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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Cet article se lit en transversal.

2010…Il y a eu de beaux spectacles, 120 articles publiés, des milliers de kilomètres parcourus et un travail dans l’ombre qui éclaire…
En mai dernier, le cinquième anniversaire du blog a été l’opportunité de faire des propositions innovantes pour développer des liens qualitatifs entre le public et les institutions culturelles. L’action menée auprès de la ville d’Aubenas à partir d’un groupe de professionnels de l’éducation et du social, vu non plus comme des pourvoyeurs de spectateurs, mais comme constitué d’acteurs culturels à part entière, a permis de créer des nouvelles interactions entre la culture et la population.

Après Aubenas, est né le projet «Des spectateurs Tadorne pour Marseille Provence 2013». L’idée visait à constituer des groupes de spectateurs, de médiateurs-reporters et d’internautes pour communiquer sur la dynamique de Marseille Capitale. À ce jour, mes propositions ne seront probablement pas retenues. Mais une association, l’Union Diaconale du Var à Toulon, m’a missionné pour 2011 afin de les accompagner dans leur projet culturel vers…Marseille 2013. Tout est lié.

Il faut donc relier ce que cloisonne  une société consumériste qui enferme le lien entre le spectateur et l’oeuvre dans un rapport producteur-consommateur. Car comme le précise le philosophe Bernard Stiegler, c’est bien un modèle de relation contributive qu’il convient de promouvoir entre artistes, institutions et spectateurs pour remettre la culture dans le champ du politique. Alors, commençons par la petite enfance! Après avoir écrit un article pour la revue «Esprit de Babel»artistes, professionnels de la culture et de la petite enfance: tous ensemble!»), j’ai co-élaboré avec le Théâtre Massalia à Marseille un programme de formation-action. Il s’agira, à partir d’un cursus adossé à la programmation du théâtre, de former ensemble professionnels de la petite enfance et l’équipe de Massalia à la co-construction d’un projet culturel à destination des tout-petits. Démarrage prévu fin mars 2011.

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C’est le «côte à côte» qu’il faut promouvoir pour innover à l’image du projet «La traversée des spect’acteurs d’Avignon» proposé au Festival d’Avignon à l’automne dernier. À partir d’un groupe composé de spectateurs et de professionnels de la communication (médiateurs, chargés de communication, programmateurs), il s’agira de communiquer, tout au long du festival, sur notre traversée pour rendre compte de la force des nouveaux langages de la création. Les contacts ont été pris, des établissements culturels et des spectateurs sont déjà prêts à s’investir. À suivre…

Autre côte à côte: celui avec les artistes. La compagnie «Image Aiguë» de Christiane Véricel, basée à Lyon et ambassadeur culturel européen, m’a invité à deux reprises pour partager leurs réflexions:  en juillet avec leurs partenaires puis en décembre à Palerme au cours d’un processus de création avec les enfants. Ainsi, un spectateur a participé au projet  de la compagnie. Stimulant.

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Car, l’enjeu est là: comment créer des liens qualitatifs avec les spectateurs pour impulser ce modèle de relation contributive? Le Tadorne a donc formalisé, à partir d’un document (envoi sur demande), des propositions à destination des établissements culturels. Après avoir initié en 2010 deux débats avec le public et moi-même («Y’a des HO ! Y’a débat !»), le Théâtre des Salins de Martigues est prêt à poursuivre l’aventure en 2011, en amplifiant les processus: écouter différemment la parole des spectateurs, co-construire avec les amateurs des projets de communication autour du théâtre, faire la fête ensemble. À suivre… D’autant plus que j’accompagne  pour la ville de Martigues, la fusion du conservatoire de musique et de danse. Tout est lié…
En 2010, il a donc fallu communiquer sur cette approche, sur mon positionnement hybride. Dans un article paru avant l’été, le journal La Scène a  porté un regard positif sur le Tadorne. Deux émissions de radio ont permis de le promouvoir: «Des fourmis dans les jambes» de Gaëlle Piton sur IDFM et «Masse Critique» de Frédéric Martel sur France Culture. L’animation d’une tribune critique participative au Festival Off d’Avignon m’a donné l’occasion de  démontrer que l’on pouvait tous porter un regard critique sur les oeuvres en mobilisant ses ressentis. Les nouveaux langages de la création le permettent largement!
2010 fut une belle année pour le Tadorne. Je remercie Bernard Gaurier, Francis Braun, Laurent Bourbousson, Elsa Gomis, Sylvain Pack, Charles Buneux de s’être investis dans cette aventure en publiant à mes côtés; aux artistes (ils se reconnaîtront!) pour leur soutien et leur écoute; à tous les professionnels pour leurs encouragements et leurs conseils. A vous lecteurs, toujours plus nombreux.

2011 promet d’être bouleversante. Le Tadorne y gagnera des plumes pour opérer sa mutation.

Pascal Bély – www.festivalier.net.

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Ce blog n’est pas ce que vous croyez…

Après le bilan artistique de 2010 publié la semaine dernière, je vous propose celui du blog, proposé par Google Analytics. Premier épisode

L’audience du site.

Avec plus de 67 000 visiteurs uniques, le blog a connu une audience en hausse de 62% par rapport à 2009. Le nombre de pages vues s’établit à 118000 (+30%) et 63% des visites sont issues d’internautes venant pour la première fois (+26%). Le site a gagné en notoriété et la progression du trafic démontre qu’il s’est durablement installé dans le paysage internet de nombreux professionnels et amateurs. Les records d’audience journaliers se situent lors du Festival d’Avignon (avec 600 visiteurs uniques par jour). C’est une période où le spectacle vivant est fortement médiatisé; c’est aussi un moment important pour le Tadorne, présent tout au long du festival. Cette démarche est à l’origine de la création du blog (d’où l’adresse www.festivalier.net).

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Le canard Tadorne.

Toutefois, deux chiffres posent question.

Le temps de navigation a baissé de 30% tandis que le nombre de pages par visite est passé de 2,22 à 1,77. À quoi l’attribuer? À la longueur des articles, à leur qualité, à leur compréhension? À l’ergonomie du site? Si le Tadorne a gagné en quantitatif, aurait-il baissé qualitativement? Ce mouvement s’amplifiera-t-il dans les mois qui viennent? Sans étude auprès des internautes, il est bien difficile de répondre à ces interrogations. Il est probable que les lecteurs lisent en diagonale les articles pour en connaître la teneur globale sans rentrer dans les détails. C’est probablement une tendance de fond dans la mesure où la critique est généralement réduite à une ou deux phrases accompagnées de pictogrammes sur des sites “grand public” (Allociné par exemple). À noter que la durée de lecture s’allonge dès qu’une vidéo illustre l’article…

Les pics d’audience.

En dehors de la période du Festival d’Avignon (pic le 19 juillet), 5 articles ont pulvérisé l’audience:

Le 18 octobre, une vision critique sur le fonctionnement du théâtre du Merlan à Marseille.

