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La belle année 2013.

15 grands rendez-vous ont jalonné mon année de spectateur. Ils reflètent mes choix de privilégier des lieux accueillants ,des auteurs et metteurs en scène engagés à renouveller les formes au profit d’une rencontre, d’un propos. Certains s’étonneront de la faible présence de la danse contemporaine. Mais il y a eu  peu de propositions dans l’aire marseillaise (malgré le travail remarquable de Klap, Maison pour la Danse, pour changer la donne) et le festival Montpellier Danse s’est muré dans des valeurs trop sûres. Reste deux belles rencontres : le croate Matija Ferlin et Mathieu Jedrazak qui ont fait le pari de positionner la danse sur le terrain d’une vision à partager.

2013, fut année de tous les superlatifs comme si l’excès devait contrer notre incapacitation à penser la complexité. Avec Katie Mitchell, ce fut le plus long travelling cinématographique sur scène où j’ai vécu de l’intérieur ce que le deuil d’amour veut dire ; dans «Mélanie Daniels» de Claude Schmitz,  le théâtre m’a guidé vers le cinéma, vers «Les oiseaux» d’Hitchcock, où il est l’art de l’art. Claude Schmitz proposa le plus bel espace mental pour et vers le spectateur où le cinéma ne se «fabrique pas», mais où l’Image est une émergence d’un long traveling théâtral.


Avec Angelica Liddell, ce fut le plus beau tango de Chine pour faire valser le propos sans concession d’une artiste unique; avec le collectif «L’avantage du doute», ce fut les dialogues les plus explosifs entre individus en proie à la marchandisation de la relation humaine. Dans « Le tourbillon de l’amour » de Daisuke Miura, le théâtre m’a immergé dans cette maison où l’on vient pour « baiser » avec des inconnus ; où l’on repart sans adresse, en mille morceaux, mais plus aimant…

« Après la répétition » d’Ingmar Bergman par le tg STAN a dévoilé deux acteurs en proie au tourment de leur théâtre amoureux où fiction et réalité forment un tourbillon poétique…

Je ne suis pas prêt d’oublier la troupe hongroise et roumaine emmenée par Alain Timar qui nous offrit un «Ubu papa», «Ubu maman» en papier, qui se froissent pour un oui ou pour un non. À l’image d’un pouvoir qui déchire les âmes pour régner sans toi, ni loi.

« Antiteatre » d’Après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin, a lui aussi joué du pouvoir. Et comment…pendant plus de six heures, j’ai quitté un contexte alourdi par les propos d’une classe politique épuisée pour rejoindre une contrée où des artistes abordent la douleur sociale en agitant la pensée créative d’un auteur.

Je me souviens encore des “Particules élémentaires de Julien Gosselin. Il a réussi à réunir des générations de spectateurs en déstructurant le texte de Houellebecq pour créer un lien ouvert entre littérature, science, art, tout en nous positionnant comme co-penseur de notre époque!

Dans « Sœur je ne sais pas quoi frère », Philippe Dorin nous a offert, petits et grands, une vision sans limites d’une fratrie où nous serions une partie et le tout ! Moment exceptionnel où le théâtre vous plonge dans les abymes de l’inconscient familial.

«À la renverse» de Karin Serres, mise en scène de Pascale Daniel-Lacombe, fut aussi une mise en abyme où j’ai ressenti ma trajectoire de vie incarnée dans celle d’un couple amoureux épris de Bretagne, de cosmos et de New York !

Et puis…en 2013, il y a eu deux grandes rencontres: avec le clown Ludor Citrick dans « Qui sommes-je ? » ; avec le Téatro Distinto dans « La pécora négra ». Deux rencontres pour puiser dans les ressorts créatifs des artistes, l’énergie de croire qu’il reste à créer ce que nous ne connaissons plus.

15 oeuvres…majeures.

«Reise Durch Natch », Katie Mitchell, Festival d’Avignon – Allemagne.

Angelica Liddel, «Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy)»Festival d’Avignon – Espagne.

«La légende de Borneo», le Collectif l’Avantage du Doute, Théâtre de Nîmes – France.

– « Ubu Kiraly », mise en scène d’Alain Timar, Théâtre des Halles, Avignon – France-Roumanie-Hongrie.

