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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Avignon Off- N’oubliez pas en gare de liker cet article.

Depuis quelques années, seul le Festival Off permet de voir des œuvres en forte résonance avec le contexte: elles font lien entre les spectateurs et posent une parole, des gestes, une esthétique sur des enjeux qui finissent par nous dépasser. Deux pièces méritent d’être reliées même si le thème abordé pourrait les cloisonner.

« Le prochain train » d’Orah de Mortcie est « un conte sur nos liens à l’ère du numérique ». À première vue, traiter la question alors que nous ne sommes qu’au début de cette révolution est pour le moins risqué. Mais le pari est réussi. Vincent est ingénieur : il est l’un des créateurs du système qui permet aux «câbles de passer sous la manche»… « Tu es le créateur de l’internet » s’extasie Karine, embauchée pour inventer ses identités sur le web après le départ de sa femme. A priori, ces deux-là n’étaient pas faits pour se rencontrer. Vincent est certes un créateur, mais un utilisateur dépassé par les outils de l’internet. Entre la finalité des choses et leur appropriation, il y a tout un monde ! Or, le monde de Vincent, c’est la recherche. Happé par son ordinateur, il ne voit plus, ne comprend plus cette révolution numérique où de nouveaux liens s’élaborent. De son côté, Karine ne cherche pas. Elle s’applique à utiliser Facebook, Google, Twitter pour se perdre et se retrouver multiple, à plusieurs têtes et corps dans une poupée russe. Tout s’emboîte, mais rien ne relit. À force de « valider », elle ne sait plus très bien où est la vérité. Toute sa pensée est structurée, cloisonnée, par les multiples applications que lui offre aujourd’hui la révolution numérique. Mais de quoi parlons-nous lorsque nous évoquons cette expression? Ce conte ne porte aucun jugement de valeur, bien au contraire. L’écriture ciselée d’Orah de Mortcie nous permet d’entendre ce qu’il se joue, de saisir comment les outils de l’internet structurent durablement les relations et le regard que nous portons sur elles.

« Le prochain train » est la métaphore d’un combat entre la poésie et l’outil, entre la complexité de l’humain et ce qu’elle est capable d’engendrer contre elle ! Ce paradoxe est mis en scène dans un espace scénique réduit, où les corps bougent peu (du bureau à la chambre !), où l’espace numérique semble infini, mais où le retour aux fondamentaux (incarnées par le rêve de l’enfance) parvient à s’imposer. Orah de Mortcie nous redonne le pouvoir de contempler le train fou de notre enfance dans lequel voyage notre  ultra moderne solitude.

« Rendez-vous gare de l’est » de Guillaume Vincent interprété par Emilie Incerti Formentini évoque le train à grande vitesse d’une vie plongée dans les médicaments, dans la folie douce, celle de la maniaco-dépression. Très vite, j’ai l’étrange sensation d’être porté par ses mots pour m’inclure dans une vie dont certains aspects ne sont pas sans rappeler nos souffrances actuelles. La manière dont Emilie Incerti Formentini se met en mouvement avec son corps quasi immobile en dit long sur le tourment intérieur qui la bouscule. Elles nous guident dans ses allers-retours entre l’hôpital, le travail, son couple et l’on est troublé par les porosités : l’hôpital fait famille, le couple s’hospitalise tandis que le boulot l’enferme dans la clinique du non-sens.

Je sors de ce spectacle essoré avec l’étrange sensation d’avoir croisé cette femme dans mon travail, dans les groupes, dans mon enfance.

Dans mon enfance…

Pascal Bély – Le Tadorne

« Le prochain train » d’Orah de Mortcie au Théâtre Note Dame d’Avignon à 14h35.
« Rendez-vous gare de l’est » de Guillaume Vincent à la Condition des Soies d’Avignon à 14h25.
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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG PETITE ENFANCE

Avignon OFF- Etre professionnel de la toute petite enfance est un art.

« Etre dans la virgule »

En ce matin gris et froid du 10 juillet 2014, date de la 1ère Offinité du Festival Off d’Avignon, elles sont toutes à l’heure. Elles, ce sont les 30 professionnelles de la petite enfance qui arrivent de Martigues, Marseille, Les Pennes-Mirabeau, Vitrolles, Montpellier et Pont-de-Claix. Elles ont fait le choix de s’engager dans un même processus temps, accompagnées en cela par le groupe des Tadornes – Pascal Bély, Sylvie Lefrère et Sylvain Saint-Pierre.

Au départ, dans la cour de la Maison du Théâtre pour enfants de Monclar, nous leur demandons un geste pour poser le socle de la journée, celui du mouvement de la rencontre entre l’art et la petite enfance.

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Très vite, ces femmes, qui ne se connaissent pas, se mettent en lien. Un groupe déhiérarchisé et décomplexé. Les mots suivent la dynamique et donnent de la visibilité aux projets. Leurs danses commencent, mine de rien, dans un pas, une rotation, un regard. Ainsi, tout a débuté par une, trois, six d’entre elles, pour finir ensemble dans les mains de Philippe Lafeuille, danseur chorégraphe, au Majic Circus du Village du Off.

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Mais avant d’en arriver là, deux spectacles les ont aidées à créer leur danse. « Marche ou rêve» de la Compagnie Lunatik a offert une vision tournée vers le grandir. Deux comédiennes jouent avec les mots, en lien avec leurs chants rythmés. Elles sont l’enfant explorateur d’entrailles de bambous, chercheurs de trésor. Elles vont lutter contre vents et marées, en équilibre permanent entre réalité et rêve.

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Dans « Us-band», 4 hommes nous attendent sur le plateau. Ils ont chacun leur singularité et sont réunis dans une élégance complice. Ils ressemblent à ces enfants qui évoluent en crèche : ils jouent à se pousser, à se jauger, à courir, à se rencontrer dans ce qu’ils sont dans un espace donné. Ils sont eux, ils sont nous. Adultes, enfants. Samuel Mathieu a dû finement observer l’enfance pour une restitution de cette qualité. Le corps des enfants est omniprésent dans ses touchers, ses déplacements, ses regards. Les jeux déploient le plaisir et la dynamique. Une claque sur la cuisse engage cette énergie, le mouvement.

