pourraient regretter une trop forte ressemblance avec Salves? cette façon de confronter l’Histoire du XX° siècle avec celle du XXI° siècle, de la placer termes à termes avec les données politiques et géographiques d’une Europe jadis à feu et à sang, et qui achève de mourir à petit feu, devant nos yeux résignés, dans une guerre que la finance livre aux populations de la «Zone» comme la nommerait un Mathias Enard.

Dans la répétition, dans l’accumulation et la redondance, nocturnes peut aussi bien fasciner qu’agacer. Maguy Marin, Denis Mariotte et tous les interprètes sont là où on les attendait, mais vont plus loin, visent à l’après, et c’est peut-être cela la réponse de l’art à la déréliction actuelle.

Nicolas Lehnebach.

« Nocturnes » de Maguy Marin et Denis Mariotte à la Biennale de Lyon du 19 au 25 septembre 2012. Dates de la tournée: ici.

Crédit photo: Christian Ganet.

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ETRE SPECTATEUR

Nicolas Sarkozy: «Fini. C’est fini. Ça va finir. Ça va peut-être finir.»

A quelques jours du second tour, je ne résiste pas à publier l’article que j’avais écrit au lendemain de l’élection présidentielle de 2007. Ce texte est cruellement d’actualité?

A Peggy, Smaïn, Alain-Marc, Igor, Marie-José, Evelyne, Sabine, Claire, Sylvie, Christian. A Ariane M. A François B. A Ségolène R. Pour Maguy Marin. 

Oh mes théâtres! Le soleil apparaît enfin après une semaine pluvieuse. La Sainte Baume est rayonnante alors que nous filons vers La Penne sur Huveaune, ville de la banlieue marseillaise, pour assister à l’un des chefs d’oeuvre de Maguy Marin, «May B». En cette veille d’élection, nous avons besoin de luminosité, pressentant le cataclysme du lendemain. Avant d’entrer dans le théâtre, mon ami et moi ne parlons que de cela. Je sens bien que ce contexte pèsera tout au long de la soirée.

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Nous sommes le mardi 8 mai. Je n’ai toujours rien écrit sur «May B». Tout a déjà été dit sur cette pièce majeure. Que puis-je ajouter ? La victoire de Sarkozy m’a sonné. Je pense à Maguy Marin, elle qui en avait « gros sur le coeur” après la crise des intermittents et qui nous l’avait exprimé, un soir d’octobre 2005 en ouverture de la saison du Théâtre de Cavaillon. Je me souviens de sa colère, saine au demeurant, contre cette société du divertissement qui nivelle tout vers le bas. Après avoir été agressé par une partie du public lors d’une représentation d'”Umwelt” («on ne vient pas au théâtre pour se prendre la tête»), elle leur avait répondu par «Ha ! Ha !», oeuvre percutante puisqu’elle interrogeait notre passivité face au rire dégoulinant de nos médias. En ce dimanche de victoire Sarkozienne, Clavier et toute sa clique pérore sur la place de la Concorde, triomphe éclatant de tous ces bouffons qui, sous prétexte de faire rire la société française, l’ont annexée au moins-disant culturel. C’est ainsi que Maguy Marin a pressenti le succès de l’idéologie d’une droite décomplexée.
En ce mardi 8 mai, je pense à elle, à sa compagnie, à son Centre Chorégraphique National de Rieux la Pape, installé au coeur de la banlieue lyonnaise.
Quel décalage entre ce Président «inculte» (qui méprise les artistes  et les «intellectuels») et ce modeste blog, censé m’aider à réfléchir sur mon rêve de divertissement en le transformant en désir d’écriture pour communiquer!

C’est ainsi que le 5 mai, voir «May B» de Maguy Marin, est un acte de résistance, d’insoumission et de rébellion. C’est une oeuvre intemporelle (crée en 1981, elle continue de tourner pour assurer la stabilité financière de la compagnie) : la victoire de Sarkozy n’est alors qu’un petit phénomène au regard du dessein de “May B” qui n’en finira pas d’émerveiller des cohortes de spectateurs.

