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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Le théâtre reprend racine.

Paris, 21 novembre 2010.

Bruine glaciale.

Le metteur en scène Gwenaël Morin nous accueille à l’entrée de la salle du  Théâtre de la Bastille. Tel un chef d’orchestre face à sa troupe, il donne même les trois coups. Sur la scène, un plateau très étroit en bois, genre podium défilé de mode. Puis, un long drap sert de toile de fond où sont inscrits les rôles, les environnements et la direction. Mieux qu’un GPS, c’est une carte mentale ! La fragilité de l’ensemble contraste avec les murs du lieu. Le tout donne l’étrange impression d’un théâtre monté à toute vitesse comme s’il y avait urgence.

Le public composé de jeunes et de plus âgés est réuni pour ce «Bérénice d’après Bérénice de Racine», un classique parmi les classiques. Comment Gwenaël Morin peut-il nous relier?  Ils sont quatre acteurs (Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Ulysse Pujo; tous exceptionnels) pour endosser les rôles de cette tragédie où deux hommes (Antiochus et Titus) aiment la même femme, Bérénice, reine de Palestine. L’un doit céder sous la pression des habitants de Rome qui refusent à Titus d’épouser l’étrangère, tandis que l’autre (Antiochus) s’apprête à fuir, ne pouvant rien espérer. À trois, ils forment la toile qui finit par nous saisir pendant que que le quatrième (tour à tour Arsace, Phénice, Paulin et Rutile) joue avec une cymbale pour ponctuer les actes et faire résonner la menace, le danger, la raison et la déraison ! 

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Tout me trouble dans cette adaptation et mise en scène. L’espace scénique d’où des gradins surgit parfois Antiochus tandis que le plateau, très proche des spectateurs, n’utilise pas l’espace disponible. Cette oppression spatiale nous inclut dans la tragédie : serions-nous le peuple de Rome, celui qui refuse aujourd’hui l’étrange et l’étranger ?

Comment ne pas être troublé par les costumes…D’un côté Antiochus et son collant probablement prêté par un danseur de chez Cunningham (!) et son torse nu où, tel un tatouage des temps modernes, est gravé «Hélas». C’est le corps qui parle, comme une tentative de marier la langue de Racine avec le langage du théâtre contemporain. Bien vu, d’autant plus que les autres sont en jeans et que Titus arbore une chemise empruntée au Deschiens, fermée jusqu’au dernier bouton. Le contraste entre les corps biologiques, institués, socialisés est frappant et pour tout dire ennivrant.

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Que penser de cette scène en forme de podium où défilent les passions ? Elle crée le mouvement, provoque les cassures et les ruptures (on y glisse pour finir par se vautrer dans le décor). C’est d’autant plus magnifique, que ce bois est prêt à céderà chaque instantsous les coups de boutoir de l’amour et du pouvoir. Le texte réussit par épouser le processus d’ouverture désiré par Gwenaël Morin : relativement ardu au départ, il se craquelle, se réduit (la durée de la pièce en témoigne, à peine une heure et dix minutes), s’avance lui aussi vers nous jusqu’à la rupture : en coeur, les acteurs interprètent «Da da da ich lieb dich nicht du liebst mich nicht aha aha aha» du groupe Trio, traduction en plus de cinquante langues de « dada » ! Cette rupture n’en est finalement pas une : je la sentais venir ! C’est une pause au cour de la tragédie, un accueil de tous et de chacun pour ne plus avoir peur de ce théâtre-là. Et d’un coup, cette langue de Racine se pare des beaux atouts de la modernité. Nous voilà emportés, sidérés : le texte s’envole, se débarrasse de ses oripeaux et nous fait peuple de Rome et de Palestine, garant de la raison d’État et protecteur de l’amour d’un roi pour sa reine.

Gwenaël Morin a de la hauteur : il s’engage et nous engage. Son théâtre nous rend ce que l’on nous confisque bien trop souvent: la parole.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Merci à Elsa Gomis du Festival Mens Alors! et à Martine Silber du blog Marsipulamima pour m’avoir guidé vers Gwenaël Morin.

« Bérénice d’après Bérénice de Racine », adaptation et mise en scène de Gwenaël Morin du 2 au 27 novembre au Théâtre de la Bastille, Paris.

Crédit photo : Pierre Grosbois.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Marseille, ville sous plastique.

Mercredi 20 octobre 2010. 19h. Les ordures envahissent Marseille. Le mistral fait voler les sacs plastiques. La crise politique, sociale, morale est là, nulle par ailleurs. En marchant vers le  Théâtre des Bernardines, je ressens la révolte, mais aussi la soumission des Marseillais. Comme un cri mortifère.
« Tous tant qu’ils sont » de Suzanne Joubert, mise en scène par Xavier Marchand pourrait être une pièce sur Marseille tant les similitudes sont troublantes. Il y a ces sacs plastiques de toutes les couleurs posés sur le plateau, que le vent aurait transportés jusqu’ici. Comme des ballons crevés par des enfants qui n’y croient plus. Il y a ce ventilateur à droite qui envoie un peu d’air pour respirer. Car savez-vous que l’on étouffe parfois à Marseille? Il y a «la petite» (jouée magistralement par Édith Mérieau), employée du supermarché «l’abondance sacrifiée», dont le slogan publicitaire s’entend comme un rêve brisé par tant de politiques marseillais sans vision.

