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Se remettre dans le bain.

Comme spectateur qui écrit en amateur, j’ai parfois besoin d’être en lien pour avoir confiance. Le Théâtre de Lenche à Marseille m’a dernièrement envoyé un mail pour m’inviter à «Belle de seigneur (extraits)» mis en scène de Renaud Marie Leblanc et Jean-Claude Fall. Cet écrit accueillant et personnel change des invitations robotisées et abondantes. J’avais prévu ce déplacement. Mais l’énergie ne venait plus.  Je suis donc (re)parti…

Il est 20h30, j’y suis. Deuxième rang. Du centre de la scène, je perçois à peine ses cheveux. Son corps semble disparaitre. Elle est dans sa baignoire d’où s’échappe un tissu blanc qui reconfigure tout l’espace. Me voici spectateur, un peu voyeur, de ce corps inanimé. Cette baignoire-cercueil oblige au recueillement, mais il est couvert par le brouhaha du public, bruit de fond de la foule qui se presse…pour elle…pour la voir. Imaginez donc…une création théâtrale issue d’un des chefs-d’œuvre de la littérature, écrit par Albert Cohen. Ce soir, Roxane Borgna incarne la belle Ariane, épouse d’Adrien (petit bourgeois), mais surtout éprise de passion pour Solal, haut responsable de la Société des Nations. Ariane…tel un fil…qu’elle va tirer entre sa fougue, ses pulsions, ses déraisons, sa drôlerie et nous, spectateurs assis dans cette salle de bains, boîte noire où pourraient siéger nos désirs inavouables!

Elle se lève. L’eau dégouline de sa robe-camisole de force dont elle se libère peu à peu. Cette eau évoque cette pluie bienfaitrice après la chaleur torride d’une journée de labeur. Ariane s’ouvre et nous éclabousse parfois avec ses gouttes gorgées de mots qui abandonnent leur poésie sur nos terres asséchées par nos quêtes rationnelles d’amour. Ariane entre et sort de l’eau: à chaque délivrance de ce liquide presque amniotique, elle n’est plus la même. Au début, presque apeurée lorsqu’elle se confie sur l’enfance et son mari, elle devient peu à peu provocante, charmeuse de serpent, soumise et rebelle, folle amoureuse d’un prince des fous…À la fois force créative quand elle se met à distance de celui qu’elle aime (moment savoureux où elle se moque de son amant qui éructe pendant l’acte sexuel), elle se métamorphose quand elle se passionne pour lui, prélude à un corps à corps que je devine brûlant…mais l’eau est toujours là, pour éteindre ou raviver, en fonction d’un jeu de lumière qui explore ce corps qui a tant à donner, à dire.

Eugène Delacroix - La Liberté guidant le peuple delacroix_la_liberte_guidant_le_peuple

Je suis suspendu à son fil. Je bois ces mots. Je m’émerveille de la voir monter sur les rebords de la baignoire, comme pour en découdre contre l’ordre établi qui régit les bonnes mœurs et les meilleures façons de s’aimer. Bras tendus, tête haute, elle me fait penser à la toile de Delacroix, «La liberté guidant le peuple» : «C’est l’assaut final. La foule converge vers le spectateur, dans un nuage de poussière, brandissant des armes. Elle franchit les barricades et éclate dans le camp adverse. A sa tête, quatre personnages debout, au centre une femme. Déesse mythique, elle les mène à la Liberté. A leurs pieds gisent des soldats.».

Me voici soldat de l’amour à vouloir reprendre les armes, à ses côtés. Parce que Roxane Borgna est splendide dans le rôle (elle incarne cette  beauté au théâtre qui donne l’énergie d’espérer…) ; parce que ce plateau de noir et de blanc forme ce champ de bataille entre vie et mort, entre amour et haine, entre «ça» et «moi» ; parce que ce théâtre-là est généreux de mots et de corps; parce qu’un petit espace suffit pour lutter entre demande d’amour et pulsions mortifères ; parce qu’Ariane a donné 5o minutes d’un beau texte, trop peu pour qu’une armée de cupidons lance dans sa baignoire des flèches rouge sang qui la réveilleront d’un trop long silence…

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Belle de seigneur (extraits)» mise en scène de Renaud Marie Leblanc et Jean-Claude Fall au Théâtre de Lenche, à Marseille, du 12 au 23 mars 2013. 

 

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PAS CONTENT

Vu et pas pris.

