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FESTIVAL D'AVIGNON L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

“Tragique Liban, vital Facebook.”

À mon arrivée dans la salle du Lycée Saint-Joseph, je comprends très rapidement qu’il n’y aura aucun acteur sur scène pour le spectacle des Libanais Lina Saneh et Rabih Mroué, «33 tours et quelques secondes». Le décor est en soi un objet «plastique» qui créé immédiatement la distance: un tourne-disque, une télé à terre, un bureau, des chaises, un mac, des téléphones. Je pense à tous ces espaces abandonnés en catastrophe, à ces lieux dans lequel il(elle) n’est jamais revenu(e).

Nous voici immergés dans l’appartement de Diyaa Yamout, 28 ans, militant des droits de l’homme libanais, qui décida de mettre fin à ses jours en octobre 2011. Dans une lettre, il confiait vouloir se libérer non pour des raisons psychologiques, mais politiques. Reste que les objets continuent de fonctionner, qu’ils lui survivent. Les deux téléphones (fixes et portables) ne cessent de sonner. On y entend la voix de Lina Saneh qui cherche Diyaa et s’empare de la bande du répondeur pour évoquer leur aventure d’un soir. À cet instant, on ne sait pas si elle sait. Ses paroles résonnent dans un ailleurs entre la mort d’une relation et celle qu’elle tente désespérément de ranimer.

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À peine raccroche-t-elle que le portable sonne intempestivement et vibre à l’arrivée de plusieurs SMS d’une amie palestinienne qui, longuement bloquée à l’aéroport de Londres pour avarie, finira par atterrir à Beyrouth sans pouvoir débarquer. Ses messages de colère, d’impatience semblent vains au regard de la disparition de Diyaa Yamout. Et pourtant; ses textes courts ont une intensité dramatique, car politique: être palestinien, n’est-ce pas ne jamais pouvoir décoller et atterrir ?

Pour occuper l’espace entre les SMS, deux écrans entrent directement en concurrence: la télévision et ses pratiques de racolage; la page Facebook du disparu et ses messages au caractère parfois douteux. Les deux médias mènent alors une guerre sans merci autour du suicide de cette personnalité publique connue pour son activisme face à une société libanaise morcelée, corrompue,  paralysée. Nous sommes clairement pris à partie. D’un côté Facebook  poursuit sa fonction: celle de relier des individus qui profitent de cet espace totalement démocratique pour poster des messages empreints d’émotions et de poésie dans les heures qui suivent la disparition de Diyaa, puis deviennent peu à peu plus politiques et conflictuels. Religieux et laïcs s’affrontent; partisans de sa cause et  opposants à sa «secte» s’invectivent. La page est une stèle funéraire où chacun appose son objet quand ce n’est pas un graffiti. La vie reprend ses droits, car Facebook libère la parole empêchée, d’où qu’elle vienne, sans filtre. Il ranime les passions, construit sa toile. Il est politique. À côté, la télévision parait bien ringarde avec ses codes de communication marketing. Elle est mortifère dans la façon dont elle contrôle le vivant. Objet de convoitise du capitalisme et du politique, elle porte les gênes d’une manipulation de l’humain au profit d’un système de pensée totalitaire.

Dans cette guerre médiatique, après une chanson de Jacques Brel, un objet s’est définitivement  arrêté: le tourne-disque. Lui seul fonctionne dans une relation intime avec son utilisateur. Il n’y aura plus jamais personne pour y poser délicatement le saphir sur l’objet noir du désir.

À la sortie, nous sommes plusieurs à nous interroger sur la finalité du spectacle. Certains y voient une dénonciation de Facebook tandis que d’autres s’inquiètent de l’absence d’acteurs dans un festival de théâtre. J’ai pour ma part ressenti la portée politique et psychologique du deuil de Lina Saneh et Rabih Mroué qui prend au Liban des dimensions qui nous sont étrangères. C’est le geste grave de deux artistes qui, modestement et courageusement, laisse l’espace virtuel occuper un espace théâtral. C’est en soi un «suicide» artistique, commentés par les spectateurs avec le même engagement vital que les réactions des amis et opposants de Diyaa Yamout.

À mon retour chez moi, j’ai cherché sa page Facebook. Elle semble ne plus exister. Pour remettre  le tourne-disque en marche, j’avais l’intention d’y laisser un message en réaction à la proposition d’aujourd’hui. Mais le diamant a disparu. J’ai cherché son visage sur Google. Aucun résutat.

Mais le théâtre est toujours là. Un saphir.

Pascal Bély, Le Tadorne

Lina Saneh et Rabih Mroué sur le Tadorne:

Le théâtre carbonisera-t-il Lina Saneh ?

« 33 tours et quelques secondes » de Lina Saneh et Rabih Mroué au Festival d’Avignon du 8 au 14 juillet 2012.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Au Festival d’Avignon, Hamlet, le vrai.

Il est de ces moments uniques où nous assistons à la naissance d’un artiste courageux, accompli, car en recherche. Avec nous. Mitia Fedotenko est un chorégraphe, installé à Montpellier. Dans le cadre du «Sujet à vif» du Festival d’Avignon, il s’est associé pour «la circonstance» avec le metteur en scène François Tanguy et le musicien Bertrand Blessing. «Sonata Hamlet» se veut être «un manifeste qui aborde la question de l’individu serré par les mâchoires du rationnel et celle de la frontière qui le sépare du monde de la consommation. Sonata Hamlet puise son inspiration essentiellement dans Hamlet-Machine de Heiner Muller».

