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PAS CONTENT

A fond la forme.

En 2011, alors que tout bascule et se bouscule à la vitesse d’un battement d’ailes de papillon, que pouvons-nous attendre du spectacle vivant ? Un propos ? Encore faudrait-il qu’il soit «ré(é)volutionnaire», qu’il cesse de s’agripper à des paradigmes usés. Trop de propositions n’ont «rien à nous dire». Qu’importe, la démarche, le processus artistique sont souvent intéressants et nous permettent  de penser autrement ce que nous figeons par incompétence, impuissance et paresse ! Mais qu’écrire à partir d’un propos appauvri, d’un processus qui lasse?

«Questcequetudeveins?» d’Aurélien Bory pour Stéphanie Fuster est un exercice de style, certes sincère, mais qui ne «transporte» pas. Stéphanie Fuster métamorphose sa danse de flamenco. Vêtue d’une longue robe rouge, elle s’en détache pour la faire danser. Cet autre “marionnette” n’est plus elle. Ce détachement fut souvent le manifeste de danseurs issus du classique qui s’émancipaient de la barre parallèle. Le processus n’a donc rien de nouveau si ce n’est le désir d’inclure le flamenco dans le sillon de la danse contemporaine. On utilise alors «l’installation» (à savoir poursuivre sa mue dans une baraque de chantier, où derrière une vitre embrumée, Stéphanie Fuster change de «peau») pour «performativer» (être enfermée) et finir “transformée” sur une scène où le liquide remplace le sol en dur. À défaut de faire des ronds dans l’eau, la danse jaillit, produit des effets «spectaculaires». Les éclaboussures habitent le  mouvement. Dépendante d’une vision classique du flamenco, Stéphanie Fuster se soumet à une forme qui dénature le fond. Tout change parce que rien ne change !

Avec «Flux» du Théâtre du Centaure, la déception est à la hauteur de l’enjeu : habiter du dedans et du dehors, l’imposant Théâtre des Salins de Martigues, à partir d’une «installation» itinérante où des êtres hybrides (mi-humains, mi-chevaux) poétisent la rencontre. Tout commence par une vidéo spectaculaire où l’homme et le cheval galopent sur la plage tandis que nous sommes debout sur la scène. Totalement enivrant, d’autant plus que les casques audio sensualisent le son. Puis, des coulisses, elle arrive sur son cheval. Débute alors un parcours qui nous mène au dehors, où des poésies caressent les murs, où installés sur des bancs dans la cour, un cheval blanc surgit du hall d’accueil pour une «danse» érotique avec l’homme.

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La traversée se poursuit pour nous perdre définitivement dans la grande salle du théâtre où une longue vidéo nous immerge dans les turpitudes du désir sexuel entre l’homme et le centaure avant que les protagonistes ne l’incarnent en réel sur le plateau. Le travail avec les chevaux est indéniable, mais quel sens peut avoir le moment  où on les fait asseoir dans un fauteuil? Quel est le processus qui nous guide de la vidéo vers la scène ? Suffit-il de multiplier les formes pour créer du fond ? Ici aussi, l’acte performatif (produire du mouvement par la fusion des «corps») masque plus qu’il ne révèle et ne touche pas, ne traverse pas. La «fusion» avec le Théâtre des Salins était probablement le «niveau» à travailler pour y puiser les processus qui auraient permis l’articulation entre le fond et la forme. Mais à prendre le bâtiment comme une «surface», le Théâtre du Centaure n’a pas habité l’espace : il l’a juste occupé.

Pourtant le centaure est une bête de scène.
Pascal Bély – www.festivalier.net
«Questcequetudeveins ?» d’Aurélien Bory pour Stéphanie Fuster à la Scène Nationale de Cavaillon des 17 et 18 février 2011.
« Flux » du Théâtre du Centaure au Théâtre des Salins de Martigues les 18 et 19 février 2011.

