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Festival d’Avignon – “Je suis prêt à me battre pour défendre ce spectacle”

Pendant le Festival d’Avignon, j’aime nos échanges de spectateurs sur notre groupe Facebook. Ils sont sans concession. À propos de «Par les villages», mise en scène de Stanislas Nordey, Francis Braun écrit: «Je suis prêt à me battre pour défendre ce spectacle». Pascale s’impatiente: elle attend des propos plus étayés ! Nicolas, fidèle lecteur, lui répond:  «Ça va venir. Les Tadornes s’invectivent et se défient avant la bataille d’arguments».

Je n’ai pas vu la pièce, mais le texte de Francis Braun est un sacré coup d’épée. En plein cœur.

Pascal Bély.

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Les cloches n’appellent pas le temps, elles appellent l’Éternité”.

Ah bas les sculptures de racines…”

Force de constater qu’il ne reste que ce ruisseau qui ne coule plus. Force de constater que le béton bloque tout.

Comme beaucoup, ils crient. Très fort, ils pensent que “personne ne peut tout”.

La pièce de Peter Handke, «Par les villages», mise en scène de Stanislas Nordey, n’est pas silencieuse. Elle est dénuée de bruit artificiel et les comédiens, tous en ligne, respectent son écriture… Disparu, le lien tutélaire. Il y a encore moins de protection, tout est remplacé, l’eau, la terre, le feu, les écoulements, les brûlures. C’était différent avant et ce n’est pas, là, une banalité. Et ils le racontent, tous, ce changement, cette société, ce bouleversement. C’est ainsi que quatre heures durant, ils font cet effrayant constat qui nous enfouit dans un amalgame bétonné.

Stanislas Nordey, Jeanne Balibar, Emmanuelle Béart, et des superbes seconds rôles (magnifiques comédiens) sont là. Des ouvriers, maîtres d’œuvre ou artistes géniaux nous racontent sans emphase. Une mise en scène sévère, rectiligne sans artifice. On oublie l’année dernière Simon Mac Burney: il n’y a pas de vidéo, il n’y a pas de gadget.

Retour à l’admiration du verbe, du texte, des dires devant 2000 personnes, juge et partie assis tous de face, admirateurs ou obstacles, pour ou contre, public sévère d’Avignon. Stanislas Nordey veut, dit-il,  parler à l’intime de chaque regard. Metteur en scène et comédien, il est là, fougueux, volontaire, puissant convaincant, incisant poignard, truelle maçonne, outil de la persuasion.

Ils re-disent parfois….”Ah bas les sculptures de racines”….

Stanislas Nordey mène sa troupe serrée, sans gesticulation. Ancrés, ils sont debout sur ce sol quelconque et devant des baraques de chantier traditionnelles (la Carrière Boulbon aurait-elle été préférable que la Cour….je pense). Le décor insignifiant, n’ajoute rien, n’enlève rien. Dans la seconde partie, les arbres blancs que compose cette façade plaquée et végétale d’un cimetière livide ne dérangent pas plus que leurs ombres esquissées…finalement  on s’en moque un peu. C’est un lieu de fin de vie, c’est un lieu de retrouvailles, c’est le lieu extrême de la fin. Aucune intégration avec les pierres séculaires, juste une cohabitation. Catherine Ribeiro aurait aimé ce “Carrefour de la solitude”, ce lieu indéfinissable et vivant du passé et de la mort (je pense à Catherine Ribeiro grande amie de Colette Magny à qui l’intendante du chantier Annie Mercier me fait penser par la force de sa violence).

Ce décor pour moi n’existe même pas. J’arrive à l’ignorer tant les voix me harcèlent.

Les voix des hommes, les voix des femmes.

Emmanuelle Béart, plus habituée au Cinéma qu’au Théâtre est une voix rauque, coléreuse, voire parfois hargneuse. Le poing souvent serré de sa main nous dit la violence de son propos, mais  il sonne comme un écho fabriqué, comme une volonté forcée plutôt que venant d’une injonction naturelle. Sa petite taille devant le mur l’ancre sur la Terre Bétonnée. Elle aurait pu disparaître dans la terre meuble. Je doute de ce choix de comédienne.

Emmanuelle Béart est seule, Jeanne Balibar est  seule, Annie Mercier est seule, les ouvriers sont seuls  et cette aventure par les villages est un peu un chemin  de solitude, un chemin où se cognent non seulement le désarroi et les déceptions, mais aussi  les regrets et les amertumes.  La civilisation nous convie à la solitude.

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Jeanne Balibar est seule. Seule à talons, yeux dans le vague, bouche haletante. Nova de sa hauteur parle. Elle monologue. Linéaire ses paroles, comme sur un fil, droite, parallèle à ce qu’elle doit dire, toujours rectiligne. Des hauts dans sa voix, des bas trémolos inquiétants. Pas de morale dans les syllabes, des conseils plutôt, des dires sur l’Art salvateur. Elle est implacable. Elle me fascine par sa ténacité verbale et la persuasion de son rictus. Elle se parle à elle-même comme si elle parlait aux Dieux  d’une Tragédie. J’aurais pu l’écouter longtemps, plus longtemps parler de la création, de la source bienfaisante de l’Art,  des démarches créatrices.
L’Art intemporel, l’Art solution extrême, seule échappatoire, l’’Art au dessus de toutes les contingences mercantiles ( ??? !!!). L’Art pour les humbles, l’Art pour les oppresseurs, l’Art pour les opprimés. L’Art, l’issue évidente.

Quatre heures bien sûr, c’est long, c’est envoutant, mais l’esprit parfois s’en va, nous laisse à la dérive. Seule, la puissance de la mise en scène, seul le talent de ces hommes et de ses femmes nous emporte, nous tient éveillés…Je suis resté accroché à Balibar.

Il est maintenant presque 1.30. On ne plaisante plus. La gardienne du cimetière se lève, les autres aussi, l’enfant fil conducteur a les yeux qui clignotent. Bas les masques, ou plutôt, mettez vos masques, continuez ainsi, les masques vous protègent, ils sont l’image de votre cachotterie, de la notre, de la leur….

Rien ne sert à rien, les masques ne tombent pas…on n’y peut  rien…

Toute la troupe, à la fin se lève, ils nous regardent, se regardent, portent à la main des masques de bois, dont il recouvre leurs visages…j’allais dire leurs VILLAGES !

Debout. Applaudissements.
Jeanne Balibar est grande et émue, il semble qu’Emmanuelle Béart pleure….

