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PAS CONTENT

Vu et pas pris.

Ces rencontres ont échoué. Parfois, quelques minutes ont suffi pour comprendre que cela n’irait pas plus loin qu’un salut poli. Dans ces quatre rendez-vous manqués, le flux d’images a pris le pas sur le langage du corps tandis que l’intention de la mise en scène visait l’adhésion anesthésiante.
Retour sur quatre processus régressifs.

J’attendais le metteur en scène belge Guy Cassiers avec impatience. Après les magnifiques “Rouge décanté” en 2006,  “Mefisto for ever” en 2007 puis les impasses de «Wolfskers» et «Atropa, la vengeance de la paix» en 2008 et l’inaccessible “l’homme sans qualité” en 2010, “Sous le volcan” aurait pu sceller les retrouvailles. Mais l’adaptation du roman de Malcom Lowry s’est totalement noyée dans un dispositif vidéo qui règle la mise en scène au détriment d’acteurs qui se désincarnent peu à peu. Le décor, transformé en écran tactile, déverse un flot d’images où nous perdons notre temps à force de déjouer les procédés censés nous distraire. Pris à son propre jeu, Guy Cassiers fait enfiler à deux comédiens, des habits gorgés d’eaux après qu’ils se soient plongés dans la rivière de la vidéo. Ce niveau d’infantilisation du spectateur et des acteurs est sidérant.

La vidéo s’est également invité dans le spectacle “jeune public” “Les Ariels” de la compagnie Mediane. Ici aussi, le dispositif scénique se résume à des pans du décor transformés en écran d’images. Nous sommes le jour des noces d’une mariée pour le moins étrange. Ses rêves s’impriment sur son voile et sa robe alors qu’elle parcourt la scène montée sur des échasses en forme de jambe de cheval. Peu à peu, la vidéo créée le mouvement tandis que l’actrice semble courir après la scénographie où son propos se noie dans une approche psychanalytique qui nous échappe. La scène n’est qu’une aire de jeu où l’image joue sa fonction sidérante et place l’enfant et l’adulte dans une rupture permanente du sens.

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Oh Boy!“, d’après le roman de Marie-Aude Murail et mise en scène par Olivier Letellier a reçu le prix Molière du jeune public en 2010. Salué quasi unanimement par la presse et le public (même Bernard Gaurier sur le Tadorne y a succombé), je reste pour le moins perplexe face à ce déluge de bons sentiments. Tous les ingrédients d’une adhésion massive, d’un consensus “mou” sont réunis: un acteur seul en scène endosse le rôle d’un jeune homosexuel qui voit débarquer dans sa vie trois frères et s?urs dont l’un est atteint de leucémie. Olivier Letellier surjoue comme au café-théâtre et finit par tout saturer. Le spectateur n’a plus qu’à se laisser porter par cette mécanique théâtrale qui enferme le propos dans une vision normée de l’homosexualité. La dernière scène où le grand frère se fond dans le cadre familial en dit long sur les intentions. Mais fort heureusement, nous avons échappé à l’opération “pièces jaunes”.

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Phèdre” de Racine mise en scène de Renaud-Marie Leblanc a déçu ceux qui ont redécouvert la langue de Racine grâce à l’adaptation survoltée de Gwenaël Morin. Ici, point de vidéo pour se dérober. Le décor tout blanc fait penser à un caisson de décompression. Les costumes postmodernes sont beaucoup trop grands pour des acteurs trop “jeunes” qui peinent à endosser le rôle. Aucun n’émerge et le vaudeville effleure. La mise en scène déverse un flux de mots (ponctuées de virgules sonores proches du jingle) qui traverse peu les corps des acteurs pour ne pas nous éclabousser. Renaud-Marie Leblanc enferme Phèdre dans l’hystérie: il est en phase avec notre époque où le désir s’instrumentalise pour le faire entendre et accepter de la foule passive et silencieuse. Lors de la scène finale, il faudra le rire d’un groupe de spectateurs pour signifier que nous ne sommes pas nés de la dernière pluie.
Pascal Bély – www.festivalier.net

“Sous le volcan”, mise en scène de Guy Cassiers au Théâtre des Salins de Martigues le 28 janvier 2011.
“Oh Boy!” mise en scène d’Olivier Letellier à la Scène Nationale de Cavaillon le 25 janvier 2011.
“Phèdre” mise en scène de Renaud Marie-Leblanc à la Scène Nationale de Cavaillon Les17 et 18 janvier 2011;
“Les Ariels” de Catherine Sombsthay au Théâtre Massalia du 4 au 7 janvier 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Pour une levée des conflits au Festival d’Avignon.

