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Stanislas Nordey plaqué.

Clôture de l’amour” de Pascal Rambert part en tournée. Le rôle principal sera occupé par Stanislas Nordey,”acteur institutionnalisé” qui sera l’artiste associé du prochain Festival d’Avignon .
Indication pour la lecture de cet article : prière d’adopter un débit ferme et sans appel comme lors d’une rupture où il n’y aucune place à la négociation. Les mots en MAJUSCULE signent un haussement de ton. Cette critique est définitive.

De nouveau, un grand décor blanc.
Comme dans « Mademoiselle Julie» par Fréderic Fisbach avec Juliette Binoche.
Le blanc est tendance.
Chez l’un, c’est un loft. Ici, dans «Clôture de l’amour» de Pascal Rambert, c’est une salle des fêtes.
Les similitudes ne s’arrêtent pas là. MAIS JE N’AI PAS LE TEMPS D’Y REVENIR.
Audrey Bonnet et Stanislas Nordey forment un couple. Ils ont trois enfants. Ils travaillent ensemble («notre travail repose sur l’écoute, le regard actif». Probablement des pros de la communication culturelle…).
Ils sont en pleine crise.
Ils vont rompre.


Chacun se tient aux deux extrémités de la salle.
Nous sommes donc invités à la scène, pour deux heures.
C’est LONG.
INTERMINABLE.
Lui-même l’admet à plusieurs reprises. Car «Stan», le sait. Il nous SAOULE. Il devance la critique. Parfait. Car son monologue de quarante minutes est insupportable. Du Stanislas Nordey PUR JUS: avec des «che» dans la bouche, des bras tendus, un corps raide et des génuflexions, chacun reconnaît sa pâte. DU DÉJÀ VU. Mais qu’importe.
Je fais avec.
Au bout de vingt minutes, il joue même avec MES NERFS («je commence à peine»; rires dans le public. Si ce n’est pas DEMAGOGIQUE, cela y ressemble).
Le texte de Pascal Rambert est truffé de métaphores malines sur l’amour. Bien joué. Ça marche, car cela parle à tous.
Elle l’écoute.
Son corps bouge.
Texte et corps. On connaît LA CHANSON. Elle revient à chaque édition du festival d’Avignon par des critiques en mal d’inspiration pour se faire remarquer.
Notre regard va de gauche à droite. C’est nous qui faisons le mouvement. Bien vu. Cela va calmer Armelle Heliot du Figaro.
Pause.
Arrive un imprévu. Je ne raconte pas. Je FULMINE que l’on puisse DETOURNER de son sens un si beau texte.
On change maintenant de côté.

Audrey attaque.
Elle est MAGNIFIQUE.
Elle dit à Stanislas Nordey tout ce que JE PENSE DE LUI depuis des années.
Elle adopte ses postures, à croire que c’est LUI qui a fait la mise en scène.
«Une séparation, c’est un théâtre» lui balance-t-elle. Elle ne croit pas si bien dire.
Je l’encourage de toutes mes forces.
Elle poursuit jusqu’à lui jeter : «MAIS C’EST QUOI CE NOUVEAU LANGAGE?» faisant référence aux métaphores de la première partie.
Elle continue : «C’EST L’INTERIEUR QUE L’ON VOIT BOUGER SUR LA PEAU ».
Bien vu.
Elle attaque encore.
Il se décompose.
BIEN FAIT.
«Tu n’aimes que toi, Stan».
EXACT. Je l’ai toujours pensé notamment dans «Ciels» de Wajdi Mouawad où, en 2009 au Festival d’Avignon, il avait SACAGE cette pièce pourtant joliment écrite.
«BON COURAGE POUR TE RETROUVER», «L’IMAGINATION EST BORNEE A CE QUE L’ON VEUT CROIRE», poursuit-elle. Une vraie leçon d’acteur et d’humilité.

