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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE

Bouchra, Radhouane, et Hooman.

Cette année le Festival Montpellier Danse ne crée pas le vent de réactivité que j’avais connu l’année dernière, alors qu’il accueillait des artistes israéliens. Par contre, la programmation 2012 offre un regard intime sur le monde arabe et oriental.

En premier lieu, j’ai découvert  Bouchra Ouizguen et ses trois partenaires dans «Ha !». Leur représentation du quotidien de la femme à travers une voix masculine a bousculé les genres. J’ai vibré dans les secousses des gestes répétitifs de travailleuses acharnées; j’ai amorti les coups de reins dans les ébats forcés; j’ai souffert dans leur accouchement vers la liberté de bouger, de s’exprimer, de penser; j’ai souri, les yeux brillants, partageant leur plaisir vers de libres mouvements. Ce qui nous semble naturel dans notre pays se transforme en combat. Leur force collective m’a nourri jusqu’à partager leur dynamique.

Avec Radhouane el Meddeb dans «Sous leurs pieds, le paradis», j’ai voyagé en Égypte lors d’un concert mythique en 1966 au Caire.  Le chant d’Oum Kalthoum remplit tout l’espace. La musique des «sixties» rejoint la soif d’émancipation du 21ème siècle. Ce chant d’amour résonne jusqu’au bout des phalanges de Radhouane d’où l’on perçoit une forme d’extase. Son corps bien en chair porte la séduction de cette femme et de toutes les femmes; celles de Bouchra, celle des peuples arabes, celles du public. Son corps secoué de bas en haut traverse l’intérieur de nos viscères et de nos pensées. Nous assistons une fois de plus au «mélange des genres» : un homme porte la voix d’une femme avec un port de tête haut. Quel que soit l’artiste, le message d’amour, de révolte est le même. Les écrits réactionnaires et étriqués volent en éclats. Les voiles tombent. Seuls subsistent le corps et la voix transformés par un désir de survie. La force de ces représentations est d’unir hommes et femmes, ensemble. Ils rejoignent ainsi notre soif d’égalité encore absente dans nos sociétés occidentales. Mais j’ai un regret : la salle pour Radhouane El Meddeb est clairsemée. Ce moment méritait une plus large diffusion.

Le lendemain, dans la cour de l’Agora de la Cité de la Danse de Montpellier, un haut-parleur hurle. Les mots claquent contre les piliers de cet espace, vide et vierge comme le terrain laissé par l’après-révolution tunisienne. Le champ est libre. Tout est à reconstruire. Le public est autour de Radhouane qui reprend sa marche, ses vibrations charnelles. La pression monte, tout comme mon effroi, en même temps que la musique. Quel sens a cette représentation? Pour quel public se joue-t-elle? J’ai l’impression de me tromper d’endroit, tant les personnes autour de moi semblent plongées dans l’incompréhension. J’aimerai partager ce moment, dehors, dans des quartiers, des lieux de vie. La récente performance de François Rascalou revient à ma mémoire, ainsi que la surprise de ces habitants touchés par l’expression artistique au détour des galeries marchandes.

Là, dans la clarté  du cloitre, qui est vraiment touché, entre sexagénaires bourgeois et professionnels de la culture…? Je ressens une distance, confirmée par les propos d’une spectatrice autour du buffet d’après spectacle (“Je n’ai pas trouvé que c’était de la révolution dont il parlait.)»

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Quelques jours après, l’iranien Hooman Sharifi nous dévoile son âme. Il tord les corps, déchire le sol, hurle les voix, frappe les pierres, enserre les tissus avant de les jeter, crache lentement comme un enfant qui arrose pour rire, puis, ensuite, penché comme un adulte qui souffre dans son dégoût de vomir. Sa société perd ses fondements, son patrimoine, ses savoirs, sa richesse de la connaissance, son  humanité. Tout le plateau explose sur tous les plans. La vidéo expose des dessins noirs de personnages animalisés traversés d’objets contondants. Je repense à «Persepolis» de Marjane Satrapi. Je suis triste pour cette jeunesse créative sinistrée, mais admirative par cette nouvelle force d’exister à tout prix. Puis, Hooman Sharifi nous propose un feu d’artifice d’images, qui, en se rapprochant, deviennent plus nettes: notre vue globale s’affine pour mieux distinguer les détails de l’horreur. Oui, nous refusons de voir ce noir, cette souffrance si lointaine, mais si proche tout à coup. Le rêve pointe dans le rassemblement des papiers qui transforme les comédiens / danseurs en sorte de grands personnages extraordinaires. Leurs ailes nous emportent. Les paillettes, le métal renforcent la carapace de l’imaginaire. Dans le monstrueux, se révèle le beau, comme dans la noirceur de «La belle et la bête» de Cocteau. Nous sommes dans le surréalisme de l’enfer et du paradis.