Le 14 juin, l’intervention d’un élu à la culture UMP de Saint-Germain-en-Laye (Benoit Battistelli) visant à déprogrammer un spectacle de danse «Méli-mélo 2 Le retour» du chorégraphe Philippe Lafeuille a provoqué un fort émoi.

Le 30 juin, un article plutôt critique sur la prestation d’Anne Teresa de Keersmaeker au Festival Montpellier Danse.

Le 28 juin, période de publication autour de Montpellier Danse, du Festival de Marseille et à quelques jours d’Avignon.

Le 12 novembre, la première chronique de Charles Buneau («Spectateur, je prends le pouvoir pour vous le rendre”)

Le 22 novembre, article au titre songeur, «Je n’entends pas, ne comprends pas, c’est très intéressant»

Ainsi, les chroniques rencontrent les suffrages des internautes (porteraient-ils leur part du scandale qui excite tant notre curiosité?). Elles démontrent l’absence d’une vision critique dans d’autres médias sur le fonctionnement du spectacle vivant, à partir d’un regard de spectateur.

Pour l’année 2010, les dix articles les plus lus

1) “A Marseille, le Théâtre du Merlan perd de l’argent par magie et se délocalise(octobre 2010)

2) “L’anus horribilis de Cecilia Bengolea et François Chaignaud” (Août 2008)

3) “Gainsbourg ? Gallotta ? Bashung: chou blanc” (novembre 2009)

4) “Le Théâtre d’Arles focalise, loin de la photographie de Lucien Clergue” (Mai 2007)

5) “L’abstention progresse“. (mars 2010)

6) “Avec Anne Teresa de Keersmaeker, nous sommes entrés dans la nuit?” (juillet 2010)

7) “Au festival d’Avignon: F. Fuer?Fuerza”  (juillet 2010)

8) “Je kiffe pour cet Hamlet-là”. <>(octobre 2010)

9) “Un dimanche avec Pina Bausch. Toute une vie” (avril 2006)

10) “En « subsistance », un chef d’oeuvre“. (mars 2010)

L’article sur le Théâtre du Merlan, en ligne seulement depuis octobre, caracole en tête pour l’année 2010. Il y avait probablement une attente qu’un média dénonce certains comportements et fonctionnements de cet établissement. À ce jour, la direction n’a jamais réagi. On notera également l’article sur Cécilia Bengoléa et Françis Chaignaud publié en 2008! La nature du spectacle et le titre de la chronique drainent les amateurs de cul…La longue tournée de Jean-Claude Galotta explique le succès de la critique sur le blog (d’autant plus que l’on y évoque Gainsbourg et Bashung). Pour le reste, les grands noms de la danse attirent toujours (mais pas ceux du théâtre à l’exception d’Hamlet!) comme certaines expressions dans le titre de l’article (“chef d’oeuvre“,  «je kiffe», «l’abstention progresse»). Une petite curiosité dans ce classement: l’article sur le photographe Lucien Clergue qui est pourtant mal classé sur sa page Google. Mystère…

Les mots clefs

Google est à l’origine de la moitié des visiteurs qui viennent pour la première fois. Par quels mots?

« Tadorne / Le Tadorne / Pina Bausch / Festivalier.net / festivalier / pascal bély / Cecilia Bengolea et François Chaignaud / Camille enceinte / pipo delbono / Thomas Ferrand»

Ouf! C’est par le Tadorne et festivalier avec de beaux noms par la suite (Pina et Pipo) qu’arrivent les nouveaux lecteurs. Seule la chanteuse Camille met un peu de people dans ce classement.

Au final, la lecture de ces statistiques donne une image quelque peu différente du site. On y ressent un blog engagé, orienté vers des grands noms de la danse et de la nouvelle génération des performeurs. Il y a encore du chemin pour que le Tadorne soit un espace de débat sur la toile (la faiblesse des commentaires en témoigne) même s’il provoque des échanges en dehors du net.

Et vous, cher lecteur? Quelle est votre analyse? Vos commentaires tout en bas seront appréciés!

Deuxième partie du bilan demain….

Pascal Bély – www.festivalier.net

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LA VIE DU BLOG

En 2010, les artistes fraternels.

«Ce qui nous arrive au théâtre, c’est l’AUTRE. C’est la rencontre avec mon frère, ma soeur, mon semblable» – Ariane Mnouchkine – France Culture, 19 mars 2010.

Ce sont des rencontres inoubliables parce qu’elles sont à la croisée des chemins. Ces artistes du théâtre autobiographique m’ont marqué. Ils ont forcé l’écoute, le respect et le questionnement sur soi. La surprise a procuré l’enchantement tandis qu’un souvenir enfoui provoquait la douleur.

 

Alain Platel et Frank Van Laecke / “Gardenia” / Festival d’Avignon

Angelica Liddell,  “La casa de la Fuerza“, Festival d’Avignon,

The Forsythe Company / “White Bouncy Castle / Festival Montpellier Danse

Toshiki Okada / « We are the Undamaged Others » /   Festival d’Automne de Paris

Jérôme Bel / “Cédric Andrieux / Festival de Marseille.

Fabrice Ramalingom  / “Comment se Ment ” / Les Hivernales, Avignon

Marlene Freitas / “Guintche” / Questions de Danse, Marseille.

Aude Lachaise / “Marlon” / Festival Off d’Avignon.

Zachary Oberzan / “Your brother, remembert?” / KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Michel André et Florence Lloret  / “Nous ne nous étions jamais rencontrés /  “La cité”, Marseille

Olivier Tchang-Tchong – Valérie Brancq  / « LB 25 (putes) »/ Festival Off d’Avignon.

Il y a eu Angelica Liddell au Festival d’Avignon. LA rencontre. Je pense à elle souvent, à celle qui accueille la souffrance pour en faire un nouveau monde. Elle reviendra en France, mais pas avant 2012. Dans la lignée, je revois la transe de la Portugaise Marlène Freitas dans “Guintche“. Elle m’a totalement bouleversé, transpercé: comme avec Angélica, elle est venue nous chercher pour nous gueuler dessus avec tendresse. Dans la même veine, Aude Lachaise dans “Marlon”, nous a proposé sa «mayonnaise» pour créer du lien autour du sexe. Jubilatoire.

Je connaissais de nom Fabrice Ramalingom (danseur chez Dominique Bagouet et Mathilde Monnier). Cet été, avec “Comment se Ment “, il nous a offert un beau solo sur la condition humaine. Cet homme est animal. Je l’imagine à ses côtés dans sa recherche de la vérité: Valérie Brancq dans LB 25 (putes) est une putain d’actrice qui  transforme la scène en trottoir tandis que défile sur écran géant l’histoire de celles «qui n’en sont pas revenues». Bouleversant.