Francis Braun – Tadorne

“Par les villages” – Peter Handke, mise en scène de Stanislas Nordey à la Cour d’Honneur  - Festival d'Avignon – 6.7.2013
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Se remettre dans le bain.

Comme spectateur qui écrit en amateur, j’ai parfois besoin d’être en lien pour avoir confiance. Le Théâtre de Lenche à Marseille m’a dernièrement envoyé un mail pour m’inviter à «Belle de seigneur (extraits)» mis en scène de Renaud Marie Leblanc et Jean-Claude Fall. Cet écrit accueillant et personnel change des invitations robotisées et abondantes. J’avais prévu ce déplacement. Mais l’énergie ne venait plus.  Je suis donc (re)parti…

Il est 20h30, j’y suis. Deuxième rang. Du centre de la scène, je perçois à peine ses cheveux. Son corps semble disparaitre. Elle est dans sa baignoire d’où s’échappe un tissu blanc qui reconfigure tout l’espace. Me voici spectateur, un peu voyeur, de ce corps inanimé. Cette baignoire-cercueil oblige au recueillement, mais il est couvert par le brouhaha du public, bruit de fond de la foule qui se presse…pour elle…pour la voir. Imaginez donc…une création théâtrale issue d’un des chefs-d’œuvre de la littérature, écrit par Albert Cohen. Ce soir, Roxane Borgna incarne la belle Ariane, épouse d’Adrien (petit bourgeois), mais surtout éprise de passion pour Solal, haut responsable de la Société des Nations. Ariane…tel un fil…qu’elle va tirer entre sa fougue, ses pulsions, ses déraisons, sa drôlerie et nous, spectateurs assis dans cette salle de bains, boîte noire où pourraient siéger nos désirs inavouables!

Elle se lève. L’eau dégouline de sa robe-camisole de force dont elle se libère peu à peu. Cette eau évoque cette pluie bienfaitrice après la chaleur torride d’une journée de labeur. Ariane s’ouvre et nous éclabousse parfois avec ses gouttes gorgées de mots qui abandonnent leur poésie sur nos terres asséchées par nos quêtes rationnelles d’amour. Ariane entre et sort de l’eau: à chaque délivrance de ce liquide presque amniotique, elle n’est plus la même. Au début, presque apeurée lorsqu’elle se confie sur l’enfance et son mari, elle devient peu à peu provocante, charmeuse de serpent, soumise et rebelle, folle amoureuse d’un prince des fous…À la fois force créative quand elle se met à distance de celui qu’elle aime (moment savoureux où elle se moque de son amant qui éructe pendant l’acte sexuel), elle se métamorphose quand elle se passionne pour lui, prélude à un corps à corps que je devine brûlant…mais l’eau est toujours là, pour éteindre ou raviver, en fonction d’un jeu de lumière qui explore ce corps qui a tant à donner, à dire.

Eugène Delacroix - La Liberté guidant le peuple delacroix_la_liberte_guidant_le_peuple

Je suis suspendu à son fil. Je bois ces mots. Je m’émerveille de la voir monter sur les rebords de la baignoire, comme pour en découdre contre l’ordre établi qui régit les bonnes mœurs et les meilleures façons de s’aimer. Bras tendus, tête haute, elle me fait penser à la toile de Delacroix, «La liberté guidant le peuple» : «C’est l’assaut final. La foule converge vers le spectateur, dans un nuage de poussière, brandissant des armes. Elle franchit les barricades et éclate dans le camp adverse. A sa tête, quatre personnages debout, au centre une femme. Déesse mythique, elle les mène à la Liberté. A leurs pieds gisent des soldats.».

Me voici soldat de l’amour à vouloir reprendre les armes, à ses côtés. Parce que Roxane Borgna est splendide dans le rôle (elle incarne cette  beauté au théâtre qui donne l’énergie d’espérer…) ; parce que ce plateau de noir et de blanc forme ce champ de bataille entre vie et mort, entre amour et haine, entre «ça» et «moi» ; parce que ce théâtre-là est généreux de mots et de corps; parce qu’un petit espace suffit pour lutter entre demande d’amour et pulsions mortifères ; parce qu’Ariane a donné 5o minutes d’un beau texte, trop peu pour qu’une armée de cupidons lance dans sa baignoire des flèches rouge sang qui la réveilleront d’un trop long silence…

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Belle de seigneur (extraits)» mise en scène de Renaud Marie Leblanc et Jean-Claude Fall au Théâtre de Lenche, à Marseille, du 12 au 23 mars 2013. 

 

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LE THEATRE BELGE! OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

«La légende de Bornéo»: un si beau travail.

Tandis que les désirs d’ouvertures s’entendent ici ou là, la peur donne le tempo et les enferme dans un «no futur». Tandis que l’on nous exhorte de changer, nous continuons à imposer un modèle productiviste finissant pour trouver des solutions à la crise. Le cercle est vicieux. Heureusement, le théâtre est encore là pour nous aider à penser autrement, à nous interroger différemment, à faire corps social pour retrouver l’élan collectif. Parfois, il y a le théâtre (souvent belge d’ailleurs) pour nous inviter à relier ce que nous cloisonnons, à bousculer l’ordre établi et ouvrir nos systèmes de représentation, levier de tout changement (au-delà des dogmes tout faits qui nous tombent dessus ou des slogans de communication, vecteur de l’insignifiance). Confiant envers deux lectrices fidèles du blog qui m’invitaient à faire 200 km pour aller à leur rencontre, parce que «c’est intelligent», je suis parti voir le collectif «l’Avantage du doute» pour leur dernière création «La légende de Bornéo». J’en suis sorti plus fort, plus penseur, plus acteur alors que la question du lien au travail (thème de la pièce), aurait pu m’éloigner du plaisir.

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Ce qui frappe d’emblée, c’est le collectif composé de cinq acteurs. Leur hiérarchie est invisible, à l’image des entractes où chacun contribue à débarrasser la scène…Ils font collectif ouvert parce qu’ils nous accueillent. Alors que nous attendons que le spectacle commence, Simon Bakhouche, «acteur à la retraite», améliore ses fins de mois en nous proposant pour 1 € pièce, des crêpes de Dunkerque élaborées par sa femme. Certains spectateurs achètent…comme quoi, le théâtre ne pèse pas lourd face à la pulsion de faim! Dans cette séquence, la relation marchande artiste–spectateur évoque aussi la précarité grandissante de ceux qui ont atteint l’âge de se reposer…ou de poursuivre leur oeuvre! J’y vois également l’urgence d’ouvrir cette relation pour l’émergence d’un nouveau paradigme à partir d’un collectif non hiérarchisé. Leur dynamique de groupe nous y aide d’autant plus qu’ils parviennent à inclure le vaudeville, le one woman show, dans une esthétique contemporaine où le signifié prend le pas sur le signifiant. Chapeau ! Car, comment aborder la question complexe du travail, si l’on ne pose pas la relation ouverte entre artistes et publics pour que s’accueillent nos ressentis, nos visions, nos mots, nos corps…?