Et puis, l’estocade finale : «DANS UNE RUPTURE, ON NE S’ALIGNE PLUS SUR LA PAROLE DE L’AUTRE». Les différents partenaires au théâtre de Stanislas Nordey ont dû apprécier. Merci pour eux.
Arrivent les gosses. L’aîné leur demande : «mais de quoi avez-vous parlé?». La VERITE vient décidément toujours de la bouche des enfants.
Ouf, pour le final, on nous épargne les oreilles de lapin, mais pas le truc en plumes.
Je clos ici ma relation avec Stanislas Nordey. C’est TERMINÉ. Avec Pascal Rambert, probablement aussi tant qu’il sera AVEC LUI. Je suis assez exclusif dans mes relations.
Maintenant, il y a Audrey Bonnet. Mon héroïne.
Pascal Bély – Le Tadorne.
“Clôture de l’amour” de Pascal Rambert au Fesitval d’Avignon du 17 au 24 juillet 2011.

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS

pascal.rambert.com

De nombreuses institutions culturelles ont une politique offensive de communication. Elles produisent plaquettes, se positionnent sur les réseaux sociaux de l’internet, ouvrent des comptes sur Youtube ou Dailymotion. Elles produisent des petits films vidéo promotionnels, souvent joliment bien faits. Mais que véhiculent ces supports? Est-il possible d’exercer un “arrêts sur images”, à moins que l’exercice ne soit vain? Premier exemple avec une vidéo postée sur la page Facebook du Théâtre de Gennevilliers dirigé par Pascal Rambert. Quatre minutes et dix-huit secondes qui ont suscité une réaction critique de Pascal Bély, du Tadorne. Un débat s’est alors engagé (dont nous vous proposons une synthèse, puisqu’il s’est engagé avec de nombreux interlocuteurs) avec Neige Mélanie Chereau (metteuse en scène et blogueuse théâtre), Gilles Groppo (comédien et assistant à la mise en scène de Pascal Rambert sur sa dernière création) et Pierre-Jérôme Adjedj auteur et metteur en scène. Au cœur du débat: que révèlent la forme et le fond de cette communication institutionnelle?

Pascal Rambert dans le film: Le théâtre de Gennevilliers, un lieu simple, pas prétentieux…je crois que c’est le futur des lieux comme çà, des lieux ouverts, chaleureux, où on se dit que si on n’y va pas, on a raté quelque chose…et ça peut être super agréable d’y passer du temps…c’est là dessus que je travaille, sur le désir, toujours je travaille sur le désir

Pascal : Et des lieux qui n’ont pas besoin des ficelles de la com. pour susciter le désir!

Neige Mélanie: devant la profusion d’information, il est normal que les lieux culturels  utilisent les mêmes ficelles que les autres pour se faire connaître. C’est de bonne guerre…

Pascal: Si je prends au pied de la lettre ce que tu écris, c’est à désespérer des artistes. Ils n’ont pas à utiliser les ficelles qui enferment la pensée (que je sache, la communication, c’est de la propagande) mais au contraire, ils doivent les transcender! Dans cette vidéo, on peut enlever TDG et le remplacer par un lieu de consommation. L’effet est le même. Cette vidéo me désespère, car j’ai besoin que les artistes résistent. Et non qu’ils se fondent dans un moule qui, de toute façon, n’est pas fait pour eux.

Neige Mélanie: je comprends bien. Franchement on ne peut qu’être d’accord avec ce que tu dis. Mais à ce moment-là on arrête les affiches et les tracts… et c’est terminé. On est bien obligé aussi de se battre avec les armes de son ennemi parfois… On peut aussi voir ça comme un acte de résistance.

Pascal : ce n’est pas sérieux! Ce film n’est en rien un acte de résistance. C’est de la publicité. On peut aussi arrêter les affiches et les tracts et travailler les réseaux à partir d’une communication sur le sens et les valeurs.

Neige Mélanie: Le réseau c’est aussi une manière de ne jamais rester qu’entre soi. Or, j’aime la politique d’ouverture de Gennevilliers qui essaye de faire venir au théâtre des gens qui n’y vont pas… Mais ce n’est pas un film destiné aux Parisiens… le T2G communique énormément avec le public de Gennevilliers, mais il est utopique de penser que ça suffit. Il faut buzzer pour que les choses se fassent connaître dans le brouhaha d’infos. Et ce genre de film est adressé à tous, les franciliens et les autres… Après il sera toujours temps de créer du buzz avec des objets artistiques, et c’est le cas avec ces photographes et auteurs invités à créer autour de Gennevilliers et de ses habitants.