Avant de prendre la parole face au public venu nombreux, le chorégraphe Boris Charmatz se tortille. Se prépare-t-il pour danser et se jeter dans la fosse aux lions? Probablement. Artiste associé de la 65e édition du Festival d’Avignon, il sait que le rôle l’expose jusqu’à nous confier plus tard que tout commence pour lui avec cette première rencontre. L’homme a de la ressource pour créer un climat de confiance, d’autant plus qu’Avignon n’est pas un festival de danse. Le public fait preuve ce soir d’une belle curiosité, démontrant une fois de plus qu’Avignon est un festival de création et de langages.

Boris Charmatz commence donc par poser un contexte historique. Le sien. Enfant, il passait ses vacances à Berlin, là où la création artistique était déjà le fruit de croisements et d’enchevêtrements. D’Avignon, il se souvient d’un spectacle en 1989 où Maguy Marin avec  «Eh qu’est-ce-que ça m’fait à moi !?” se faisait conspuer. À partir de ces deux anecdotes, le message est explicite : vive la controverse, la diversité, et les nouveaux langages ! À une approche descendante du lien à l’art, Charmatz préfère les chemins de traverse : « Je suis resté un spectateur, car je ne pense pas les choses en terme d’échelon». A ceux qui attendraient de lui une vision bien précise de son rôle d’artiste associé, il répond modestement «qu’il est là aussi pour apprendre». S’ensuivent alors quelques extraits filmés de ses créations (aucune ne fait partie à proprement parler du «patrimoine» populaire de la danse). Nous découvrons, distanciés.  Puis vient un joli moment d’émotions avec «une lente introduction» (2007), sculpture vivante de chairs et de mouvements. Manifestement, Boris Charmatz danse en inversant les prémices, dans des espaces particuliers pour un «spectacle mental».

«Et pour cet été?», s’impatientent (en silence) quelques spectateurs!

Il fait un détour par le «Musée de la danse» qu’il dirige depuis deux ans à Rennes. C’est un Centre Chorégraphique National, pensé comme un musée en mouvement, ouvert dans le temps. Je le relie à Marseille, où Michel Kelemenis prépare l’ouverture de «KLAP Maison pour la danse», espace à disposition des complémentarités avec les acteurs culturels, pour ouvrir la ville aux chorégraphes.  Il y a chez ces deux artistes une vision moins descendante du positionnement institutionnel, plus rhizomique, plus créative.

Mais ce soir, le public souhaite savoir. Que veut Boris Charmatz pour Avignon ?

De l’ouverture, toujours de l’ouverture. A-t-il l’intuition que les Français sont à la peine pour penser les articulations créatives? «C’est le moment de s’ouvrir», précise-t-il, «il faut la perméabilité des corps, de la porosité, de ne plus être dans le regard qui juge». Tout un programme, qu’il va décliner à la Cour d’Honneur, avec dix adultes et trente enfants. Car «l’urgence, c’est la question de l’enfant. Nous faisons pression sur lui ; nos enfants portent nos angoisses et nos problématiques d’adulte. C’est donc politique». Mais à côté de la Cour, il désire nous faire vivre un moment particulier avec son dernier spectacle, « la levée des conflits», qu’il voudrait bien jouer dans un grand pré (et y retrouver l’esprit de Woodstock!).  L’intention est palpable : Boris Charmatz pose la question de la place du collectif au festival d’Avignon (tant du côté des artistes que des spectateurs). Il compte donc investir l’École d’Art pour «soutenir le geste collectif» (à partir de créations au croisement de l’exposition, de la conférence et de la performance), car «l’expérimentation est la chose la plus solide que l’on ait». «J’ai envie que le festival résonne collectivement, qu’il soit un espace de perméabilité» finit-il par préciser.

«Oui, mais qu’avez-vous à dire au peuple tunisien ?»

Boris Charmatz reste sans voix.

«Quel message voulez-vous faire passer pendant le Festival ?»

Boris Charmatz pense avoir été explicite.

«Pourriez-vous nous faire une improvisation ?»

C’est alors qu’il invite le spectateur à monter sur scène. Deux minutes pour créer le lien, l’alchimie, le souffle. Suspendu, le moment est unique, car généreux.