«May B», c’est le destin de l’humanité sur scène symbolisé par ce groupe d’hommes et de femmes enfarinés qui progressivement, se libèrent de leur animalité pour s’habiller de leurs costumes, métaphore du lien social.
«May B», c’est un jeu d’ombres et de lumières qui éclaire notre conscience sur notre avenir commun.
«May B» est une musique entêtante où l’autonomie se nourrit de liens de dépendance au coeur d’une dynamique groupale.
«May B» donne la force de croire que tout progrès peut devenir universel s’il crée de nouvelles solidarités.
«May B» est une palette colorée de nos petits gestes insignifiants, mais qui, par la magie de l’art (où la danse rencontre l’univers théâtral de Beckett), se transforment en mouvements subversifs libérateurs, loin des codes enfermants de nos sociétés mécanisées.
«May B», ouvre et ferme à la fois, à l’image de cette phrase énigmatique qui fait office de prologue et d’épilogue : «Fini. C’est fini. Ça va finir. Ça va peut-être finir».
Sarkozy est un homme poussiéreux qui feint d’ignorer que le monde ouvert part à sa catastrophe si nous ne remettons pas la culture et nos connaissances sur l’évolution de l’humanité au profit des nouvelles solidarités. « May B » de Maguy Marin est l’oeuuvre qu’il fallait voir pour ne pas se laisser abattre. Elle nous a permis de nous enrichir du sourire bienveillant de Ségolène : on ne peut rien contre la longue marche vers de nouvelles fraternités.
Pascal Bély – Le Tadorne
“May B” a été joué le 5 
mai 2007 à la Penne sur Huveaune dans le cadre du Festival “Danse en mai”.
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PAS CONTENT

Maguy Marin, «may be» not.

La chorégraphe Maguy Marin est en tournée dans toute la France jusqu’en juin. La critique est unanime sur «Salves», spectacle jugé majeur. J’ai rediffusé dernièrement l’article élogieux que j’avais publié en septembre 2010 lors de la Biennale de Lyon. Depuis quelques jours, des amis m’envoient des retours plus mesurés.  Francis Braun, contributeur pour le Tadorne, m’a transmis son regard. À la lecture de son article, je m’interroge. Serions-nous saturés de propos dénonciateurs ? Peut-on aujourd’hui penser une nouvelle société à partir de nos décombres ? N’avons-nous pas besoin d’un bordel poétique pour reconstruire sur d’autres bases (d’où le récent succès de Vincent Macaigne avec «  Au moins j’aurai laissé un beau cadavre »)?

Pascal Bély

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RECOLLER LES MORCEAUX et REMETTRE LE COUVERT?…Par Francis Braun

 On va courir, couvrir, se transformer, se travestir, se dénuder, s’illuminer, s’éteindre, s’asperger, se ridiculiser….À force de tout expliquer, on va se faire chier….et ceci dès les premières quinze minutes. On nous mâche le travail avec ces images convenues et évidentes. Si bien qu’on n’imagine plus. On est à l’école, et à force de nous démontrer, on ne rêve plus. On va finir par s’ennuyer avec ces répétitions qui n’en finissent plus de se répéter. On ne va pas danser, non, on va seulement bouger, courir, sauter, faire du mouvement, gesticuler…On va écouter des bandes-sons hachées….On va regarder à la condition absolue de pas nommer le nom de danse, ni de celui de longue performance.

La description sera facile, mais Maguy Marin nous ment: on tend un fil de part en part de la salle. On fait semblant de choisir des gens au hasard pour le dérouler.

Premier mensonge : ce ne sont pas des anonymes que l’on sélectionne,  mais des danseurs.

Deuxième mensonge: ce sera un fil (est-il imaginaire ?) qu’ils vont se repasser.

À ce moment-là, on réalise la supercherie :….ce fil sera le fil de l’histoire que l’on va dérouler sous vos yeux !

Ouah!!! En voilà une belle prouesse métaphorique (au point où nous en sommes, imaginons une danseuse déguisée en Araignée!)