«Les particules élémentaires” , mise en scène de Julien Gosselin, Festival d’Avignon – France.

«A la renverse» de Karin Serres, mise en scène de Pascale Daniel-Lacombe, Théâtre du Rivage, Festival « Théâtre à tout âge », Quimper – France.

– «Après la répétition» d’Ingmar Bergman par le TG STAn, Théâtre Garonne, Toulouse – Belgique.

– «Antiteatre» d’Après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin, Théâtre de la Bastille, Festival d’Automne, Paris – France .

La Jeune Fille et la morve”  de Mathieu Jedrazak, Festival Off d’Avignon – France.

«Sad Sam Lucky» de Matija Ferlin, Festival Actoral, Marseille, Croatie.

«Le tourbillon de l’amour» de Daisuke Miura, Festival d’Automne de Paris – Japon.

– «Qui sommes-je ?» de Ludor Citrick, « Cirque en capitale », Marseille Provence 2013 – France.

« Sœur je ne sais pas quoi frère» par Philippe Dorin, Festival Petits et Grands, Nantes – France.

«Mélanie Daniels» de Claude Schmitz, KunstenFestivalDesArts de Bruxelles – Belgique.

«La pécora négra », Téatro Distinto, Festival Segni d’Infanzia, Mantova – Italie.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Gwenaël Morin et son théâtre d’immergés.

Depuis le Festival d’ Avignon, nos corps de spectateur étaient au repos. Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec Gwenaël Morin au Théâtre de la Bastille à Paris. Cet homme et sa troupe nous ont à plusieurs reprises bouleversés et nous l’avons écrit : avec enthousiasme, plaisir et gravité. Aujourd’hui, nous retrouvons ce théâtre avec sa petite jauge de spectateurs qui permet cette proximité avec les acteurs sans qu’elle soit outrancière ou démagogique. Nous nous apprêtons à vivre cinq heures de théâtre autour de quatre œuvres de Rainer Werner Fassbinder («Anarchie en Bavière», «Liberté à Brême», «Gouttes dans l’océan» et «Le village en flammes»). Nous allons vivre cinq heures d’une scène joyeuse et dramatique ponctuées par nos rires légers et nerveux. Tout cela pourrait paraître long et pourtant: tout passe à la vitesse d’une symphonie lumineuse orchestrée par une narratrice au ton cynique, parfois autoritaire, qui nous délivre des didascalies (que nous ne verrons pas toujours !) comme autant de petites déviations pour nous détourner du droit chemin ! Le rythme est pulsé par un son de grosse caisse, façon de réveiller nos préjugés. Plus tard, le tintement d’un triangle ponctuera les phrases, pour une succession d’idées lumineuses…Virginie Colemyn est éblouissante dans cet anti rôle pour un «antiteatre» qui nourrit parce que l’interaction est partout, surtout là où l’on ne l’attend pas…

Ici, la troupe s’incarne là où ailleurs, nous n’entendons qu’une «distribution». Gwenaël Morin a l’art de donner à chacun une présence extraordinaire comme s’il amateurisait leur jeu: leurs corps singuliers et imparfaits nous touchent d’autant plus qu’il n’y a pas de jeunes premiers, ou de «vieux beaux». Tous dégagent une «esthétique» de l’épanouissement qui finit par troubler. Le décor est épuré, juste quelques chaises, une table et des affiches interchangeables pour le paysage. La scénographie est ailleurs…nichée au cœur de nos imaginaires…

Quatre œuvres où la famille concentre en son sein tous les maux de notre époque: crise de la pensée politique, plafond de verre pour les femmes, rationalisation et manipulation de la relation amoureuse pour servir le jeu de pouvoir, surdité et impotence des corps constitués. Ici, le nez rouge se porte comme un gant. La famille se fait troupe de cirque tandis que les hommes forment une caste de tristes sires. Le viol est la pratique d’un fascisme de salon qui étouffe les cris des corps meurtris par la violence de « gouverneurs » sans vision, englués dans des dogmes usés, car trop répétés. Ici, on crie et les objets se jettent à la figure comme autant de mots que l’on découpe d’un poème. Les colères jaillissent pour mieux saisir la force du cynisme des situations. À travers l’écriture de Fassbinder, Gwenaël Morin nous éclabousse, à l’image d’un enfant provocateur qui sauterait dans une flaque de boue pour esquisser une fresque sur le mur érigé par nos peurs. Englués dans nos représentations, nous accueillons avec bienveillance ce jaillissement de mots au ton cinglant, en quête de vérité, qui nous éclatent au visage sans toutefois nous aveugler.