Mais Boris Charmatz sait probablement que le public du Festival est prêt pour des ouvertures à condition qu’elles ne soient pas seulement des expérimentations esthétiques. Pressent-il que l’édition 2011 devra faire du bruit et non du tapage? On est un certain nombre ce soir à vouloir l’accompagner, car «la nouvelle voie», si chère à Edgar Morin, s’improvisera collectivement.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Compte-rendu de la rencontre publique organisée par le Festival d’Avignon le 20 janvier 2011

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THEATRE MODERNE

À Bastia, nous en rêvions. Ils l’ont fait.

Qu’avons-nous à faire pour résister et créer? Il faut traverser. Franchir quelques limites. Cap Corse, vers Bastia, au Théâtre Alibi, site européen de création. On y “fabrique” du théâtre. Ce soir, je m’y alimente, pour la chercher. Pour supporter. Et m’emporter. Le lieu a gardé l’esprit du chapiteau ambulant, pensé pour déambuler et nous donner cette dose sans laquelle, nous serions des barbares prêts à mater la révolution tunisienne.

Il marche dans le noir. On serait tenté de le suivre des yeux. Seulement trente secondes: c’est juste le temps qu’il nous faut pour passer de la lumière du jour au noir de l’incertitude et entrer dans “les rêves” d’Ivan Viripaev, mise en scène par François Bergoin. Celui-ci apparaît au fond du plateau, assis sur un canapé rouge. Il est seul, juste accompagné de quelques livres et d’un poste à musique d’où l’on entend un rock sensible et envoûtant (Janis Joplin, Kurt Cobain, Jim Morrison, Jimi Hendrix). Quelques secondes et nous avons déjà “pris” la porte, symbolisée par l’enseigne EXIT. Tout un programme. Il est l’acteur-metteur en scène de ce groupe de quatre artistes, incarnant chacun un toxicomane. Il les guide en tirant une à une des balles traçantes à blanc pour jalonner notre parcours de spectateur éberlué par cette rêverie hallucinogène.

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Six tableaux, tels des coups de semonce pour éveiller nos sens et accueillir cette poésie envoûtante et si charnelle: la Beauté, la Libération, l’Amour, Dieu, le Nirvana et l’Enfer. N’est-ce pas finalement les étapes du chemin du spectateur de théâtre? François Bergoin s’appuie probablement sur cette hypothèse: il nous fait confiance pour entrer dans la poésie “irrationnelle” de Viripaev. Il est inutile de gueuler pour se faire entendre; point de vidéo pour nous distraire. Ici, il y a seulement eux et nous. Nous ne savons rien de leur condition sociale (François Bergoin nous épargne  les clichés autour de la toxicomanie) mais la mise en scène nous tend un lien fraternel.

Magnifique Leila Anis: elle pourrait être notre petite soeur, égarée dans sa grossesse, dont elle serait le (de) nouveau-né. Épatante Catherine Graziani, en soeur aînée combattante et impuissante à la recherche d’une mère perdue. Troublant Karim Hammiche dont les mots du poète bégayent contre le mur où il fut probablement abandonné. Charismatique Xavier Tavera en enfant rési-liant. Épris de liberté sous l’emprise de leur toxicomanie, nous perdons connaissance grâce au travail remarquable de l’espace scénique: les projecteurs latéraux sculptent les silhouettes et invitent les fantômes. Le rêve de l’un traverse le corps des autres jusqu’à créer l’harmonie au coeur du chaos. La poétique des corps finit par chorégraphier leur descente aux enfers.

Leurs habits de poils et de lumière nous accueillent à nous y fourrer…et nous voilà ainsi à l’abri. Notre désir de théâtre se fond dans leur dose: cette mise en abyme provoque un silence quasi religieux dans la salle tandis qu’un magnifique chant russe nous guide vers l’enfer, vers l’apothéose.

Prises dans la brume, des volutes de fumée font disparaître la porte de sortie. Ils se volatilisent, car leur enfer n’est pas le nôtre. La musique de Rachmaninov nous sort peu à peu de l’abyme. Ce n’était qu’un rêve….Ce théâtre-là est une porte, mais surtout un pont pour traverser la poésie de Viripaev. Jusqu’à provoquer le désir d’y revenir.
Pour goûter encore à ce  voyage au bout de la nuit.

Pascal Bély- Le Tadorne
“Les rêves” d’Ivan Viripaev mis en scène de François Bergoin par la compagnie Alibi. Jusqu’au 30 janvier 2011.