Ces mises en scène réunissent pleinement les spectatrices de la petite enfance, inspirent leurs restitutions chorégraphiées qui ponctuent à de nombreuses reprises la journée. C’est la construction d’un projet, d’une utopie, en cherchant, en marchant. Patiemment…

Car, au-fur-et-à-mesure des spectacles vus et joués par ces femmes, émergent ces questions : comment relier le monde de l’art et celui de la petite enfance ? Qu’est-ce que le geste révèle comme mouvement de fond ? Durant leur travail chorégraphique mené la journée, elles ont établi des liens entre des ressentis communs à ces deux univers : l’enthousiasme, le retour sur soi, la vision de l’autre dans le groupe, la vision globale au sein du groupe, la vision esthétique, l’ouverture vers l’Autre, au-delà du groupe, et enfin le lâcher prise. Sans que cela ait été prévu initialement, ces chorégraphies, mises bout à bout, procèdent du même éveil progressif que celui qui conduit l’enfant à prendre conscience de son humanité. Leur mouvement d’ensemble mène au lâcher-prise…qui amorce en retour une circularité créatrice, puisqu’il nourrit l’enthousiasme, le retour sur soi, et ainsi de suite : le point d’arrivée devient point de départ. L’adulte professionnel, par l’art, retrouve l’enfance, le corps-sujet, le décloisonnement, l’impulsion immédiate et la relation. Il faut ré-enchanter, ré-enfanter les structures d’accueil de la jeunesse, de la même manière que le philosophe Bernard Stiegler considère qu’il faut « amateuriser » les pratiques professionnelles (amateur venant d’ « amor », ce qui veut dire « aimer »), qu’elles soient critiques, artistiques ou autres.

A plusieurs reprises, notre cordon de spectatrices s’est étiré à travers la ville. Les pas se sont emboités avec ceux des tracteurs. Des relations, des questionnements, des idées ont jailli. Le temps a été notre censeur, en mouvement à toujours nous courir après ou nous rattraper.

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Au village du Off, ces femmes vont se saisir de tous ces ingrédients respirés dans la journée et les mettre en émulsion grâce à Philippe Lafeuille, notre monsieur loyal créatif. Le public ne va pas en croire ses yeux : des rires et des mouvements fusent en tous sens, tout en étant recentrés sur l’essence même de leur projet commun. Le centre du chapiteau Majic Mirror laisse résonner le bruit de leurs pas engagés et de leur soif de liberté qu’elles libèrent pleinement dans leur élan collectif de lâcher prise.

Le processus temps de la journée a permis à ces femmes de révéler le potentiel qu’elles portent en elles. Elles ont contribué à façonner une nouvelle relation critique, au cœur même du village du Off. Une pensée critique en acte, en mouvement, joyeuse, libérée. En un mot : incarnée.

Le 10 juillet, l’émerveillement du spectacle était dedans, dehors, partout, dans une vision globale de spectateurs-acteurs passionnés.

Sylvie Lefrère – Sylvain Saint-Pierre – Le Tadorne

« Le Grand Off du Tout-Petit » dans le cadre des Offinités du Tadorne, le 10 juillet 2014.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Le Festival d’Avignon mord la poussière.

«Ce qui nous dépasse nous rassemble. 68ème édition, un festival politique” est le slogan qui s’affiche sur internet. Après quatre journées, je ne ressens aucune pensée en mouvement, juste une vision passéiste teintée de discours éculés.

À ce jour, jeudi 10 juillet 2014, je n’ai toujours rien écrit sur Avignon. Car rien ne vient. Rien…Vraiment ?

Par quels processus, la création «The Humans» d’Alexandre Singh a-t-elle trouvé sa place dans le festival ? Comment le thème de l’origine de l’humanité et de sa condition sociale a-t-il pu se perdre dans une esthétique aussi vieillotte ?

«Dire ce qu’on ne pense pas dans des langues qu’on ne parle pas» d’Antonio Araujo promettait une pensée énergisante. Le public est invité à l’Hôtel des Monnaies dont l’architecture rappelle le lieu du pouvoir qu’il a été. De la rue au dernier étage, le public doit se déplacer pour s’immerger dans la crise orchestrée par les bruns au pouvoir. Tous les effets «spéciaux» au service d’une esthétique de la dictature sont là. La mise en espace rend visible ce que produit la violence d’un fascisme moderne, mais fait totalement l’impasse sur ce qui ne se voit pas…Il est probablement plus aisé de mettre en performance un lieu que de faire confiance à l’intelligence des spectateurs pour éviter de leur faire subir physiquement ce que majoritairement nous refusons.

«Orlando ou l’impatience» est la création d’Olivier Py, actuel directeur du Festival d’Avignon. C’est la plus attendue. Comment peut-il croire que le conflit qui l’a opposé à l’ancien ministre, Frédéric Mitterand, puisse constituer un propos sur l’avenir de la culture en France? Comment puis-je me projeter dans une logorrhée verbale dès qu’il évoque son Dieu ? Comment le goût pour le pouvoir d’Olivier Py et sa détestation peuvent-ils accueillir mes questionnements sur la crise actuelle et mes peurs qu’un parti fasciste prenne le pouvoir ? Certes, Olivier Py est un metteur en scène prodigieux quand il guide Orlando dans les pas d’un père sans nom et sans visage. Il est capable de créer une troupe d’acteurs exceptionnels avec qui le plateau se transforme en allégorie de l’amour et de la perte. Il est fascinant quand il entremêle le sort de l’artiste à sa condition sociale, elle-même liée à une complexité psychique. Mais pourquoi enfermer ce théâtre de l’amour dans une telle vision du pouvoir? Avec «Orlando ou l’impatience», je sais que rien ne sera possible avec ces hommes de pouvoir et de culture : le peuple finira par les détester parce que l’art ne s’inscrit plus dans un dépassement, mais dans une stratégie personnelle de conquête du pouvoir.