Il est arrivé seul, face à nous: «Je m’appelle Cédric Andrieux. Ancien de chez Merce Cunningham, son solo orchestré par Jérôme Bel a donné corps à l’engagement du danseur. Poignant. L’américain Zachary Oberzan est venu à Bruxelles nous parler de sa relation avec son frère: l’un est artiste, l’autre sort de prison. La force de “Your brother, remembert?”  a été de déjouer les statuts (qui est finalement l’acteur, le prisonnier?) pour relier les destins autour d’une histoire commune qui n’est pas loin d’être la nôtre : nous jouons tous notre partition artistique pour échapper au sort que nous réserve notre classe sociale. C’est une superbe partition qu’ont offerte Michel André et Florence Lloret à un groupe d’adolescents des quartiers nord de Marseille.
Nous ne nous étions jamais rencontrés est une oeuvre théâtrale d’une belle force “politique” où la parole ne s’est jamais perdue pas dans une “sensiblerie” déplacée. Même désir chez Alain Platel et Frank Van Laecke. Dans “Gardenia” , la vie de vieux travestis a été portée sur scène avec talent pour que revive ce cabaret éphémère, pour que le rideau se lève enfin et dévoile un pan entier de l’histoire du spectacle vivant. Majestueux.

Dans «We are the Undamaged Others», Toshiki Okada  a mis en scène la vie banale d’anonymes. Son théâtre chorégraphié nous a tendu le miroir de notre profonde vacuité à parler du bonheur pour ne rien en dire tandis que nos corps malheureux caressent l’espoir qu’une utopie vienne créer le mouvement des possibles. Inoubliable.
Et puis, en 2010, il y a eu William Forsythe. Il a posé sur le plateau du Corum de Montpellier, un château fort gonflable où les spectateurs sont venus sauter (de joie). Il était blanc, couleur de tous les possibles. Nous l’avons repeint en y entrant, alors que sol se dérobait sous nos pas pour que nos désirs de danse prennent forme! Nous avons fait corps avec la danse. Cette utopie démocratique, participative, a positionné l’art chorégraphique comme le seul capable de s’affranchir de nos théâtres en dur, de nos cités de la danse.

Si j’ai monté White Bouncy Castle, c’est justement parce que la démocratisation de la danse à l’intérieur d’un théâtre me semble impossible” (William Forsythe).

Pascal Bély – www.festivalier.net

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LA VIE DU BLOG

En 2010, dix oeuvres envahissantes.

En 2010, ils ont envahi la scène, avec démesure, comme une occupation pour faire face au déluge du laid et du bête.  Ils ont bousculé les codes de la représentation, les mythes, l’histoire pour nous offrir en spectacle nos névroses collectives et individuelles et nous donner notre part de rêve, car c’est elle qui préserve le processus de création des bouffons du roi. Petite sélection parmi 140 spectacles vus en 2010: dix oeuvres qui, sans être à la mode, sont d’une belle modernité. 

Pina Bausch / «Nelkein», “Le sacre” / Biennale de la danse de Lyon et Monaco Danse Forum 
Simon McBurney, «Shun-Kin», Festival d’Autonme de Paris. 
Gisèle Vienne / «This is how you will disappear” / Festival d’Avignon 
Christoph Marthaler et Anna Viebrock / “Papperlapapp” / Festival d’Avignon. 
Christoph Schlingensief / « Via Intolleranza II » / KunstenFestivalDesArts de Bruxelles 
David Bobée / «Hamlet» / Les Subsistances, Lyon. 
Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde / «Un nid pour quoi faire» / Festival d’Avignon. 
Pierre Rigal, «Micro» / Festival d’Avignon. 
Grégoire Calliés / « La petite Odyssée” / Théâtre Massalia (Marseille) 
Gwenaël Morin / «Bérénice d’après Bérénice de Racine» / Théâtre de la Bastille, Paris.
Il fallait être Suisse-Allemand pour oser métamorphoser la Cour d’Honneur du Palais des Papes et se payer sa(ses) tête(s). “Papperlapapp” de Christoph Marthaler et Anna Viebrock fut décrié, mais je persiste: jamais ce lieu n’a été aussi génialement occupé pour un spectacle qui m’a fait hurlé de rire et frissonner de peur.
À la chapelle des Penitents Blancs d’Avignon, le chorégraphe Pierre Rigal a lui aussi transformé le site en salle de concert! Avec son groupe, il s’est autorisé dans «Micro» toutes les audaces pour que son rock chorégraphié soit une révolution.
Il est allemand et probablement africain. Il nous a quittés à la fin de l’été. Avec  «Via Intolleranza II», Christoph Schlingensief a osé occuper la scène du KVS-BOL à Bruxelles pour y donner un opéra germano-africain totalement fou pour en appeler à la raison: l’Afrique n’est pas à vendre, mais elle peut nous accueillir.
Personne ne peut la caser et c’est sa chance. Gisèle Vienne a créé une forêt sur scène pour nous embrumer jusqu’à soulever l’humus posé sur des corps violentés. «This is how you will disappear” restera pour longtemps une très belle oeuvre théâtrale, chorégraphique et musicale.
Allait-il oser toucher à «Hamlet» ? Le jeune metteur en scène David Bobée a créé l’événement de la rentrée dernière en proposant une mise en scène branchée avec des acteurs sensibles pour comprendre la folie du pouvoir. Efficace par les temps qui courent. D’autant plus qu’au cours de l’été, Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde avec «Un nid pour quoi faire» nous avaient déjà conté l’histoire d’un roi fou barricadé dans un décor de chalet de montagne. Cette allégorie du système sarkozyste et berlusconien fut spectaculaire, car inattendu dans un paysage théâtral français bien mou à l’égard du pouvoir en place.

Avec son majestueux théâtre de marionnettes, Grégoire Calliés  dans  «La petite Odyssée” a convoqué petits et grands pour nous entraîner dans la folle histoire des idées où les innovations, l’art et les  conflits s’enchevêtrent à partir d’une mise en scène et de décors qui  ont mobilisé tout notre «sensible disponible. Notre petit roi n’y fut même pas évoqué…

Encore une histoire de roi et de reine avec «Bérénice d’après Bérénice de Racine» mis en scène par Gwenaël Morin. Le spectacle, c’est lorsque la langue de Racine se pare des beaux atouts de la modernité: le texte s’envole, se débarrasse de ses oripeaux et nous fait peuple de Rome et de Palestine, garant de la raison d’État et protecteur de l’amour d’un roi pour sa reine! Entre le théâtre de Grégoire Calliés et celui de Gwenaël Morin, il y a eu Simon McBurney. Dans «Shun-Kin», le corps amoureux prend le pouvoir sur la douleur du monde, sur la lente déflagration de nos sociétés individualistes.Un spectacle si beau que l’on  aurait pu fermer les yeux.
Et puis, en 2010, il y a eu Pina Bausch. Il a fallu en faire des kilomètres pour la voir à Lyon («Nelkein») puis à Monaco («le sacre»). Deux oeuvres majeures où la scène parsemée d’oeillets ou de terre a vu les corps se fracasser d’amour. La danse de Pina Bausch a laissé ses empreintes.
C’est spectaculaire, croyez-moi.
Pascal Bély, Le Tadorne
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LA VIE DU BLOG

En 2010, face au “toujours plus”, l’art de l’épure. Essentiel.