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Quel est donc cet Hamlet incarné dans le corps du danseur, électrisé par l’énergie rock de Bertrand Blessing, propulsé sur la scène théâtrale par François Tanguy ? C’est un jeune homme en blouson rouge et jean’s, au visage de mort, qui n’a rien pour s’asseoir sur aucun trône. Il a tout à (re)construire à partir de ce qui est depuis trop longtemps é(tabl)i pour stopper la propagation du désastre. Sa détermination le conduit à pousser deux tables (au théâtre, c’est un objet souvent détrôné par la chaise) qui produisent le son d’une mécanique dévastatrice. Elles l’entraînent vers la barricade, au combat dans un corps à corps perdu d’avance. Telle une mâchoire, elles l’enserrent, mais il ne renonce pas. Son texte de toute beauté accompagne sa danse de résistance où son corps caméléon impose une morale et des valeurs. Je ne peux m’empêcher de l’imaginer dansant dans les allées du mémorial de la Shoah de Berlin, où entre les rangées des «tables», les touristes déambulent tandis que d’autres y puisent l’énergie de combattre tous les autoritarismes.

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Là où les mots donnent la matière pour le canon, Mitia Fedotenko danse leur trajectoire. Corps et texte s’emparent du mythe shakespearien pour imbriquer le royaume danois corrompu de Shakespeare, l’effondrement du bloc soviétique  et le régime autocratique de Poutine. La réussite de Mitia Fedotenko est de faire sens en 2012 en reliant ces trois contextes et d’y puiser sa puissance en mêlant danse et théâtre là où d’autres empileraient les tables pour leur petit pouvoir, il met tout en jeu, en espace, en projection pour nous inviter à saisir ce qui se (re)joue: le pouvoir contre le corps. Il s’empare alors de la robe d’Hamlet pour imposer sa danse sur les tables transformée en scène, sans issue. Un moment stupéfiant m’immobilise: une créature hybride émerge, où l’on perçoit son jean’s d’aujourd’hui s’entremêler dans la robe, tel un serpent prêt à piquer. Bien que le pouvoir corrompu et autoritaire lui retire tout (micro et costume, comment ne pas y voir la main de Poutine ?), Mitia Fedotenko oppose une danse de la puissance qui s’empare de tous les espaces pour y autoriser les mouvements d’une pensée libre. Au sol, en hauteur, dans les vibrations de la guitare, le corps est une parole fluide.

On sort troublé de ce «Sonata Hamlet», conscient que la rencontre entre Mitia Fedotenko et François Tanguy ouvre un espace de création tout juste exploré, où tout peut jaillir sur la paroi en plexiglas des pouvoirs surprotégés.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Sonata Hamlet » de Mitia Fedotenko du 9 au 15 juillet 2012 dans le cadre du «Sujet à vif », Festival d’Avignon.

Crédit photo: Paul Delgado

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, l’effondrement.

À peine le spectacle «Le maître et Marguerite» du Britannique Simon McBurney a-t-il commencé dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes que je m’inquiète. Comment me concentrer sur la mise en scène alors que les surtitres sont aux deux extrémités du plateau et que je suis au centre? Quelle gymnastique vais-je devoir trouver pour vivre ce spectacle parce que Monsieur McBurney ne veut pas déstabiliser son gigantesque dispositif vidéo? La question serait sans importance pour une pièce facile à «lire». Sauf que «Le maître et Marguerite» est un roman complexe. Écrit par Mikhaïl Boulgakov, il connut plusieurs versions avant d’être définitivement publié peu après sa mort en 1940. Il restera longtemps interdit par le pouvoir soviétique. Et pour cause: ce pamphlet contre le totalitarisme communiste est composé d’incessants allers-retours entre plusieurs contextes. D’abord avec la vie d’un couple où “le maître” est un  écrivain torturé épris d’amour pour Marguerite, femme aimante et courageuse qui affronte la lâcheté du pouvoir. Puis avec un «collectif» d’écrivains revendiquant la liberté, car soumis aux caprices de la censure qui les mèneront vers la mort ou l’internement en hôpital psychiatrique. Et enfin avec Jérusalem à l’époque de Ponce Pilate où celui-ci ressentait un certain «trouble» dans sa relation de pouvoir avec Jésus. Simon McBurney renverse donc la commode de ce roman à tiroirs et m’invite à m’emmêler dans ses noeuds pour les dénouer, me nouer à nouveau et me relier. A ce jeu-là, ce n’est plus une gymnastique, mais une torture qui navigue entre plaisir, fascination et colère.

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Car ce metteur en scène a plusieurs cordes à son arc pour me séduire par un théâtre d’effets qui, telle une piqûre paralysante, me sidère avant que je reprenne conscience de mon regard critique. Il est un incroyable manipulateur qui articule comme par magie les mouvements de seize comédiens avec des décors d’une belle légèreté et des projections vidéos sur le mur de la Cour qui réduisent la distance avec la salle. Tout semble sur roulettes et donne l’étrange impression que chaque élément humain et matériel glisse, vole et qu’il est flambeau pour éviter toute rupture. On s’approche d’une fresque, d’un dessin animé, d’une performance picturale quand les corps nus mettent l’âme à nue, lorsque la crucifixion du Christ répond au désespoir de Marguerite. «Le Maître et Marguerite» est un espace symphonique où chaque acteur est élément d’une partition destinée à élever la conscience pour s’échapper d’un système totalitaire. Je reconnais là sa virtuosité qui m’avait emporté en 2010 au Festival d’Automne avec «Shun-Kin» où son génie de marionnettiste avait fait merveille.