A ne pas être sur le pouvoir, ce collectif dégage une puissance contaminante qui autorise bien des porosités. C’est ainsi que je navigue du couple, à Pôle Emploi, à la famille, à la relation pédagogique, à la reconversion, sans avoir une seule fois l’impression d’être dispersé et manipulé. D’autant plus que pendant que certains jouent, d’autres observent. C’est toujours contenu, jamais sous contrôle. Avec eux, tout se relie, tout se traverse : leurs corps d’acteur captent, restituent, subliment. Ce sont des artistes populaires.

Ce collectif aborde le travail par tant d’angles que cela forme une vision. De scène en scène, je le ressens comme un système d’opérations. Il n’est plus un système de valeurs. La pulsion, la mécanique a pris le pas sur l’échange de nos représentations (l’épisode où la jeune sœur, comédienne –sincère Judith Davis– entre en conflit avec son beau-frère robotisé par son entreprise, est sur ce point saisissant!). Même le couple importe dans ses jeux amoureux, l’opérationnalité du travail. Tout est contaminé jusqu’au système absurde de Pôle Emploi (instant drôle et tragique où Claire Dumas incarne un conseiller), pris dans un engrenage de procédures qu’il ne supervise plus. L’opération a pris le pouvoir sur le système de pensée censé le réguler. Le corps et l’esprit sont déconnectés si bien que le biologique lâche (à l’image de la troublante scène où Nadir Legrand – acteur exceptionnel- ne se contrôle plus), à moins qu’il ne soit matière de travail (la danse de Mélanie Bestel avec son mari n’est qu’une succession de gestes sans rapport avec le  propos…). Le collectif élargit sa focale jusqu’au système culturel responsable d’instrumentaliser la poésie à des fins de communication pour cacher la misère sociale à partir de «matières» produites par des acteurs de plus en plus précarisés (avez-vous remarqué le nombre de lieux culturels qui se nomment «Fabrique», «Atelier», voire même «Usine»?).

Je comprends que, peu à peu, changer le travail supposerait de transformer notre relation à l’art, au beau dans une société où la pulsion a remplacé la raison.

Pour que le rêve d’être quelqu’un ne se réduise pas à conduire les opérations de déneigement lors d’hivers sans fin…

Pascal Bély – Le Tadorne.

« La légende de Bornéo » par le Collectif l’Avantage du Doute au Théâtre de Nîmes les 14 et 15 mars 2013. Au Théâtre Garonne de Toulouse du 19 au 23 mars 2013.

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Marseille Provence 2013 PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

Marseille Provence 2013 : peine capitale pour le théâtre.

Depuis combien de temps ne me suis-je pas rendu au Théâtre Gyptis à Marseille ? Géré par la Compagnie Chatât-Vouyoucas, ce lieu n’a jamais nourri mon cheminement de spectateur. Cette année, l’association Marseille Provence 2013 coproduit «Macbeth», mise en scène par Françoise Chatôt. Confiant, je suis prêt à me laisser surprendre en rêvant d’un théâtre ouvert, généreux, renouvelé…N’est-ce pas là une des missions de la capitale culturelle ?

La salle est plutôt clivée : des rangées de spectateurs âgés côtoient celles occupées par une classe de terminale. J’entame la conversation avec une jeune fille : ils viennent tous d’un lycée d’Aix en Provence où ils apprennent plusieurs langues et s’exercent à traduire des textes classiques, dont Shakespeare. Ses désirs d’ouvertures nourrissent ma vision de spectateur curieux. Notre échange est interrompu par une longue annonce où sont énumérés des rendez-vous auxquels nous sommes conviés au cours des prochains jours : des universitaires vont se bousculer pour distiller la parole savante autour de «Macbeth». Spectateurs obéissants, cultivez-vous ! Cette approche du lien spectateur – lieu est effrayante.

Finalement, le cadre est posé: une jeunesse prête à s’ouvrir sur le monde et un spectateur-blogueur désireux de promouvoir la capitale culturelle par le théâtre. La première sera prise de rires convulsifs tandis que le deuxième fulminera d’assister à un art vivant aussi dépassé, sans âme, mais avec probablement un joli budget.

Le visionnage de la vidéo mérite peu de commentaires. Ce que l’on voudrait nous faire admettre comme du mouvement n’est qu’une suite de gesticulations. Il n’y a aucune corporalité du texte dans la mise en scène : juste des corps droits, prisonniers de costumes, comme si les comédiens enfilaient une camisole de force, celle imposée notamment, par la traduction ampoulée de Jean-Michel Déprats.  

La modernité se résume ici à une vidéo sans profondeur : elle n’est que décor, à l’image d’un plateau sans relief (tout juste, descendons à la cave comme si on allait y chercher le bon vin…). Tout est de haut en bas et vous tombe dessus.  La pièce est si séquencée que l’on en perd le sens de l’œuvre : avec Françoise Chatôt, le pouvoir est un statut comme si elle ignorait qu’il est surtout un jeu ! Rien ne transpire des interactions : une certaine idée du théâtre impose les mots contre le corps, le savant contre l’émotion, le paraître contre le biologique. Je ne m’étonne plus de voir la poussière se soulever du plateau et des costumes : elle est partie prenante du jeu.

Je fais donc un rêve pour les jeunes étudiants d’Aix en Provence et pour les habitants du quartier de la Belle de Mai…Qu’un nouveau théâtre puisse les accueillir…

Pour qu’avec les artistes belges, ils puissent s’émouvoir de tout leur corps pour en rire…

Pour qu’ils se perdent dans le travail vidéo de Fabrice Murgia et approcher son théâtre circulaire….

Pour qu’ils ressentent un lien social régénéré avec le théâtre argentin…

Pour qu’ils s’humanisent en gueulant avec l’italien Pippo Delbono

Pour qu’ils osent embarquer avec Claude Régy vers des contrées inconnues…

Pour qu’ils goutent au théâtre dansé de Maguy Marin

Pour qu’ils s’épatent de culot des Allemands quand il s’agit de mettre en scène Shakespeare…

Pour qu’ils découvrent l’engagement de jeunes metteurs en scène régionaux qui croisent danse, théâtre et arts plastiques…

Pour qu’ils s’évadent définitivement de ce théâtre pénitencier.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Macbeth » de Shakespeare, mise en scène de Françoise Chatôt au Théâtre Gyptis du 22 janvier au 9 février 2013.
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Stanislas Nordey plaqué.