Où donc me réfugier ? « Le Prince de Hambourg » de Giorgio Barberio Corsetti était une promesse… «Je n’ai rien promis. Ai-je la tête d’une promesse ?» disait la Grande Actrice à Orlando alors qu’elle lui avait promis de lui donner le nom de son père. Oui, ce soir, le théâtre n’avait pas la tête d’une promesse, même pas la tête à ça. Et pourtant, il y avait de quoi nous interpeller : peut-on s’affranchir d’un cadre institué pour le faire avancer, le transformer ? La question est actuelle au moment où gouvernement Valls, pour sauver le cadre institué du dialogue social, a préféré signer l’accord avec le MEDEF et les syndicats contre l’avis du peuple des intermittents qui avait autre chose de plus pensé, de plus élaboré à proposer. Oui, « Le Prince de Hambourg » aurait pu être une œuvre majeure de ce festival. Au lieu de quoi, la mise en scène est sans énergie, poussive (à l’image du beau décor sur roulettes). La scénographie pallie ce que les acteurs peinent à incarner : le vide politique, l’effondrement de la vision, la verticalité des processus décisionnels. C’est policé à l’image de ces cabinets ministériels où l’on feint la crise sociale parce qu’il n’y a pas le bruit de la rue. Ce théâtre est pollué par le désir de produire de l’image pour masquer l’incapacité à proposer un dépassement…

J’aurais pu trouver un réconfort dans un spectacle jeune public, « Falstafe » de Lazare Herson-Macarel à partir d’un texte de Valère Novarina où comment le jeune prince d’Angleterre Henri V apprend le pouvoir par la guerre et la puissance dans sa relation avec le vieux et décadent John Falsatafe ! Ici aussi, un certain regard sur le jeu politique aurait pu faire résonance. Mais la mise en scène impose le jeu comme si le théâtre avait à justifier sa présence. Cela finit par être assommant, malgré la fougue des acteurs. Lors du tableau final, des enfants du public se glissent entre la scène et le premier rang pour ramasser méticuleusement les billets de Monopoly lancés précédemment. C’est leur façon de rassembler ce qui peut l’être. Terrible….

J’attendais Emma Dante. Elle fait partie des metteuses en scène qui m’ont les plus bouleversé ces dernières années. Mais « Sorelle Malacuso » n’a tenu aucune de ses promesses. Emma Dante nous a écrasés…Un groupe de filles italiennes bavardes comme des pies jouent la caricature de nos représentations. Une image de l’Italie révélée dans les années soixante-dix dans le cinéma réaliste de Pasolini.Mais ici le père étouffe par ses actes autoritaires. En réponse, elles jouent à se mettre en apnée, en mêlant rapport de force et culpabilité. Cette asphyxie atteint surtout la petite dernière, la favorite. Les rires et les cris saturent les oreilles. La liberté de mouvement ne transpire pas. Les premiers pas renvoient à la marche des danseurs de « Tragédie » d’Olivier Dubois. Le noir précède l’explosion des couleurs, mais on ne sent pas de légèreté. Un fin crucifix est dressé, mais il trop fragile pour maintenir le poids des valeurs. Il apparait par intermittence, décousu. Les corps tentent d’avancer, mais ils butent sur un obstacle invisible. La relation entre les parents déroule une danse fantomatique sans élan. Le désir n’y est pas. Quant aux hommes, ils sont enfermés dans une représentation qui ne permet pas au théâtre de les dépasser. Au final, nous sortons écrasés. Emma Dante ne nous a nourris que dans une vision passéiste sans enchantement.

Penser c’est être en mouvement. Il n’y a aucune fatalité à ce que le théâtre nous fige dans un temps glorieux où, paraît-il, il parlait au peuple.

Pour l’instant, ce festival n’est pas  à la hauteur de ce qui nous arrive…

Pascal Bély – Sylvie Lefrère- Le Tadorne

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Festival d’Avignon – Humains précaires, théâtre poussière.

Ce matin, une brume inhabituelle m’accueille à Avignon. Une façon de voiler ma vision sur ce festival. En arrivant par la rue de la République, les affiches accrocheuses des premiers théâtres m’agressent. La ville se réveille doucement entre les premiers touristes et les commerçants qui s’activent. Rien ne laisse transparaitre que la lutte continue après le mois de grève au Printemps des Comédiens de Montpellier. Je ne vois pas d’affiches concernant les intermittents, précaires et chômeurs. La ville semble s’animer comme si de rien n’était. Les artistes croisés disent vouloir jouer.

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Devant un théâtre du Off, sur le sol, un jeune homme finit de peindre une affiche : “Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous“. Il ne peut pas l’accrocher dans le théâtre où il travaille: c’est un lieu privé et seul un vote de l’ensemble des artistes et techniciens peut l’autoriser. Je lui propose de la laisser sur l’espace public pour ainsi échanger avec les passants. Il est temps d’ouvrir les débats, hors des institutions.

L’attente dans les files d’attente est un spectacle vivant. Plus tard, dans une supérette, une vendeuse demande successivement à trois personnes de sortir, car elles parlent trop fort. Elles sont sans domicile fixe. Un client questionne l’un d’eux en l’invitant à parler de lui au lieu de haranguer les autres sur leurs origines ! Il ressent l’homme précaire derrière ses mots. Mais dans le magasin, cet état de solitude sociale n’émeut plus, et semble faire plutôt peur. Dans les années 80, on réclamait de la solidarité, mais maintenant on baisse les yeux…Je n’oublie pas ce dimanche soir de mars où, dans le centre d’Avignon, les résultats aux dernières élections étaient très serrés en faveur du FN…

Human” d’ Alexandre Singh, première pièce du Festival In ouvre mes pupilles sur l’état de notre monde. C’est un cabaret berlinois teinté de Comédia del Arte. Ce ne sont pas les formes que je préfère, mais j’ai été tenue par le fond. Ces hommes et ces femmes, tels  «les 12 hommes en colère», semblent sortis d’un musée poussiéreux, à l’image de  la vieille Europe. Le maitre est la caricature de nos décideurs, sûr de son savoir et jouant sur le pouvoir. Les rapports de force vont se dérouler insidieusement dans un sens puis dans un autre, comme une bobine de fil…le fil se tend jusqu’à rompre.