Maintenant que le spectacle a commencé, sachez  qu’il fait a moitié nuit dans le Pavillon Noir d’Aix-en-Provence…un noir parfois éclairé, éteint à nouveau…ré allumé puis ré éteint…ce n’est pas involontaire, c’est voulu…ce sont des clairs-obscurs, des contrastes….des épisodes, des instants , des impromptus…Mon oeil a du mal à s’habituer à cette lumière séquentielle, utile, mais pas indispensable, surtout fatigante pour ne pas dire lassante.

Aix-en-Provence transformée en “Sons et Lumières” par Maguy Marin.

Maintenant, examinons le contenu…plutôt le contenant…Il va falloir “recoller les morceaux” et “remettre le couvert”…puis entre-temps, faire défiler les strates de la Mémoire.

Tout y passe…tout y trépasse. La Religion, les Papes, les Curés, les Artistes, la Peinture, la Sculpture, les Monuments, la Statue de la Liberté, la Venus de Milo, le Vase de Soissons…

Les évènements tragiques et populaires se succèdent,  le racisme bien sûr, la parodie peut-être, le cynisme certainement…Tout s’éclate, se brise et se sépare. Le désarroi gicle sur les murs; la catastrophe nous tombe dessus.

Elvis se multiplie, Marco Ferreri s’annonce, Fellini s’approche…C’est alors qu’un tout petit Christ rédempteur arrive après la bataille…J’aurais aimé entendre Bashung et son saut à l’élastique…imaginer la figurine se fracasser sur la Table dressée,…

Un effet terrible sur  tragico-burlesque banquet ridicule.

Tragédie ou Comédie? Ce simulacre pseudo fellinien….Nature morte grotesque déguisée….À force de trop dire, on perd toute la poésie. À force d’expliquer, on dilue le contenu.

Avec un peu d’humour et beaucoup de dérision…voilà l’amertume et le regret de ma détestation.

Que j’ai aimé Maguy Marin et son “May B“. Universel.

Je ne digère pas ma déception.

Francis Braun – Le Tadorne

“Salves” de Maguy Marin au Pavillon Noir d’Aix en Provence du 11 au 13 janvier 2012.

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OEUVRES MAJEURES

Fracassante Maguy Marin.

« Salves» de Maguy Marin fut l’événement de la Biennale de la Danse de Lyon en 2010. Dès janvier 2012, sa compagnie part en tournée dans toute la France. Je publie à nouveau l’article que j’avais écrit en 2010 et les dates de ce long voyage qu’entreprennent Maguy Marin et ses danseurs. Ils vont passer près de chez vous.

Sonné. Immobilisé. Traumatisé. Elle ne nous a pas lâchés un instant. Même pas une seconde. Car ce n’est plus le moment de se divertir à partir des ficelles du marketing spectaculaire et faire semblant. Il est temps de recoller les morceaux d’une époque fracassante qui, à force de tordre le sens de l’Histoire, fait de nous des êtres «décivilisés», capables parfois de se laisser séduire par des visions réductrices au mépris de tous ceux qui ont oeuvré pour notre émancipation. La chorégraphe Maguy Marin n’a donc plus rien à perdre. Avec “Salves” sa dernière création présentée à la Biennale de la danse de Lyon, elle trace, car il faut l’énergie du chaos pour continuer sa quête de sens au coeur d’une société où poser LA question vous catalogue rapidement dans le clan des intransigeants. Maguy Marin ne transige pas. Elle occupe le terrain en préférant une scène en travaux aux plateaux dorés qui ensommeillent.

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Dès les premiers instants, les interprètes viennent délicatement nous chercher, comme si nous étions terrés, apeurés, ayant perdu le fil de l’Histoire. Cinq minutes d’une poésie à vous couper le souffle. Avec un fil transparent, ils nous relient et permettent à Maguy Marin de poser son paradigme (une bonne fois pour toute ?): tout est lié, l’art est total et il est grand temps de résister contre celles et ceux qui séparent au nom d’une rationalité abrutissante qui fait mal à l’humanité. Sur le fil, elle provoque le chaos le plus sublime qu’il m’ait été donné de voir afin de (tout) remettre à plat, en hauteur, en diagonale. En nous? Pour cela, elle transforme la scène en territoire pour chorégraphier le théâtre, nous inclure dans la danse, réveiller notre sens de l’Histoire qu’elle projette, comme une cinéaste d’une Nouvelle Vague, sur la toile de nos parois  cérébrales devenues soudainement amovibles! Aux traumatismes provoqués par la folie du monde, Maguy Marin répond en créant un langage «traumatique artistique» qui se passe des mots pour susciter un choc « psychologique ». Pour cela, le son s’approche du vacarme entêtant d’un « cauchemar de folie » ; pour cela, la lumière n’éclaire plus, elle projette.