Clôture de l’amour” de Pascal Rambert part en tournée. Le rôle principal sera occupé par Stanislas Nordey,”acteur institutionnalisé” qui sera l’artiste associé du prochain Festival d’Avignon .
Indication pour la lecture de cet article : prière d’adopter un débit ferme et sans appel comme lors d’une rupture où il n’y aucune place à la négociation. Les mots en MAJUSCULE signent un haussement de ton. Cette critique est définitive.

De nouveau, un grand décor blanc.
Comme dans « Mademoiselle Julie» par Fréderic Fisbach avec Juliette Binoche.
Le blanc est tendance.
Chez l’un, c’est un loft. Ici, dans «Clôture de l’amour» de Pascal Rambert, c’est une salle des fêtes.
Les similitudes ne s’arrêtent pas là. MAIS JE N’AI PAS LE TEMPS D’Y REVENIR.
Audrey Bonnet et Stanislas Nordey forment un couple. Ils ont trois enfants. Ils travaillent ensemble («notre travail repose sur l’écoute, le regard actif». Probablement des pros de la communication culturelle…).
Ils sont en pleine crise.
Ils vont rompre.


Chacun se tient aux deux extrémités de la salle.
Nous sommes donc invités à la scène, pour deux heures.
C’est LONG.
INTERMINABLE.
Lui-même l’admet à plusieurs reprises. Car «Stan», le sait. Il nous SAOULE. Il devance la critique. Parfait. Car son monologue de quarante minutes est insupportable. Du Stanislas Nordey PUR JUS: avec des «che» dans la bouche, des bras tendus, un corps raide et des génuflexions, chacun reconnaît sa pâte. DU DÉJÀ VU. Mais qu’importe.
Je fais avec.
Au bout de vingt minutes, il joue même avec MES NERFS («je commence à peine»; rires dans le public. Si ce n’est pas DEMAGOGIQUE, cela y ressemble).
Le texte de Pascal Rambert est truffé de métaphores malines sur l’amour. Bien joué. Ça marche, car cela parle à tous.
Elle l’écoute.
Son corps bouge.
Texte et corps. On connaît LA CHANSON. Elle revient à chaque édition du festival d’Avignon par des critiques en mal d’inspiration pour se faire remarquer.
Notre regard va de gauche à droite. C’est nous qui faisons le mouvement. Bien vu. Cela va calmer Armelle Heliot du Figaro.
Pause.
Arrive un imprévu. Je ne raconte pas. Je FULMINE que l’on puisse DETOURNER de son sens un si beau texte.
On change maintenant de côté.

Audrey attaque.
Elle est MAGNIFIQUE.
Elle dit à Stanislas Nordey tout ce que JE PENSE DE LUI depuis des années.
Elle adopte ses postures, à croire que c’est LUI qui a fait la mise en scène.
«Une séparation, c’est un théâtre» lui balance-t-elle. Elle ne croit pas si bien dire.
Je l’encourage de toutes mes forces.
Elle poursuit jusqu’à lui jeter : «MAIS C’EST QUOI CE NOUVEAU LANGAGE?» faisant référence aux métaphores de la première partie.
Elle continue : «C’EST L’INTERIEUR QUE L’ON VOIT BOUGER SUR LA PEAU ».
Bien vu.
Elle attaque encore.
Il se décompose.
BIEN FAIT.
«Tu n’aimes que toi, Stan».
EXACT. Je l’ai toujours pensé notamment dans «Ciels» de Wajdi Mouawad où, en 2009 au Festival d’Avignon, il avait SACAGE cette pièce pourtant joliment écrite.
«BON COURAGE POUR TE RETROUVER», «L’IMAGINATION EST BORNEE A CE QUE L’ON VEUT CROIRE», poursuit-elle. Une vraie leçon d’acteur et d’humilité.

Et puis, l’estocade finale : «DANS UNE RUPTURE, ON NE S’ALIGNE PLUS SUR LA PAROLE DE L’AUTRE». Les différents partenaires au théâtre de Stanislas Nordey ont dû apprécier. Merci pour eux.
Arrivent les gosses. L’aîné leur demande : «mais de quoi avez-vous parlé?». La VERITE vient décidément toujours de la bouche des enfants.
Ouf, pour le final, on nous épargne les oreilles de lapin, mais pas le truc en plumes.
Je clos ici ma relation avec Stanislas Nordey. C’est TERMINÉ. Avec Pascal Rambert, probablement aussi tant qu’il sera AVEC LUI. Je suis assez exclusif dans mes relations.
Maintenant, il y a Audrey Bonnet. Mon héroïne.
Pascal Bély – Le Tadorne.
“Clôture de l’amour” de Pascal Rambert au Fesitval d’Avignon du 17 au 24 juillet 2011.

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AUTOUR DE MONTPELLIER THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

L’échappée belle.

Clermont-L’Hérault se trouve à 40 km de Montpellier. Aux portes du Lac du Salagou et de Lodève, cette petite ville possède un vrai théâtre avec des strapontins rembourrés et confortables ainsi qu’un lieu d’accueil pour le forum avec les spectateurs. Devant, de grandes allées piétonnes offrent un parvis très agréable qui suscite la convivialité. L’équipe y est particulièrement chaleureuse. C’est pour moi une belle découverte. Le ciel noir de nuages, et les rafales de vent m’accueillent. Mais je suis déterminée: je veux aller à la rencontre de Catherine Vasseur et de Jean Cagnard. Leur façon passionnée d’évoquer leur travail artistique m’avait à une époque vraiment alléché. Je ne vais pas être déçue…

La salle est composée de spectateurs de la région, de quelques professionnels et d’enfants d’une dizaine d’années. Quand l’enfant et la jeunesse sont là, je suis d’autant plus attentive, car je m’amuse de leur réception. Ils ont le goût du vivant. Le plateau est comme un vaste garage rempli, dans un bazar organisé. Comme dans une vie…Jean Cagnard, l’auteur, s’affaire bruyamment sur un établi, nous tournant le dos. Il met en jeu son travail. Il sera comme un Géo Trouvetou, bricoleur de génie. Les mots sont en mouvement dans la langue ainsi que dans les objets. De petites pancartes portent des mots clefs pour nous faire suivre différents chapitres. Elle défilent le long de fils, reliés à des rouages qui structurent notre pensée à partir de celle de Jean. Il est l’artisan de son esprit, en lien avec nous. Il cherche sans cesse à nous stimuler ludiquement et intellectuellement, à travers des rythmes et des mécanismes dynamiques.