En ces temps troublés où la mécanique tend à prendre le pouvoir sur le processus créatif, nombreux sont les artistes à nous avoir offert en 2010 une immersion dans l’immatérialité la plus totale. Peu ou pas d’histoire, comme s’il y avait urgence à laisser transpirer les corps d’effluves essentiels. Petite sélection sur les 140 spectacles vus en 2010…

Anne Teresa de Keersmaeker / “En atendant” /Festivald’Avignon

Cindy Van Acker / “Lanx”,”Obvie”, “Nixe”, “Obtus“/ Festival d’Avignon

Michel Kelemenis / “Henriette et Matisse” / Théâtre des Salins de Martigues – Biennale de la Danse de Lyon

Virgilio Sieni / “Tristes tropiques” / Biennale de la Danse de Lyon

Yan Raballand / «Viola» / (re) connaissances à Décines

Thomas Lebrun / « Allone#3 » / Présence Pasteur , Festival Off d’Avignon

Collectif Petit Travers / «Pan Pot ou modérément chantant“/ l’Hexagone, Scène Nationale de Meylan

Joseph Nadj et Akosh Szelevényi / « Les corbeaux » / Festival d’Avignon

Christian Rizzo / ?l’oubli, toucher du bois?/ Festival de Marseille

Ioannis Mandafounis, Fabrice Mazliah et May Zarhy / «Zero» / KunstenFestivalDesArts de Bruxelles

Patrick Servius / «Lespri Ko»/ Les Hivernales d’Avignon

De la terre comme plateau. La lumière du soleil couchant comme seul éclairage. Tout n’était qu’épure pour une danse innommable. Avec «en atendant», Anne Teresa de Keersmaeker a signé un chef d’oeuvre en retirant de son langage chorégraphique des élisions dangereuses pour y placer des traits d’union entre des danseurs majestueux et des spectateurs respectueux. Inoubliable.

Dans la « lignée », entre les empreintes sur le sol, et la lumière, matière pour traces chorégraphiées, Cindy Van Acker avec quatre solos («Lanx” / “Obvie», «Nixe “/ “Obtus») a provoqué le «syndrome de Florence» au coeur d’Avignon. Palpitant.

Avec “Viola”, le jeune chorégraphe Yan Raballand a composé une partition chorégraphique légère  et lourde de sens (avec cette étrange impression que le corps pèse deux plumes) pour nous envoyer des vibrations délestées d’un propos qu’il aurait fallu comprendre.

Dans «Allone#3», Thomas Lebrun a tombé le masque pour nous offrir une danse virtuose qui soulève le coeur de tant de grâce. Elle signe l’exigence d’un chorégraphe prêt à métamorphoser ses questionnements essentiels en mouvement généreux. Rare et précieux.

Avec «Pan Pot ou modérément chantant“, le collectif “Petit Travers” a réinventé l’art du jonglage pour en faire l’éloge de l’inattendu où la virtuosité surprend à chaque mouvement comme s’il jonglait avec le liquide.

Christian Rizzo a évoqué ce besoin presque vital de toucher du doigt que la danse est affaire de peau et de mémoire, de vie et de mort. Dans “l’oubli, toucher du bois, j’ai été propulsé dans un espace quasiment dématérialisé, où l’on navigue entre vie et mort, sens et perte, évanescence et effervescence.

Dans “Zero“, Ioannis Mandafounis, Fabrice Mazliah et May Zarhy ont osé chorégraphier des corps sans mémoire: ne restaient plus alors que le déséquilibre et le toucher pour explorer le mouvement à partir d’articulations insensées. Inquiétant et jouissif!

Je n’
oublierais pas de sitôt “Tristes tropiques” de Virgilio Sieni. L’épure est ici dans la rencontre avec « l’autre différent »: au point de convergence du symbole et du lien, du rituel et de la tendresse, du jumeau et du frère, du corps animal et de la danse animale.

La différence, l’identité est une recherche du mouvement, à l’image de la danse de Patrick Servius. Dans «Lespri Ko», Patricia Guannel a beaucoup impressionné: c’est une actrice qui danse. Rare.

Dans «Les corbeaux», le chorégraphe Joseph Nadj et le musicien Akosh Szelevényi nous ont fait découvrir l’atelier du «peintre danseur» et du «musicien pinceau» pour y dévoiler le territoire des humains migrateurs qui se perdent dans la forêt pour voler de leurs propres ailes. Sublime.

Le travail de l’épure conduit inéluctablement vers la peinture à l’image du beau et sensible travail de Michel Kelemenis. Dans “Henriette et Matisse” , «le clair de lune» de Debussy a éclairé «les Nus bleus» de Matisse , tous deux complices pour puiser dans nos fragilités les ressorts de notre sensibilité.

Rendez-vous en 2011, pour voir encore de la danse en peinture…

Pascal Bély, www.festivalier.net

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En 2010, des artistes contre. Tout contre.

2010, année troublée, troublante: crise sociale, perte des valeurs, corruption au plus haut niveau de l’État, imbécillité médiatique. La liste est trop longue pour énumérer ce qui nous a plongés dans un abîme de médiocrité. Les artistes ont répondu présents pour décrire, dénoncer, parfois proposer. Ils ont mis en scène notre décadence, celle d’une civilisation qui maltraite. Petite sélection sur  les 140 spectacles vus en 2010…