Ces rencontres ont échoué. Parfois, quelques minutes ont suffi pour comprendre que cela n’irait pas plus loin qu’un salut poli. Dans ces quatre rendez-vous manqués, le flux d’images a pris le pas sur le langage du corps tandis que l’intention de la mise en scène visait l’adhésion anesthésiante.
Retour sur quatre processus régressifs.

J’attendais le metteur en scène belge Guy Cassiers avec impatience. Après les magnifiques “Rouge décanté” en 2006,  “Mefisto for ever” en 2007 puis les impasses de «Wolfskers» et «Atropa, la vengeance de la paix» en 2008 et l’inaccessible “l’homme sans qualité” en 2010, “Sous le volcan” aurait pu sceller les retrouvailles. Mais l’adaptation du roman de Malcom Lowry s’est totalement noyée dans un dispositif vidéo qui règle la mise en scène au détriment d’acteurs qui se désincarnent peu à peu. Le décor, transformé en écran tactile, déverse un flot d’images où nous perdons notre temps à force de déjouer les procédés censés nous distraire. Pris à son propre jeu, Guy Cassiers fait enfiler à deux comédiens, des habits gorgés d’eaux après qu’ils se soient plongés dans la rivière de la vidéo. Ce niveau d’infantilisation du spectateur et des acteurs est sidérant.

La vidéo s’est également invité dans le spectacle “jeune public” “Les Ariels” de la compagnie Mediane. Ici aussi, le dispositif scénique se résume à des pans du décor transformés en écran d’images. Nous sommes le jour des noces d’une mariée pour le moins étrange. Ses rêves s’impriment sur son voile et sa robe alors qu’elle parcourt la scène montée sur des échasses en forme de jambe de cheval. Peu à peu, la vidéo créée le mouvement tandis que l’actrice semble courir après la scénographie où son propos se noie dans une approche psychanalytique qui nous échappe. La scène n’est qu’une aire de jeu où l’image joue sa fonction sidérante et place l’enfant et l’adulte dans une rupture permanente du sens.

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Oh Boy!“, d’après le roman de Marie-Aude Murail et mise en scène par Olivier Letellier a reçu le prix Molière du jeune public en 2010. Salué quasi unanimement par la presse et le public (même Bernard Gaurier sur le Tadorne y a succombé), je reste pour le moins perplexe face à ce déluge de bons sentiments. Tous les ingrédients d’une adhésion massive, d’un consensus “mou” sont réunis: un acteur seul en scène endosse le rôle d’un jeune homosexuel qui voit débarquer dans sa vie trois frères et s?urs dont l’un est atteint de leucémie. Olivier Letellier surjoue comme au café-théâtre et finit par tout saturer. Le spectateur n’a plus qu’à se laisser porter par cette mécanique théâtrale qui enferme le propos dans une vision normée de l’homosexualité. La dernière scène où le grand frère se fond dans le cadre familial en dit long sur les intentions. Mais fort heureusement, nous avons échappé à l’opération “pièces jaunes”.

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Phèdre” de Racine mise en scène de Renaud-Marie Leblanc a déçu ceux qui ont redécouvert la langue de Racine grâce à l’adaptation survoltée de Gwenaël Morin. Ici, point de vidéo pour se dérober. Le décor tout blanc fait penser à un caisson de décompression. Les costumes postmodernes sont beaucoup trop grands pour des acteurs trop “jeunes” qui peinent à endosser le rôle. Aucun n’émerge et le vaudeville effleure. La mise en scène déverse un flux de mots (ponctuées de virgules sonores proches du jingle) qui traverse peu les corps des acteurs pour ne pas nous éclabousser. Renaud-Marie Leblanc enferme Phèdre dans l’hystérie: il est en phase avec notre époque où le désir s’instrumentalise pour le faire entendre et accepter de la foule passive et silencieuse. Lors de la scène finale, il faudra le rire d’un groupe de spectateurs pour signifier que nous ne sommes pas nés de la dernière pluie.
Pascal Bély – www.festivalier.net

“Sous le volcan”, mise en scène de Guy Cassiers au Théâtre des Salins de Martigues le 28 janvier 2011.
“Oh Boy!” mise en scène d’Olivier Letellier à la Scène Nationale de Cavaillon le 25 janvier 2011.
“Phèdre” mise en scène de Renaud Marie-Leblanc à la Scène Nationale de Cavaillon Les17 et 18 janvier 2011;
“Les Ariels” de Catherine Sombsthay au Théâtre Massalia du 4 au 7 janvier 2011.