Catherine est comédienne, entre ce manipulateur de la langue et la musicienne, Julie. Catherine pose sa voix, intègre les jeux de lumière, chorégraphie sa posture, seule ou en lien avec ses compères, car complicité et harmonie il y a. J’observe un spectacle savamment orchestré, entre supports d’images, de sons, d’objets, de pas de danse et de musique. Les matériaux bruts s’élèvent vers une perspective, une vision. Le temps passe à travers l’eau qui s’écoule par les petits trous d’un tuyau d’arrosage. Ce fluide transparent, si difficile à maîtriser, nous nourrit, nous hydrate…Voilà un théâtre qui nous alimente. Il nous fait entrer dans des mondes surréalistes qui nous embarquent. Il est rare d’assister à un plateau artistique aussi complet.

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Je retrouve Agnès Varda et sa plage dans “Les plages d’Agnès”  et son humour un peu loufoque, mais si poétique. Je repense à Maguelone Vidal, musicienne comme Julie, passionnée, élève de conservatoire, mais qui conçoit son art comme un perpétuel renouvellement, dans des improvisations qui rebondissent contre les mots. Ce soir, les corps de l’instrument et de Julie s’accouplent en ballet, et la voix les porte haut. Tout est exprimé comme pour donner un jus savoureux à nos oreilles, réveillées, et apaisées, dans cette invitation au voyage de la poésie. Les objets sont centraux et l’instrument est aussi prégnant que les artistes autour. Il capte la lumière, devient polyphonique. Les pas de danse lents me renvoient à la douceur de ceux vus cet été à Avignon dans «La Mouette» d’Arthur Nauzyciel. Le théâtre me touche dès qu’il y a un corps qui s’engage, en finesse et en recherche de sens.

La distance qui nous sépare du prochain poème” est une pièce qui renouvelle le théâtre en se donnant le luxe du  temps de la réflexion, de la création…Et si on se distanciait aussi sur notre propre parcours et celui qu’il reste à bâtir comme semble le suggérer la superbe dernière scène où sont posés différents mannequins métalliques, couverts de rétroviseurs? Nous voici face à notre vie passée, et au loin, dans un désir de regarder devant, la route qui s’ouvre vers un collectif poétique en marche.

Sylvie Lefrere, Le Tadorne.

 “La distance qui nous sépare du prochain poème” de Jean Cagnard. (Texte paru aux éditions Espace 34) Compagnie 1057 roses. Au théâtre de Clermont-l’Hérault le 18.10.12 puis le 8 et 9 novembre au Périscope à Nîmes, le 28 novembre 2012 au théâtre de la Mauvaise Tête  à Marvejols et le 14 décembre 2012 à la maison théâtre d’Amiens.

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FESTIVAL ACTORAL PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival Actoral à Marseille, hivernal « Das Plateau ».

«Notre printemps» du collectif «Das Plateau» s’achève et un vent glacial balaye le Théâtre des Bernardines à Marseille. Qu’ai-je donc vu pour être si loin alors que les sujets proposés (la maladie, la jeunesse, la mort) auraient pu me toucher?

Ce théâtre français là, qui se défini pluridisciplinaire, est une fois de plus incapable de positionner le corps au centre comme si la mise à distance des émotions pouvait tenir de propos (lire à ce sujet: Au Festival d’Avignon, l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français ). Certes, mais pour quoi dire ?

Il y a dans ce théâtre contemporain là, une fascination pour l’image, une obsession de l’esthétique, qui frôle l’entre soi: d’un collectif qui se veut innovant, je n’ai vu qu’un groupe fermé qui se regarde jouer.

Tout commence par un vrombissement (encore lui?) et un noir imposé qui peu à peu laisse place à un lever de soleil. On reconnait très vite l’influence (revendiquée) de Roméo Castellucci. Sauf que chez l’artiste italien, le travail du son et de la lumière est en soi un propos. Ici, il n’est qu’une proposition?à peine travaillée. Un film suit, aux couleurs vintage des années 80. Pierre et son amie coulent des jours heureux dans leur maison de campagne. Pierre junior nait. Pierre papa est atteint d’une maladie rare quelques mois après. Il y aurait-il un lien entre les deux événements? Inutile de chercher dans cette voie?L’image est belle, très léchée. Puis, vient une fête entre amis. À poil (sauf une?). On se projette au coeur d’un banquet entre bobos parisiens: Bacchus et Dionysos de passage dans la rue seraient entrés parce qu’il y avait de la lumière. La caméra frôle les corps. On s’y croirait. L’orgie se prépare. Comment cette «mauvaise pensée» a-t-elle pu m’effleurer? Le collectif a du s’amuser en imaginant le public se rincer inutilement l’oeil. Puis Pierre disparait dans les eaux troubles de «Nature et découverte»?La pièce aurait pu s’arrêter là. Nous aurions vu un beau court métrage de sortie d’école de cinéma.
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Sauf que place est faite à un duo dansé aux gestes millimétrés. Je vois de la danse aquatique synchronisée (lien avec la dernière scène du film?) à moins que le chorégraphe Angelin Preljocaj ait prodigué ses conseils de jeunesse?J’observe la danse et rien ne vient. On m’avait pourtant promis «une confrontation sur scène du théâtre, du cinéma, de la danse et de la musique» qui provoquerait «un trouble, une confusion entre réel et fantasme, présent et passé, événements concrets en train de se produire et souvenirs, rêves, projections, invocations morbides». Cette danse ne produit qu’une forme. Elle est posée là.
S’invite le théâtre. Un salon descend du plafond. Cela doit venir de l’au-delà?Pierre, Jean-Philippe (le frère) et l’amie (j’ai oublié son prénom) discutent de tout  et surtout du rien (le jean’s acheté à Méribel, la question de savoir si Jean-Phi baise,?). C’est surréaliste. C’est long, sans intensité dramatique. Les mots n’ont plus de sens. Le silence aurait donc pu s’inviter. J’essaye de fantasmer?Rien ne vient…Je suis à court. Une seconde chance m’est offerte: nos protagonistes se déshabillent (il doit y avoir un lien avec la scène de l’orgie). Ils nous font face. Je repense au spectacle du chorégraphe Jérôme BelThe show must go on») où les danseurs nous fixaient pour interroger notre positionnement de spectateur. Ici, rien ne vient. Le sourire complice entre deux acteurs ne m’évoque rien.
«Das Plateau» nomme cela «un théâtre de l’âme». Mais peut-on le dissocier d’un théâtre du corps ? Ce collectif empile les esthétiques: or, tant que le spectateur repère qu’elles s’additionnent, cela signifie qu’aucun sens global ne vient les soustraire pour les relier! «Notre printemps» aurait pu être une oeuvre, celle de la mort de mon vivant, de l’âme de ma jeunesse, de la folie de mes groupes d’antan. Rien de tout cela. Juste une musique finale qui déverse son pathos à coup de décibels sur un duo dansé qui disparaît, noyant nos âmes de spectateurs vers les bas fonds d’un théâtre désincarné et prétentieux.
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Notre printemps » du collectif Das Plateau dans le cadre du Festival Actoral du 25 septembre au 13 octobre 2012.
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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon, l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français.