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Je suis rapidement perdu, mais je me laisse porter par les images en 3D d’un Google Mapp de Moscou, par la neige qui balaie le mur, par ses métamorphoses jusqu’à son effondrement (les pierres du Palais nous tomberaient presque dessus). Mais l’ensemble m’éloigne un peu plus du jeu théâtral surtout quand la vidéo se substitue à la danse, quand la musique devient autoritaire. Des longueurs s’installent parce que le sens s’échappe: celui-ci a besoin de dépouillement jusqu’au nu (suffit-il de peindre le corps en bleu de Marguerite pour faire penser à Matisse?). Il requiert un espace mental pour laisser le spectateur interroger ses désirs et non faire diversion en permanence parce que Simon McBurney est à la peine pour s’y retrouver. Peu à peu, je passe mon temps à enlever le feuillage pour repérer une clairière dans une forêt aux multiples dimensions et y ressentir le corps du texte, la chair des corps au croisement de la religion, du pouvoir, de l’amour et de l’art. Peu à peu, le dispositif scénique m’assiège à l’image de la censure soviétique: «c’est ici qu’il faut voir», me gueule Mc Burney. La Cour est son IPAD géant qui finit par me glisser dessus. Ce déluge de moyens est un théâtre qui mobilise la pulsion, la même qui nous conduit dans les pièges posés par le consumérisme le plus abject. Simon McBurney est certes inventif, mais ce qu’il fait passer pour de l’innovation n’est qu’un recyclage d’images digérées par la société de consommation qu’il érige en système de pensée pour voir le beau.

A la perte du texte, est venue s’ajouter peu à peu la disparation ce qui fait corps entre la scène et moi.

Inqualifiable.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Le Maître et Marguerite » par Simon Mc Burney dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes du 7 au 16 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, l’ennui comme seule violence.

Die Ring des Saturn” («Les Anneaux de Saturne»), mis en scène par la Britannique Katie Mitchell, tourne essentiellement autour d’une fausse bonne idée. Le spectacle consiste en l’adaptation d’un roman de l’écrivain W. G. Sebald, récit mené à la première personne, plongé dans la conscience du narrateur-personnage sous forme de monologue intérieur. Le texte, sinueux, foisonnant, est de toute beauté, et l’on comprend aisément ce qui a pu pousser la metteuse en scène à l’adapter. Le narrateur évoque son errance le long de la côte anglaise au sud de la ville de Norwich, les réminiscences suscitées par la promenade (Première, Seconde Guerre mondiale, attaque des Hollandais au XVIIe siècle, etc.) mais aussi des considérations sur l’avenir de la planète, rendu incertain par les changements climatiques. Ces diverses pensées se muent en véritable investigation philosophique qui permet à l’auteur de développer sa théorie sur la relativité du temps (le passé est produit par la mémoire. Le futur consiste en nos désirs ou nos craintes. Seul le présent existe, nous dit-il). Elles font également basculer le récit à de nombreuses reprises dans le registre de l’étrange, lorsque la distinction entre réel et imaginaire se brouille pour le narrateur et les lecteurs-spectateurs.

La nature même du texte, abstraite, solennelle, pour ne pas dire austère, rend le pari de la mise en scène particulièrement risqué, tant il est aux antipodes de ce qui relève du spectaculaire. La mélancolie du propos, la monotonie de la prosodie, la quasi-absence de personnages, et surtout, le fait que tout n’est que projection, visuelle ou imaginaire, issue de l’esprit du narrateur (voire de l’auteur) rendent forcément difficile à résoudre la question de l’incarnation. C’est là justement que Katie Mitchell tente de déjouer les attentes. Alors que de nombreux metteurs en scène auraient conçu une mise en scène classique autour d’un comédien qui donnerait corps et voix à celle du narrateur, la Britannique cherche à éviter cette facilité : on trouve avant tout, sur scène, des “acteurs”, davantage que des comédiens. Par acteur, il faut entendre des personnes qui agissent, au sens propre du terme. Au premier plan, se trouvent des musiciens (pianiste, programmatrice), trois lecteurs qui se succèdent à intervalles réguliers pour donner voix au texte, et des “faiseurs de bruits” (parfois les mêmes que les lecteurs) qui tentent de recréer la perception auditive de ce qui est énoncé. Trois grandes images projetées en haut du mur se chargent de diffuser en noir et blanc la vision produite par le texte. Enfin, l’arrière-plan cache une chambre d’hôpital, où un homme (l’auteur? le narrateur?) est alité, immobile, le regard dans le vide. Tel un rideau de théâtre, une porte s’ouvre de temps à autre pour nous révéler cet espace. Le seul comédien n’a pas d’identité clairement définie, même si l’on peut supposer qu’il s’agit de Sebald, et il ne fait, pour ainsi dire, qu’acte de présence.

Par ce dispositif, Katie Mitchell a donc choisi de fragmenter la perception du texte et du monde pour éviter, sans doute, une sorte d’illusion référentielle, justement dénoncée par ce texte même. Le problème est qu’elle la retrouve comme malgré elle. Ce retour du refoulé est même particulièrement violent, hélas, pour le spectateur, la violence prenant ici la forme de l’ennui. L’écrit est omniprésent et pour les non-germanophones, la majeure partie de la pièce consistera à lire une traduction projetée sur deux grands écrans noirs situés aux extrémités de la scène. Lire le texte, donc, mais aussi entendre des bruits d’eau, de pas, de vent, de porte ouverte, fermée, etc., c’est-à-dire l’incarnation la plus littérale, la plus signifiante, la plus réaliste qui soit.