La force de la mise en scène de Gwenaël Morin est de ne jamais s’éloigner de nous, de ce qui pourrait faire résonance. Il dévoile ce que nous ne pouvons plus dire…Il aborde la virulence comme un secret qui se manifeste bruyamment. Il fait jouer la violence familiale comme un système culturel où le désir et la passion se confrontent à la frustration du pouvoir. Il explore les champs relationnels homme/femme et les tentatives de recherches de solutions pour survivre.

Cinq heures tourbillonnantes où nous sommes en continu englobés dans le jeu, où le temps qui passe n’a plus d’emprise sur nous. L’horloge se dérègle et laisse sa place à l’espace de la transformation pour que changent nos représentations. Les allers-retours permanents des acteurs entre la salle et la scène ne sont pas un gadget dramaturgique, mais bien un processus pour nous connecter au propos dans un « corps à corps » entre l’artiste et le spectateur. C’est souvent drôle, toujours grave. Lorsque la maîtrise du jeu fait éloigner le sens du propos, Gwenaël Morin autorise ses acteurs à tout lâcher notamment lors d’un entracte mémorable où l’on revivrait presque la danse de  «The Show must go on» du chorégraphe Jérôme Bel (celui-ci aurait été bien inspiré de se nourrir de ce théâtre-là pour «Cour d’honneur» présenté cet été au Festival d’Avignon !)

Ce soir, un vent de liberté a soufflé dans la douceur de l’automne. Nous avons quitté un contexte alourdi par les propos d’une classe politique épuisée pour rejoindre une contrée où des artistes abordent la douleur sociale en agitant la pensée créative d’un auteur.

Inutile de discourir plus longtemps sur le théâtre populaire. Il est là. Bien là. Grâce à des acteurs exceptionnels : Barbara Jung, Renaud Béchet, Mélanie Bourgeois, Julian Eggerickx, Ulysse Pujo, Nathalie Royer, Brahim Tekfa, Kathleen Dol, Pierre Germain, François Gorrissen.

Il n’y a que les savants pour le théoriser et s’enfermer dans leur impuissance à promouvoir ceux qui le portent haut.

Sylvie Lefrère – Pascal Bély – Tadornes.

“Antiteatre” d’Après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin. Au Théâtre de la Bastille à Paris dans le cadre du Festival d’Automne du 18 septembre au 13 octobre 2013.

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Il y a un théâtre qui n’est, ni pour tous, ni pour chacun…

«Tartuffe», “Bérénice“, «Hamlet» et «Antigone», quatre «cadeaux», offerts, sur quatre semaines par Gwenaël Morin et le Théâtre Universitaire de Nantes.
Comment débuter ce texte ?
Remercier peut-être ?  Oui, c’est ça…, écrire… Merci.

« Pom, pom, pom, pom, pom, pom, pom,… Pom, pom,pom ! » :
Pour leur Talent, leur Générosité, leur Plaisir à Jouer, leur Humilité, leur Proximité : Renaud Bécher, Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Gwenaël Morin, Ulysse Pujo.

Pour les regards, les sourires, les mots échangés/partagés : les spectateurs croisés à ces soirées. 

Pour nous avoir proposé ce Voyage, pour leur accueil : l’équipe du Théâtre Universitaire de Nantes.

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Acte 2 :
Des adolescents et de jeunes adultes présents en grand nombre, prouvant que le théâtre n’est pas une affaire de «bobos» comme on tend à nous le faire «avaler». Chaque soir, salle comble, grâce à, et par la parole (voir par sms, mais là, je suis pour!) qui circule; l’intelligence de l’esprit et du coeur, quand ils offrent cette qualité, trouvent toujours leurs messagers.
Du Théâtre étincelant, fait avec des ficelles, du carton, des planches, des tréteaux…On est loin ici des millions étalés sur scène, qui plus est, utilisés, par certains, pour «dénoncer» la «Crise»

Et pourtant? !
Ces Dames et Messieurs de moins de quarante ans (là j’extrapole, pour le “style” , je n’ai pas vu leurs papiers..) nous offrent un « Kontakthof» théâtral majestueux, on est comme dans un «Café Muller» où les «Nelken» fleuriraient des ronces du passé.