A écouter sur France Culture: “Les rêves” d’Ivan Viripaev.

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PETITE ENFANCE

Accueillons le canard avec l’eau du bain!

L’âge minimum requis est de 18 mois. Le personnel de ce centre culturel nous accueille avec leurs gestes délicats comme si nous étions tous fragiles. L’accueil est un comportement. Il est ici exemplaire. Alors que nous prenons place,la comédienne Céline Garnavaults’approche. Elle passe d’un rang à l’autre. Vêtue d’un imperméable bleu qui la serre, elle semble se protéger. Elle en est presque inquiétante avec son petit panier à pois(ds?). «Où va l’eau?», mise en scène par Alban Coulaud a déjà commencé, et je ressens que ces vingt-cinq minutes de théâtre seront précieuses. Elle monte sur scène, l’air perdu, échappée d’un environnement social peu accueillant. Peut-être trop de règles, d’interdits, de non-écoute. Son corps droit comme les bâtons qui maintiennent son chignon ne demande qu’à se libérer pour jouer.

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Sur cette scène minuscule, elle esquisse quelques pas de danse. Les enfants assis devant moi n’en croient pas leurs yeux d’être accueillis ainsi. Ils n’ont encore rien vu. Bien difficile de nommer l’endroit : est-ce une cabane, le jardin des délices, l’atelier du peintre ? Il est tout cela à la fois. Un tourne-disque, un poisson rouge, un petit mur et un placard sont les éléments du décor de notre caverne d’Ali Baba, où tout bascule par la force créatrice de l’eau et la puissance de nos imaginaires. La métamorphose peut donc s’opérer. Elle apparaît, puis disparaît, une jambe par ici, une tête par là. C’est gagné, le corps se libère ! Tout devient langage, tout se transforme  tant que cela a du sens. Les petits canards, probablement échappés d’une baignoire, sont ici ses compagnons de route qu’elles posent délicatement sur la platine. Ainsi, la danse des canards se mue en air d’opéra… Jubilatoire !  Tel un fluide libérateur, l’eau relie le corps biologique et le désir de créer : c’est alors que le mouvement jaillit, que l’imagination prend le pouvoir sur les convenances, que le créateur dématérialise l’objet. C’est un détournement en fa mineur !

Céline Garnavault est étonnante, car elle joue de sa voix, de son corps, de ses grimaces pour restituer aux jeunes enfants ce qu’elle perçoit d’eux : elle leur rend leur puissance à réinventer le monde, et offre aux adultes l’opportunité de l’approcher autrement. Nous rions de bon coeur tandis que les enfants, l’air sérieux, s’étonnent que le théâtre puisse à ce point les respecter. Parce qu’il rejaillit sur nous tous, «Où va l’eau ?” est un spectacle qui coule de source.

Pascal Bély – Le Tadorne

« Où va l’eau » par la compagnie O’‘Navio, d’après Jeanne Ashbé, Adaptation et mise en scène Alban Coulaud Scénographie et costumes Isabelle Decoux Interprétation Marie Blondel, du 19 au 29 janvier dans le cadre de la saison jeune public de Scènes et Cines (Ouest Provence)

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OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE

À nos mères debout.

Les applaudissements de la salle ne trompent pas. Le public, composé d’enfants et d’adultes peine à quitter les gradins. Avec «Debout» de Nathalie Papin, mise en scène par Alexandra Tobelaim, on en reste assis. L’enfant s’était pourtant couché. Au fond du trou. Victor, le fossoyeur, le découvre. Commence alors un dialogue surréaliste, enlevé, et plein d’humour : «Qu’est-ce que tu fais là ? – J’essaye de mourir – Tu n’as pas l’air de bien y arriver».  Ces deux marionnettes, magnifiquement interprétées par Sylvie Osman, semblent faites d’une matière minérale composée de nos chagrins d’enfant fossilisés par le temps qui passe. Le jeu des lumières laisse entrevoir le noir, le sable qui file entre les doigts comme si l’enfant n’avait plus prise sur son destin.