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Elle est assise et découpe délicatement des sacs plastiques qu’elles transforment en robe ou en tablier. Car à Marseille, la misère se recycle…La petite (comme l’appelle sa mère) est à la remise, au-delà d’un rideau de lamelles de plastiques. C’est l’envers du décor, celui que l’on ne voit jamais. C’est Marseille derrière sa bonne grosse mère, son vieux port de carte postale, son foot véreux.
Elle découpe et raconte. À elle seule, elle convoque sa mère, sa soeur, ses collègues de boulot, sa chef, le mari de la chef de secteur,…Ils s’appellent André, Marc, Jean-Louis, Mélanie, Benoît, Glenn, Marie- Thé, Simon ; autant de prénoms «anonymes», de cache misère (on peut se prénommer Benoît et être porto ricain). Marseille et toutes ses petites…Ses mises au rebut.
Ils sont tous là, en elle, poussés dans la remise, réunis pour une «orgie» (dixit la chef) de paroles pour qu’à force d’être malaxés, rires, colères, peurs s’incarnent dans la figure de l’actrice. Car la petite rêve des planches et s’invente une dramaturgie à ses pauses perdues. Par l’entremise de la porte, il lui arrive même de voir un bouc. Émissaire à coup sûr. Les collègues s’engouffrent dans la brèche pour se payer sa tête. Et elle parle, fait dialoguer l’un avec l’autre, pendant que son tablier de plastique crée des trous dans le tissu social.  Et elle tisse tandis que les trajectoires des membres de cette communauté invisible se télescopent dans cet abri de guerre et que les klaxons de la rue adjacente aux Bernardines se font entendre. À Marseille, les théâtres sont aussi des lieux de repli.
« Tous tant qu’ils sont », n’est pas la France d’en bas, mais plutôt celle des frères et soeurs dont la mère fricote avec un drôle de type pour que les gosses aient leur dose d’abondance. C’est la France de toutes ces « petites » qui ne se laissent pas s’approcher facilement. On leur a déjà fait le coup de la fracture sociale et du « travailler plus, pour gagner plus ». Elles n’ont pas plus confiance dans le théâtre qui peine à décrire la réalité sociale par la troupe, mais qui sait envoyer une florissante salve de mots surtout quand l’actrice a un beau répondant. On  l’imagine déjà sur les scènes flamandes, là où l’on joue avec le corps pour faire saigner les mots, là où le collectif gueule  pour qu’ils la ferment.
Ce soir, la petite ne pourra pas quitter l’abondance sacrifiée. Les immondices dans la rue bloquent la sortie. Et après 21h,  n’il y a même plus de métro .
Pascal Bély – www.festivalier.net

« Tous tant qu’ils sont » de Suzanne Joubert, mise en scène de Xavier Marchand, au Théâtre des Bernardines de Marseille du 15 au 20 octobre 2010. 

Crédit photo: Fabrice Duhamel.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Je kiffe pour cet Hamlet-là.

Les Subsistances à Lyon savent séduire le public jeune. En titrant, « Hamlet version XXIè, un spectacle physique et intense, pour les temps présents », on s’amuse à lire entre les lignes. Autrement dit, un « Hamlet » loin du «théâââtre» de papa ! À voir le nombre de jeunes dans la salle, le pari est gagné. Qui plus est, le metteur en scène, David Bobée, n’a pas encore l’âge de raison requis en France (trente-deux ans!) et le rôle-titre est assumé par un jeune acteur – circassien (Pierre Cartonnet). Le Tadorne connaît bien David Bobée. Nous lui avons consacré plusieurs articles. Avec l’écrivain Ronan Cheneau, ses pièces ont souvent chroniqué l’époque pour nous offrir un théâtre sincère et inventif. Mais pour la première fois, David Bobée s’attaque à un classique, aidé par la traduction efficace de Pascal Collin en totale harmonie avec la création musicale de Frederic Deslias. 

Disons le tout net : les Subsistances ne nous ont pas menti. C’est une oeuvre physique pour les comédiens et les spectateurs. Jouée dans une verrière ouverte aux quatre vents, nous sommes sortis frigorifié de ces trois heures de grand spectacle. À la différence de « Warm » où le public transpirait à grosses gouttes! David Bobée souffle donc le chaud et le froid et sait jouer avec les contrastes. Dans « Hamlet », la langue de Shakespeare oscille en permanence entre une syntaxe contemporaine et ancienne. Même les costumes font le grand écart : entre la longue robe de la mère d’Hamlet (Gertrude) et le jean’s moulant du fils, nos pensées érotiques peuvent divaguer!

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Pour signifier que le pouvoir prend l’eau au Royaume du Danemark, la scène est inondée après avoir été  asséchée par de magnifiques effets vidéo autour de l’apparition du spectre. Comment ne pas penser aux oeillets de Pina Bausch dans “Nilken” à voir ces acteurs jouer avec autant de grâce sur ce plateau liquide?

Il y a ce décor stupéfiant fait de briques noires pour créer l’antichambre mortuaire du pouvoir, où l’on extrait des morts des tiroirs (caisse ?).

Il y a bien sûr Pierre Cartonnet, sa rage au ventre et au corps. Il inonde (sic) la pièce de sa beauté et de sa fougue.