Outre le fait qu’il est difficile à la fois de lire et d’observer les “faiseurs de bruits” accomplir leur tâche (pourquoi alors les montrer sur scène ?), ce choix réintroduit un rapport au réel d’une grande naïveté. Qu’apporte par exemple le bruit d’une ouverture de canette à la mention de cet épisode dans le texte, si ce n’est l’impression dérisoire d’un dispositif inutile ? À deux reprises, les “faiseurs de bruits” cessent leur activité, se tiennent de profil et entament le même geste : le bras droit se soulève, la main vient masquer le regard. On en vient à se demander s’il ne s’agit pas là d’un signe adressé au public pour qu’il fasse de même. La vidéo n’est pas en reste, qu’elle diffuse des images produites en direct ou tournées auparavant. Ce dispositif visuel, déjà vu mille fois, erre dans les mêmes contradictions que déjà mentionnées: il tente de donner à voir le monde et le texte, filtrés par la poésie de l’image. Mais suffit-il d’un noir et blanc rendu flou par la pluie ou d’un plan fixe sur un regard perdu dans le vide pour faire ?uvre poétique ?

Peut-être aurait-il été plus intéressant de poser de façon scénique la question de l’univers mental du personnage, sans se soucier d’un théâtre à effets de réel. Il ne suffit pas de fragmenter un effet pour le faire disparaître : il faut inventer d’autres formes, d’autres façons de faire sentir l’errance, l’exil, thématiques à l’?uvre aussi bien dans la vie de Katie Mitchell (Britannique vivant à Berlin) et de W. G. Sebald (exilé allemand en Angleterre) que dans leurs productions.

Sylvain Saint-Pierre, Le Tadorne

Katie Mitchell sur le Tadorne:  Au Festival d’Avignon 2011, le théâtre crève l’écran.

“Les anneaux de Saturne” mis en scène de Katie Mitchell au Festival d’Avignon du 8 au 11 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Sale temps au Festival d’Avignon.

Le Festival d’Avignon suppose des prises de risques. Elles sont d’autant plus fortes qu’elles sont liées avec le positionnement de «l’artiste associé» qui ne vient généralement pas seul: accompagné de son réseau, le metteur en scène britannique Simon Mc Burney parsème cette année la programmation de propositions d’amis. Une d’entre elles ne franchirait probablement pas les jurys de nos chers programmateurs français. Et pour cause.

«Refuse the Hour» (la négation du temps) du Sud-Africain William Kentridge étonne d’emblée: musiciens et acteurs palabrent pendant que nous prenons place. L’ambiance festive et les costumes colorés m’évoquent immédiatement la chorégraphe Robyn Orlin avant que l’image ne soit chassée par d’autres: celles de l’opéra loufoque «Via Intolleranza II» de Christoph Schlingensief joué en 2010 au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles où il s’amusait à comparer l’Europe Culturelle à l’Afrique créative. Une autre image percute: celle de l’installation vidéo de William Kentridge  pour la dOCUMENTA de Kassel qui m’avait particulièrement étonné le mois dernier. Elle y évoquait notre soumission au temps mécanique, celui de nos «urgences» à désirer inconsciemment faire exploser le temps du sens. La plupart des animations vues à Kassel sont intégrées à «Refuse the Hour», commande du Festival d’Avignon. Et puis il y a ce décor totalement fascinant: en levant la tête, un orchestre mécanique à l’envers avec tambours et trompettes trône prêt à faire tomber sur nos têtes une pluie de notes sur nos rêves de partitions. Je pense alors au piano majestueux d’Heiner Goebbels vu à Avignon il y a quelques années.

Me voici donc accueilli: reliant ce plateau animé avec de belles références, je suis prêt à me laisser aller pour entrer dans ce concert de mots et de sons nés des dialogues de William Kentridge avec le physicien Peter Galion, le compositeur Philip Miller, la chorégraphe Dada Basilo et la vidéaste Catherine Marburg. Mais je déchante très rapidement. À peine l’acteur s’avance-t-il avec son carnet nous pour faire sa leçon (elle traverse le temps des mythes, celui des colonies, de Paris,…) que je ressens l’impasse de la proposition. L’absence de dramaturgie ne permet pas d’articuler les différents langages (opéra, danse, installation, vidéo), se contentant de les accumuler. Ce qui ne peut-être «joué» sur scène est projeté à partir des vidéos de Kassel. On passe de l’écran à l’orchestre, de l’opéra à la danse, de la performance à la narration par une mécanique de la représentation très vite ennuyeuse: le temps de l’installation de Kassel peine à s’inclure au temps théâtral. Un comble pour une oeuvre censée nous faire réfléchir sur la relativité du temps scientifique qui s’impose à nous dans nos contextes…même au théâtre! William Kentridge «organise» la démonstration tel un «curator» d’une salle d’exposition d’arts pluridisciplinaires sauf que nous sommes assis, sans possibilité de nous mouvoir pour entrer dans le temps de la contemplation, de la divagation, de la danse partagée. Ne fallait-il pas envisager une performance participative avec les spectateurs? Rien n’encourage le rêve pour ressentir l’époque où, enfant, nous nous émerveillions à poser des questions incongrues pour y trouver des réponses imaginaires incomprises des adultes (entendu l’autre jour dans le train : «Dis maman, pourquoi une minute ne fait qu’une minute alors que ça passe trop vite»). De tout cela, je n’ai rien tant «Refuse the Hour» démontre, mais ne «joue» pas. L’oeuvre n’est qu’un cours récréatif à défaut d’être transcendant. Le temps s’allonge tellement que l’ennui n’en finit plus.

