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FESTIVAL D'AVIGNON

Le Festival d’Avignon mord la poussière.

«Ce qui nous dépasse nous rassemble. 68ème édition, un festival politique” est le slogan qui s’affiche sur internet. Après quatre journées, je ne ressens aucune pensée en mouvement, juste une vision passéiste teintée de discours éculés.

À ce jour, jeudi 10 juillet 2014, je n’ai toujours rien écrit sur Avignon. Car rien ne vient. Rien…Vraiment ?

Par quels processus, la création «The Humans» d’Alexandre Singh a-t-elle trouvé sa place dans le festival ? Comment le thème de l’origine de l’humanité et de sa condition sociale a-t-il pu se perdre dans une esthétique aussi vieillotte ?

«Dire ce qu’on ne pense pas dans des langues qu’on ne parle pas» d’Antonio Araujo promettait une pensée énergisante. Le public est invité à l’Hôtel des Monnaies dont l’architecture rappelle le lieu du pouvoir qu’il a été. De la rue au dernier étage, le public doit se déplacer pour s’immerger dans la crise orchestrée par les bruns au pouvoir. Tous les effets «spéciaux» au service d’une esthétique de la dictature sont là. La mise en espace rend visible ce que produit la violence d’un fascisme moderne, mais fait totalement l’impasse sur ce qui ne se voit pas…Il est probablement plus aisé de mettre en performance un lieu que de faire confiance à l’intelligence des spectateurs pour éviter de leur faire subir physiquement ce que majoritairement nous refusons.

«Orlando ou l’impatience» est la création d’Olivier Py, actuel directeur du Festival d’Avignon. C’est la plus attendue. Comment peut-il croire que le conflit qui l’a opposé à l’ancien ministre, Frédéric Mitterand, puisse constituer un propos sur l’avenir de la culture en France? Comment puis-je me projeter dans une logorrhée verbale dès qu’il évoque son Dieu ? Comment le goût pour le pouvoir d’Olivier Py et sa détestation peuvent-ils accueillir mes questionnements sur la crise actuelle et mes peurs qu’un parti fasciste prenne le pouvoir ? Certes, Olivier Py est un metteur en scène prodigieux quand il guide Orlando dans les pas d’un père sans nom et sans visage. Il est capable de créer une troupe d’acteurs exceptionnels avec qui le plateau se transforme en allégorie de l’amour et de la perte. Il est fascinant quand il entremêle le sort de l’artiste à sa condition sociale, elle-même liée à une complexité psychique. Mais pourquoi enfermer ce théâtre de l’amour dans une telle vision du pouvoir? Avec «Orlando ou l’impatience», je sais que rien ne sera possible avec ces hommes de pouvoir et de culture : le peuple finira par les détester parce que l’art ne s’inscrit plus dans un dépassement, mais dans une stratégie personnelle de conquête du pouvoir.

Où donc me réfugier ? « Le Prince de Hambourg » de Giorgio Barberio Corsetti était une promesse… «Je n’ai rien promis. Ai-je la tête d’une promesse ?» disait la Grande Actrice à Orlando alors qu’elle lui avait promis de lui donner le nom de son père. Oui, ce soir, le théâtre n’avait pas la tête d’une promesse, même pas la tête à ça. Et pourtant, il y avait de quoi nous interpeller : peut-on s’affranchir d’un cadre institué pour le faire avancer, le transformer ? La question est actuelle au moment où gouvernement Valls, pour sauver le cadre institué du dialogue social, a préféré signer l’accord avec le MEDEF et les syndicats contre l’avis du peuple des intermittents qui avait autre chose de plus pensé, de plus élaboré à proposer. Oui, « Le Prince de Hambourg » aurait pu être une œuvre majeure de ce festival. Au lieu de quoi, la mise en scène est sans énergie, poussive (à l’image du beau décor sur roulettes). La scénographie pallie ce que les acteurs peinent à incarner : le vide politique, l’effondrement de la vision, la verticalité des processus décisionnels. C’est policé à l’image de ces cabinets ministériels où l’on feint la crise sociale parce qu’il n’y a pas le bruit de la rue. Ce théâtre est pollué par le désir de produire de l’image pour masquer l’incapacité à proposer un dépassement…

J’aurais pu trouver un réconfort dans un spectacle jeune public, « Falstafe » de Lazare Herson-Macarel à partir d’un texte de Valère Novarina où comment le jeune prince d’Angleterre Henri V apprend le pouvoir par la guerre et la puissance dans sa relation avec le vieux et décadent John Falsatafe ! Ici aussi, un certain regard sur le jeu politique aurait pu faire résonance. Mais la mise en scène impose le jeu comme si le théâtre avait à justifier sa présence. Cela finit par être assommant, malgré la fougue des acteurs. Lors du tableau final, des enfants du public se glissent entre la scène et le premier rang pour ramasser méticuleusement les billets de Monopoly lancés précédemment. C’est leur façon de rassembler ce qui peut l’être. Terrible….

J’attendais Emma Dante. Elle fait partie des metteuses en scène qui m’ont les plus bouleversé ces dernières années. Mais « Sorelle Malacuso » n’a tenu aucune de ses promesses. Emma Dante nous a écrasés…Un groupe de filles italiennes bavardes comme des pies jouent la caricature de nos représentations. Une image de l’Italie révélée dans les années soixante-dix dans le cinéma réaliste de Pasolini.Mais ici le père étouffe par ses actes autoritaires. En réponse, elles jouent à se mettre en apnée, en mêlant rapport de force et culpabilité. Cette asphyxie atteint surtout la petite dernière, la favorite. Les rires et les cris saturent les oreilles. La liberté de mouvement ne transpire pas. Les premiers pas renvoient à la marche des danseurs de « Tragédie » d’Olivier Dubois. Le noir précède l’explosion des couleurs, mais on ne sent pas de légèreté. Un fin crucifix est dressé, mais il trop fragile pour maintenir le poids des valeurs. Il apparait par intermittence, décousu. Les corps tentent d’avancer, mais ils butent sur un obstacle invisible. La relation entre les parents déroule une danse fantomatique sans élan. Le désir n’y est pas. Quant aux hommes, ils sont enfermés dans une représentation qui ne permet pas au théâtre de les dépasser. Au final, nous sortons écrasés. Emma Dante ne nous a nourris que dans une vision passéiste sans enchantement.

Penser c’est être en mouvement. Il n’y a aucune fatalité à ce que le théâtre nous fige dans un temps glorieux où, paraît-il, il parlait au peuple.

Pour l’instant, ce festival n’est pas  à la hauteur de ce qui nous arrive…

Pascal Bély – Sylvie Lefrère- Le Tadorne