Pascal : A quoi sert cette énergie pour communiquer ainsi, alors que tout le monde sait que c’est insuffisant pour faire venir du public? Ce clip, n’est-il pas un objet “narcissique” où le TDG se fait du bien, se renvoie un beau miroir. Peut-on en 2010 résumer un théâtre à son dirigeant ? Un théâtre c’est une équipe, des réseaux, des spectateurs: ils sont cruellement absents dans ce film. C’est un film qui reproduit le schéma vertical du pouvoir et nous empêche de voir et de penser les horizontalités. Ce clip n’est destiné qu’aux tutelles. On instrumentalise la communication vers les spectateurs à d’autres fins. D’autre part, Pascal Rambert nomme dans ce film des processus, comme s’il voulait se convaincre lui-même de leur validité. À titre d’exemple, ai-je besoin de communiquer sur la confiance si j’ai confiance en vous ?

Gilles: Et si vous arrêtiez de critiquer les directeurs qui osent encore nous proposer des programmations aussi variées, et qu’enfin vous vous concentriez sur ce gouvernement qui ne cesse de baisser les subventions. Proposer une telle diversité est un challenge auquel peu de directeurs s’essaient de nos jours avec des budgets aussi faibles.

Pierre-Jérôme : pitié, arrêtez de tous sortir l’argument budgétaire à chaque fois qu’il y a polémique : c’est vraiment devenu un bouclier anti-discussion dans tout le monde culturel français. Chaque critique se termine par “c’est ça, continuez, de toutes les façons bientôt on sera morts, et vousaurez tout gagné”! Figurez-vous que je connais plutôt bien tout ça : je suis en train de monter une production, et c’est tout sauf facile en dépit de partenaires assez sympathiques. Mais comme je suis par ailleurs entre Paris et Berlin, la différence sur le ratio créativité/moyen est tellement frappante que je trouve indécent de se plaindre!

Gilles: Le théâtre de Gennevilliers est devenu un lieu ouvert et chaleureux, le public rajeuni augmente chaque année, c’est un lieu unique par sa conception et qui nous propose des artistes de tout horizon qui sont de vrais créateurs ! Si vous êtes si malin, trouvez-nous de vraies solutions pour amener de l’argent !

Pascal: Gilles, est-ce possible de poser le débat là où il est ? Je réclame le droit à la critique, et cela n’entache en rien la qualité de la programmation du théâtre de Gennevilliers. Le pouvoir en place rêve de ce type de vidéo, où le théâtre est une “marque”, au même titre que d’autres services publics. D’autre part, la personnalisation du pouvoir politique entre en résonance avec ce film où l’on n’entend que “je”.

Gilles: cher Pascal, posons le débat calmement, je suis d’accord… Le théâtre se meurt ! Pourquoi ? Parce que c’est un art qui n’est plus médiatisé, parce que c’est un art dont on ne parle qu’au sein d’une communauté de plus en plus restreinte…Qui descend encore dans la rue pour défendre nos droits? Se servir aujourd’hui des mêmes moyens de communication me paraît tout simplement vital, et cette vidéo ne me choque en rien, je préfère parler du contenu de la programmation, c’est tout…Encore une fois, Pascal, ne nous trompons pas de débat et conservons nos forces pour la bonne cause !

Pierre-Jérôme : Je rejoins Pascal sur le fait que ce film est une forme d’auto-promo assez narcissique. Rambert dit : “un lieu simple et pas prétentieux”, c’est comme les gens qui s’autoproclament “généreux”, “bons”, charitables” etc. je trouve toujours ça un peu curieux et décalé. Et effectivement, où est l’équipe, où est le public, où sont les gens sinon à travers le prisme des œuvres produites? Je suis toujours extrêmement circonspect sur les personnes qui proposent un projet de proximité, de simplicité et de décloisonnement et qui se sentent tout de même obligées de le crier sur les toits, au-delà de leur périmètre d’action. Cela soulève trois hypothèses, dont aucune n’est exclusive de l’autre : la première, c’est que Rambert ne croit pas tout à fait à ce qu’il dit. La deuxième c’est qu’il ne peut pas se contenter de la réalité du projet (et des difficultés inhérentes à cette ambitieuse et louable entreprise), pas assez belle à l’oeil parisien; il lui faut donc maîtriser son image en produisant un beau film auto-célébrant la générosité de sa démarche. La troisième, c’est que ce film est destiné au Ministre de la Culture et aux diverses tutelles…