Cette proposition est  le fruit de l’orgueil: William Kentridge pense qu’il suffit de traverser les arts pour les imposer sur scène. Sauf que la scène n’est pas là où il croit la dompter.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Refuse de Hour » de William Kentridge au Festival d’Avignon du 7 au 13 juillet 2012.

A la dOCUMENTA de Kassel en Allemagne jusqu’au 16 septembre 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES Vidéos

“Tragédie” d’Olivier Dubois. Secoué.

À la sortie du Cloître des Carmes, je m’égare. C’est une sensation étrange tandis qu’à l’intérieur, mon corps vibre.  À la perte des repères spatiaux temporels, s’ajoute une immense joie, celle d’avoir approché de près ce qui fait lien entre les hommes. Je me sens tragiquement heureux, profondément capable.

«Tragédie» d’Olivier Dubois, pièce pour neuf hommes et neuf femmes, perturbe le paysage chorégraphique. Le nombre (à quand remonte une telle proposition groupale?), la nudité (on oublie enfin les stéréotypes sexués), la musique (composée par François Caffene loin du vrombissement habituel en danse contemporaine) déplacent mon regard vers un ailleurs, du détail d’une partie vers une métaphysique du tout. Comme si cette partition dépassait la rencontre entre l’intention du chorégraphe et le désir du danseur. Là où le metteur en scène Roméo Castellucci présent cette année au Festival explore un au-delà pour nous y propulser (plus rien n’est possible avec notre civilisation épuisée), Olivier Dubois part de la conscience du corps qui danse pour créer «l’image», celle qui pourrait faire «humanité» pour chacun d’entre nous. Là où, dans ce même Cloître des Carmes en 2010, l’Espagnole Angelica Liddell faisait saigner son corps intime pour évoquer notre destin commun, Olivier Dubois sculpte le groupe pour qu’émerge la conscience qu’un tout nous sauvera de notre tragédie de n’être qu’homme, entité sociale et sexuée.

D’où nous viennent-ils donc pour qu’une telle force surgisse des profondeurs des coulisses du Cloître des Carmes, séparées de la scène par un rideau de fines lamelles noires, membrane perméable qui relie le vrai au beau. À l’appel de la danse, ils répondent, lentement, entre parade militaire, défilé de morts-vivants et procession fantomatique. Aux battements réguliers d’un tambour, j’entends leurs pas qui brisent mes armures. Cette marche est longue. Leur regard déterminé me bouleverse. Ils nous viennent de loin. J’en suis convaincu. Ils ont traversé l’Histoire et ne sont pas dupes: «Mais qu’avez-vous donc fait là ?» semblent-ils nous dire. Qu’avons-nous fait de notre humanité? Alors ils marchent, apparaissent puis disparaissent. À un, à deux, à plusieurs. C’est une partition pour régler le pas du «propos» et qu’il fasse mien. C’est enivrant: la répétition du mouvement ne vise rien d’autre qu’à questionner le sens de notre présence ce soir, métaphore du désir qu’il faut transcender. Que me dit ce mouvement, au-delà de cet homme, de cette femme? Comment percevoir au-delà du rideau? Notre humanité a besoin de temps pour se laisser approcher. Olivier Dubois n’est pas pressé: point de vidéo pour accélérer; point d’artifices pour faire illusion. Ici, l’humain travaille avec une pureté qui fait frémir.

Là où tant de propositions chorégraphiques me tombent dessus telle une incantation vers le désespoir, «Tragédie» honore l’histoire de la danse et nous offre une vision éclairée de notre destin commun (comment ne pas voir de derrière les rideaux, les âmes de Maguy Marin et de Pina Bausch chorégraphier les corps évanescents pour qu’ils surgissent sur le plateau, telles des âmes en peine d’un regard). Il y a cette belle lumière musicale qui fait apparaître des statues grecques posées dans un musée qu’il faut dépoussiérer. Elles s’y égarent et provoquent la tempête en sculptant le groupe de leurs déplacements horizontaux. Et miracle: la danse se fait horizon! Le groupe est corps tandis que tous ses mouvements donnent à chacun la conscience d’un sentiment d’appartenance au choeur. Celui-ci se confronte à son destin: se dépasser ou disparaître sous le poids des guerres fratricides. Le collectif repart au combat et ne lâche rien: il lui faut se libérer des empêchements moraux, religieux pour entendre autrement la souffrance et la métamorphoser vers des possibles utopies…

Olivier Dubois suggère alors qu’aux rapports normés entre homme et femme se substitue une humanité féminine capable d’affronter avec force sa survie. Il libère la créativité lors d’une transe où chacun puise dans l’énergie tellurique du groupe sa part d’humanité. De mon siège, je transe avec chacun. Traversé par le rock, musique des âmes en fusion, je m’approche, je tape des pieds, je tends mes bras. Je suis littéralement aspiré par un trou noir où une jeune femme aux rondeurs de paysage marin m’invite à rejoindre les profondeurs…D’où surgira la procession d’une humanité blessée à jamais par la Shoah. Car c’est ma tragédie.