Maguy Marin /  “Salves / Biennale de la danse de Lyon  
Hofesh Shechter / “Political Mother” / Biennale de la danse de Lyon 
Alain Buffard / « Tout va bien »/ Théâtre de Nîmes. 
Julie Kretzschmar et Guillaume Quiquerez / “Terra Cognita” /Bancs Publics à Marseille. 
Viviana Moin, Arnaud Saury et Laure Mathis/ “Espiral“/ Festival Dansem. 
Thierry Bordereau / « La grammaire des mammifères » / Théâtre des Ateliers à Lyon. 
Grand Magasin / « Les déplacements du problème » / Scène Nationale de Cavaillon. 
Ivana MüllerWhile we were holding it together » / Festival Actoral avec Marseille Objectif Danse. 
Franz Xaver Kroetz / “Negerin” / Théâtre de la Ville à Valence.
Daniel Veronese / “El desarrollo de la civilizacion venidera” / KunstenfestivaldesArts de Bruxelles.
Claudio Tolcachir / « El Viento en un violin » / Festival d’Automne, Paris
La chorégraphe Maguy Marin est toujours là, constante dans sa démarche sans rien concéder pour guider notre réflexion: avec «Salves», c’est bien notre lien à la culture qui se distant à force de consumérisme et de négationnisme. Comme si ces deux mots finissaient par se lier. Il y a donc urgence à faire oeuvre de pédagogie quitte à se répéter. Qu’importe.  Il faut continuer à démontrer les processus d’embrigadement et d’asservissement du pouvoir: les chorégraphes Hofesh Shechter  avec “Political Mother” et Alain Buffard avec «Tout va bien» s’y sont essayés avec succès à partir du « corps » groupal qui maltraite le corps intime.
Dans «La grammaire des mammifères», Thierry Bordereau a dénoncé, non sans humour, qu’à force de traiter collectivement l’humain avec désinvolture, nous finirons par nous rapprocher du porc. Est-ce donc cela, notre «identité», promue avec tant de cynisme par la classe politique dirigeante? Elle est bien plus complexe comme l’a démontré avec talent le duo Julie Kretzschmar et Guillaume Quiquerez  dans “Terra Cognita”. Programmée à Marseille (et pourquoi pas ailleurs?), cette oeuvre  a interrogé  l’identité à partir du «et» et non du «ou». Percutant.
Mais l’identité, se nourrit aussi du sens des mots, profondément maltraité par la société consumériste relayée par le pouvoir Sarkozyste toujours aussi talentueux pour insulter l’intelligence. Avec «Les déplacements du problème»,  le collectif Grand Magasin a démontré avec créativité que les stratégies de communication sont des armes de destruction massive de la pensée. Face au désastre, Viviana Moin, Arnaud Saury et Laure Mathis dans «Espiral» en ont appelé au mythe pour que le processus de création ait encore une fonction dans un environnement où le temps de l’immédiateté prend le pouvoir. La chorégraphe Ivana Müller avec «While we were holding it together» a  préféré de son côté déconstruire les codes de la danse contemporaine pour mettre le spectateur en situation de créer le mouvement, donc du sens.
Mais cette crise es
t aussi et surtout sociale. Il n’y a que les Belges et les Argentins pour savoir porter sur scène ce que les Français conceptualisent!  Dans “Negerin“, Franz Xaver Kroetz a planté le décor d ‘un couple qui « sauvageonne » le corps pour se sortir de là. Dans “El desarrollo de la civilizacion venideraDaniel Veronese a remis au goût du jour,  “la maison de poupée» d’Henrk Ibsen: le pouvoir bancaire y casse le lien social et amoureux.Dans «El Viento en un violin», Claudio Tolcachir a mis en scène la perte totale des valeurs qui engendre celle des statuts.
Merci donc à ces artistes clairvoyants et courageux. Leur créativité, donc la nôtre, sera notre ressource pour nous sortir de là et les faire partir.  Nous avons 2011 pour nous y préparer.
Pascal Bély, www.festivalier.net.
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LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES

Mes dix chefs d’oeuvre en 2010.

Ce sont mes dix chefs d’oeuvre sur près de 140 spectacles vus en 2010. Sept femmes, trois hommes qui ont osé chercher dans le chaos le plus indescriptible, les ressorts de notre (in)humanité. Dix chefs d’oeuvre où les arts se sont bel et bien croisés (pourquoi continuer à séparer le théâtre, la danse, la peinture et la performance?) pour conduire le spectateur dans ce qu’il ne peut atteindre seul. Ces dix artistes ont été les éclaireurs d’un voyage au bout de la nuit…

1)    Angelica Liddell,  “La casa de la Fuerza“, Festival d’Avignon,
2)    Maguy Marin, “Salves“, Biennale de la danse de Lyon
3)    Anne Teresa de Keersmaeker, “En atendant“, Festival d’Avignon
4)    Christoph Marthaler,  “Schutz vor der zukunft” , Festival d’Avignon
5)     Simon McBurney, « Shun-Kin », Festival d’Autonme de Paris.
6)    Angela Laurier, “J’aimerais pouvoir rire“, Subsistances de Lyon
7)    Gisèle Vienne, «This is how you will disappear“, Festival d’Avignon
8)    Christoph Schlingensief, « Via Intolleranza II », KunstenFestivalDesArts de Bruxelles
9)    Cindy Van Acker, “Lanx” / “Obvie” / “Nixe” /”Obtus” , Festival d’Avignon
10)  Christiane Vericel, “les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable “, Théâtre d’Oullins

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Angelica Liddell – “La casa de la Fuerza” – Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

L’Espagnole Angelica Liddell avec “La casa de la Fuerza” est probablement l’une de nos plus grandes dramaturges européennes où le corps intime peut évoquer la douleur du monde. Rarement une artiste s’est engagée aussi loin sur scène pour accueillir la poésie de nos âmes torturées par l’imbécillité des puissants.

Avec “Salves“, Maguy Marin a chorégraphié le théâtre pour nous remettre dans la danse. Elle a cherché ce qui fait Histoire dans notre histoire pour questionner l’évolution de notre civilisation. Sidérant.

Angéla Laurier avec “J’aimerais pouvoir rire“, a atteint le sommet de son art: son corps contorsionné libèré de la «performance» a pu accueillir la folie de son frère, pour une peinture chorégraphique majestueuse.

Encore la folie avec Christoph Marthaler: “Schutz vor der zukunft” aura été l’un des moments les plus troublants du Festival d’Avignon. L’eugénisme des nazis nous est revenu de plein fouet pour que la souffrance des fous laisse son empreinte et guide nos pas de citoyens humanistes. Sublime.

Gisèle Vienne a osé créer une forêt pour en faire un théâtre d’où nous contemplions notre disparition.  «This is how you will disappear” fut un havre de fraîcheur au coeur de la fournaise d’Avignon jusqu’à glacer la peau du spectateur peu aguerri à vivre «sa» descente aux enfers.

Anne Teresa de Keersmaeker avec “En atendant“, nous a offert un paradis chorégraphique, sur la scène en terre du Cloître des Célestins à la lumière du soleil d’Avignon. Nous “sommes entrés dans la nuit” avec eux pour accompagner le travail de recherche sidérant de cette chorégraphe exigeante.