De l’essence  de la Tragédie ; ils nous permettent de sourire (voir même, sans sacrilège, de rire) pour mieux nous amener à rebondir sur le présent de son actualité. Ils nous font entrer «dans le texte» et nous permettent, par cette même invite, de mieux regarder, après «distance» de plaisir, ce qui nous agite, aujourd’hui  encore.
C’est ici véritablement de Théâtre Vivant dont il s’agit. Ce théâtre qui n’est, ni pour tous, ni pour chacun, mais qui…tout simplement, et c’est ça qui fait s/Sens ; c’est ça qui résonne et traverse chaque être pour le faire travailler à définir ce qu’il cherche, ce qu’il ressent et ce qu’il trouve là.

Ce Théâtre là nous ramène à l’enfance, ce temps de «Liberté» où nous n’avions besoin que de «bouts de cartons» pour mettre en Vie le Monde et y voir toutes les richesses d’un devenir.            
Gwenaël Morin et ses compagnons font Advenir le Théâtre de nos chimères, celui là même qui nous poussait à courir vers un demain meilleur, Forcément Meilleur, puisqu’on serait plus «grands» et plus  «libres . Et, ce théâtre là, nous re-fait advenir, car il nous susurre le «petit» qui «savait, peut-être», mieux lire les «travers du monde» parce qu’il avait alors le «pouvoir, sans doute», d’en tordre les ressors…«Mémoire?»

La lecture offerte, de ces textes d’hier, calque, à merveille, les images que l’on se créait, pour faire «entrer» ce passé lointain dans notre quotidien «enfantin».

«Bérénice», «Antigone», «Tartuffe», «Hamlet» et, tant d’autres, ont portées, et portent encore les vêtements «emblématiques» des époques où de grands yeux singuliers dévorent leurs histoires de papier. On sait bien,…en ces temps là…, qu’ils «bougent» toujours.

 Acte 3:

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Dis, Monsieur Morin, avec tes copains, tu ne veux pas nous inviter Chimène, Don Juan, Don Quichotte, Phèdre, Arlequin, Cazanova, Sigismond, Eve, Adan qu’on fasse un peu les Poussières?

Dis pis, M’sieur Morin, avec tes copains,tu lâches pas, hein, dis, tu tombes pas sous les « dorures » et les « fanfreluches »?

Dis, t’as vu tous les jolis « gamins » qui ne vous font pas « clap, clap » mais « Bravo Merci », tu ne lâches pas « l’enfance », hein?!

Continuez à danser et offrez-nous encore, s’il vous plaît, les « Carmen » et les « Don Rosé » sortis de vos malles à Parfums d’Enfances…
Dites-les TU (Théâtre Universitaire), tu nous/les invite encore demain à la Fête du Théâtre?

Dites les spectateurs, on se refait encore, même sans leur aide s’ils sont occupés ailleurs, les Bonheurs des Regards, des Sourires et des Mots?  

Merci  à Vous, Renaud, Virginie, Julian, Barbara, Grégoire, Gwenaël, Ulysse de m’avoir, de nous avoir, invités dans vos rêves.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

Les spectacles du répertoire de Gwenaël Morin: ici.

«Tartuffe», “Bérénice”, «Hamlet» et «Antigone» mise en scène par Gwenaël Morin au Théâtre Universitaire de Nantes du 17 janvier au 11 février 2011.

Photo Julie Pagnier

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Gwenaël Morin, le transe-formateur.