Les danseurs arpentent donc, torche à la main, ce que nous avons fait là…C’est pire que ce que nous pensions. Mais ne croyez pas à une dénonciation, une de plus, auxquelles nous sommes habitués sur bien des plateaux. Ici, Maguy Marin inclut le spectateur dans la folie du monde. Par touches successives, elle réveille nos peurs enfouies qui font qu’aujourd’hui nous laissons faire, parce qu’enfant, nous avons découvert ce qu’il ne fallait pas voir. Elle va chercher ce qui fait Histoire dans notre histoire. Inutile de préciser que c’est saisissant. Elle interpelle notre lien à la culture qui, censé nous «civiliser», nous assujetti aux modes et fait de nous des consommateurs clonés qui empilent les oeuvres d’art comme nous rangeons la vaisselle dans le placard.

La force de « Salves» est bien là : elle métamorphose notre lien à la scène, seul ressort qu’elle peut actionner pour changer notre rapport au monde et nous montrer ce que notre société du spectacle, plongée dans le consumérisme le plus abject, nous empêche de voir. L’époque est folle parce que nous ne sommes reliés à rien. Même pas à l’art dont nous baladons les symboles, détournons les oeuvres à des fins marchandes où la vitesse de consommation des biens culturels prime au-delà du sens qu’ils incarnent. Pendant ce temps, les corps souffrent, les victimes disparaissent de notre champ de vision. Pendant ce temps, l’événementiel chasse l’Histoire et nous voilà immergés dans le groupe anonyme prêt à nous foutre sur la gueule en attendant qu’un dieu suprême vienne nous sortir de ce merdier.

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Alors Maguy Marin repart au combat et nous enrôle en repassant la bande-son et les images d’un vieux film, connues de tous, celui de la Résistance ; celui de ces petits gestes intimes du quotidien dont la portée politique est immense. N’attendez pas un bouquet final heureux. On n’est pas au spectacle ici ! Bombez le torse, accueillez ces salves. Elles vont vous transpercer et vous donner la force de tendre le fil qui vous relie à l’Histoire et «civiliser»votre regard posé sur le corps.

Car le corps est politique. Il est notre statue de la liberté.

La torche vivante de la fraternité.

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Salves” de Maguy Marin à Biennale de la Danse de Lyon du 13 au 19 septembre 2010.

Crédit photo: Christian Ganet.

 

Les dates de la tournée:  

6 janvier 2012 au Théâtre la Passerelle – Gap
10 janvier 2012 au Théâtre de l’Archipel – Perpignan
12, 13 et 14 janvier 2012 au CCN de Aix-en-Provence / Ballet Preljocaj – Aix-en-Provence
17 janvier 2012 au Cratère, scène nationale – Alès
20 et 21 jan
vier 2012 au Merlan scène nationale – Marseille

24 janvier 2012 à La scène nationale de Cavaillon – Cavaillon
31 janvier 2012 au Théâtres en Dracénie – Draguignan

3 et 4 février 2012 au CNCDC de Châteauvallon – Ollioules 

7 février 2012 au Centre Culturel Agora – Boulazac
9, 10 et 11 février 2012 au Théâtre de l’Union – Limoges
14 février 2012 au Théâtre Le Liburnia – Libourne
17 et 18 février 2012 au Manège de Reims, scène nationale – Reims
21 et 22 février 2012 au Théâtre d’Orléans, scène nationale – Orléans
24 février 2012 à La Faïencerie, scène conventionnée – Creil

2 mars 2012 à La Passerelle, scène nationale – Saint Brieuc
6, 7 et 8 mars 2012 au Lieu unique, scène nationale – Nantes
14 mars 2012 à L’Arsenal – Metz
16 et 17 mars 2012 au Maillon / Théâtre de Strasbourg,scène européenne – Strasbourg