Ma force.

Notre lumière.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Tragédie » d’Olivier Dubois au Festival d’Avignon du 23 au 28 juillet 2012.

Olivier Dubois sur le Tadorne:

La révolution « Rouge » d’Olivier Dubois revitalise la danse.

Au Festival d’Avignon : épidermiquement, Olivier Dubois.

«Révolution» d’Olivier Dubois : Boléro en marche pour onze fois une.

Olivier Dubois, cet empêcheur de tourner en rond.

Une journée avec Le Tadorne au Festival d’Avignon : la mise à nu.

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE

Bouchra, Radhouane, et Hooman.

Cette année le Festival Montpellier Danse ne crée pas le vent de réactivité que j’avais connu l’année dernière, alors qu’il accueillait des artistes israéliens. Par contre, la programmation 2012 offre un regard intime sur le monde arabe et oriental.

En premier lieu, j’ai découvert  Bouchra Ouizguen et ses trois partenaires dans «Ha !». Leur représentation du quotidien de la femme à travers une voix masculine a bousculé les genres. J’ai vibré dans les secousses des gestes répétitifs de travailleuses acharnées; j’ai amorti les coups de reins dans les ébats forcés; j’ai souffert dans leur accouchement vers la liberté de bouger, de s’exprimer, de penser; j’ai souri, les yeux brillants, partageant leur plaisir vers de libres mouvements. Ce qui nous semble naturel dans notre pays se transforme en combat. Leur force collective m’a nourri jusqu’à partager leur dynamique.

Avec Radhouane el Meddeb dans «Sous leurs pieds, le paradis», j’ai voyagé en Égypte lors d’un concert mythique en 1966 au Caire.  Le chant d’Oum Kalthoum remplit tout l’espace. La musique des «sixties» rejoint la soif d’émancipation du 21ème siècle. Ce chant d’amour résonne jusqu’au bout des phalanges de Radhouane d’où l’on perçoit une forme d’extase. Son corps bien en chair porte la séduction de cette femme et de toutes les femmes; celles de Bouchra, celle des peuples arabes, celles du public. Son corps secoué de bas en haut traverse l’intérieur de nos viscères et de nos pensées. Nous assistons une fois de plus au «mélange des genres» : un homme porte la voix d’une femme avec un port de tête haut. Quel que soit l’artiste, le message d’amour, de révolte est le même. Les écrits réactionnaires et étriqués volent en éclats. Les voiles tombent. Seuls subsistent le corps et la voix transformés par un désir de survie. La force de ces représentations est d’unir hommes et femmes, ensemble. Ils rejoignent ainsi notre soif d’égalité encore absente dans nos sociétés occidentales. Mais j’ai un regret : la salle pour Radhouane El Meddeb est clairsemée. Ce moment méritait une plus large diffusion.

Le lendemain, dans la cour de l’Agora de la Cité de la Danse de Montpellier, un haut-parleur hurle. Les mots claquent contre les piliers de cet espace, vide et vierge comme le terrain laissé par l’après-révolution tunisienne. Le champ est libre. Tout est à reconstruire. Le public est autour de Radhouane qui reprend sa marche, ses vibrations charnelles. La pression monte, tout comme mon effroi, en même temps que la musique. Quel sens a cette représentation? Pour quel public se joue-t-elle? J’ai l’impression de me tromper d’endroit, tant les personnes autour de moi semblent plongées dans l’incompréhension. J’aimerai partager ce moment, dehors, dans des quartiers, des lieux de vie. La récente performance de François Rascalou revient à ma mémoire, ainsi que la surprise de ces habitants touchés par l’expression artistique au détour des galeries marchandes.

Là, dans la clarté  du cloitre, qui est vraiment touché, entre sexagénaires bourgeois et professionnels de la culture…? Je ressens une distance, confirmée par les propos d’une spectatrice autour du buffet d’après spectacle (“Je n’ai pas trouvé que c’était de la révolution dont il parlait.)»

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Quelques jours après, l’iranien Hooman Sharifi nous dévoile son âme. Il tord les corps, déchire le sol, hurle les voix, frappe les pierres, enserre les tissus avant de les jeter, crache lentement comme un enfant qui arrose pour rire, puis, ensuite, penché comme un adulte qui souffre dans son dégoût de vomir. Sa société perd ses fondements, son patrimoine, ses savoirs, sa richesse de la connaissance, son  humanité. Tout le plateau explose sur tous les plans. La vidéo expose des dessins noirs de personnages animalisés traversés d’objets contondants. Je repense à «Persepolis» de Marjane Satrapi. Je suis triste pour cette jeunesse créative sinistrée, mais admirative par cette nouvelle force d’exister à tout prix. Puis, Hooman Sharifi nous propose un feu d’artifice d’images, qui, en se rapprochant, deviennent plus nettes: notre vue globale s’affine pour mieux distinguer les détails de l’horreur. Oui, nous refusons de voir ce noir, cette souffrance si lointaine, mais si proche tout à coup. Le rêve pointe dans le rassemblement des papiers qui transforme les comédiens / danseurs en sorte de grands personnages extraordinaires. Leurs ailes nous emportent. Les paillettes, le métal renforcent la carapace de l’imaginaire. Dans le monstrueux, se révèle le beau, comme dans la noirceur de «La belle et la bête» de Cocteau. Nous sommes dans le surréalisme de l’enfer et du paradis.