Avec ses quatre solos (“Lanx” / “Obvie” / “Nixe” /”Obtus” ), Cindy Van Acker a sidéré de nombreux spectateurs peu habitués à plonger dans le geste chorégraphié avec autant de lenteur. Quand la danse provoque le syndrome de Florence en Avignon…

Nous n’étions pas loin d’en être de nouveau atteints avec Simon McBurney.  «Shun-Kin» est la signature d’un grand metteur en scène; c’est un bâtisseur de ponts d’où l’on danse, d’où l’on pense pour se jeter dans le vide par amour du théâtre. À quand une tournée en France?
Il ne reviendra plus. Le metteur en scène allemand Christoph Schlingensief a disparu à la fin de l’été après avoir présenté sa dernière création au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. «Via Intolleranza II» a déformé pour longtemps notre regard sur l’opéra pour en faire un moment populaire, festif et politique. La scène fut une matière qu’il a malaxée pour en faire l’?uvre du renouveau, celle d’une civilisation tournée vers l’Afrique. Inoubliable.
2010, fut l’année de ma rencontre avec Christiane Véricel ( “les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable “). Accompagnée d’enfants comédiens et de sa troupe, elle a posé  la question de la faim dans le monde. Loin d’apporter ses réponses, elle a provoqué cette turbulence qui a fait de nous des ogres affamés, solidaires et joyeux.
Gageons qu’en 2011, notre “casa de la fuerza” sera encore et toujours le théâtre.
Pascal Bély – www.festivalier.net

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LA VIE DU BLOG LES JOURNALISTES!

Le Tadorne sur France Culture.

Dimanche 18 juillet à 19h (en poadcast dès le 19), sur France Culture, j’étais l’un des invités de Frédéric Martel dans l’émission « Masse critique » depuis le Festival d’Avignon. Autour de la question de l’usage d’internet dans le champ du spectacle vivant, j’ai pu préciser mon positionnement de spectateur – blogueur. À vous d’apprécier « le blogueur du sud » dans ces oeuvres puisque c’est ainsi que l’on semble vouloir me qualifier. Etrange paradoxe que celui de nommer un positionnement géographique alors que celui-ci s’inscrit sur une toile. J’espère qu’il sera possible de prolonger cette émission sur l’articulation entre blogs, presse papier et réseaux sociaux.

L’émission est en écoute ici.

Le sujet est passionnant et permettrait de faire dialoguer artistes, spectateurs, journalistes et professionnels de la culture au-delà des connivences en vigueur.
Pascal Bély – www.festivalier.net

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DANSE CULTE LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES Vidéos

Le Tadorne a cinq ans : Bel anniversaire.

Trois blogueurs dialoguent suite à la pièce du chorégraphe Jérôme Bel,  « The Show Must go on ».  Jérôme Delatour d’Images de Danse et Guy Degeorges d’Un soir ou un Autre assistèrent à la représentation au Théâtre de la Ville à Paris en mai 2010, Pascal Bély du Tadorne au Théâtre des Salins de Martigues en février 2005. Avec un étrange dénouement pour ce dernier…


Jérôme
Delatour : « The Show Must go on », de Jérôme Bel, est une pièce créée en 2001 que je devais avoir vue et qui, en effet, est importante. On l’associe à la “non-danse”, un hypothétique courant de la danse contemporaine qui fait crier certains. Et encore plus quand la chose est interprétée, comme depuis 2007, par les danseurs du ballet de l’Opéra de Lyon !

Aucune importance.

Pascal Bély : C’était important. Le 4 février 2005, au Théâtre des Salins de Martigues, la salle est clairsemée. Dès les premières minutes du spectacle, la tension est palpable, alors que nous sommes plongés dans le noir, pour une attente interminable. A cette époque-là, je vais au spectacle pour me divertir et je ne saisis pas encore que la danse est un acte politique. Quand au courant de la « non-danse », j’en ignore son existence…

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Jérôme Delatour : Que voit-on ? Sur un plateau nu, 30 jeunes gens en habit de ville, dont seize garçons, debout face à nous, les bras ballants. Quand une chanson survient, ils dansent, quand elle s’arrête ils s’arrêtent. Les chansons se succèdent jusqu’à la fin, à la manière d’un jukebox.
Les spectateurs qui s’en tiennent à ce premier degré de lecture sont évidemment déçus. Ceux qui admettent qu’un spectacle puisse être politique y voient une métaphore ; une métaphore du totalitarisme moderne, du fascisme libéral planétaire. Voilà des individus sans volonté qui obéissent au doigt et à l’oeil. C’est glaçant, parce qu’ils nous ressemblent trait pour trait. Oh ! plus d’uniformes ni de canons, plus de morts ni de larmes ; plus que jamais, l’horreur se joue en coulisses, à l’insu de notre plein gré.


Guy Degeorges : Tu métaphorises, et c’est symptomatique. Tu réagis à ta façon. Tu n’as pas le choix.

Plutot que de manipulation, je parlerai ici de provocation. Dans une logique de performance. Tu interprètes à un niveau politique. D’autres spectateurs du théâtre réagissaient selon leurs moyen propres: à voix haute, en chantant, riant, en écrivant des sms, etc… L’intérêt de cette proposition  est de créer une relation inhabituelle entre spectacles et spectateurs. Comme l’on dit souvent “le spectacle était dans la salle”. Puisque Jérôme Bel prenait le partie de ne pas présenter de danse “dansée”, ni signifiante, que de l’absence d’action ou de la danse pauvre et de refusait de répondre à toutes nos habituelles attentes. Je ne vais pas jouer le rôle du râleur ou du reac de service. Il se passait des choses intéressantes. Une dame chantait très bien. Mais, à la vérité, je me suis ennuyé. Car la situation pouvait paraitre libératrice dans un première mouvement, mais devant au fond manipulatrice et enfermante: nous perdons la possibilité de critiquer car nous sommes devenus partie prenante du spectacle. Il devient impossible de se situer “à l’extérieur” 

Pascal Bély : Oui, pour la première fois, j’étais dedans. Et c’était là le plus extraordinaire. Pour la première fois, un chorégraphe m’interpellait : « tu fais partie du jeu ». Non que je puisse monter sur scène, mais que la danse était une interaction entre le spectateur et le danseur où circule le désir. Quelle découverte ! Je me souviens encore de la salle : des sifflets, des hurlements, des cris de joie. Je  m’enfonçais dans mon fauteuil, intimidé, joyeux, apeuré, ?Pour la première fois, je me sentais exister comme spectateur parce que j’étais TOUCHE et qu’un artiste venait chercher le « ça », le « surmoi » et tout le « tralala ».

Jérôme Delatour : Jérôme Bel se livre à un exercice de manipulation malicieux. Il opère un choix ouvertement tendancieux dans l’immense réservoir des tubes planétaires, les détourne avec ironie. Chaque refrain devient un slogan, une injonction à faire, à être, à rêver, pense à notre place, nous berce, nous tue. La pop héritière de la fanfare militaire, et nous bons petits soldats de la consommation, marionnettes marchant au doigt et à l’oeil, le doigt sur la couture d’un jeans Diesel. Et post musicam, animal triste.

Guy Degeorges  : C’est cet aspect qui est douteux, jusqu’à toucher au procédé. Je cite la feuille de salle (complaisante comme toutes les feuilles de salle) “Le DJ enchaine les rengaines des quinze dernière années qui soudain se répandent en effluves de souvenirs et picotent au coin du coeur” Autrement dit, l’effet “radio nostalgie”?