Car ce jeune garçon de dix ans, battu par sa mère, n’en peut plus. Il n’en veut plus. Victor l’encourage à se relever jusqu’à le prénommer «Debout» et le guide vers le cimetière des gitans d’où l’on peut rencontrer d’autres mères. À lui de faire ses recherches. Il a le choix. Il y croise Mère Verticale, droite dans sa botte, dont le seul sein va droit au coeur des papillons qui n’auraient pas dû passer par là ! Il y a Mère Jardin, qui enracine ceux dont la terre nourricière s’est dérobée. Plus tard, il tombe sous le charme de Mère Araignée (ma préférée !), celle qui tisse les liens pour se relier tout en se protégeant des petites bêtes rapaces ! Plus loin, il y a Décaèdre, la mère à dix mains, à tout faire et probablement à tout défaire ! Et puis, l’inoubliable «Mère des Mères», celle qui porte les valeurs, les principes démocratiques et éducatifs (certains reconnaîtront Françoise Dolto, d’autre Marcel Ruffo ou Sigmund Freud!). Par un jeu subtil de lumières, ces mères apparaissent et disparaissent comme dans le manège où nous attrapions le pompon. Ces «marionnettes – doudous», apprivoisent nos peurs d’enfant et symbolisent nos angoisses d’adultes dans notre lien à la mère.  Avec une belle agilité, Sylvie Osman nous fait naviguer entre ces deux registres pour tisser le fil d’Ariane qui relie petits et grands. Je suis alors bercé tandis que mon siège bouge par les soubresauts d’une petite fille à côté de moi…

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«Debout» a la force d’un conte moderne, à la recherche de nouveaux mythes pour éclairer la voie. Car le lien du sang est complexe : il ne peut se réduire à une approche binaire et seul le langage métaphorique permet d’en saisir les subtilités. Je comprends vite que les écritures scéniques et littéraires sont liées par une recherche sérieuse et créative : on ressent toutes les influences du travail des psychologues, des éducateurs et des professionnels de la petite enfance. Avec «Debout», le théâtre «jeune public» démontre une fois de plus son ancrage dans une société qu’il accompagne à se civiliser toujours un peu plus. Pour éviter de se coucher face à ceux qui ne l’entendent pas de cette oreille…
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Debout » de Nathalie Papin, mise en scène d’Alexandra Tobelaim a été présenté au Théâtre Massalia (Marseille) du 11 au 14 janvier 2011.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Gwenaël Morin, le transe-formateur.

Gwenaël Morin est un metteur en scène. Il a l’étoffe du bâtisseur, celui qui laisse son empreinte pour ouvrir la voie. Dèsqu’il arrive dans un théâtre (celui d’Arles par exemple), on a l’étrange impression qu’il modifie les plans, l’aspect, voire l’architecture. Pour “Tartuffe, d’après Tartuffe de Molière“, les escaliers, les loges, les recoins, les portes sont autant de plateaux pour que le théâtre s’entende. A se demander si ces lieux souvent imposants et massifs méritent bien leur qualificatif de “théâtre dans la cité“. À notre arrivée, un décor fait de cartons, de peintures photocopiées assemblées par du scotch, d’une vieille table, d’une chaise de plastique récupérée dans une salle des fêtes et d’un boudoir. Tout donne l’impression que la force se nourrit de cette fragilité. Six acteurs (Renaud Béchet, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Gwenaël Morin et Ulysse Pujo) se préparent comme des sportifs: étirements, concentration, allers et venues. Habillés comme vous et moi, ils nous regardent avec le sourire. Ils sont “agents d’accueil“! Pendant quatre-vingts minutes, ils ne vont plus nous lâcher. Ils partent au combat pour susciter le désir, pour éveiller les sens, pour nous faire plaisir comme s’il fallait nous mettre en état de tension permanente. Il y a chez Gwenaël Morin ce pari un peu fou de diriger ses acteurs tout en “malaxant” la salle, tel un sculpteur avec la pierre.

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A la sortie, on en sort presque épuisé. Comme après une transe. Car ce “Tartuffe” n’offre aucun répit. Au commencement, il y a cette scène où Orgon, couvert d’un tissu noir, hésite à descendre la marche qui le sépare du public. Il tremble, il vacille, de peur d’avancer dans l’incertitude (à l’image du peuple français?).C’est tout l’enjeu du théâtre de Gwenaël Morin: franchir la ligne, ouvrir l’espace de la représentation, nous prendre à partie. C’est alors qu’Orgon, quasiment “enburcanné” monte les escaliers de la salle suivie par sa famille, désespérée par tant de dévotion à l’égard de Tartuffe. Poursuivraient-ils l’obscurantisme? Car, combien sont-ils, dans les plus hautes sphères de l’Etat et des familles, à naviguer à vue sous l’influence de “conseillers” manipulateurs et spoliateurs?