Gilles: Vous rendez compte de la difficulté de faire venir le public parisien à Gennevilliers? Pascal Rambert a réussi a transformé un lieu froid et vide, en un véritable lieu de rencontre et un espace chaleureux … Montrer que ce lieu est unique par sa conception n’est pas à négliger !

Pierre-Jérôme : Certes Gilles… Pour être venu au T2G avant Pascal Rambert je ne peux que confirmer que le lieu a été pris “à bras le corps”, et de façon tout à fait pertinente. Et concernant le projet, d’accord aussi : même si personnellement j’avais été agacé par le rapport aux amateurs dans “la micro-histoire”, ça ne m’empêche pas de reconnaître la validité globale du projet, qui détonne effectivement par rapport à pas mal d’autres théâtres…Vous parlez de la difficulté à faire venir le public de Paris ? Est-ce un but en soi ? Le public de Gennevilliers et ses environs ne vous suffit pas ? Ces foutus Parisiens n’ont pas besoin qu’on leur déroule le tapis rouge : ce serait tellement préférable qu’ils entendent le “bruit” qui gronde à Gennevilliers, sans com’ tapageuse, et qu’il se dise “mince, je suis en train de louper un truc, ou bien…”. Je suis peut-être un peu extrémiste, mais je me dis que le public du coin a mérité d’être le centre du monde (ce qui se produit apparemment dans le réel).

Neige Mélanie: mais voyons, ce n’est pas un documentaire sur Gennevilliers ou un court métrage artistique…! C’est un film sur le théâtre et ses activités. Et personnellement la présence de Rambert ne me dérange pas, car cela donne une image intime personnelle et accueillante du théâtre. Cette personnalisation n’est pas sans rappeler ce que font les Américains. D’ailleurs, ce film n’est-il pas destiné à l’étranger? Pour cela il faut faire quelque chose d’assez simple aussi, de clair et présentable.

Gilles: Aujourd’hui, le véritable problème aussi touche la difficulté de faire vivre sur la durée un spectacle dans le monde de l’art contemporain propre à faire vivre les artistes qui se défendent tant bien que mal depuis 2003… Nous autres, artistes de surcroît, ne sommes jamais cités ou mis en avant et les spectacles se construisent sur le nom du metteur en scène ou du chorégraphe et il devient de plus en plus très difficile de survivre…

Pierre-Jérôme : Pourquoi ne pas faire un film qui fasse la part belle aux gens dont parle Rambert ? Pourquoi ne pas concevoir des objets filmiques étranges, pourquoi pas sous forme de série, qui mette en scène ce qui se joue, dans tous les sens du terme, au T2G ? Ca ça créerait du buzz, interpellerait le parisien, qui se dirait tout à coup “et moi alors, on ne m’a pas invité ?”. Sous cet angle, le T2G se poserait en “place to be”, sur la base d’une réalité exposée de manière créative; et le mélange dont tu parles se ferait sur une base pour une fois équitable, les parisiens venant enfin en banlieue sans leur casque colonial. Or, que voyons-nous là? un film dont le titre pourrait être “Rambert, ce héros” (tu apprécieras le jeu de mot j’espère :-) ), où il se montre, se surmontre. Ceux qui connaissent PR assurent que c’est quelqu’un de simple, étranger à toute vanité. Soit, mais alors, il s’est fait avoir par les personnes qui ont tourné ce film ! Car ce truc trimballe dans son inconscient tout ce qui me fait dire qu’il est tourné vers les Parisiens et les tutelles…

Gilles: “un film qui fasse la part belle aux gens dont parle PR “, existe déjà et sous différentes formes… Que dire des films qui sont tournés in situ à Gennevilliers, avec des gens de Gennevilliers…Que dire des Ateliers d’écritures ouverts à tous les gens de Gennevilliers gracieusement… Que dire des multiples spectacles où on a vu des gens de Gennevilliers présent sur scène et il y en aura d’autres très bientôt (et croît moi leur témoignage est poignant)… Enfin tout ça !