21, 22 et 23 mars 2012 au Théâtre National de Bretagne – Rennes
27 mars 2012 à l’Hippodrome, scène nationale – Douai
30-31 mars et 1er avril 2012 à l’Opéra de Lille – Lille

3, 4 et 5 avril 2012 Le Toboggan en partenariat avec la Maison de la danse de Lyon – Décines
10 avril 2012 à L’apostrophe scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise – Cergy
13 et 14 avril 2012 au Théâtre Auditorium de Poitiers, dans le cadre du Festival [à corps] – Poitiers
17 et 18 avril 2012 à la Scène nationale Petit-Quevilly/Mont-Saint-Aignan – Le Petit-Quevilly
20 avril 2012 à Dieppe, scène nationale – Dieppe
24, 25 et 26 avril 2012 à La Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche – Valence
30 avril 2012 à L’estive, scène nationale de Foix et de l’Ariège – Foix

6, 7, 8 et 9 juin 2012 au Théâtre Garonne – Toulouse

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

À l’École d’Art d’Avignon, les retours pacifiques des spectateurs illuminent Maguy Marin.

Maguy Marin est au rendez-vous, avec tous ses danseurs. L’École d’Art affiche complet pour cette rencontre inoubliable. Alors que la dernière représentation de « Description d’un combat » dans le Festival d’Avignon approche, le public présent fait preuve d’un beau regard critique. Une heure d’échanges qui permet à Maguy Marin et à son collectif de se poser, d’écouter, loin de Paris et des grandes métropoles.

C’est précisément du public dont il est question dès le départ. « Comment expliquer la violence de certains spectateurs pendant ou  à l’issue des représentations ? ». Ces comportements ont longtemps « abasourdi » Maguy Marin : « pourquoi cela déchaîne-t-il du terrible ? ». Il se trouve que le public se ressent « expert » en danse et ce statut lui donne de l’assurance. « Le prix du billet lui procure des droits ». Il y a donc « une responsabilité partagée entre artistes – public- directeurs de salle dans cette violence qu’il nous faut travailler ». Une spectatrice avance une autre hypothèse : « Le jour où je me suis demandé « quand est-ce que cela commence » à propos d’Umwlet, j’ai commencé à m’interroger. Vous n’êtes jamais sur le consensus et cela nous oblige à changer de regard ». Or, c’est ce changement qui provoque la tension, la rage. Il en est un autre, tout aussi brutal : « Aujourd’hui, le problème,  c’est le cloisonnement. Pourtant, ce qui relie les disciplines, c’est l’Acteur. À Avignon, on apprend tout cela et c’est Pina Bausch qui a commencé cet apprentissage ».

Pourtant, le public et les institutions continuent à cloisonner. C’est une autre sauvagerie. En réponse, Maguy Marin précise : « Il est important que des artistes, des techniciens du jeu, s’emparent d’une parole qu’une norme empêche de prendre  dont celle qui est de permettre à des acteurs étrangers, danseurs de surcroît, de s’emparer d’un texte français  classique ! ». Un spectateur ajoute : « Le public doit cesser de mettre les artistes dans des fonctions. Le combat d’aujourd’hui, c’est lutter contre la spécialisation ».

La force de « Description d’un combat » est d’être au-dessus des cases et de procurer une force étonnante : « La façon dont vous traitez les images fait son effet à long terme. Cette ?uvre est un enchevêtrement de mots et d’images qui m’aide à voir les images de guerre et de combat » ; « Je pourrais en parler autant qu’il a duré…C’est un chant funèbre pour tous les morts et toutes les guerres » ; « La lumière amplifie le sens comme si elle prenait la parole. Nous sommes dans le cheminement avec vous ».