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Tartuffe, c’est le vers dans le fruit de la démocratie et des institutions censées nous protéger de l’affairisme et de la corruption. La mise en scène restitue la violence de ce processus. Je reste fasciné par la façon dont l’acteur occupe l’espace scénique d’une table, d’un dessous de table, d’un bout de carton: tout fait corps!  Avec délicatesse, Gwenaël Morin bouscule notre représentation du théâtre patrimonial: il force notre écoute quand les acteurs chuchotent (ou complotent!); il nous aide à nous distancier des effets scéniques un peu faciles (ici, le jeu de lumières consiste à éteindre ou allumer!) et nous donne un repère (le boudoir) qui se transmet d’acteur en acteur comme un passage de témoin afin de ne pas perdre le fil de la tragédie qui se trame.

Mais surtout, ce “Tartuffe” transpire. La folie du désir est partout. Tout n’est pas tout blanc ou tout noir comme au temps de Molière. Aujourd’hui, comprendre Tartuffe, c’est ressentir toutes les ambiguïtés, tout ce qui fait “complexe”. Ici, des acteurs masculins jouent des rôles de femme tandis que Tartuffe et Orgon s’homosensualisent! Même le piège tendu par Ermine à Tartuffe pour démontrer, au mari caché sous la table, son hypocrisie est ambiguë : elle provoque le désir pour chercher la vérité par le mensonge. Alors qu’elle fait tomber une à une les barrettes de ces cheveux face à un Tartuffe médusé, le compte à rebours d’un “amour à mort”‘ a commencé. Magnifique.

Avec Gwenaël Morin, c’est par le corps que l’on manipule les consciences. Après l’avoir libéré des jougs de la religion, il est aujourd’hui l’objet de toutes les “tartufferies” qui nourrissent les rapports de force. Nos Tartuffes contemporains savent jouer avec nos désirs. Jamais la libération du corps ne m’est apparue aussi fragile.

Gwenaël Morin nous le rappele avec une force “trans(e)pirante“.

Pascal Bély, www.festivalier.net

« Tartuffe d’après Tartuffe de Molière », conception de Gwenaël Morin a été joué les 6 et 7 janvier 2011 au Théâtre d’Arles.

Crédit photo: Pierre Grobois.

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Cet article se lit en transversal.

2010…Il y a eu de beaux spectacles, 120 articles publiés, des milliers de kilomètres parcourus et un travail dans l’ombre qui éclaire…
En mai dernier, le cinquième anniversaire du blog a été l’opportunité de faire des propositions innovantes pour développer des liens qualitatifs entre le public et les institutions culturelles. L’action menée auprès de la ville d’Aubenas à partir d’un groupe de professionnels de l’éducation et du social, vu non plus comme des pourvoyeurs de spectateurs, mais comme constitué d’acteurs culturels à part entière, a permis de créer des nouvelles interactions entre la culture et la population.

Après Aubenas, est né le projet «Des spectateurs Tadorne pour Marseille Provence 2013». L’idée visait à constituer des groupes de spectateurs, de médiateurs-reporters et d’internautes pour communiquer sur la dynamique de Marseille Capitale. À ce jour, mes propositions ne seront probablement pas retenues. Mais une association, l’Union Diaconale du Var à Toulon, m’a missionné pour 2011 afin de les accompagner dans leur projet culturel vers…Marseille 2013. Tout est lié.

Il faut donc relier ce que cloisonne  une société consumériste qui enferme le lien entre le spectateur et l’oeuvre dans un rapport producteur-consommateur. Car comme le précise le philosophe Bernard Stiegler, c’est bien un modèle de relation contributive qu’il convient de promouvoir entre artistes, institutions et spectateurs pour remettre la culture dans le champ du politique. Alors, commençons par la petite enfance! Après avoir écrit un article pour la revue «Esprit de Babel»artistes, professionnels de la culture et de la petite enfance: tous ensemble!»), j’ai co-élaboré avec le Théâtre Massalia à Marseille un programme de formation-action. Il s’agira, à partir d’un cursus adossé à la programmation du théâtre, de former ensemble professionnels de la petite enfance et l’équipe de Massalia à la co-construction d’un projet culturel à destination des tout-petits. Démarrage prévu fin mars 2011.