Pierre-Jérôme :  pardonnez-moi, mais le film produit une impression inverse de la réalité que vous décrivez.Vous dites “oubliez un peu l’homme”, mais comment faire à la vision d’un film Ramberto-centré ? À mon avis, le film ne raconte pas votre travail, il fait vitrine, de la manière la plus classique qui soit.

Pascal: ce débat pose pour moi une question essentielle. Peut-on longtemps enfermer le lien spectateur –structure culturelle dans  une approche de la communication de masse?  Je reconnais à Pascal Rambert de louables efforts pour ouvrir ce lien. Mais ce “clip” est venu annuler la représentation que je me faisais de ce théâtre. Tout change parce que rien ne change! J’aurais presque envie de lancer un défi aux structures culturelles: baissez de moitié vos budgets communication et développez vos relations humaines. Car le théâtre n’est pas une marchandise. C’est parce que les structures changeront le lien, que la relation avec le politique évoluera. Sinon, elle est condamnée durablement à se fossiliser dans un schéma infantilisant.

Merci à Neige Mélanie, Gilles et Pierre-Jérôme pour leur participation à ce débat et d’avoir accepté sa retranscription sur le Tadorne.

 Pascal Bély – Le Tadorne

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Pascal Rambert à l’économie.

Les « amateurs », vous, moi, avons le vent en poupe. Nous abreuvons internet de notre créativité, de notre réactivité ; nous tissons les liens sociaux via le réseau associatif et le secteur mutualiste. Le « réseau invisible » remet de l’interaction et des valeurs au coeur du système économique et d’un corps social éclaté par la perte des repères. Nous inondons les « verticalités descendantes » de visions chaotiques obligeant les institutions à revoir leur modèle industrialisé de la relation.  L’auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre de GennevilliersPascal Rambert,  a compris ce mouvement de fond d’où des formes théâtrales « hybrides » qui déboussolent souvent, intriguent, agacent. Sa dernière création « une (micro) histoire économique du monde, dansée » n’échappe pas à la règle avec quatre acteurs, un philosophe (Eric Méchoulan), 26 participants aux ateliers d’écriture du théâtre et 21 choristes de l’Ecole Nationale de musique de Gennevilliers. Les codes traditionnels de la représentation sont ainsi bousculés (démocratie participative ? formation du spect’acteur ?…)1.

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Tout serait donc dans le titre. Comment appréhender l’histoire économique en quatre-vingt-dix minutes en articulant le micro et le macro, le texte et le corps, l’amateur (éclairé !) et l’acteur professionnel, le philosophe (celui qui donne le sens) au théâtre (ce qui fait sens) ? Cette scène gigantesque dans sa profondeur est l’immense toile de l’économique, du social et du culturel ! A nous de tisser.

L’économie est une interaction entre « le corps » au travail et son environnement (d’ailleurs, un chorégraphe ne serait-il pas plus pertinent dans certaines analyses qu’un économiste ?). Alors que les « travailleurs » reproduisent les gestes de l’économie où se dessinent les flux d’échanges des matières et des savoirs, la danse de Pascal Rambert redessine joliment l’espace. L’histoire économique nous apprend donc que le corps et nos façons de communiquer sont isomorphes avec le système. Cette partie du travail de Pascal Rambert est souvent émouvante et sensible, mais vite « rationalisée » par les interventions « écrites et ré-improvisées » d’Eric Méchoulan. Il nous perd dans ses explications, joue à l’acteur  pour illustrer son propos, met fin à l’interaction avec les amateurs jusqu’à les faire disparaître et occuper la scène à lui tout seul (belle image de son impuissance ?). Il réduit l’espace métaphorique avec le langage du savoir descendant pour nous dire ce que nous devons voir.