J’ai l’impression d’être devant une pièce pour jeune public, où le lapin et le chat trop gentils finissent à la casserole dans un conte de fées. Mais la magie n’opère pas. On prend le spectateur au second degré  pour se mettre au niveau de sa pensée. La scatologie coule dans le satin pour ne pas heurter. Les chants montent dans les aiguës pour nous faire passer des messages subliminaux en nous positionnant comme des disciples. Mais l’incantatoire, je ne veux plus l’entendre.

Spectatrice, j’attends d’être bousculée, bouleversée, énergisée, par de la matière qui me permettrait de penser notre monde complexe.

Ce premier spectacle est une farce qui résonne dans le contexte actuel. On est dans tous les états, mais tout est figé.

Ce théâtre-là n’est pas à la hauteur de ce qui nous arrive…

Sylvie Lefrère – Tadorne.

« The Humans » d’Alexandre Singh au Festival d’Avignon du 5 au 9 juillet 2014.

 

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Communiqué de presse: Le OFF d’Avignon propose aux spectateurs 8 parcours de festivaliers. 

Greg Germain, Président du OFF, a confié à Pascal Bély, animateur du blog de spectateursle Tadorne (www.festivalier.net), le soin de proposer plusieurs parcours où se croiseront spectacles et regards critiques. Les « Offinités du Tadorne »  se dérouleront les jours pairs entre le 10 et le 24 juillet 2014 de 9h à 18h. Chaque groupe, composé d’une vingtaine de spectateurs, sera accueilli dès 9h puis il assistera à deux représentations (entrecoupées de séquences d’écoute des ressentis) pour rejoindre à 17h, le Magic Mirror où le chorégraphe Philippe Lafeuille lui proposera une performance dansée publique à partir de ses retours critiques.

L’objectif de cette expérience unique dans l’histoire du festival est de donner une meilleure visibilité de l’engagement des festivaliers et de la diversité de leurs regards sur les différentes programmations qui le composent.

Le calendrier:

Le 10 juillet, « le Grand OFF du tout-petit »:  des professionnels de la toute petite enfance portent une regard sur la création pour les touts petits (complet)

Le 12 juillet, « Parents, enfants, que voyons-nous ensemble? »: des professionnels de la parentalité de la ville de Vitrolles accompagneront un groupe de parents et d’enfants venant pour la première fois au Festival (complet).

Le 14 juillet, « le OFF des spectateurs passionnés »: ils sont infatigables, engagés, explorateurs, curieux et le feront savoir.

Le 16 juillet, « le vrai OFF des manageurs et des chercheurs »: ils animent des équipes, bâtissent des projets, cherchent dans des univers complexes et s’inspirent des esthétiques théâtrales.

Le 18 juillet, « Le bel OFF du lien social »: enseignants, travailleurs sociaux, éducateurs, créateurs ….L’Humain est leur quotidien, l’art est leur outil pour donner voir de prés et de loin.

Le 20 juillet,  « Spectateurs étrangers, spectateurs français: croisons nos regards ». Le OFF, premier festival de théâtre au monde, fera entendre une vision croisée de la création contemporaine française et étrangère.

Le 22 juillet, « Le grand écart du OFF »: les uns ne voient que du théâtre; les autres que de la danse. Et si on inversait?

Le 24 juillet, « Le OFF est-il IN? »: les uns vont au In et au Off, les autres vont au Off et au In. Écoutons nos curiosités. Les cloisons sont étanches!

Inscription sur le blog officiel du OFF: http://blog.avignonleoff.com/journee-particuliere-festival-off-avignon-tadorne/

Portrait de Pascal Bély:

Pascal Bély est consultant auprès du secteur public et associatif. Depuis 20 ans, Il accompagne les équipes pour révéler leurs visions créatives d’un projet global. En dialogue avec son positionnement de consultant, il a crée en 2005, “Le Tadorne » (www.festivalier.net), un blog de critiques sur l’art animé avec un collectif de spectateurs.: “Si l’art crée du lien, Le Tadorne pense que tout se relie à l’art…Aux regards binaires sur les oeuvres, le spectateur-critique du Tadorne préfère les approches engagées, sensibles, où le politique se lie avec la poésie, où l’individu, la communauté, et le devenir de l’humanité s’enchevêtrent”.

Portait de Philippe Lafeuille:

À travers son travail de chorégraphe, Philippe Lafeuille engage le corps en mouvement dans une grande liberté, loin de toute étiquette ou chapelle. Il propose une écriture chorégraphique qui emmène le corps vers le théâtre. Peut-être la volonté de créer un “théâtre de la danse”. L’espace scénique devient alors un terrain de jeux de tous les possibles, où l’art chorégraphique tisse avec le théâtre, mais aussi les arts plastiK, l’humour et la poésie la toile de tous les possibles.

Contact Presse, OFF Avignon: Jphirigaud@aol.com

Contact Pascal Bély: 06 82 83 94 19 – pascal.bely@free.fr

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ETRE SPECTATEUR

À cet endroit.

Depuis que la culture et la communication ne font qu’un ministère, femmes et hommes de pouvoir ont pris la fâcheuse habitude de définir des éléments de langage, pour imposer leur culture de l’entre soi. Avec Nicolas Sarkozy, ministres et militants recevaient chaque jour leur lot de mots à respecter pour peser dans la conscience du citoyen. Avec Manuel Valls, cette pratique revient en force visant à nous infliger un vocabulaire basé sur la testostérone, car le combat est masculin.

L’élément de langage n’est pas redéfini tous les jours. Il s’adapte au gré de la saison qui n’a plus rien à voir avec celles de Vivaldi, encore moins avec la période scolaire. La saison se prépare en secret, s’imprime, se présente lors de grandes messes de communication. Le vocabulaire se choisit pour en imposer. L’élément de langage traine parfois dans l’éditorial de la  saison,  mais il s’expérimente surtout dans les conversations de l’entre-soi. Il y a quelques années, on entendait fréquemment employer l’expression «embarquer le public» pour signifier qu’il y avait une destination et que l’on n’y échapperait pas ! Plus tard, «traversée» ou «traverser» furent deux mots fétiches (et valises) pour nous imposer l’idée qu’il y avait un lien entre les différentes propositions et qu’il était de notre devoir de le trouver. Si «embarquer» supposait l’achat d’un seul programme, «traverser» nécessitait de débourser pour plusieurs embarcations. L’élément de langage est aussi très malin.