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C’est le «côte à côte» qu’il faut promouvoir pour innover à l’image du projet «La traversée des spect’acteurs d’Avignon» proposé au Festival d’Avignon à l’automne dernier. À partir d’un groupe composé de spectateurs et de professionnels de la communication (médiateurs, chargés de communication, programmateurs), il s’agira de communiquer, tout au long du festival, sur notre traversée pour rendre compte de la force des nouveaux langages de la création. Les contacts ont été pris, des établissements culturels et des spectateurs sont déjà prêts à s’investir. À suivre…

Autre côte à côte: celui avec les artistes. La compagnie «Image Aiguë» de Christiane Véricel, basée à Lyon et ambassadeur culturel européen, m’a invité à deux reprises pour partager leurs réflexions:  en juillet avec leurs partenaires puis en décembre à Palerme au cours d’un processus de création avec les enfants. Ainsi, un spectateur a participé au projet  de la compagnie. Stimulant.

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Car, l’enjeu est là: comment créer des liens qualitatifs avec les spectateurs pour impulser ce modèle de relation contributive? Le Tadorne a donc formalisé, à partir d’un document (envoi sur demande), des propositions à destination des établissements culturels. Après avoir initié en 2010 deux débats avec le public et moi-même («Y’a des HO ! Y’a débat !»), le Théâtre des Salins de Martigues est prêt à poursuivre l’aventure en 2011, en amplifiant les processus: écouter différemment la parole des spectateurs, co-construire avec les amateurs des projets de communication autour du théâtre, faire la fête ensemble. À suivre… D’autant plus que j’accompagne  pour la ville de Martigues, la fusion du conservatoire de musique et de danse. Tout est lié…
En 2010, il a donc fallu communiquer sur cette approche, sur mon positionnement hybride. Dans un article paru avant l’été, le journal La Scène a  porté un regard positif sur le Tadorne. Deux émissions de radio ont permis de le promouvoir: «Des fourmis dans les jambes» de Gaëlle Piton sur IDFM et «Masse Critique» de Frédéric Martel sur France Culture. L’animation d’une tribune critique participative au Festival Off d’Avignon m’a donné l’occasion de  démontrer que l’on pouvait tous porter un regard critique sur les oeuvres en mobilisant ses ressentis. Les nouveaux langages de la création le permettent largement!
2010 fut une belle année pour le Tadorne. Je remercie Bernard Gaurier, Francis Braun, Laurent Bourbousson, Elsa Gomis, Sylvain Pack, Charles Buneux de s’être investis dans cette aventure en publiant à mes côtés; aux artistes (ils se reconnaîtront!) pour leur soutien et leur écoute; à tous les professionnels pour leurs encouragements et leurs conseils. A vous lecteurs, toujours plus nombreux.

2011 promet d’être bouleversante. Le Tadorne y gagnera des plumes pour opérer sa mutation.

Pascal Bély – www.festivalier.net.

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Ce blog n’est pas ce que vous croyez…

Après le bilan artistique de 2010 publié la semaine dernière, je vous propose celui du blog, proposé par Google Analytics. Premier épisode

L’audience du site.

Avec plus de 67 000 visiteurs uniques, le blog a connu une audience en hausse de 62% par rapport à 2009. Le nombre de pages vues s’établit à 118000 (+30%) et 63% des visites sont issues d’internautes venant pour la première fois (+26%). Le site a gagné en notoriété et la progression du trafic démontre qu’il s’est durablement installé dans le paysage internet de nombreux professionnels et amateurs. Les records d’audience journaliers se situent lors du Festival d’Avignon (avec 600 visiteurs uniques par jour). C’est une période où le spectacle vivant est fortement médiatisé; c’est aussi un moment important pour le Tadorne, présent tout au long du festival. Cette démarche est à l’origine de la création du blog (d’où l’adresse www.festivalier.net).

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Le canard Tadorne.

Toutefois, deux chiffres posent question.

Le temps de navigation a baissé de 30% tandis que le nombre de pages par visite est passé de 2,22 à 1,77. À quoi l’attribuer? À la longueur des articles, à leur qualité, à leur compréhension? À l’ergonomie du site? Si le Tadorne a gagné en quantitatif, aurait-il baissé qualitativement? Ce mouvement s’amplifiera-t-il dans les mois qui viennent? Sans étude auprès des internautes, il est bien difficile de répondre à ces interrogations. Il est probable que les lecteurs lisent en diagonale les articles pour en connaître la teneur globale sans rentrer dans les détails. C’est probablement une tendance de fond dans la mesure où la critique est généralement réduite à une ou deux phrases accompagnées de pictogrammes sur des sites “grand public” (Allociné par exemple). À noter que la durée de lecture s’allonge dès qu’une vidéo illustre l’article…

Les pics d’audience.