Pascal Bély : Il fallait ce procédé pour travailler la posture du spectateur. Qui n’a pas dansé sur ces tubes ? Qui n’a pas désiré en écoutant ces ritournelles ? Oui, cela picotait mais au-delà de cette sensation, il y a avait cette question : « que fais-tu là dans cette salle de spectacle ? ». C’est à partir de ce processus, que les spectateurs ont commencés à s’engueler dans la salle. « Mais ce n’est pas de la danse » me lance une femme furieuse ! Et moi, de lui répondre : « mais madame, la danse ce n’est pas que du mouvement ». Je me souviens encore de cette réponse ! Mais où étais-je allé chercher ça ?!

Jérôme Delatour : Evidemment, la musique n’est pas en cause. Ni John Lennon ni Céline Dion, dont le crime essentiel serait la mièvrerie ou le bon sentiment (et la compatibilité totale avec la société mercantile), ne sont des dictateurs en puissance, mais celui qui exploite, organise, systémise, transforme leurs fleurs en pilules et en munitions. Qui est-il ? Où se cache-t-il ? C’est alors seulement qu’on le remarque, tapi dans la fosse d’orchestre. Une espèce d’Ubu de l’ombre qui passe les disques. Nous ne tenons qu’à un disque. Le DJ est un dieu, “Killing me softly with his song“. Dieu est un DJ. A ce point de sa démonstration, Jérôme Bel lâche un peu les danseurs et se met à jouer insidieusement avec les nerfs du public.

Guy Degeorges  : CA faisait un bout de temps qu’il jouait avec les nerfs…dépuis le début.

Jérôme Delatour : Oui, c’est bien de nous dont il s’agit dans cette pièce, au cas où nous ne voudrions pas l’avoir remarqué. Dès le début, histoire de nous conditionner, il nous avait plongés dans le noir en nous distillant des chansons entraînantes ou niaises. Soudain, lumière rouge et Piaf. Puis retour au noir complet avec “The Sounds of Silence” (“Hello, darkness my old friend…“).

Guy Degeorges  : Avoue que les ficelles sont un peu grosses, et les jeux de mots faciles! “let the sun-shine“: et la lumière monte, “Yellow Submarine“: les danseurs disparaissent dans les cintres sous une lumière jaune, tout à l’avenant. On serait plus sévère en écoutant ça sur une scène de café-théâtre. Mais une fois de plus, on se situe hors tout jugement esthétique possible, hors de l’esthétique.   

Pascal Bély : Oui, on est hors de l’esthétique. C’est au niveau du processus que l’on peut lire cette pièce, sinon c’est l’ennui assuré (quoique s’ennuyer est aussi un positionnement défensif). Bel ne vient chercher aucun savoir, mais intranquilise une posture, celle du spectateur, que bien des programmateurs ont confortablement installé dans un fauteuil moelleux. C’était la première fois que le public de Martigues vociférait de la sorte et ses cris étaient un acte politique. Je me souviens avoir fait le lien avec les protestations du public quand, en 2003 en Avignon, il n’avait pas eu ce qu’il voulait.

Jérôme Delatour : Et rebelote. Chanson. Lumière. Silence. Noir. Chanson. Silence. Lumière. Ces méthodes ne vous rappellent rien ? Le public est électrique, désarçonné. Il voudrait maîtriser la chose, mais il est pris au piège. Alors ça trépigne, ça crie des bêtises, ça pianote sur les portables, ça prend des photos… Le premier qui publie sur Facebook a un prix !

Guy Degeorges  : Je l’ai fait, je l’ai fait! J’ai posté 50 commentaire sur facebook en direct et qu’ai je gagné? Rien du tout. A part avoir faire rire Pascal peut-être. Et ça m’occupait les doigts. Cette tentative pour me situer hors du jeu et inventer une nouvelle réaction était vouée à l’échec. J’étais manipulé; Dans ce contexte, tout comportement inhabituel devient légitime, récupéré, partie intégrante du système spectaculaire. Sur le coup cela m’irrite; mon premier réflexe est de dire “on m’a déjà fait le coup” du non-spectacle. J’ai eu la même réaction face à certaines propositions performatives (cf. les gens d’Uterpan). Sans que cela n’explique les raisons de mon irritation car je peux réagir favorablement à la répétition d’autres procédés spectaculaires…  

Pascal Bély : En 2005, il n’y avait pas de Smartphone…

Guy Degeorges : En refléchissant à ta réaction, lorsque que tu étais un “jeune” spectateur, cela n’implique-t-il pas que cette proposition n’a d’intérêt que pour un public relativement vierge, habitué à des codes de représentation plus conventionnel? Pourrais tu revoir cette piece?

Pascal Bély : Encore aujourd’hui, en écrivant sur ce « show », l’émotion me submerge car c’est mon acte de naissance de « spect’acteur ». La revoir, serait de vivre un « dedans-dehors » jubilatoire.

Jérôme Delatour : Ca reprend les refrains en coeur, ça sa dandine un peu, ça agite son portable à défaut de briquet (jamais vu autant de portables allumés), histoire de ne pas perdre la face.

L’apprenti tortionnaire poursuit ses expérimentations. Que se passe-t-il si chacun emporte sa musique avec soi, casque aux oreilles ? Jérôme Bel a prévu le coup. Hé bien il ne se passe rien de plus.

Guy Degeorges  : Non il ne se passe jamais sur scène- c’est fait exprès, c’est le concept. Il se passe des choses dans le système salle-scène.

Jérôme Delatour : Les individus ne sont pas libérés, juste isolés, en prise directe avec des pensées préfabriquées, emmurés dans le paradis artificiel des égos hypertrophiés. “Should I stay or should I go? » “I’m bad“. “Je ne suis pas un héro“. “J’adore“. “I’m gonna live forever“. “I’ve got the power“.
Entretemps, le DJ aura dansé lui aussi. Finalement, ce n’était qu’un sous-fifre. Mais alors, qui est le grand manipulateur ? Allons allons, nous nageons en pleine théorie du complot. Nous ne sommes manipulés que parce que nous le voulons bien. The Show must go on, sinon il nous faudrait regarder la réalité en face, avoir du courage, la volonté d’être et de faire quelque chose.
Et si on essayait ? Ne serait-il pas grand temps de nous secouer, plutôt que de bouger notre anatomie ? 

Guy Degeorges  : You’ve got to move it, move it? C’est le mot de la fin, façon dessin animé ?

Pascal Bély : « You’ve got to move it, move it ». En quittant le théâtre, je chante points serrés. « Mais pourquoi vas-tu au spectacle ? Pourquoi gueulaient-ils ? Je suis un spectateur. Je suis un spectateur »
. Emancipé ? Le 22 mai 2005, je créais le Tadorne.

Jérôme Bel, sans rien savoir de mon histoire, fut le premier chorégraphe à mettre le lien du blog sur son site.