Et j’y fouille encore…

Sylvie Lefrere de Ventdart vers le Tadorne.

Bouchra Ouizgen : “Ha!” – Radhouane el Meddeb et Thomas Lebrun : «Sous leurs pieds le paradis” –  Radhouane el Meddeb : ” 14 janvier 2011″  – Hooman Sharifi: ” Then love was found and set the world on fire”.

A Montpellier Danse, Juin/juillet 2012.

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

En avril, au Théâtre de la Ville de Paris: le lien, avec Mathilde.

J’aime découvrir les prises de risque de Mathilde Monnier.

Ce soir, je me retrouve dans ce contexte. La batterie de ma voiture à plat, comment rejoindre le festival Montpellier Danse sans moyen de transport? La personne qui m’accompagne reste pantoise…Mais une véficule rouge surgit du sous-sol. Comme par enchantement, une sympathique conductrice nous dépose devant le Théâtre de Gramont à Montpellier, en se détournant quelques minutes de son chemin…

Pourquoi raconter cela? Parce que cet incident me relit au spectacle de ce soir. Une poussée d’adrénaline pour mieux se caler dans son fauteuil et savourer l’écoulement du temps.

Avec «Twin Paradox», Mathilde Monnier introduit ma pensée dans la douceur de l’été. On aime se lever tôt pour pouvoir profiter de l’éveil de la lumière, de l’éclosion de la nature encore humide de rosée, des vives discussions des ouvriers, du bruit répétitif des machines, des sifflements joyeux des oiseaux, des cigales que j’affectionne tant. Ce soir, les costumes des dix danseurs sont des tapis végétaux, dignes des tableaux impressionnistes. Leurs corps souples révèlent la douce rencontre du couple au petit matin qui s’éveille lentement dans des frôlements imperceptibles. Je me sens extraite du tumulte de ma journée pour rentrer dans une rêverie. Je suis comme ma batterie, épuisée, mais la rencontre improbable, rouge et sympathique me sort de l’anesthésie du blocage. L’énergie et la solidarité sont là où on ne les attend plus. Une véritable métaphore de la vie en mouvement.

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Du binôme professionnel au couple amoureux, la fusion s’y opère. Dans «Twin Paradox», les corps imbriqués des cinq couples qui s’enserrent restent reliés. Dans la distance, ils sont toujours connectés. Ils se tournent, se retournent, s’explorent. La rencontre de l’autre est une longue expérience. D’une complicité initiale découle un cheminement qui dure ici plus d’une heure et quarante minutes. La communication se renforce avec le temps. Être à deux, c’est entrer dans le plaisir et l’aliénation où des jeux de séduction peuvent se transformer en rapport de force, en jeux de pouvoir. Comment une douce relation peut devenir un vent de violence? Être à deux c’est aussi l’énergie de trouver la bonne distance. Celle qu’on se construit soi même. Finalement on est toujours seul…. C’est le paradoxe du couple où la fusion gémellaire finit par se métamorphoser.

Je me sens proche de ces artistes sur scène. Leur corps imprègne chaque minute mon mental jusqu’à rendre mes voisins spectateurs étrangers. C’est la force de la méditation; oublier le contexte environnant pour rentrer loin dans ses pensées. Les gestes secs des danseurs claquent dans l’intérieur de mon corps. Ils résonnent dans mon estomac tendu.

Les danseurs finissent par se séparer. Leurs mains se lâchent; après s’être laissés tomber de nombreuses fois au sol, pour pouvoir mieux se relever ensuite. Les sons qui accompagnent leurs corps sont des conversations en différents langages, extraits de différents voyages: le Japon, l’Allemagne…La communication n’est-elle qu’une succession de voyages dans le vif  de l’instant et dans l’analyse de ce qu’il se joue où toutes les langues se mêlent ?

Mathilde, artiste lointaine, mais pourtant si proche. Je la croise souvent dans la ville ou les différents lieux culturels. J’aime l’élégance qu’elle dégage, la force de caractère derrière ce sourire un peu froid. J’aime retrouver ses créations, comme des rendez-vous d’expériences engagées. Pour moi, son travail est chaque fois plus innovant, où elle puise l’hybridité dans sa relation avec ses différents partenaires. Fin 2013, Mathilde Monnier quittera le Centre Chorégraphique National de Montpellier. Comme dans une relation de couple, elle me manque déjà.

Twin paradox from Karim Zeriahen on Vimeo.

Deux heures de méditation se sont écoulées. Merci Mathilde pour ce temps de pause corporelle nourri d’intenses mouvements intérieurs. J’y ai fouillé comme dans un grenier. Je me sens spectateur “meunier”.

Les ailes de mon moulin tournent.

Sylvie Lefrere – Le Tadorne.

” Twin paradox” de Mathilde Monnierà Montpellier  Danse du 23 au 25 juin 2012.

Photos: Marc Coudrais.

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LE THEATRE BELGE!

Sommes-nous tous des Peeping Tom?

Vendredi 29 juin, 21h, Festival de Marseille.

La foule se presse pour assister à la nouvelle création du collectif Belge Peeping Tom.

C’est la salle Vallier qui accueille cette pièce (à l’origine… une salle de boxe). Il est vrai que ce fut le parcours du combattant pour arriver à obtenir ce ticket tant convoité ! Mais j’ai mon sésame. Je me dirige donc vers ma précieuse place, au premier rang central, détail qui a toute son importance dans ce lieu inadapté et suffocant. Je vais malgré tout passer quatre-vingts minutes avec l’une des compagnies que je suis avec grand intérêt depuis presque dix ans et que je retrouve avec joie, émotion et un peu de nostalgie. Entre Peeping Tom et moi, c’est déjà une vieille histoire, qui date du festival Uzès Danse.