En dehors de la période du Festival d’Avignon (pic le 19 juillet), 5 articles ont pulvérisé l’audience:

Le 18 octobre, une vision critique sur le fonctionnement du théâtre du Merlan à Marseille.

Le 14 juin, l’intervention d’un élu à la culture UMP de Saint-Germain-en-Laye (Benoit Battistelli) visant à déprogrammer un spectacle de danse «Méli-mélo 2 Le retour» du chorégraphe Philippe Lafeuille a provoqué un fort émoi.

Le 30 juin, un article plutôt critique sur la prestation d’Anne Teresa de Keersmaeker au Festival Montpellier Danse.

Le 28 juin, période de publication autour de Montpellier Danse, du Festival de Marseille et à quelques jours d’Avignon.

Le 12 novembre, la première chronique de Charles Buneau («Spectateur, je prends le pouvoir pour vous le rendre”)

Le 22 novembre, article au titre songeur, «Je n’entends pas, ne comprends pas, c’est très intéressant»

Ainsi, les chroniques rencontrent les suffrages des internautes (porteraient-ils leur part du scandale qui excite tant notre curiosité?). Elles démontrent l’absence d’une vision critique dans d’autres médias sur le fonctionnement du spectacle vivant, à partir d’un regard de spectateur.

Pour l’année 2010, les dix articles les plus lus

1) “A Marseille, le Théâtre du Merlan perd de l’argent par magie et se délocalise(octobre 2010)

2) “L’anus horribilis de Cecilia Bengolea et François Chaignaud” (Août 2008)

3) “Gainsbourg ? Gallotta ? Bashung: chou blanc” (novembre 2009)

4) “Le Théâtre d’Arles focalise, loin de la photographie de Lucien Clergue” (Mai 2007)

5) “L’abstention progresse“. (mars 2010)

6) “Avec Anne Teresa de Keersmaeker, nous sommes entrés dans la nuit?” (juillet 2010)

7) “Au festival d’Avignon: F. Fuer?Fuerza”  (juillet 2010)

8) “Je kiffe pour cet Hamlet-là”. <>(octobre 2010)

9) “Un dimanche avec Pina Bausch. Toute une vie” (avril 2006)

10) “En « subsistance », un chef d’oeuvre“. (mars 2010)

L’article sur le Théâtre du Merlan, en ligne seulement depuis octobre, caracole en tête pour l’année 2010. Il y avait probablement une attente qu’un média dénonce certains comportements et fonctionnements de cet établissement. À ce jour, la direction n’a jamais réagi. On notera également l’article sur Cécilia Bengoléa et Françis Chaignaud publié en 2008! La nature du spectacle et le titre de la chronique drainent les amateurs de cul…La longue tournée de Jean-Claude Galotta explique le succès de la critique sur le blog (d’autant plus que l’on y évoque Gainsbourg et Bashung). Pour le reste, les grands noms de la danse attirent toujours (mais pas ceux du théâtre à l’exception d’Hamlet!) comme certaines expressions dans le titre de l’article (“chef d’oeuvre“,  «je kiffe», «l’abstention progresse»). Une petite curiosité dans ce classement: l’article sur le photographe Lucien Clergue qui est pourtant mal classé sur sa page Google. Mystère…

Les mots clefs

Google est à l’origine de la moitié des visiteurs qui viennent pour la première fois. Par quels mots?

« Tadorne / Le Tadorne / Pina Bausch / Festivalier.net / festivalier / pascal bély / Cecilia Bengolea et François Chaignaud / Camille enceinte / pipo delbono / Thomas Ferrand»

Ouf! C’est par le Tadorne et festivalier avec de beaux noms par la suite (Pina et Pipo) qu’arrivent les nouveaux lecteurs. Seule la chanteuse Camille met un peu de people dans ce classement.

Au final, la lecture de ces statistiques donne une image quelque peu différente du site. On y ressent un blog engagé, orienté vers des grands noms de la danse et de la nouvelle génération des performeurs. Il y a encore du chemin pour que le Tadorne soit un espace de débat sur la toile (la faiblesse des commentaires en témoigne) même s’il provoque des échanges en dehors du net.

Et vous, cher lecteur? Quelle est votre analyse? Vos commentaires tout en bas seront appréciés!

Deuxième partie du bilan demain….

Pascal Bély – www.festivalier.net