Le tableau sur la crise des subprimes moque une famille américaine qui agonise et caricature ses comportements. Les corps des acteurs et des amateurs peuvent bien glisser à terre pour mourir,  mais par quel processus ? Suffit-il de créer l’image pour donner du propos ? Cette scène symbolise à elle seule ce qui ne fonctionne pas dans cet ensemble : des professionnels qui caricaturent, un philosophe qui s’impose, des amateurs qui illustrent. Quelle est donc la place du metteur en scène ? Il propose le tableau, mais assume-t-il le point de départ de sa pièce à savoir sa colère, son émotion contre le système économique qui a généré la crise financière ? Il anime un « théâtre participatif », mais feint de ne pas en être le leader. À force de superposer les langages, on s’éloigne du « noeud » de la rencontre, de la turbulence qui nous permettrait d’articuler l’histoire avec la crise actuelle du système. Or, Pascal Rambert ne s’aventure pas sur le global et donc sur sa vision d’artiste. Il empile. C’est exactement comme cela que l’on nous parle d’économie aujourd’hui : de case en case.

Ce théâtre a les ressorts du changement systémique (en s’appuyant sur la base, en croisant les savoirs, en ouvrant la communication) mais il ne fait que renforcer la vision cloisonnée qui a généré la crise financière. Pour s’effacer, Pascal Rambert enferme le philosophe dans sa « leçon illustrée » de l’histoire, case les amateurs dans une très belle figure où peuvent résonner leurs pratiques, place ses acteurs dans des saynètes ridicules.

Ce n’est pas la première fois que je constate ce processus où les amateurs sont ainsi mis à contribution au service d’une réduction de la vision (doit-on y voir une nouvelle économie de la culture ?). Michael Marmarinos en avait convoqué une centaine à Bruxelles pour  « Dying as a contry » sur la période de la dictature en Grèce. Fréderic Fisbach dans la cour d’honneur du Palais des Papes avait effeuillé René Char dans la même proportion. La chorégraphe Mathilde Monnier avec « City maquette » redessinait la ville en chorégraphiant les interactions avec une cinquantaine de participants de tous âges. Chez Pippo Delbono dans « Enrico V », l’amateur fait corps avec l’acteur pour transcender et émouvoir. Quant à Christophe Haleb et Roger Bernat, ils transforment la scène (place publique, hôpital, …) en agora où le spectateur est l’acteur. A chaque fois, le nombre est imposant (métaphorisé par la file indienne, le choeur, ?), la scène déployée dans un espace profond où l’on circule. On s’appuie sur les pratiques artistiques des amateurs pour créer des synergies parfois intéressantes avec les professionnels : le « sensible » trouvant un prolongement dans le statut de l’acteur pour le mettre à distance. Il y a un désir d’impressionner, de sidèrer pour amplifier le sens. C’est une prise de pouvoir sur l’imaginaire. La plupart du temps, le metteur en scène mise sur la dynamique des interactions entre amateurs et professionnels au détriment d’un propos assumé. Or, le nombre de ces propositions « participatives » n’a rien changé à la place du spectateur dans l’économie de la culture enfermée dans le lien consommateur-producteur et au statut de l’artiste dans notre société. Je crains que le travail de Pascal Rambert s’inscrive une nouvelle fois dans ce processus.

La pièce va tourner en région et s’ancrer sur des territoires. Elle pourrait évoluer à condition que la mise en scène incarne (sans le discours) une philosophie de l’histoire économique. Pour cela, Pascal Rambert ne pourra pas faire l’économie d’être un artiste visionnaire, quitte à lâcher sur les concepts innovants dont il est le promoteur.