Après une semaine au Festival d’Avignon, une évidence s’impose: le théâtre français que l’on m’a proposé est en crise et porte les stigmates d’un système culturel sans vision qui s’enferme dans un entre soi parisien terrifiant. Nous sommes très loin des créations allemandes, flamandes et d’Amérique du Sud qui percutent, embarquent les spectateurs dans un jeu où le corps rivalise avec le texte au profit d’un propos. Ce que j’ai vu à Avignon est profondément mortifère, ancré dans un théâtre où la forme, les effets visuels prennent le pas sur tout le reste. À chaque représentation, je ne me suis jamais ennuyé, séduit par une approche «produit» déconnectée du sens. Je me suis ressenti consommateur, mais jamais sujet.

J’ai subi «La faculté», mise en scène d’Éric Vigner à partir d’un roman de Christophe Honoré, thriller théâtral porté par les jeunes comédiens de l’Académie du CDDB- Théâtre de Lorient. Ici, la mise en espace (la cour du Lycée Mistral transformé en immense plateau de sable fin) s’est substituée à la mise en scène posant l’arrogance comme unique relation avec le spectateur.

Dans «La nuit tombe» de Guillaume Vincent, je n’ai même pas frémi à ce thriller théâtral (encore un !) dans lequel l’auteur – metteur en scène s’amuse à se faire peur. Avec comme décor une chambre d’hôtel, il emboîte différentes situations à partir d’un lien binaire comme seul ressort dramaturgique.

Dans «Six personnages en quête d’auteur» de Pirandello, le metteur en scène Stéphane Braunschweig semble s’être beaucoup préoccupé de faire «vrai» au détriment d’une conduite d’acteurs livrés à eux-mêmes dans une scénographie censée faire sens à elle toute seule.
Dans «Plage ultime» de Séverine Chavrier, un collectif d’acteurs trentenaires dépressifs s’enferme dans une vision romantique du monde dans laquelle nous observons à défaut d’être ému (ce dernier point étant un détail pour la metteuse en scène).
Mais de quels maux souffre donc ce théâtre? En premier lieu, tout est cérébralisé: le corps supporte le texte, mais ne le porte pas. Le jeu s’enferme dans la déclamation (dans «Six personnages…», on frôle même la caricature), dans une scénographie sophistiquée qui nous impose  des acteurs posés comme des pions (dans «La Faculté», ils passent plus de temps à se déplacer qu’à créer du mouvement). Affublés pour certains de micros, immergés dans un dispositif vidéo leur faisant concurrence, l’environnement technologique leur impose un tempo nous empêchant de ressentir la chair. On se contente tout au plus d’allures. Dans «Plage ultime», je peine même à identifier qui joue!
C’est un théâtre du comportement là où le théâtre européen nous avait habitués à un corps performatif, engagé. En 2012, les acteurs français ne transpirent pas. Ils ne sécrètent rien, car asséchés par les reflets de leurs miroirs.
J’ai été particulièrement étonné par la sophistication de la scénographie inspirée d’une culture du «design relationnel» là où le théâtre a me semble-t-il besoin d’objets signifiants (ou flottants). Nos metteurs en scène semblent très influencés par les ressorts de la téléréalité où il convient de faire «vrai» au détriment de la poésie. Nous sommes très loin des chaises de Pina Bausch, du mobilier recyclé du théâtre argentin, des objets d’art du théâtre belge. Cube blanc, table sans âme, échafaudage, décor en carton-pâte d’un cinéma de série B peinent à relier corps et dramaturgie pour des textes très plats. Serions-nous à ce point en panne d’auteurs pour subir une écriture démonstrative, explicative, si peu poétique (mention toute spéciale à Christophe Honoré et Guillaume Vincent). D’ailleurs, ces quatre mises en scène font souvent diversion à partir d’artifices répétitifs (provoquer constamment la peur dans «La nuit tombe», impressionner en convoquant un gros camion et des motos sur le plateau de «La Faculté», déplacer en permanence le décor dans «Plage ultime» pour «mettre» en scène, utiliser la vidéo pour fabriquer le 4ème mur à défaut de l’incarner dans «Six personnages..“). J’ai d’ailleurs été frappé par la façon dont ces quatre metteurs en scène structurent leur dramaturgie. Tout au plus deux ou trois “jeux” déclinés à l’infini jusqu’à donner  l’impression d’être pris dans un engrenage sans fin. On «fabrique» un théâtre  qui impose une «mécanique» de jeu au détriment de l’improvisation et du plaisir d’être sur scène. Je finis même par ressentir le cynisme comme unique forme d’engagement politique.
Jour après jour, le lien entre ces quatre oeuvres forme un étrange paysage: celui d’un théâtre d’État, de commande, qui permet probablement aux institutions d’avancer leurs pions dans un jeu d’échec où le public n’est qu’une variable d’ajustement. La question n’est plus de savoir s’il y a ou pas prise de risque dans un changement de paradigme (ce questionnement est au centre des propositions d’Angélica Liddell, Thomas Ostermeier, Roméo Castellucci, Rodrigo Garcia, …). Cette année, au Festival d’Avignon, un petit cercle d’auteurs et de metteurs en scène impose leur vision consumériste du théâtre, celle qui leur permet d’afficher un produit sans odeur, sans matières qui tâchent, sans fuite pour être aisément exportable sur des scènes dépolitisées.
Ainsi, le spectateur se trouve privé d’interroger leur légitimité puisqu’il n’est jamais interpellé.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Six personnages en quête d’auteur », mise en scène de Stéphane Braunschweig du 9 au 19 juillet 2012.
«  La nuit tombe » mise en scène de Guillaume Vincent du 10 au 18 juillet 2012.
« Plage ultime » mise en scène de Séverine Chavrier du 9 au 15 juillet 2012.
« La Faculté », mise en scène d’Éric Vigner du 13 au 22 juillet 2012.
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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

«Robert Plankett» : une déflagration de tendresse humaine à double effet.