Mais «traversée» n’a duré qu’un temps, car l’horizontalité n’aime pas être enfermée dans un discours vertical. L’élément de langage sait aussi se révolter…

C’est alors qu’un autre mot s’est glissé…mieux élevé… «Résonance»…Cette fois-ci, nous voilà piégés…«En résonance avec l’actualité»…«En résonance avec un tel nous proposons une telle»… «Parce que ça résonne»…N’en jetez plus, cet élément-là, c’était du lourd. Il ne s’agissait  plus de célébrer les liens que nous pourrions faire, mais de ressentir au plus profond de nous-mêmes le lien que nous devions faire. Avec fracas ! Car la résonance sait faire du bruit. C’est au-delà du «j’aime», «je n’aime pas». Résonner n’est pas aimer. Résonner, c’est être sens dessus dessous…Entrer en résonance avec différentes œuvres, c’est célébrer le réseau qui a été patiemment tissé. Car si vous avez aimé un tel, vous résonnerez avec un autre…Ici, l’élément de langage est puissant : il prend en otage vos ressentis pour légitimer le  réseau…

Mais «résonance» en a eu assez d’être mise à toutes les sauces d’autant plus qu’issue du langage psychanalytique, elle n’est pas prête à résonner avec n’importe quoi, ni avec n’importe qui…

C’est alors qu’arriva… «À cet endroit» ! À ce jour, c’est l’élément de langage le plus puissant…C’est un rouleau compresseur…il emporte tout sur son passage. «À cet endroit, ça résonne»… «À cet endroit, ça traverse»… «À cet endroit, ça embarque»…. «À cet endroit» est multi tâches, multi pensée…multiple TOUT COURT. L’expression signe son  appartenance au milieu et l’attachement à la pluralité des opinions, à la liberté de la parole, à l’expression de la démocratie. Car «A cet endroit» est sans équivoque: c’est ici qu’il faut voir, penser, raisonner et nulle part ailleurs. «À cet endroit» évite que l’on se perde dans les chemins de la pensée complexe, permet de réduire le propos, de la caricaturer. «À cet endroit» fait «corps» entre celui qui profère et celui qui écoute. «À cet endroit» évite soigneusement que l’inattendu nous détourne de leur direction, que l’humain et ses fragilités déplacent l’objet du débat…à un autre endroit.

Décidément, «à cet endroit» a un bel avenir.

Mais il y a un risque…

Qu’un spectateur- blogueur bien intentionné communique sur l’élément de langage. Là, il en sera fini de sa monarchie de tabouret: il n’aime pas que l’on fouille dans ses affaires, que l’on dénonce son abus de langage et de pouvoir, que l’on alerte tous les autres mots privés de rhétorique, que l’on pointe son autoritarisme, que l’on défende la poésie. Car la poésie est du côté du sensible ; elle relie les mots sans pouvoir…elle met en puissance notre sensibilité. La poésie ne peut rien contre l’élément de langage, car il a le pouvoir. Celui que lui confère le réseau, le milieu, l’entre soi. Celui de maltraiter le mot qui ne pense pas comme lui…Celui de mettre à l’index le langage de l’insoumission là où il préfère des éléments suffisants et prétentieux.

Mais soyons des optimistes créatifs! «À cet endroit» va bientôt s’éteindre. Il va partir avec ses bagages et perdre sa couleur rose bonbon.

On ne peut rien contre le sens des mots : celui qui vous écrit sait qu’il n’est rien sans eux.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG

Nous préparons vos journées particulières au Festival d’Avignon.

Pour préparer les Offinités du blog du Tadorne au prochain Off d’Avignon, Sylvie Lefrere de Montpellier, Sylvain Saint-Pierre de Paris, Bernard Gaurier de Bretagne et Pascal Bély d’Aix en Provence se sont dernièrement réunis à Marseille pour ressentir ce qu’ils allaient partager avec les spectateurs d’Avignon dans quelques semaines.

Cap sur deux expositions à la Friche Belle de Mai autour de l’architecte du MUCEM Rudy Ricciotti, des photos du collectif chicanos ASCO et de «Visages» à la Vieille Charité. Trois rencontres qui nous ont rassemblés autour du projet des Offinités, car nous y avons trouvé des appuis créatifs pour enrichir nos réflexions.

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Nous nous sommes reconnus dans les paroles de Rudy Ricciotti, architecte du Mucem de Marseille, pour qui l’innovation repose sur le lien respectueux avec les différents acteurs (du maçon au maitre d’œuvre), socle de toute créativité. Nous nous sommes identifiés à son «combat» quand il décrit les chemins de traverse par lesquels il a contourné les rigidités institutionnelles. Nous considérons nos huit prochains rendez-vous avec les spectateurs comme une œuvre commune où nous déjouerons les voies rectilignes de la rencontre pour évoquer autrement nos ressentis sur les 3 spectacles que nous verrons chaque jour.

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La vision critique du groupe Asco, collectif d’artistes mexicains des années 70, nous a sidéré. Leur propos engagé s’appuyait sur la mise en jeu de leur corps. Nous souhaitons que l’engagement des spectateurs inscrits aux Offinités soit mis en mouvement avec la complicité du chorégraphe Philippe Lafeuille.  En fin de parcours à 17h, il leur proposera au Village du Off, de se projeter dans un imaginaire où les images de la journée formeront une chorégraphie qui englobera le public venu assister à son travail.

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À la Vieille Charité, l’exposition « Visages » nous a offert différentes perceptions, à l’image des parcours où vous serez invité. Il existe même une salle où sont proposés des liens entre l’archéologie, l’art contemporain et le corps créatif du spectateur ! Au centre de la cour, il y a une chapelle où le spectateur peut créer sa vision circulaire de l’art : comment ne pas penser au Village du Off ? En quittant «Visages», nous ressentons que tout chemin ouvre sur la complexité et pas sur autre chose !