Cette «sauvagerie » du public est bien sûr en résonance avec le sujet de la pièce, rappelé par Maguy Marin : « Il y a des hommes qui se sont engagés pour des causes et ont laissé leurs vies. Aujourd’hui, c’est un gâchis, car nous sommes constamment en guerre. La question est de savoir comment nous vivons avec le passé, la mémoire ? Comment transmettons-nous à notre jeunesse ? ». À quoi un spectateur répond : « Le mot qui me revient au sujet de votre pièce, c’est la sauvagerie. Elle est partout, même à la Cour d’honneur où les spectateurs sont prêts à prendre votre place à l’entracte ! En Europe, on se bagarre tout le temps et l’on se parle mal. Maguy Marin est notre miroir à la différence d’un musée qui n’a pas cette fonction. Vous êtes sans arrêt sur l’invention or, celle-ci est rarement recevable. C’est important que le théâtre s’empare de cette boucherie. Vous y arrivez parce que vous êtes un corps vivant à plusieurs têtes ». Le public relie la danse et le théâtre jusqu’à souligner la « très grande dignité des interprètes : ils parlent de l’horreur sans jamais nous éclabousser ».

Alors bien sûr, on aurait pu attendre que Maguy Marin déclare la paix en toute fin du spectacle, mais cela aurait supposé un autre espace, un autre temps, car « la lenteur du spectacle est l’acception de la violence inéluctable du monde. C’est assumé », affirme un spectateur.

Assumons avec Maguy Marin.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Description d’un combat”, par Maguy Marin 8 au 16 juillet 2009 au gymnase Aubanel dans le cadre du Festival d’Avignon.

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

 

 

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OEUVRES MAJEURES

Au Festival d’Avignon, le public combattant de Maguy Marin.

Ici, la pénombre éclaire, car nous avons soif de clarté. Ils sont neuf à arpenter la scène, à disparaître puis revenir, car le travail est long. Sera long. L’humain a besoin de temps.  A ceux qui attendent du mouvement dansé, je les invite à lâcher, pour une fois. La chorégraphe Maguy Marin n’a plus à répondre à ce type d’injonction.  Moi, je n’ai plus à accepter d’entendre cette paresse de la pensée (« mais ce n’est pas de la danse » !) née d’un imaginaire verrouillé qui laisse faire le « reste » tant que l’on n’a pas eu sa part de gâteau.

Ce soir, « Description d’un combat » me tombe dessus. Ils sont neuf, habités par les textes d’Homère, de Victor Hugo, de Peguy et de bien d’autres, convoqués pour la circonstance afin d’évoquer les combats entre les Argiens (une tribu grecque) et les Troyens. C’est le retour de ces textes mythiques récités par les danseurs comme s’ils déclinaient la liste des horreurs nées de toutes les guerres. Des costumes d’apparat dorés posés sur le sol se mêlent aux tissus rouge sang : cette orgie de couleurs rappelle le magma des doctrines concentrationnaires et des idéologies nationalistes. C’est impressionnant parce que les mouvements des corps les dévoilent peu à peu. En se déplaçant, les danseurs se transforment en étendards et le nationalisme se fait tableau. À ce moment précis, Maguy Marin s’adresse à notre conscience en convoquant le symbolique.

Alors que nous distinguons à peine leurs visages (mais d’où viennent ces voix ?), ils endossent ceux que nous avons ensevelis. À force de croire que l’histoire est un passif, nous ne voyons plus que nous construisons aujourd’hui une amnésie collective. À les voir ainsi, je pense à l’Allemagne et son courageux travail sur la mémoire. À l’opposé de notre pays qui même lors d’un conflit social dans les DOM-TOM, est incapable d’interroger sa mémoire vive.

Ils avancent puis disparaissent parfois dans le noir du fond de la scène. Comme un éternel recommencement.

Des corps, couverts d’armures, apparaissent peu à peu.

Le désastre.

Gorge nouée.

Leurs pas sur le gravier évoquent nos cimetières et la disparition du végétal.

Le génocide.

Tremblements.

Assis, au milieu de ces armures, il déclame un texte de Charles Peguy dont le sens m’échappe. Mais la tragédie m’envahit. De tout mon corps.

Je suis un homme de ce monde. Je suis traversé d’histoires. J’accepte d’en endosser le poids pour ne pas oublier : là-bas, leurs guerres, sont nos insomnies.

Pascal Bély – Le Tadorne.

"Description d'un combat", par Maguy Marin 8 au 16 juillet 2009 au gymnase Aubanel dans le cadre du Festival d'Avignon.
Photos : © Christophe Raynaud de Lage