En 2004, ils y présentaient le second volet de leur trilogie : «Le Salon». Je découvrais alors une gestuelle et des artistes hors-normes, une danse généreuse et touchante, un collectif soudé et chaleureux, empli d’une belle humanité. L’année d’après, nous programmions «Le Sous-sol» qui clôturait en beauté cette trilogie sur la famille, la vieillesse et les rapports humains. Quelques années après, et n’ayant pu voir «32 rue Vandenbranden», c’est donc avec un réel enthousiasme que je m’apprêtais à vivre cette nouvelle expérience.

«À louer», leur dernière création, est un thriller chorégraphique, à la fois surréaliste et inquiétant, une sorte de Cluedo dansé mêlant l’univers d’Hitchcock et de Buñuel.

Nous sommes dans le salon de réception d’une maison bourgeoise, un salon vieillissant, étouffant et intrigant. Un gigantesque rideau rouge en arc de cercle entoure cet espace et nous plonge immédiatement dans un huis clos dont nous serons acteurs malgré nous. Dans ce décor angoissant et imposant, une maitresse de maison sortie d’un film d’Almodovar s’entretient avec son valet. Leur relation est étrange. Qui sont-ils ? Un lourd secret semble les unir, voire un triste mensonge. Les autres habitants de cette demeure jouent à cache-cache, des visiteurs arrivent en masse, impossible de les discerner, ils prennent vie entre ces rideaux, dans des pièces invisibles que l’on imagine à perte de vue. On pourrait croire à un vaudeville, les portes claquent, les personnages s’immiscent et sortent par des entrées lumineuses dissimulées derrière ces imposants rideaux, mais il n’en est rien. Ce ballet incessant est comme le fil rouge de notre pensée. Le décor en est le cadre, il se reproduit à l’infini, comme autant de cases de notre cerveau, d’assertions, de distorsions qui modifient l’espace-temps et nous plongent dans un monde parallèle.

Peu à peu je deviens le voyeur qui observe avec empathie tout ce petit milieu, ces jeux de pouvoir, ces rites amoureux, ces déceptions… Je tente de percer les secrets de cette maison : qui est vraiment ce valet aux mouvements déstructurés, que cache ce couple, quelle est la place de cet enfant devenu grand, mais qui cherche encore le regard approbateur de sa mère trop occupée à revivre ses auditions ratées, qui est ce jeune homme sur ce tableau funéraire ? Et cette maîtresse de maison habitée par la tristesse et les souvenirs, que cherche-t-elle ?

Leur danse m’accompagne dans ce questionnement, elle est le lien, elle me porte, leurs mouvements me font voyager dans cette maison, découvrir les recoins cachés, les secrets inavoués, les miens peut-être aussi. Je n’ai plus de repères, le temps s’est arrêté. Je suis prisonnière de cette maison hantée, au bord de la folie. Les flash-back s’enchainent, la virtuosité de ces interprètes est à son apogée. Le souffle court je les observe toujours, ou bien est-ce eux, qui nous observent nous perdre dans ce labyrinthe mental et physique ?

Les figurants reviennent, le salon se peuple, le temps reprend son cours ; je suis perdue, au bord des larmes, le souffle coupé, enfermée dans cette attraction à taille humaine. Ils me regardent avec insistance, comme pour me demander: «Alors, où en es-tu de ta vie ?»

Qu’ai-je perdu, qu’ai-je retrouvé, qu’ai-je cédé ? Je ne le sais pas vraiment. J’ai ressenti le vide, celui avant le grand saut, celui de la vie qui défile et de cette angoisse qu’on ne peut maitriser. L’angoisse du temps qui passe, du temps perdu. Ce moment où la vie se transforme en rêve, parfois en cauchemar, cette ligne invisible et si fine entre ces deux mondes irréels.

Les Peeping Tom ont une nouvelle fois créé leur monde et merci à eux de m’y avoir à nouveau convié.

Alexandra Piaumier – Le Tadorne.  

 “A louer” – Peeping Tom au Festival de Marseille les 29 et 30 juin 2012.

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ETRE SPECTATEUR

LA SÉLECTION AVIGNON OFF 2012 DES SPECTATEURS «TADORNE»

Comme chaque année, nous vous proposons notre «sélection» de spectacles du Festival Off d’Avignon. Une soixantaine d’?uvres de danse, de théâtre et de performance qui correspondent à notre sensibilité et sont diffusées dans des lieux en qui nous avons confiance (La Manufacture, la Condition des Soies, Le Théâtre des Halles, Le Théâtre du Centre, ).

Nous souhaitons que cette sélection soit un fil conducteur entre vous et nous lors de nos rencontres «Les Offinités du Tadorne» qui auront lieues au Village du Off les 12, 15, 18, 21 juillet à 11h (avec une spéciale concernant la toute petite enfance le 10 juillet à 17h).

Nous vous souhaitons un beau festival.

La sélection au 5 juillet: ici

Au 24 juillet: Nos vingt recommandations pour le Festival Off d’Avignon 2012.

Pascal Bély, Sylvie Lefrere,  Bernard Gaurier,  Laurent Bourbousson – Les Tadornes.