Et j’y fouille encore…

Sylvie Lefrere de Ventdart vers le Tadorne.

Bouchra Ouizgen : “Ha!” – Radhouane el Meddeb et Thomas Lebrun : «Sous leurs pieds le paradis” –  Radhouane el Meddeb : ” 14 janvier 2011″  – Hooman Sharifi: ” Then love was found and set the world on fire”.

A Montpellier Danse, Juin/juillet 2012.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES FESTIVAL MONTPELLIER DANSE Vidéos

A l’origine, Bouchra Ouizguen.

C’est un choc esthétique et émotionnel. Quatre femmes, assises là, face à vous, viennent subtilement vous chercher pour revisiter la danse contemporaine. Vous voilà presque nu, sans aucune référence sauf celle où tout aurait commencé. Une heure a suffi pour retrouver le lien originel avec l’art le plus fragile qui soit. C’est la renaissance du spectateur tout comme celle de la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen qui ose écrire : « je refais l’apprentissage de la danse : je suis partie à des milliers de kilomètres pour apprendre alors qu’à côté de moi d’autres femmes pouvaient me transmettre quelque chose de si évident : le chemin de la liberté ».  Ces trois femmes qui l’entourent sur scène sont des Aïta, écoutées auprès des hommes de pouvoir, pour leur  poésie, il y a plus d’un siècle. Elles sont aujourd’hui des courtisanes dont les chants et la danse font d’elles des artistes du peuple. Fatima Aït Ben Hmad, Fatima El Hanna et Naïma Sahmoud nous ont littéralement nourries. Le temps d’un festival et bien au delà, elles sont les artistes du peuple de Montpellier Danse.

Avec trois matelas, elles refont le chemin. Du lit où l’on naît, où l’on se cache, au banc où l’on contemple avec sagesse, où l’on se serre les uns contre les autres, car  à plusieurs on est toujours plus fort. Du mur où l’on est cloîtré à celui que l’on abat pour se libérer.

Trois matelas pour accueillir le corps statufié par les codes moraux, religieux et sociaux.

Trois matelas pour éponger la sueur de l’effort que réclame la libéralisation du corps.

Trois matelas pour amortir le choc. Car tout vibre. À commencer par nos barrières de défense qui font un vacarme intérieur parce qu’on a plus l’habitude d’être « touché » ainsi. Tout vibre parce que le don est une danse. Tout vibre parce que leur chant est une caisse de résonance où l’on se lâche avec confiance.

Dans leur jardin des délices, le chant est un corps qui danse.  Dans leur regard, il y a le sein que l’on cherchait, le cri que l’on poussait, le pli dans la peau où l’on se perdait. C’est ainsi que la danse d’aujourd’hui renaît. Une danse où l’on n’a plus peur de l’humain pour lui faire la fête, où l’on puise dans la force de l’art pour se libérer des contraintes morales et esthétiques et non pour en rajouter. Où l’on apprivoise le corps différent pour voir le monde autrement.

« Madame Plaza » de Bouchra Ouizguen est une danse qui accueille l’homme maladroit. Avec empathie.

La fraternité a dorénavant sa danse.

Pascal Bély- Le Tadorne

A écouter sur le site de la  Revue Radiophonique A Bout de Souffle , un entretien avec Bouchra Ouizguen.

 "Madame Plaza" de Bouchra Ouizguen a été présenté les 19 et 20 juin 2009 dans le cadre du Festival Montpellier Danse. A voir au Théâtre d'Arles le 20 novembre 2009.