Il y a cette troupe métissée où deux beaux acteurs de la Compagnie de l’Oiseau Mouche repérés dans « Gilles », nous offrent un moment théâtral sublime, une mise en abyme empruntée à l’imaginaire de Pippo Delbono.

Il y a Abigail Green qui, dans le rôle d’Ophélie, illumine la scène sombre par des éclats de voix à la Bjork.

Il y a Pascal Collin, magistral Polonius, conseiller du royaume. Chacun reconnaîtra en lui les « conseillers du Prince » actuels, pétris de cynisme et de certitudes.

Cet “Hamlet-là” a donc de la tenue et intégre  certains processus des oeuvres précédentes de David Bobée. Il a l’insolence de «nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue», un certain regard porté sur la folie du couple de «Canibales», les tensions érotiques entre les hommes de «Warm». Tout est bien pesé pour éviter les foudres des garants de l’orthodoxie (si, si, ils existent), et effrayer par un propos politique trop subversif. La mise en scène est suffisamment poétique pour que chacun y puise du sensible. Oui, cet Hamlet-là est de son temps dans les formes convoquées.

On aurait cependant aimé plus d’audaces dans la conduite des acteurs comme si David Bobée appuyait plus sur l’effet du jeu que sur le jeu lui-même. On aurait apprécié qu’il évoque les ressorts de la folie d’un système plutôt que d’accentuer sur  la déraison des individus. Si bien qu’il est parfois difficile d’approcher la vision contemporaine d’Hamlet par David Bobée et Pascal Collin. Les rires sarcastiques du fossoyeur et les morts qu’on empilent ne suffisent pas à faire un propos politique global même si l’on ne peut s’empêcher de penser à « lui » et « eux ».

Serions-nous parfois trop distraits là où l’on aurait aimé être interpellé ? N’y a-t-il pas un registre émotionnel trop appuyé qui nous évite de tisser des liens entre l’oeuvre et l’époque ? Pourquoi une telle intensité physique de la part des acteurs qui fait parfois obstacle à une lecture du « corps politique » ?

David Bobée est incontestablement une étoile montante qu’il me plait d’observer dans le ciel parfois obscur du théâtre Français. Prêtons-lui cette phrase d’Hamlet pour lui donner rendez-vous : «le théâtre sera l’instrument avec lequel je piegerais la conscience du roi»

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Hamlet” par le Groupe Rictus, Compagnie David Bobée, aux Subsistances à Lyon du 23 septembre au 2 octobre 2010.

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon Off : Travelling Hiroshima.

Aller revoir, dans une nouvelle version, ce bijou qu’est pour moi « Hiroshima mon amour » tient, comme à chaque fois, du désir et de la crainte de croiser un autre regard que celui de  Resnais…
J’entre dans la salle avec en tête le massacre orchestré sur ce texte par Éric Vignier au festival d’Avignon en 2006, pourtant amoureux spécialiste de Duras…Aie…Chasser ça pour créer l’espace ouvert?
Je décroche, l’espace scénique m’attire et je laisse le champ libre… « Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien?  J’ai tout vu. Tout ? », Les premiers mots m’emportent, comme à chaque fois…

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Julien Bouffier met tout à vue du processus de représentation, l’endroit et l’envers du décor, les techniciens. Il n’occulte pas que le texte est à l’origine fait pour le cinéma, il s’en sert pour nous faire naviguer entre le corps image et le corps chair. Il ose les chansons pop avec Dimoné en chorifé, elles servent le propos et l’invite à une nouvelle époque. Vanessa Liautey et Ramzi Choukair portent leurs personnages sans avoir à souffrir de la comparaison avec Emmanuelle Riva et Eiji Okada. La magnifique scénographie d’Emmanuelle Debeusscher et JB ouvre et éclaire le texte.
Une heure trente plus tard j’ai voyagé d’Hiroshima à Nevers en allers retours, j’ai entendu l’amour comme une bombe et Hiroshima comme la fin de tout amour humain. « Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien?  J’ai tout vu. Tout ? ». Autre regard, mais toujours le même trajet…Hiroshima Nevers, violence, perte, crime, châtiment, douleur? Comme un cri, comme une bombe? Une rencontre? pour revivre? pour tourner la page? pour se reconstruire? pour se construire? sur les ruines? pour l’amour? Hiroshima Nevers?, on n’en termine jamais de l’amour et de la mémoire.
Tu n’étais pas tout à fait mort.
J’ai raconté notre histoire.
Je t’ai trompé ce soir avec cet inconnu.
J’ai raconté notre histoire.
Elle était, vois-tu, racontable.
Quatorze ans que je n’avais pas retrouvé … le goût d’un amour impossible.
Depuis Nevers.
Regarde comme je t’oublie …Marguerite Duras.

Dans nos boîtes à souvenirs, toujours un peu de terre, un peu de sang, des larmes, des morts et des amours finis encore à recommencer.
Elle : “Je n’ai rien inventé.
Lui : Tu as tout inventé.
Elle : Rien. De même que dans l’amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j’ai eu l’illusion devant Hiroshima que jamais je n’oublierai. De même que dans l’amour“. Marguerite Duras.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Hiroshima mon amour” de Marguerite Duras , mise en scène de Jérôme Bouffier. A la Manufacture d’Avignon jusqu’au 27 juillet 2010.