Ainsi, avons-nous relié ces trois expositions avec un plaisir jubilatoire. Comme si l’art nous permettait tous les liens possibles. Nous imaginons nos Offinités à l’image de ce week-end : explorer le théâtre à travers la dentelle de béton du Mucem ; s’engager comme ASCO dans la critique pour y dévoiler nos multiples visages.

Pascal Bély – Sylvie Lefrère – Bernard Gaurier – Sylvain Saint-Pierre.

Le programme des Offinités:

fleche-noire 10 juillet – « Le Grand OFF du tout-petit »
Les professionnels de la toute petite enfance vont au spectacle et nous immergent dans l’univers foisonnant de la création pour tout-petits.

fleche-noire 12 juillet – « Le Grand OFF des petits et grands »
Parents et enfants (de 8 à 15 ans) vont au spectacle et restituent : « Qu’avons-nous vu ensemble ? ».

fleche-noire 14 juillet – « La critique en OFF des spectateurs Tadornes »
Les animateurs du blog « le Tadorne » et d’autres spectateurs vont au spectacle et s’interrogent : « C’est quoi être un spectateur Tadorne ? ».

fleche-noire 16 juillet – « Le vrai OFF des managers-chercheurs »
Chercheurs, manageurs, décideurs vont au spectacle et s’interrogent : « et si la question du sens se travaillait dans les relations humaines incarnées au théâtre ? ».

fleche-noire 18 juillet – « Le bel OFF du lien social »
Les professionnels du lien social vont au spectacle et s’interrogent : « Comment le théâtre évoque-t-il la question du lien ? ».

fleche-noire 20 juillet – « L’étrange OFF vu d’ailleurs »
Un groupe de spectateurs étrangers vont au spectacle et s’interrogent : « Le langage du théâtre est-il universel ? ».

fleche-noire 22 juillet – « Le grand écart du OFF »
Des spectateurs passionnés de théâtre découvrent la danse et inversement : « Danse – Théâtre : un même mouvement ? ».

fleche-noire 24 juillet – « Le OFF est-il IN ? »
Un groupe de spectateurs IN-OFF fait le bilan du festival.

S’inscrire ici.

A très bientôt.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE! THEATRE MODERNE

(Dé)monter à  Bruxelles.

Départ pour le KunstenfestivaldesArts de Bruxelles. Depuis 2004, ce festival ouvre la longue saison où ma relation à l’art se confronte aux multiples facettes de mon contexte. Dans l’avion, j’ouvre la revue Cassandre dans laquelle la philosophe Marie-José Mondzain donne une interview passionnante à Coline Merlo. La révolution à venir n’aura plus rien à voir avec les barricades d’antan. Elle file la métaphore pour signifier « les saxifrages », « plantes minuscules…dont la particularité est de naître et de se développer dans les fissures des pierres et par leur imperceptible insistance à imposer aux matières les plus compactes et les plus résistantes l’ordre fracturant de leur présence…». Elle m’embarque dans sa vision lorsqu’elle évoque la Saxifraga Politica, « saxifrages en colères, mais ni tristes, ni découragées. Le mot « possible » n’appartient pas pour elles au vocabulaire démagogique de la promesse, mais il est habité par l’énergie active et présente de tous ceux qui ne sont pas encore morts…la Saifraga Politicia est la seule espèce qui, sans faire du bruit,  arrivera cependant irrésistiblement à se faire voir et entendre ». Après 9 ans de travail, je ressens ce blog comme une saxifrage qui cherche, bon gré mal gré, de nouvelles graines à semer dans des interstices de pierres et de bétons qui figent notre paysage culturel.

Nourri par cette vision, j’entreprends mon itinéraire bruxellois balisé par sept propositions. La performance de l’artiste néo-zélandaise Kate McIntoshWortable») ne pouvait mieux tomber pour entrer en saxifragie. À l’arrivée, je signe une «décharge de responsabilité» dans le cas où je me blesserais : le principe de précaution s’invite là où l’on ne l’attend pas. Est-ce la métaphore d’une prise de risque qui ne serait plus partagée? Un jeune homme m’invite à choisir un objet parmi ceux posés sur une étagère puis à entrer dans une pièce pour le démonter…J’entends le «détruire». Mon arlequin en tissu va perdre de sa superbe. Je veux le libérer de ce qui pourrait l’entraver et l’enfermer dans son personnage. Il se trouve qu’il fut le jouet de mon enfance…Sur ma table, je découpe, j’enlève, j’ampute. Je dois passer dans une seconde pièce. Alors que des panneaux m’invitent à le déposer pour prendre un autre objet «démonté», je comprends autrement: je saisis des pièces de différents objets pour les relier à mon arlequin en métamorphose. Je le crucifie sur la moitié d’une raquette aux cordes rompues et lui plaque un morceau de globe sur le ventre. Le voici arlequin du monde prêt à recevoir des balles de toute nature. En entrant dans la dernière pièce, je ne peux m’empêcher de l’exposer à l’intérieur de l’œuvre d’un autre spectateur. Il est maintenant saxifrage d’autant plus que la plupart des œuvres sont cassées, rafistolées, lacérées, amputées. La société moderne est en miettes sans qu’émerge la vision d’un nouveau paradigme. En quittant le Palais des Beaux-Arts, je me sens habité par un processus de création artistique: avoir un propos (l’arlequin), le démonter (déconstruire) pour le propulser à un autre niveau (l’œuvre). Cela requiert une certaine prise de risque, une mise à distance pour sortir de la fonctionnalité de l’objet, un positionnement pour relier ce qui à priori ne l’est pas et oser se confronter aux autres. Forcement pédagogique.