Gwenaël Morin est un metteur en scène. Il a l’étoffe du bâtisseur, celui qui laisse son empreinte pour ouvrir la voie. Dèsqu’il arrive dans un théâtre (celui d’Arles par exemple), on a l’étrange impression qu’il modifie les plans, l’aspect, voire l’architecture. Pour “Tartuffe, d’après Tartuffe de Molière“, les escaliers, les loges, les recoins, les portes sont autant de plateaux pour que le théâtre s’entende. A se demander si ces lieux souvent imposants et massifs méritent bien leur qualificatif de “théâtre dans la cité“. À notre arrivée, un décor fait de cartons, de peintures photocopiées assemblées par du scotch, d’une vieille table, d’une chaise de plastique récupérée dans une salle des fêtes et d’un boudoir. Tout donne l’impression que la force se nourrit de cette fragilité. Six acteurs (Renaud Béchet, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Gwenaël Morin et Ulysse Pujo) se préparent comme des sportifs: étirements, concentration, allers et venues. Habillés comme vous et moi, ils nous regardent avec le sourire. Ils sont “agents d’accueil“! Pendant quatre-vingts minutes, ils ne vont plus nous lâcher. Ils partent au combat pour susciter le désir, pour éveiller les sens, pour nous faire plaisir comme s’il fallait nous mettre en état de tension permanente. Il y a chez Gwenaël Morin ce pari un peu fou de diriger ses acteurs tout en “malaxant” la salle, tel un sculpteur avec la pierre.

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A la sortie, on en sort presque épuisé. Comme après une transe. Car ce “Tartuffe” n’offre aucun répit. Au commencement, il y a cette scène où Orgon, couvert d’un tissu noir, hésite à descendre la marche qui le sépare du public. Il tremble, il vacille, de peur d’avancer dans l’incertitude (à l’image du peuple français?).C’est tout l’enjeu du théâtre de Gwenaël Morin: franchir la ligne, ouvrir l’espace de la représentation, nous prendre à partie. C’est alors qu’Orgon, quasiment “enburcanné” monte les escaliers de la salle suivie par sa famille, désespérée par tant de dévotion à l’égard de Tartuffe. Poursuivraient-ils l’obscurantisme? Car, combien sont-ils, dans les plus hautes sphères de l’Etat et des familles, à naviguer à vue sous l’influence de “conseillers” manipulateurs et spoliateurs?

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Tartuffe, c’est le vers dans le fruit de la démocratie et des institutions censées nous protéger de l’affairisme et de la corruption. La mise en scène restitue la violence de ce processus. Je reste fasciné par la façon dont l’acteur occupe l’espace scénique d’une table, d’un dessous de table, d’un bout de carton: tout fait corps!  Avec délicatesse, Gwenaël Morin bouscule notre représentation du théâtre patrimonial: il force notre écoute quand les acteurs chuchotent (ou complotent!); il nous aide à nous distancier des effets scéniques un peu faciles (ici, le jeu de lumières consiste à éteindre ou allumer!) et nous donne un repère (le boudoir) qui se transmet d’acteur en acteur comme un passage de témoin afin de ne pas perdre le fil de la tragédie qui se trame.

Mais surtout, ce “Tartuffe” transpire. La folie du désir est partout. Tout n’est pas tout blanc ou tout noir comme au temps de Molière. Aujourd’hui, comprendre Tartuffe, c’est ressentir toutes les ambiguïtés, tout ce qui fait “complexe”. Ici, des acteurs masculins jouent des rôles de femme tandis que Tartuffe et Orgon s’homosensualisent! Même le piège tendu par Ermine à Tartuffe pour démontrer, au mari caché sous la table, son hypocrisie est ambiguë : elle provoque le désir pour chercher la vérité par le mensonge. Alors qu’elle fait tomber une à une les barrettes de ces cheveux face à un Tartuffe médusé, le compte à rebours d’un “amour à mort”‘ a commencé. Magnifique.

Avec Gwenaël Morin, c’est par le corps que l’on manipule les consciences. Après l’avoir libéré des jougs de la religion, il est aujourd’hui l’objet de toutes les “tartufferies” qui nourrissent les rapports de force. Nos Tartuffes contemporains savent jouer avec nos désirs. Jamais la libération du corps ne m’est apparue aussi fragile.

Gwenaël Morin nous le rappele avec une force “trans(e)pirante“.

Pascal Bély, www.festivalier.net

« Tartuffe d’après Tartuffe de Molière », conception de Gwenaël Morin a été joué les 6 et 7 janvier 2011 au Théâtre d’Arles.

Crédit photo: Pierre Grobois.

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Le théâtre reprend racine.

Paris, 21 novembre 2010.