Crédit photo: Marc Ginot.

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Big Bang au Festival d’Avignon.

Même le chien ne parlera pas…ou pas de blablabla“, ou “ padutoutpaperlapap »…ou peut-être “ une île pour quoi faire“.
Ça me change des éléments de langage…
Ça me change du prêt à voir et à entendre…
Ça me change…

Avec « Big Bang », Monsieur  Philippe Quesne est doué pour l’art du rien et du tout à la fois.
Monsieur Philippe Quesne est peu loquace, mais il arrive à dire beaucoup de choses avec juste un peu de rien qui nous remplit. La fin du festival d’Avignon approche. On m’a beaucoup dit, mais j’accueille. Il y a encore de la place pour qu’il m’aide à articuler tout ça…

Dans “La Mélancolie des Dragons“, spectacle présenté en 2008 au Festival d’Avignon, il y avait une histoire, du début à la fin, totalement insolente.
Il nous surprenait constamment, et on était ébahi, heureux, émus, déstabilisé, émerveillé comme des enfants. C’était un conte de nulle part, avec sa magie incongrue qui tombait, il faut dire, toujours à pic…
Big Bang“est autre chose.
C’est une proposition différente même si on retrouve ses points de repère. C’est  un concept plus abstrait, c’est une situation qui se veut être plus un état qu’un récit parlé. À vrai dire, ce  n’est pas une vraie histoire.
Et si on lâchait l’histoire? Comme ça, pour voir ce que ça nous fait. Sans histoire, que devient le spectateur ? ll est nu, il cherche à se rhabiller. Moi, j’enlève, j’enlève…Sans être à poil, «Big Bang» me met seulement à découvert…

Je vous livre un secret…le chien ne parlera pas, et en plus  n’attendez pas de long discours.
Décrire ce qui se passe serait réducteur.
Il y a l’éternelle neige chère à Philippe Quesne. Il y a la voiture toujours là, mais cette fois à l’envers…
Il ya le feu des hommes préhistoriques, des formes informes en fausse fourrure qui, comme des pachydermes, se meuvent en rampant; il y a comme des pingouins qui ressemblent à des Pénitents en goguette, il y la neige, la chaleur, il y aura l’eau, l’île, les bateaux, les arbres…
Il y de l’humanité. Celle que l’on ressent si peu à force d’être soumis tous les jours au flux des images, au flux RSS, au flot des mots…Ici, du mouvement, que du mouvement. Et du beau. Oui, du beau, car c’est le langage de l’humanité. Vous ne voulez tout de même pas qu’elle se mette à parler SMS traduit en Anglais ?
 
On prépare quoi ? Nous, on ne sait pas vraiment, mais le Script, lui, le sait. Il s’occupe de “ses ouvriers” de l’espace, des lumières, il bricole en coulisse et les comédiens obéissent docilement aux conseils prodigués.
On ouvre l’espace de la scène, et on comprend à ce moment-là que le Maître de cérémonie a dû être plasticien, ou graphiste. En tout cas, maître es-espace, maître es-insolite, peut-être maître es-absurde.
Ce maître de cérémonie remet délicatement du sens. Les «autres», sont hors du coup, hors champ. Ils ont explosé en vol, laissant derrière eux voiture retournée, barbecue d’été et une cargaison de bateaux gonflables. Du stock, il ne reste plus grand-chose. Le toujours plus, le travailler plus pour gagner plus n’est qu’une vieille inscription retrouvée sur les parois des trous à rats.
 
(Les Chemises hawaïennes rivalisent de couleur, les bateaux arrivent…il ne manque plus que le Youkoulélé…!)
Le script -metteur en scène est habile. Souvent présent sur le plateau, il dirige…Mais que dirige-t-il et qui dirige-t-il …? Des singes, des otaries, des scaphandriers, des astronautes ?
Il essaye de donner des indications minimales pour une éventuelle « Règle du Jeu ».
Il ressemble à un maitre de ballet qui donnerait des conseils sur scène, c’est un absurde directeur d’acteurs, c’est Tadeusz Kantor dirigeant des poissons dans un nébuleux Vivarium…
C’est le chorégraphe de nos âmes perdues entre crise interminable, chaos politique et  promesse d’une révolution verte qui développe peu à peu le langage de la norme, du contrôle du désir. Ici, entre l’eau, la terre et le feu, l’homme marche sur l’eau, plonge si c’est beau, seulement si c’est beau. Il est cosmonaute pour se prendre la tête et redécouvrir d’en haut ce que la fourmilière du bas lui cache…

 
Si sur scène on prépare quelque chose, c’est avec beaucoup de riens et ce sera juste vouloir bouger d’un centimètre l’objet du décor pour que ce soit parfait.
Un voyage  imaginaire ou plutôt dire le Big Bang ?
Pas d’importance,  car c’est un moment suspendu, un humour tellement tendre, une “caverne pour nos vieux jours”…c’était juste, c’était chaleureux, on aime, on se laisse aller au plaisir…
Au Big bang, le laisser aller est un art, là où ailleurs, il est la politique du pire…

Francis Braun en maître de cérémonie, Pascal Bély enpachydermerampant sous les couleurs du Big Bang!, tous les deux Tadornes..