Étrangement, le lendemain, je ressens la même démarche avec le chorégraphe et plasticien Benjamin Verdonck qui pose son œuvre sur la table : «Notallwhowanderarelost». C’est un théâtre d’objets de bois et de rails. Mais avant d’entrer dans l’œuvre, il nous propose un étrange avant-propos: une chaise, deux boites de soda, un ballon, une gourde pour un assemblage des plus délicats. Le voici à reproduire le processus proposé par Kate McIntosh! À tout moment, son savant équilibre peut s’effondrer. Je suis avec lui, je ressens sa prise de risque. Avec humilité, cet homme expose son art…celui où le propos est fragile, en équilibre précaire, dans une économie de moyens, mais nourri d’une générosité (ce mot a-t-il encore un sens dans une époque où le cynisme domine les relations?). Place à son théâtre où c’est lui, et lui seul, qui tire les ficelles capables de déplacer des triangles aux tailles et couleurs différentes. De gauche à droite, je suis ces allers et retours où le second degré est roi, où l’artiste joue avec les évidences, où cela bifurque alors que le chemin est pourtant tout droit. Je ris quand l’inattendu déjoue mes pronostics binaires ; je m’interroge quand l’objet se détourne de mes attentes ; je lâche prise quand des phrases tombent du haut tel des surtitres sans sous-titres!

Benjamin Verdonck semble danser lorsque les ficelles libèrent son corps et nous relient à l’évolution de notre perception des objets. La dernière scène est hilarante, car surréaliste : il en perd la tête, sens dessus dessous, et je m’égare avec lui dans une autre dimension : celle d’une graine de folie qui pousse sur le béton armé recouvrant nos objets d’enfants à jamais démontés.

Pascal Bély – Le Tadorne

Le KunstenfestivaldesArts de Bruxelles du 2 au 24 mai 2014.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG LES EXPOSITIONS

Droit de réponse : « Au fond, c’est à quel sujet? »

Dans quelques semaines, Bernard de Bretagne, Sylvain de Paris, Sylvie de Montpellier et moi-même, animerons «Les Offinités du Tadorne» au Festival Off d’Avignon. Au total, huit rendez-vous avec des groupes de spectateurs reliés par une thématique, un enjeu. Nous débuterons avec des professionnels de la toute petite enfance le 10 juillet pour clôturer le cycle avec des spectateurs du « in » et du « off » qui croiseront leurs regards le 24 juillet 2014 (les inscriptions se font ici).

Pour préparer ce projet estival, nous nous sommes réunis à Marseille les 12 et 13 avril pour ressentir ce que nous allions vivre avec les spectateurs Tadornes d’Avignon : comment un parcours artistique peut-il questionner notre place dans un environnement où l’on enferme la culture dans ce qu’elle rapporte, où l’on réduit le public à une somme de consommateurs qu’il faut séduire à tout pris via un marketing abrutissant ?

Trois expositions ont jalonné notre rencontre : «Ricciotti architecte» et «ASCO and friends : Exiled Portraits» à la Friche Belle de Mai puis « Visages » à la Vieille Charité. À l’issue de ce cheminement, face au MUCEM, nous avons écrit ce texte, tel un manifeste, tel un droit de réponse à ceux qui font de la culture un espace de chasse gardée.

Dans une société française moulée dans le béton désarmé, nous sommes des spectateurs Tadornes, éléments d’un puzzle qui donnent une vision à l’art sous toutes ses formes. Nous sommes des explorateurs, banc de poissons pris dans la dentelle d’un filet de pêcheurs. En toute liberté, notre parole critique oscille dans les mailles et les flots du MUCEM de Rudy Ricciotti.

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À l’image du collectif d’artistes Chicanos de 1972 à 1987 ASCO, les spectateurs Tadornes sont reliés dans une même démarche, en mouvement. Nos singularités dialoguent dans un même engagement critique. Soudés tel un corps vivant, réceptacle d’émotions et de rébellions, nous passons par les quatre coins cardinaux où nous traversons des chutes et des ascensions. Nous ouvrons une porte sur l’art, y créons des passerelles qui offrent de la transparence, de la porosité, de l’esthétisme et de la chaleur humaine.

Les spectateurs Tadornes sont des artisans compagnons de l’art, ouverts sur de nouveaux horizons à imaginer ensemble.

Quand on s’adresse à eux, ils offrent leur écoute et tissent en reliant le monde proposé à la construction du leur. L’être là d’un spectateur est un mouvement, une respiration vitalisée ; l’art se construit et devient œuvre quand la rencontre des différences se fait écho d’histoire de vie.

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De notre week-end marseillais, nous retiendrons ceci…le retour à l’enjeu du visage. Celui d’une amitié, celui d’un face à face avec des œuvres, celui du projet des Offinités d’Avignon. Le visage comme porte d’entrée à des enjeux humains, au croisement du champ artistique.

Le visage d’un collectif, le groupe ASCO, qui nous regarde comme nous le regardons. Le visage de la volonté et du lâcher-prise, celui de Riciotti.

Le visage encore indéterminé du spectateur des Offinités 2014, que nous accueillerons cet été.

« Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau » (Paul Valéry) : ce qui est le plus hostile au cloisonnement, c’est le visage.

Au Off, plus de 1000 spectacles, près de 200.000 spectateurs, et des visages que nous tenterons de révéler; auxquels nous donnerons corps et voix avec l’aide du chorégraphe Philippe Lafeuille.

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Il nous reste à explorer toute la matière de nos liens dont nous ignorons, à l’image du béton du MUCEM de Rudy Ricciotti, ce qu’il deviendra. Nous savons qu’il nous faudra entrer dans le difficile, le rugueux, le nauséabond, pour y trouver les ressorts de notre aimable rébellion.

À la Vieille Charité, il existe une salle où l’on ose les liens entre l’archéologie, l’art contemporain et le corps créatif du spectateur.

À la Vieille Charité, il existe au centre de la cour, une chapelle où le spectateur peut créer sa vision circulaire de l’art.

À l’image de l’exposition «Visages», nous pensons que tout chemin ouvre sur la complexité et pas sur autre chose !

C’est à cette complexité du vivant que nous osons parier quand d’autres rêveraient de réduire notre parole: notre détermination est sans faille, notre vision est dentelle.

Sylvie Lefrère, Bernard Gaurier, Sylvain Saint-Pierre, Pascal Bély – Tadorne

« Les offinités du Blog du Tadorne » au Festival Off d’Avignon du 10 au 24 juillet 2014.