Bruine glaciale.

Le metteur en scène Gwenaël Morin nous accueille à l’entrée de la salle du  Théâtre de la Bastille. Tel un chef d’orchestre face à sa troupe, il donne même les trois coups. Sur la scène, un plateau très étroit en bois, genre podium défilé de mode. Puis, un long drap sert de toile de fond où sont inscrits les rôles, les environnements et la direction. Mieux qu’un GPS, c’est une carte mentale ! La fragilité de l’ensemble contraste avec les murs du lieu. Le tout donne l’étrange impression d’un théâtre monté à toute vitesse comme s’il y avait urgence.

Le public composé de jeunes et de plus âgés est réuni pour ce «Bérénice d’après Bérénice de Racine», un classique parmi les classiques. Comment Gwenaël Morin peut-il nous relier?  Ils sont quatre acteurs (Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Ulysse Pujo; tous exceptionnels) pour endosser les rôles de cette tragédie où deux hommes (Antiochus et Titus) aiment la même femme, Bérénice, reine de Palestine. L’un doit céder sous la pression des habitants de Rome qui refusent à Titus d’épouser l’étrangère, tandis que l’autre (Antiochus) s’apprête à fuir, ne pouvant rien espérer. À trois, ils forment la toile qui finit par nous saisir pendant que que le quatrième (tour à tour Arsace, Phénice, Paulin et Rutile) joue avec une cymbale pour ponctuer les actes et faire résonner la menace, le danger, la raison et la déraison ! 

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Tout me trouble dans cette adaptation et mise en scène. L’espace scénique d’où des gradins surgit parfois Antiochus tandis que le plateau, très proche des spectateurs, n’utilise pas l’espace disponible. Cette oppression spatiale nous inclut dans la tragédie : serions-nous le peuple de Rome, celui qui refuse aujourd’hui l’étrange et l’étranger ?

Comment ne pas être troublé par les costumes…D’un côté Antiochus et son collant probablement prêté par un danseur de chez Cunningham (!) et son torse nu où, tel un tatouage des temps modernes, est gravé «Hélas». C’est le corps qui parle, comme une tentative de marier la langue de Racine avec le langage du théâtre contemporain. Bien vu, d’autant plus que les autres sont en jeans et que Titus arbore une chemise empruntée au Deschiens, fermée jusqu’au dernier bouton. Le contraste entre les corps biologiques, institués, socialisés est frappant et pour tout dire ennivrant.

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Que penser de cette scène en forme de podium où défilent les passions ? Elle crée le mouvement, provoque les cassures et les ruptures (on y glisse pour finir par se vautrer dans le décor). C’est d’autant plus magnifique, que ce bois est prêt à céderà chaque instantsous les coups de boutoir de l’amour et du pouvoir. Le texte réussit par épouser le processus d’ouverture désiré par Gwenaël Morin : relativement ardu au départ, il se craquelle, se réduit (la durée de la pièce en témoigne, à peine une heure et dix minutes), s’avance lui aussi vers nous jusqu’à la rupture : en coeur, les acteurs interprètent «Da da da ich lieb dich nicht du liebst mich nicht aha aha aha» du groupe Trio, traduction en plus de cinquante langues de « dada » ! Cette rupture n’en est finalement pas une : je la sentais venir ! C’est une pause au cour de la tragédie, un accueil de tous et de chacun pour ne plus avoir peur de ce théâtre-là. Et d’un coup, cette langue de Racine se pare des beaux atouts de la modernité. Nous voilà emportés, sidérés : le texte s’envole, se débarrasse de ses oripeaux et nous fait peuple de Rome et de Palestine, garant de la raison d’État et protecteur de l’amour d’un roi pour sa reine.

Gwenaël Morin a de la hauteur : il s’engage et nous engage. Son théâtre nous rend ce que l’on nous confisque bien trop souvent: la parole.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Merci à Elsa Gomis du Festival Mens Alors! et à Martine Silber du blog Marsipulamima pour m’avoir guidé vers Gwenaël Morin.

« Bérénice d’après Bérénice de Racine », adaptation et mise en scène de Gwenaël Morin du 2 au 27 novembre au Théâtre de la Bastille, Paris.

Crédit photo : Pierre Grosbois.