“Big Bang” de Philippe Quesne au Festival d’Avignon du 19 au 26 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

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Avalanches en Avignon, un roi sous la neige.

Drôle de nom pour un gymnase : Gérard Philippe. La tête et les jambes ? Devant cette bâtisse de tôle, le Festival d’Avignon y a apposé une rangée de canisses : l’été contre l’hiver ? Étrange et agréable impression de ressentir la foule des spectateurs pour «un nid pour quoi faire» d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde dans ce quartier résidentiel de la cité papale. Acte de résistance alors que la société française ne voit plus très bien où elle va…Je sais ce soir, ce que j’ai besoin d’un nid. Ce que je ne sais pas encore, c’est que le rire fera trembler la tôle de ce théâtre éphémère.

Il faut d’abord s’échapper de la fournaise avignonnaise. La vidéo en fond de décor projette une montée féerique vers la montagne. Le narrateur (appelons le Robinson…) décrit l’ascension. Il y a la musique de Rodolphe Burger, il y a la voix magique, envoûtante, tellement paisible, qui nous embarque, on voudrait être dans la voiture, dans ce paysage si blanc, la neige est partout, les sapins, et toujours ce rythme parole et musique….Je décolle parce que je pressens que je vais prendre de la hauteur. Les mots d’Olivier Cadiot sont autant de mètres gagnés sur la bassesse du vocabulaire politique et médiatique ambiant. Je jubile. Le narrateur aussi, fier de sa Toyota fantastique.

Sa voix est étrange, mais ses mots sont si bien pesés.  Il n’en dira que quelques-uns pendant la pièce qui emballeront le roi qu’il est censé conseiller. Robinson, c’est l’éternel personnage d’Olivier Cadiot qui pense et il pense que l’exil du Roi n’est pas dynamique, enfermé dans attitude régressive. À tel point que Sire va en mourir.

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Laurent Poitrenaux en personne incarne ce roi « bling bling », isolé dans ce chalet, au sous-sol, en exil pour longtemps et qui se pavane devant son écran géant et tactile (l’Ipad est déjà démodé !) dès qu’on lui diffuse un film sur sa splendeur passée. Ah ce roi et sa cour d’incultes et d’incompétents où même le poète en chef vous sert de la poésie en pâté ! Ah ce roi qui s’englue dans une stratégie de reconstruction de son image ! Mais reconnaissons-lui sa belle équipe, métaphore de toutes les névroses de la société française. Au commencement de la journée, il y a ce conseiller en médecine douce qui dit n’importe quoi, mais que l’on croit sur parole tant il sait manier les combinaisons chimiques et fait de l’alerte orange son principe absolu de précaution. Puis il y a un fidèle qui lui lit les nouvelles et Sire voudrait que l’on écoute Brahms dans les étables ! Il y a des recettes de cuisine prodiguées, on écrase les désirs de la société dans des mixers, on met la main à la pâte, on plante nos idées dans le champ du voisin. Robinson  finit par douter de l’existence du Roi…Il assiste a une séance de brainstorming ou l’on imagine logos et images de marque, on étudie des blasons top-modernes, on “blasonne” à tout va…Les mythes sont  détruits (« le Vietnam, Dylan, 68 et Marcuse aux chiottes ! »). « À force de faire l’autruche, on ira droit dans le mur », dit alors Laurent Poitreneaux-parfois cabotin qui pourrait rejoindre sans le vouloir Jean-Quentin Chatelain.

Tous bons à servir la médiacratie la plus lourde quitte à  réduire le statut d’artiste en bouffon sans paroles. « Ce nid pour quoi faire » est une allégorie du système sarkozyste et berlusconien. Chaque tirade nous rapproche un peu plus du vide sidéral d’un pouvoir sans peur et sans reproche. Je ris beaucoup, sans discrétion, mais mon rire est une libération, un cri après trois ans où je peine à trouver les mots pour décrire le processus de déliquescence dans lequel ce pouvoir corrompu et inculte nous conduit. L’écriture d’Olivier Cadiot et la mise en scène de Ludovic Lagarde crée le rythme effréné que nous impose cette pensée politique qui sait si bien manier le paradoxe et les contre sens. Entre tempo inspiré du théâtre de boulevard (mais qu’est devenue la France si ce n’est le pays où l’on met en scène les infidélités, les trahisons, les complots), et des pauses poétiques où la voix du conseiller nous invite à regarder de haut ce que l’on aimerait bien nous faire voir du bas, je suis accueilli, respecté. D’autant plus que dans ce lieu où l’on rentre par le haut, la mise en scène ouvre par les côtés.

Ce nid est une pièce formidable. Rythme accéléré, des moments tendres-vidéo, un récit off tellement sensible, une oeuvre moderne sans être à la mode. L’humour et la rêverie se relaient, Rodolphe Burger nous emmène dans la Neige. C’est une pièce très réaliste, mais moins optimiste que ce qu’elle en a l’air.

Désabusée, pessimiste peut-être…On se sent encore plus manipulé par les autres, on est soumis, on nous organise…on subit, mais on continue toujours même si le Roi meurt.

Lorsque la nuit retombe sur le paysage enneigé, après la gymnastique, la cuisine et le Sauna, la Cour  s’endort, inquieté,  pas tout a fait rassurée, mais bon le Roi se meurt.