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OEUVRES MAJEURES Vidéos

Pierre Rigal et Aurélien Bory au coeur de la surface de réparation.

En quittant Montpellier Danse en fin d’après-midi pour rejoindre le Festival de Marseille, je ne me doute pas encore à quel point la danse est un art de l’emboîtement des contextes ! Il est 17h50 et Fréderic Bonnaud sur France Inter, la gorge nouée, prononce ses dernières paroles au micro alors que son émission culturelle passe à la trappe dès la rentrée. Il évoque la télévision publique de son enfance, parle de son refus de se travestir et de se compromettre face à une Direction obsédée par l’audience et la communication de façade. Il prévient que la radio connaîtra le sort de France 2. Nous avons le même age et je ressens intensément sa colère : sans le Service Public, je n’aurais jamais pu accéder à la culture. Des applaudissements ponctuent son intervention. Salut l’artiste?

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J’entre quasiment essoufflé au Grand Studio du Ballet National de Marseille pour la dernière création de Pierre Rigal et Aurélien Bory, «Arrêts de jeu». Les spectateurs arrivent au compte-gouttes, suite aux bouchons qui paralysent le trafic. En pénétrant dans la salle, je constate que les deux premières rangées sont encore vides, mais réservées pour une « agence-conseil en communication et image de marque » qui sponsorise la soirée. C’est une insulte faite au public et je repense à Fréderic Bonnaud : la loi de la com s’infiltre partout même dans ce petit théâtre?Je rêve que le Festival de Marseille soit une manifestation gérée par le Service Public?Je rêve.
«Arrêts de jeu» s’inscrit dans la culture de Service Public. C’est une oeuvre qui relie pour créer du lien social entre les Français. Elle permet, à son modeste niveau, d’interroger notre histoire commune et individuelle. C’était en 1982, lors de la demie-finale de la Coupe du Monde de football entre l’Allemagne et la France. Alors que notre pays mène par 3 buts à 1, tout bascule quand Battiston est agressé par le gardien de but. La France perdit aux tirs aux buts et j’entends encore les paroles de mes parents (j’avais dix-sept ans) : «salops de boches !». Ils sont donc quatre sur scène (une femme, trois hommes) pour nous rejouer ce moment historique. Pierre Rigal avait neuf ans ce soir-là et incapable de changer le cours du jeu, il dû faire un pas de géant dans le monde des adultes. C’est ce passage qu’il nous restitue avec force, poésie et humour. Il fait danser les rites du football (jubilatoire !), joue avec l’histoire (il métamorphose les joueurs en poupées de tissus, tels nos gros doudous de mômes). Même le panneau lumineux affichant le score devient pluie d’étoiles filantes ou météorites d’une victoire pourtant inéluctable.

«Arrêts de jeu» répare cette blessure narcissique et collective en transformant le terrain en partie de cache-cache entre la toute-puissance de l’imaginaire de l’enfance, la technique du sportif et la réalité de la loi du plus fort. C’est le corps chorégraphié par Pierre Rigal, mis en relief par les effets vidéo et de lumière d’Aurélien Bory, qui est cette surface de réparation, de passage de l’enfance à l’adulte. C’est aussi ce moment privilégié où le football est revisité par la danse, cet art du vivant, si éphémère et fragile, où les commentateurs sportifs omniprésents et tout puissants dans les médias sont métamorphosés en dialoguistes d’une ?uvre chorégraphique qui leur échappe. C’est ainsi que me reviennent les paroles de Michel Hidalgo, entraîneur à l’époque, évoquant la semaine dernière à la radio cette minute où il est entré dans l’histoire. C’était le 26 juin 2007, sur France Inter, dans «La bande à Bonnaud».
Les agences de com peuvent investir les gradins des théâtres. On sait qu’elles veulent aussi contrôler l’image de marque de nos souvenirs collectifs. Penalty.
Pascal Bély – Le Tadorne.