«Il» se nommait Robert Plankett; a-i-t, parce qu’il est mort? Il est mort, mais, vivant, là, encore un peu?

Sur un thème difficile et «ultra glissant», le Collectif «La Vie Brève» mis en scène par Jeanne Candel nous propose un spectacle jubilatoire, d’une infinie tendresse. Un théâtre d’une grande beauté plastique émaillé de «trouvailles» d’une intense poésie. Comme un voyage en «kaléidoscopie» d’instantanés, fragiles. Le rire qui nous secoue nous porte aux rives de nos humanitudes pour laisser l’espace se glisser, doucement, vers nos singulières solitudes, perdues en pertes insensées. On va ouvrir avec tendresse nos miroirs, nos tiroirs, nos armoires et nos cartons. Nos «erreurs» et nos «compromis» sont ici bien «jaugés»; humains nous sommes et, il est à souhaiter, nous serons. Fragiles, imparfaits, rêveurs, maladroits, empêtrés,…«C’est ainsi que les hommes vivent»…Rien dans ce spectacle n’est «déplacé» ni «grossier»; rien de ce qu’il crée en nous ne nous enferme; il est vitalité pour nos tendresses (parfois) oubliées et nos «maladresses» (souvent) mal «pardonnées».

Au final, c’est un moment jubilatoire, vivifiant et vitalisant sur lequel il est difficile d’écrire «clair» sans dévoiler les encours poétiques et tendres. Ces chemins, proposés, qui nous conduisent vers un après sont à prendre comme un bonbon vie. La Vie Brève (compagnie à suivre, assurément) nous invite à «Investir» nos Aujourd’hui ; laissons les nous toucher dans nos «programmes» «communs» et, peut-être, «tendressement», «corriger» nos «intolèrepeauxerrances» et nos «co-errances» avant qu’elles ne soient que cendres. Là où, sans danser, nous ne serions que perdus.

En ces temps «d’humanité» cruelle, ce spectacle est salutaire pour nos êtres et nos zygomatiques; réclamez-le à vos programmateurs de proximité!

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La «poussière» d’une vie pensée en «poids» balancée soupesée pour être aux vents, même contraires, jetée. De l’un ou de l’autre, qui, trahi, désavoue, désarme, déprécie, annule?? Comment dire et agir aimer quand l’autre et l’un ne sont plus là pour danser la vie, ensemble, sans être «perdu»? Qu’est-ce qui emporte vers (un) demain? Qu’est-ce qui se laisse quand on (se) meurt? Cervelle de veau versus cerveau humain; lobe droit, lobe gauche? Leçon « anatomique». L’herbe est-elle plus verte là où poussent les pommes?? Qui de l’écureuil, du hérisson, de la panthère ou de l’ours nous ouvrira la voix?? Quoi qu’il en Soi(t), il ne restera au bout du conte (compte) que des hier à (se) partager demain tant on peine à (se) «trouver» aujourd’hui. Quel difficile exercice pour l’entourage d’un Robert nommé Plankett? Mais, un poulet, «qui a la frite», vaut bien une Bible et la pomme est d’Eve, d’Adan et de Newton avant que d’être au four!

Bernard Gaurier, Le Tadorne

« Robert Plankett » par le Collectif La Vie Brève, mise en scène de Jeanne Candel ? TU Nantes du 3 au 5 avril 2012

Tournée :Théâtre de la ville (Abesses) Paris du 2 au 11 mai 2012

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

De Montélimar à Toulouse, «que c’est abominable d’avoir pour ennemis, les rires de l’enfance».

Le 16 mars 2012, trois jeunes soeurs sont tuées sur l’autoroute A7. Sans billet, les contrôleurs SNCF les ont expulsés en gare de Montélimar. Originaires d’une communauté des gens du voyage de Marseille, leur sort n’a pas ému. Leur voyage s’est arrêté, là où la règle  prime sur la prise de conscience de l’humain. Je n’en dors plus.

Le 18 mars 2012, je suis au Théâtre Liberté de Toulon. «Visites» de John Fosse, mise en scène de Fréderic Garbe, se joue à guichet fermé. Des adolescents sont présents dans la salle, encadrés me semble-t-il par quelques éducateurs. Une d’entre eux doit sortir, prise d’un malaise, tandis qu’une partie du public manifeste son étonnement tout au long de cette oeuvre qui file vers un vide abyssal. Le décor, dépouillé, froid, capitonné, tel un bar lounge, étouffe les bruits. Seules deux couleurs (le noir et le blanc) délimitent des zones de démarcation entre la vie et la mort. La  porte de la chambre de l’adolescente (troublante Pauline Méreuze) fait frontière avec ce salon où trône un canapé blanc pour corps inanimés. La mère (hypnotisante Françoise Huguet) parcours la scène pour asséner ses (contre) vérités sur la vie de sa fille dont elle semble ne plus comprendre la trajectoire. Elle cherche sa fonction parentale tandis que son compagnon (flippant Gilbert Traïna) a trouvé auprès de l’adolescente de quoi assouvir ses fantasmes de jeune chair, même si “c’est juste pour lui toucher les seins”.

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Tel un chat de nuit, le frère (Romain Pellet), perçoit le jeu et parvient à éloigner sa soeur du prédateur. Frédéric Garbe signe une mise en scène glaçante : il amplifie le néant relationnel pour que le vide soit un trop-plein de non-sens. Il rigidifie les mouvements pour les déconnecter de la relation : le corps plein devient corps vide et démembré (à l’image de la magnifique scène évoquant l’oreille de l’ours en peluche). Il instaure un climat insécurisant en jouant avec la musique, bande-son pour flip théâtral et choeur d’une armée de déserteurs. Peu à peu, chacun semble perdre son statut dans un magma d’intrigues où le non-dit n’est plus un secret, mais un fonctionnement. Les acteurs sont formidables dans cette mise en abyme angoissante : au vide des dialogues de John Fosse, se superpose une mise en scène d’un néant morbide. À la sortie, je ne vois et ne sens plus rien. «Visites» m’enlève les mots. Il ne reste de notre civilisation contemporaine qu’une mécanique sans désir, actionnée  par une société consumériste qui amplifie les pulsions. Je dors mal.