Tout d’un coup, après notre endormissement, on se dit que : “Dormir en rond, avec le temps ça donne des plumes!

Pascal Bély – Francis Braun – www.festivalier.net 

“Un nid pour quoi faire” d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde au Festival d’Avignon du 8 au 18 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

La belle odyssée du théâtre des idées.

Le bonheur au théâtre est chose rare. Il existe quand il nous embarque dans une histoire commune, où se joue ce qui nous rassemble, où se constitue dans la salle une assemblée de spectateurs prête à écrire une constitution pour un nouveau contrat culturel et social! « La Petite Odyssée », mise en scène par Grégoire Callies du Théâtre Jeune Public de Strasbourg, épopée en trois tableaux d’une heure chacun, est l’acte politique et artistique que nous attendions en ces temps de perte totale des valeurs et des repères.

Imaginez, un théâtre de marionnettes, qui convoque petits et grands pour nous entraîner dans la folle histoire des idées (du Moyen-Age à la fin de la deuxième guerre mondiale) où les innovations, l’art et les  conflits s’enchevêtrent tandis que la mise en scène et les décors font la fête pour que l’intelligence du spectateur mobilise tout “le sensible disponible”!

Tout commence avec Odyssée, une jeune fille qui vient de perdre son père. Nous sommes au Moyen-âge. Alors que son petit monde s’apitoie sur elle, elle va parcourir le Monde, le traverser de siècle en siècle, comme un remède au  malheur, à l’isolement, à l’analphabétisme. Son émancipation est à ce prix. Sur sa route, elle rencontre Bernie, jeune castra à la voix d’or. Enfant de la balle, il occupera bien des emplois, croisera tant de penseurs et de chercheurs qu’il finira par incarner l’évolution de notre condition sociale. Ces deux personnages mettront bien du temps à se déclarer, car leur relation complexe est un alliage subtil entre le coeur et de la raison, la culture et l’intuition, l’engagement politique et la lutte sociale. Le spectateur peut imaginer toutes les alchimies.

Nous voilà donc embarqués pour trois tableaux, où la mise en scène épouse les siècles et les courants. Incontestablement, Grégoire Callies est l’homme de son temps, prêt à révéler dans le deuxième tableau  ce qu’il cachait dans le premier (du Siècle des Lumières à l’époque des mécaniques, mais chut!). En convoquant Leonard de Vinci, Diderot, Rousseau, Delacroix, il nous émerveille à partir de dialogues et de décors foisonnants. Le cinéma s’incruste dans le jeu d’acteurs pour mobiliser notre regard d’enfant, notre créativité comme si nous étions toujours propulsés au croisement du « moi » (mon théâtre d’enfant) et du « nous » (ce qui nous relie quand nous allons au spectacle). C’est si beau que tout semble possible parce que tout se croise, s’enchevêtre, se débat et s’ébat. On croirait les marionnettes danser tandis que le corps se libére peu à peu au fil des siècles.

Les décors se succèdent les uns après les autres et je suis submergé par le souvenir des images des “Éphémères, épopée familiale de plus de six heures d‘Ariane Mnouchkine. Grégoire Callies a trouvé son “théâtre du soleil”. Les dialogues sont merveilleux parce qu’ils sont habités par une utopie qui se diffuse dans toute la salle! Nous voilà embarqués avec Harriet Tubman qui sauve les esclaves noirs pour les emmener au Canada. Nous sommes estomaqués par le courage de Flora Tristan qui soustrait Odyssée de la prostitution alors qu’elle se trouve à Londres. Heureux spectateurs que nous sommes d’entrer en résonance avec ces héros dont on parle si peu et qui pourtant incarnent nos valeurs d’aujourd’hui!

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En même temps que nous traversons ces trois tableaux, notre regard de spectateur évolue à l’image de la composition de la salle. Les enfants présents dans le public au premier épisode se font plus rares quand est abordée la Deuxième Guerre mondiale qui voit débarquer un groupe de jeunes scouts! Les enjeux se complexifient, le théâtre est alors moins visuel et plus cérébral. La vision est plus pessimiste à mesure que l’on plonge dans les horreurs de l’humanité. La mise en scène finit par s’alourdir pour ensommeiller l’enfant qui en nous. Comment raconter l’inimaginable aux enfants? Il semble alors évident que Grégoire Callies fait un théâtre pour adultes destinés aux enfants. Il convoque tant de personnages (Albert Einstein, Sigmund Freud, Hitler, Germaine Tillion, Milena Jesenská et Margaret Buber, ..) que cela devient étourdissant! L’emballement de l’Histoire jusqu’à nos jours est un appel presque désespéré du théâtre à nous ressaisir alors que le monde peine à trouver une voie, un combat commun contre un oppresseur invisible (le marché financier).

C’est alors que l’on quitte notre “petite Odyssée” sonné. Mais plus courageux qu’en y entrant pour sauver Odyssée et Bernie de leur triste condition, oppressés par les logiques de la dictature des médias et de leurs financeurs.

Oubliés par le politique qui pense que les idées ne sont plus un théâtre.

Pascal Bély– www.festivalier.net

“La petite Odyssée”, trilogie, mise en scène par Grégoire Calliés; Théâtre Jeune Public de Strasbourg: le 12 juin 2010 au Théâtre Massalia (Marseille).