Guy Degeorges, Jérôme Delatour, Pascal Bély.

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LA VIE DU BLOG

Mai 2005-Mai 2010, «www.festivalier.net» a cinq ans : qui sont les artistes « Tadorne » ?

Depuis cinq ans, avec plus de 700 oeuvres vues, le spectateur Tadorne  a eu le temps de nouer des liens avec les créateurs, formant la toile qui soutient cette démarche particulière d’un spectateur en « travail». Certains en comprennent le sens, observant avec bienveillance cette émergence qui les positionne dans un rapport différent à la critique. Comment créer une relation ouverte avec un spectateur qui n’est pas un « acteur culturel », dont la parole est « reportée » par les moteurs de recherches de l’internet, et dont le lien à la culture va au-delà de ce qu’il voit sur scène ? Pour le Tadorne, écrire bouleverse ses représentations du lien à l’artiste : d’une position haute ou basse, il apprend la relation horizontale, fraternelle pour s’inclure dans un processus.

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Avec le chorégraphe Michel Kelemenis , ce lien est en dynamique depuis les «Aphorismes géométriques », oeuvre qui a changé son approche du mouvement dansé. En écrivant à partir de son ressenti, le Tadorne est entré dans la danse! En 2008, Michel Kelemenis prend l’initiative de l’inviter pour être membre du jury d’un concours organisé par l’ADAMI à Marseille. Pour la première fois, le Tadorne communique à égalité avec des « spécialistes ». Michel Kelemenis poursuit ce travail de mise en « mouvement » avec ce spectateur « atypique » : trois mois plus tard, il accepte sa demande d’assister aux répétitions. Au-delà d’une médiation classique qui consiste à présenter une étape de travail, cette ouverture dans le temps (elle a duré une dizaine de jours)  permet au spectateur Tadorne d’élargir son regard sur l’oeuvre, de relier le travail du chorégraphe à d’autres métiers de l’humain (professionnels du lien social, formateur, thérapeutes, animateur d’équipe,…),  et d’imaginer toutes les articulations possibles entre son travail et celui d’un artiste ! Le spectateur Tadorne finit donc par s’interroger : pourquoi n’intègre-t-on pas dans la formation initiale et continue des acteurs qui travaillent dans le champ de la complexité, d’assister à un processus de création artistique, et qui les aiderait à faire face aux défis des crises systémiques, où tout est lié ? Comment rendre visibles ces processus au moment où l’État baisse ses financements sur le “résultat” ? Comment accompagner les artistes à ouvrir ce qu’ils protègent (parfois à juste titre) ?

Ces questionnements trouvent un prolongement avec Pierre-Jérôme Adjedj. Ce jeune metteur en scène, rencontré grâce au réseau social Facebook, m’invite en novembre 2009 à suivre sa résidence de création d’« Initial Sarah Stadt » à la Ferme du Buisson près de Paris. L’expérience est troublante, car la présence du Tadorne interagit avec le processus sans que l’on puisse encore savoir exactement où. De retour à Aix en Provence, le Tadorne n’en dort quasiment plus ! Il a observé ce qu’il n’aurait pas dû voir, « la chose » comme lui renverrait sûrement la psychanalyse. Quelques semaines plus tard, cette ouverture permet au Tadorne d’écrire sur « le blogueur hybride  tandis que Pierre-Jérôme Adjedj lui envoie un article troublant : « Le chemin de la création est-il condamné à être un temps préalable au temps des spectateurs ?…En d’autres termes, formulons une proposition : supposons que le temps de la création devienne un temps partagé… Au paradigme du chemin parcouru jusqu’au public se substituerait la possibilité d’un temps immédiat, correspondant à un espace ouvert. Un espace public? D’entrée, balayons le soupçon démagogique : il ne s’agit pas de (faire) croire que le spectateur entre dans le rôle du comédien, du metteur en scène, ou de tout autre membre de l’équipe. Ce à quoi j’aimerais l’inviter, c’est à entrer en lui-même, entrer dans son rôle étymologique d’observateur, à donner à ce rôle de spectateur un poids, une importance, une noblesse à même de peser sourdement sur la création en cours. On ne demande pas au spectateur de voter pour décider de la fin ; on ne lui demande d’ailleurs rien ; on intègre simplement sa présence. La présence : on en parle volontiers pour louer le charisme d’un acteur. Et si l’on louait la présence des spectateurs (ça changerait des stratégies fourbes pour l’acheter, aux seules fins de faire briller le sacro-saint taux de remplissage) ?… Un spectacle vivant, dans la mesure où il cherche à échapper aux formats et recettes en vigueur, donne à voir tout au long d’un processus de création lui-même composé de multiples processus enchevêtrés. C’est au coeur même de la fragilité de ces processus que le spectateur peut tout à la fois puiser une matière inédite, intime, et apporter en retour la participation de son regard. Inévitablement, la forme de l’objet fini portera les traces de ces regards successifs… ». À ce jour, un homme de théâtre et de danse sont artistes « Tadorne », liés « comme si » nos projets étaient interdépendants.

Christiane Véricel ne tardera pas à les rejoindre. Auteuse et metteuse en scène, elle travaille avec des enfants acteurs et des comédiens adultes sur tout le continent européen. Toujours grâce à Facebook, nous nous sommes rencontrés à Lyon, pour faire connaissance. Puis sa dernière création, « « Les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable », a dévoré le Tadorne. Notre rencontre est inévitable. Son projet européen s’appuie sur le collectif, le maillage et promeut des valeurs universelles. Le spectateur Tadorne a beaucoup à apprendre de cette compagnie qui incarne un modèle de développement de la culture à partir du lien social.

Il y a bien sûr d’autres artistes qui sont fortement liés au Tadorne. Le metteur en scène David Bobée est toujours fidèle à la démarche et commente les articles critiques que nous écrivons sur lui. Des liens de confiance se sont noués avec d’autres et le Tadorne suit leur projet : la Vouivre, Robin Decourcy, Sofia Fitas, Renaud Cojo, Patrick Servius, Patricia Allio, Gilles Groppo, Anne Lopez, Nicolas Mathis, Christian Ubl. Mention toute spéciale au chorégraphe Philippe Lafeuille qui encourage et affectionne. On n’oublie pas Pascal Rambert à qui le Tadorne doit sa plus grande colère de spectateur tout en s’intéressant à la façon dont il ouvre le Théâtre de Gennevilliers au public.

Le Tadorne croise souvent le regard bienveillant d’Hubert Colas et cela fait du bien. Tout comme le merci chaleureux d’Olivier Dubois pour l’avoir soutenu dans sa création en Avignon. Il y aura toujours Jérôme Bel pour l’étincelle.

Et puis, Maguy Marin, qui nous offre un théâtre n é de la danse. Sa détermination n’a pas fini de faire voler le Tadorne.

Pascal Bély– www.festivalier.net