Dimanche 18 mars 2012 : je termine l’article sur «L’Alphabet des oubliés» de Florence Lloret. Je repense à Patrick Laupin, poète paternel de tous les enfants en mal de mots. Pourquoi ces trois soeurs ne l’ont-elles par croisé ? Qu’aurait-il pu faire avec l’adolescente de John Fosse ? Je dors éveillé.

Lundi 19 mars. Trois enfants, un papa sont assassinés devant une école juive. Myriam, sept ans, est tirée par les cheveux et abattue. En relisant mon article sur «L’Alphabet des oubliés», je revois Gabriel, Arieh, Myriam et les trois soeurs (pourquoi ne connait-on pas leur prénom, celles que Sarkozy avait stigmatisées lors du trop fameux discours de Grenoble ?). Je les imagine participer à un atelier d’écriture avec Patrick Laupin. Je n’en dors plus.

Jeudi 22 mars. Mohamed Merah est abattu. Les médias se répandent en analyse sur sa famille. Me reviennent les corps désincarnés de «Visites». Merah appartient peut-être à cette famille et bascule de la pulsion morbide vers la folie meurtrière.  La poésie aurait-elle pu le sauver ? Son visage m’apparait puis disparait à l’image du tempo musical qui rythmait «Visites». Je cauchemarde.

Vendredi 23 mars. Je suis au Musée d’Art Contemporain de Lyon pour l’exposition «Robert Combas». Je connais peu cet artiste peintre musicien, mais d’emblée, il répare mes fissures de cette semaine de folie. Je m’immerge dans son univers foisonnant, coloré et colorant. De ces toiles, transpire le désir sur le suaire de nos corps inanimés. «L’autiste dans la forêt de fleurs» me bouleverse. Les scènes sont souvent crues comme s’il n’avait cessé d’être un enfant. Du «Pop’art Arabe» aux «années chaudes», je navigue dans les eaux troubles de l’amour à mort pour m’arrêter, sidéré, devant son «Calvaire façon combas», où Jésus est crucifié entre deux brigands assassinés.  Lequel des deux  est Merah?

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Je m’assois, épuisé, face à un vitrail («le dormeur Duval»). Me voici au Paradis, avec les enfants de Toulouse et de Montélimar. La musique de Combas résonne dans tout l’étage (il répète dans une salle séparée par une glace sans teint). Je l’observe, le contemple. Il est pinceau sur sa toile musicale. L’instant est précieux: il ne voit pas mon émotion d’enfant grand, l’oreille collée derrière la porte.

À peine ai-je quitté le Musée, que je me rends au Théâtre de l’Élysée à Lyon où la metteuse en scène Christiane Véricel présente un chantier de sa future création, «La morale du ventre». Enfants, comédiens amateurs et artistes professionnels se mettent en mouvement pour questionner la faim, le pouvoir, l’oppression et la frontière. Avec le langage global des enfants, ce théâtre d’images crée un cadre propice à la poésie pour interroger les valeurs universelles d’une économie mondialisée. Avec Christiane Véricel, rien n’est binaire : tout est complexe. Elle nous prend par surprise, non pour nous faire peur, mais pour solliciter notre créativité à voir autrement. Elle crée la communauté à partir d’un collectif coloré où la différence de l’un sert la diversité du tout. Son théâtre s’inscrit dans une filiation avec Robert Combas: Christiane Véricel parle par l’image pour nous donner accès à l’Autre. Elle aurait probablement réuni les soeurs de Montélimar autour du petit Mohamed qu’elle aurait habillé d’une jupe pour qu’il danse sa faim d’amour…

Je dors un tout petit peu mieux.

Samedi 24 mars. Je suis de retour à Marseille pour la Biennale des Écritures du Réel. Deux documentaires sont projetés ainsi qu’une performance. Le tout m’immerge dans les quartiers nord de Marseille. Le film d’Anne AlixOmégaville») interroge la mémoire: quelle est l’histoire de ces enfants d’immigrés ? Quelles valeurs les réunissent ? Comment se joue le racisme au quotidien entre communautés ? Elle écoute, sa voix se fait douce, mais je ressens son doute. Pourquoi filmer avec une telle distance pour observer le «zoo» ? Anne Alix s’interroge sur le statut de l’artiste au sein de ces quartiers. Suffit-il de poser sa caméra, aussi belle soit-elle ? Ces trente-cinq minutes me relient à mes compatriotes. C’est déjà beaucoup. Quelle suite à ce documentaire (nous n’avons vu qu’une première partie) après les tueries de Toulouse et de Montauban ?

Till Roeskens est allemand. C’est un conteur. Il s’est immergé lui aussi dans les quartiers nord de Marseille. À mesure qu’il raconte ses rencontres, craie à la main, il dessine sur la scène le plan du quartier. La première heure est totalement haletante : de son agora, son théâtre fait cité. Les dialogues, souvent percutants, peignent une France isolée, mais solidaire. Profondément solidaire. Mais Till Roeskens semble se perdre : son plan au sol ne fait plus territoire. Les anecdotes se multiplient et je ne ressens plus ce qui relie les acteurs. C’est  un enseignement de taille : comment transcender un réel qui ne se laisse pas conter facilement ? Quelle écriture pour dépasser les faits et nous relier ?

Je quitte la Cité, épuisé par une folle semaine. Les artistes ont été au rendez-vous, là où les politiques ont navigué à vue dans un contexte médiatique oppressant.

Le philosophe Bernard Stiegler évoquait lors d’une conférence dans le cadre de la Biennale, le processus d’individuation, qui fait de chacun de nous des êtres incomparables. Cette semaine, grâce aux artistes, je me suis individué psychiquement pour participer à l’individuation collective. Parce que nous n’avons pas accès à notre altérité, le théâtre, la peinture, le cinéma nous donnent ce que nous ne voyons pas, pour transformer nos pulsions en désir. Celui notamment de vous écrire pour témoigner de mon réel de spectateur bouleversé.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Visites» de John Fosse par Fréderic Garbe au Théâtre Liberté de Toulon du 13 au 17 mars 2012.

«Robert Combas» au Musée d’Art Contemporain de Lyon jusqu’au 15 juillet 2012.

«La morale du ventre» de Christiane Véricel au Théâtre de l’Élysée à Lyon les 23 et 24 mars 2012.

 «Omégaville» d’Anne Alix et « Plan de situation#7 Consolat-Mirabeau » de Till Roeskens à la Cité le 24 mars 2012, dans le cadre de la première Biennale des Ecritures du Réel.