Crédit photo: Anémone De Blicquy.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

La blog génération.

Cela fait deux ans qu’ils y travaillent. Quinze adolescents issus de différents quartiers de Marseille ont créés leur collectif, «le(s) pas comme un(s) » pour une pièce de théâtre mise en scène par Karine Fourcy. A quinze, ils inversent les prémices : ce sont eux qui nous regardent à partir de leur vision du monde et de leurs rêves.

Dès le début, je savoure leurs réparties millimétrées qui font mouche. Un vrai régal, digne des meilleurs dialogues d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. Je me reconnais au même âge dans leurs ressentis d’adolescent, à une différence près : leurs parents portent une (trop) lourde responsabilité face à un avenir dont l’horizon se rétrécit comme un écran de téléphone portable. À les entendre, l’ordre, la norme les obsèdent, comme s’ils rejouaient la relation infantilisante imposée par le pouvoir politique actuel ou celle qui génère la souffrance au travail dans les organisations pyramidales.

Mais à côté des parents, il y a le théâtre, espace d’écoute et de projection, à l’image d’un blog grandeur nature ! Nous sommes ce soir des spectateurs-confidents, responsables de la jeunesse d’un pays déboussolé. Sur scène, les portraits individuels se glissent parmi des photos de groupe (magnifiques instants où les corps de ces quinze ados côte à côte dégagent une force créative impressionnante) et des moments gracieux de rêverie accompagnés par une bande-son où Clarika côtoie Gil Scott-Heron. Ces adolescents  semblent avoir grandi avec cette pièce comme en témoigne leur rapport au corps qui évolue jusqu’à esquisser vers la fin une danse libératoire.

Mais il manque une parole « politique » pour ouvrir leur ressenti vers le sociétal, vers nous. Le contexte de la mondialisation est à peine évoqué. Rien de ce qui fait débat dans la société française ne semble les traverser,  d’autant plus que la relation binaire avec leurs parents ne peut englober la complexité des enjeux éducatifs. Où sont donc les autres éducateurs ? L’enseignant ? Inutile de compter sur lui ; caricaturé avec sa blouse blanche, il ne connaît que l’insulte comme seule pratique d’accompagnement. Internet ? Même pas effleuré !
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On finit donc par étouffer dans ce portrait d’une jeunesse enfermée dans une relation parentale verticale. Le regard que nous portons sur le  lien entre l’adolescent et ses parents est politique. Il est aujourd’hui profondément normatif, englué dans le sécuritaire, hyper contrôlant et surtout culpabilisant envers les parents. C’est ce regard que le théâtre aurait pu nous renvoyer et pas seulement la nature de ce lien qui, quelque soit l’époque, se jouera toujours dans le conflit. Il a donc manqué une hauteur de vue pour propulser ce collectif au-delà de la confidence.
Mais reconnaissons cette belle entreprise qui respecte la jeunesse et me donne confiance en elle : sa sensibilité est ma cure de jouvence.

Pascal Bélywww.festivalier.net

«le(s) pas comme un(s) » , dans une mise en scène de Karine Fourcy, joué du 21 au 24 avril 2010 à la Maison de Théâtre à Marseille.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Joël Pommerat, mineur de fond.

La rencontre avec un artiste ne peut se réduire à un spectacle. Elle requiert du temps, un lien de confiance,  où la somme des propositions créée un univers nourrit de résonances et d’intranquillités. Avec trois de ses dernières créations (“Je tremble 1“, “Le petit Chaperon Rouge” et “Pinocchio“), Joël Pommerat  réussit à me conter le monde avec tant d’empathie qu’il finit pas créer le manque, d’autant plus que nous sommes nombreux à nous sentir désemparés face à la catastrophe sociale qui prend chaque jour plus d’ampleur.

« Cercles/Fictions » était donc attendu. Convié à prendre place autour de la piste du cirque (un dispositif en totale rupture avec ses précédentes scénographies), le public est plongé dans une ambiance feutrée où se joue la tragédie humaine. Un univers de pénombres et de bruits (on y décèle l’orage, les bombes) accueille des histoires où l’on dépeint au vitriol nos misérables conditions. Joël Pommerat tisse les fils d’une kyrielle de personnages et nous immerge dans un imbroglio de saynètes traversées par la servitude et la perte du spirituel. Les situations m’emmènent vers les tréfonds de l’âme. Je me sens pris au piège dans un labyrinthe d’où je n’entrevois aucune sortie. À chaque personnage correspond une époque qui laisse peu de place à l’imaginaire malgré l’utilisation de l’odorama. L’enfermement dans leur vie, dans leur petit espoir, dans leur propre recherche du « soi », joue sur mon corps. Je me recroqueville dans mon univers afin d’échapper à cette fatalité d’où j’essaie de trouver de l’oxygène dans la répétition des noirs (artifices déjà utilisés dans les précédentes créations). Mais rien n’y fait et ma confrontation à la souffrance humaine est sans issue. L’irréversibilité semble être le credo de ces destins juxtaposés qui finissent par me positionner au coeur d’un chaos immense qui ne laisse aucune place à une véritable lumière.