Pascal Bély, www.festivalier.net

(1) Avant d’entrer dans la salle, on nous tend un questionnaire pour sonder notre profil de spectateur : des cases, rien que des cases et toujours les mêmes questions d’un théâtre à l’autre où nous n’avons jamais le retour sur nos réponses. Pour mieux nous connaître, les lieux culturels utilisent les outils des sociétés de services. L’économie de la statistique se porte donc bien. C’est ce que l’on appelle « la culture » du chiffre. Dans les escaliers, une classe de terminale fait du bruit. La salle est quadrillée par le personnel d’accueil (sait-on jamais !). Je m’assois à côté de ces élèves, mais je peine à identifier la finalité de leur « sortie ». Avant même que le spectacle commence, je me questionne : le théâtre peut-il être un lieu d’interactions et de circulation des savoirs, à partir de quelles valeurs partagées ? Cette (micro) histoire économique peut-elle le repositionner au coeur de l’économie de l’immatériel?

“Une (micro) histoire économique du monde, dansée” de Pascal Rambert en collaboration avec Eric Méchoulan. Au Théâtre de Gennevilliers du 8 au 22 janvier puis du 9 au 20 février 2010. En tournée en région pour la saison 2010-2011.

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Pascal Rambert coule le Festival d’Avignon.

En ce dimanche caniculaire, le déluge vient de s’abattre sur Avignon. Pascal Rambert y présente « After / Before », une création très attendue (les places s’arrachaient sur le parvis !). Au départ de cette œuvre, une question très linéaire que Rambert pose à des terriens au hasard de ses rencontres à travers le monde: «En cas d’une grande catastrophe, d’un nouveau déluge , qu’emporteriez-vous surtout du monde d’avant pour le monde d’après ?». A cette question d’une paresse intellectuelle effroyable, les terriens s’efforcent de donner des réponses complexes, drôles, réfléchies, percutantes, jamais ennuyeuses au cours d’un film projeté au début du spectacle. On y entend les réponses intelligentes d’Olivier Py et de Christine Angot. Une jeune fille souligne tout de même que l’on ne peut prendre un élément en dehors de son contexte ; Olivier Py évoque l’impossibilité d’isoler un élément d’un tout (à croire qu’ils ont tous lu Edgar Morin !). Une femme émouvante parle du temps à ne plus perdre, de la communication à ne plus disqualifier. Bref, ces terriens sont formidables ! Ils sont tous porteur d’un tout, d’une globalité. Ce film est un petit bijou ; la pièce aurait pu s’arrêter là et ARTE aurait signé pour le diffuser au cours d’une Théma !

Mais Pascal Rambert a une toute autre idée de la question et des réponses (après tout c’est son droit). Son point de vue consiste à recycler les paroles des terriens! Pour cela, il démonte les paroles , coupe, remonte à sa guise. Les jeunes comédiens sont isolés chacun dans une rangée où trône à la fin une personne plus âgée. Les deux générations essayent bien de communiquer, mais en vain (on est loin de« Trois Générations » de Jean-Claude Galotta). Tout est cloisonné, les paroles sont isolées de leur contexte (seule la Télévision sait faire aussi bien !), voire disqualifiées (la réponse d’Olivier Py est ridiculisée). Un chien sur le plateau fait diversion et amuse un public manifestement désemparé pour en rire !

Non content de s’en tenir à cette première relecture des « terriens », Rambert nous remet le couvert avec une mise en musique et donc en paroles ! Et là, l’apocalypse, le vrai déluge de Rambert sous nos yeux…Les comédiens chantent faux, dansent comme à l’école primaire, se déguisent pour un carnaval funèbre. Des cris fusent du public (« Rendez-nous le chien »!);  j’ai honte de cette création et pitié pour ces comédiens ! A sa propre question, Rambert n’emporte même plus les paroles des terriens et engloutit la création du festival d’Avignon dans un océan de ridicule….

A la fin du spectacle, je suis  sonné pendant une bonne heure…J’ai apposé une affiche au cloître Saint Louis, siège du Festival : « Pascal Rambert utilise la parole des spectateurs. Reprenons-là!»

Je me suis imaginé Jan Lauwers, le fabuleux créateur de « La chambre d’Isabella » répondre à la question de Rambert. Il en aurait fait une ode à la joie, avec  Olivier Py comme vainqueur!

A vous de voir…Rambert et sa troupe squatte le Théâtre de Gennevilliers les 18 et 19 février 2006…Préferez la montagne!

Pascal Bély.