« Visages » à la Vieille Charité à Marseille jusqu’au 22 juin 2014.

« Ricciotti architecte » jusqu’au 18 mai 2014 et  et « ASCO and friends : Exiled Portraits » jusqu’au 6 juillet 2014 à la Friche Belle de Mai.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

D’Avignon à Marseille, ô vous Front inhumain.

Dimanche 30 mars 2014, deuxième tour des élections municipales. Il y a cette petite affiche sur la porte de ma résidence : «Veuillez ramasser vos ordures à l’entrée. Nous ne sommes pas dans une cité des quartiers nord». Le contexte est posé. Bienvenu à Aix-en-Provence, ville d’art, de la parole raciste et vulgaire libérée…

Je pars à Avignon. Retour dans le Vaucluse, un soir d’élection, là où précisément je l’avais quitté en 1995, année où le FN avait pris la ville d’Orange. J’ai dû m’installer à Aix-en-Provence en 1997, tant le climat y était irrespirable. Cette fois-ci, c’est la ville du plus grand festival au monde qui est menacé. Je me réfugie au Théâtre des Halles pour la dernière création d’Alain Timar, «Ô vous frères humains» d’Albert Cohen. Mais avant, Alain Timar nous lit un beau discours qui prêche probablement des convaincus. Tout comme Olivier Py, directeur du Festival In, il semble impuissant. Ce n’est pas seulement le contenu de la parole FN qu’il faut combattre, mais le système que nous construisons pour lui permettre de se déployer. C’est bien un renouvellement de la pensée qui fera disparaître ce parti dangereux (lire à ce sujet l’excellent article de Pierre-Jérôme Adjej).

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Mais le théâtre d’Albert Cohen inclut dans la mise en scène toujours ingénieuse et généreuse d’Alain Timar fait d’«Ô vous frères humains» une réponse à nos questionnements face au discours raciste. L’essentiel émerge de ce vieil homme qui se souvient: il n’avait que 10 ans, quelques mois avant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’un camelot marseillais le traitait de sale juif. Aujourd’hui, ils sont trois à porter sa voix. Il me plait d’imaginer leur généalogie: Paul Camus petit fils de Churchil, Gilbert Laumord descendant d’esclave, Issam Rachyq-Ahrad enfant du monde arabe. Ils sont trois à mettre en mouvement leurs corps, le décor, le texte, pour creuser, arpenter la profondeur de l’âme qui se perdra dans le plus grand crime de l’humanité jamais commis.

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Trois voix, trois corps, trois regards pour comprendre. Derrière eux, une cloison qui hésite entre tapisserie d’une chambre de sans sommeil, œuvre d’un peintre maudit, mur de la révolution (arabe, ukrainienne, …). On croirait même y apercevoir une vieille herbe résistante. Ce mur bouge en fonction de l’énergie vitale déployée par le trio: fermé pour que le discours claque, entrebâillé lorsqu’on y décèle l’insondable, ouvert quand la conscience d’une humanité reprend ses droits. Le texte percute à l’image des pages d’un livre qui vibreraient par temps de mistral. Albert Cohen tisse avec les mots la toile de la rhétorique du racisme accompagné par le jeu des acteurs qui veille à nous englober dans cette recherche sans fin: comment l’homme tue-t-il l’humanité? J’entends dans ce texte ce que les médias d’aujourd’hui nous rapportent du crime raciste: la lâcheté de l’église, le rôle du commerce qui confond marchandise et humain, la nécessité de pardonner pour construire une pensée politique complexe.

La mise en scène créée la distance avec des affects violents (d’où qu’ils viennent d’ailleurs) par le jeu des corps (il arrive un moment où les mots ne peuvent plus rien), par la musique qui les élève. Ce dialogue à trois acteurs est la métaphore d’une triadique (mots, corps, pensée) seule capable de développer une vision ternaire : car au-delà d’une époque (l’avant-guerre), le racisme est un contexte. Ce sont des institutions verrouillées de l’intérieur, c’est une économie contre l’humain, c’est une parole publique contre l’idée même de l’existence d’une humanité. Le racisme est le symptôme d’un système complexe en voie de disparition. La force de la mise en scène d’Alain Timar est d’inclure la vision ternaire d’Albert Cohen dans un dialogue à trois, dans un jeu où tout circule : les affects, la  complexité, le langage du sens (celui du corps), la musique pour le déployer. Avec Alain Timar, évoquer le racisme est presque jubilatoire et festif tant il n’emprunte jamais les chemins de la pensée clivante. Elle est donc là, la réponse que nous attendons: réfléchissons collectivement à ce qu’il se joue, libérons la pensée par le corps, abattons les murs de nos visions cloisonnées.

À la sortie du théâtre, le ciel est sombre sur Avignon. Les rues sont désertes. Nous décidons d’assister au dépouillement dans deux bureaux d’Avignon centre. Les bulletins FN s’accumulent. Il est même en tête. La rumeur enfle. Nos corps flanchent. Les mots ne viennent plus. Et puis, à 19h45, les quartiers populaires délivrent la ville.

Pendant ce temps, un enfant de 10 ans des 13ème et 14ème arrondissements de Marseille comprend qu’il n’est qu’une sale Arabe : son quartier vient d’élire un maire FN.

Dans une ville, le théâtre aura-t-il joué de tout son poids pour inverser la tendance? Toujours est-il que ce sont les quartiers les plus éloignés du Festival qui ont facilité la victoire de Cécile Helle, PS.

Dans une autre, le théâtre du quartier est muet, coupé des habitants, renfermé sur lui-même, ne s’adressant qu’à une toute petite partie de la population, qu’à l’entre soi. Des habitants qui n’ont probablement jamais entendu la parole d’Albert Cohen.

Oui, il faudra inventer un théâtre de quartier populaire.  Inventer un festival de théâtre à Marseille.

Inventer, car même celui d’Avigon est épuisé.

Pascal Bély – Le Tadorne.

«Ô vous frères humains» d’Albert Cohen, mise en scène d’Alain Timar au Théâtre des Halles d’Avignon, mars 2014.
La pièce sera programmée pendant le Festival Off.