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Tout est noir et brouillard, sans une éclaircie, une échappée, un sentier que l’on se verrait bien prendre avec nos compagnons pour leur montrer que rien n’est perdu, que du chaos peut se lever un meilleur. Joël Pommerat joue l’excès au service d’une mise en scène vaniteuse. Certes, tout est bien léché, calé, réglé, mais le concept (un plateau transformé en cirque) efface le théâtre sociologique avec lequel il nous avait habitués. Mais dans quelle recherche est donc Joël Pommerat pour donner l’impression de nous conter toujours le même discours ?

Laurent Bourboussonwww.festivalier.net

« Cercles/Fictions » de Joël Pommerat a été joué les 31 mars, 1er et 2 avril 2010 à la Scène Nationale de Cavaillon.

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OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Infatigable spectateur.

Nous sommes installés dans une salle, nommée étrangement « bac à traille ». Serrés les uns contre les autres, mamies, parents, enfants, adultes débordent des gradins. À ma droite, une dame de 82 ans me raconte l’histoire du lieu et de ce quartier d’Oullins ; à ma gauche, une grand-mère heureuse de venir avec sa petite fille, « parce que ce n’est pas rose tous les jours ». L’une et l’autre me compressent ; nous en rions. Le théâtre, contre vents et marées, reste l’un des rares espaces où l’on n’a plus peur d’être ensemble. Côte à côte.

Avant la représentation, la metteuse en scène Christiane Véricel  prend la parole. L’air grave, elle rappelle aux enfants une règle d’or : on ne franchit pas la ligne. La recommandation est indispensable à plus d’un titre : le plateau est saupoudré de sucre glace et parsemée de cacahuètes ! Mais surtout, cette ligne fixe une frontière où l’enfant apprend à regarder le spectacle du monde (ici à partir des ogres), à délimiter les espaces qui lui permettront de se socialiser (avec et malgré eux !).

« Les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable » peut donc commencer pour une heure de branle-bas de combat entre le ventre, l’esprit et le corps qui danse, autour d’un point central : un habitant sur six ne mange pas à sa faim dans le monde. Christiane Véricel s’engage à ce que la scène traite la question à partir d’un imaginaire bouillonnant qui finit par déborder de créativité tandis que la satire pique sur la langue. Tout le long, le franchissement de la « ligne » résistera à ce big-bang humanitaire.

À leur arrivée, les six enfants comédiens marchent sur des cacahuètes  et produisent des bruits de craquements comme un sol qui se fendille, métaphore de la sécheresse, mais aussi d’un tremblement de terre. Avec ce sol blanc parsemé de modestes  « Fabacées », je pense à Haïti. Cela ne me quittera pas comme si l’énergie créatrice de ces « ogres » était en empathie avec ce peuple pour qui « l’union fait la force ». Avec quatre comédiens adultes, l’ensemble de la troupe joue pour sa survie à la recherche de l’aliment qui se régénère dans un lien à la culture : à aucun moment, il n’est déconnecté de la nourriture intellectuelle (du savoir, de l’art, du jeu). Ce choix enchante parce qu’il relie en permanence le corps biologique au corps social, le citoyen à l’artiste. La cacahuète est le caillou du petit poucet ; la mandarine est une touche de peinture qui gicle sur la toile à moins qu’elle ne soit le nez du clown qu’on finit par avaler ;  le biscuit, une oeuvre d’art contemporain ;  le poulet est le corps du danseur écartelé par le mouvement. Mais ne nous y trompons pas : l’art, comme la nourriture, entraîne l’humain à utiliser toutes les ficelles du pouvoir et de la manipulation apprises très tôt tandis que les adultes, assurés par leurs savoirs, continuent leurs enfantillages « affamants » au service de stratégies « infamantes » qui réduisent la culture au divertissement.
Nous sommes donc au coeur d’une  oeuvre complexe, car ces « ogres » joyeux et roublards, déplacent les frontières en jouant des hiérarchies (entre ceux qui savent et ceux qui ont faim, ceux qui mangent et les ignorants). Ils tracent des nouveaux territoires où la recherche de la nourriture devient un art vital qui nécessite de se parler autrement, de dessiner les contours d’une autre éducation, plus seulement basée sur l’acquisition de savoirs descendants et de règles rigides qui paralysent la créativité.
Nos dix comédiens, tous engagés (mention particulière aux enfants, sidérants dont Luca d’Haussy) réussissent le pari un peu fou de jouer notre condition humaine à partir d’une question dont nous ne connaissons trop les réponses : pourquoi sommes-nous donc incompétents à résoudre la faim dans le monde ? Christiane Véricel s’amuse de nos faiblesses et de nos vanités, mais avec un regard profondément fraternel qui la conduit à nous nourrir plus qu’il n’en faut ! On aurait aimé quelques pauses pour digérer (juste un peu plus de liant et de respirations silencieuses!) mais le temps de l’urgence de l’artiste n’est pas celui du spectateur-citoyen.
Loin d’apporter ses réponses, elle provoque une turbulence qui fait de nous des ogres affamés, solidaires et joyeux. Le théâtre est infatigable à nous « rendre la tendresse humaine » (Louis Jouvet). Celle-là même qui nourrit son monde.
Pascal Bély, Le Tadorne
« Les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable »de Christiane Véricel a été joué du 26 au 31 mars à Oullins (69).