Catégories
ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS

pascal.rambert.com

De nombreuses institutions culturelles ont une politique offensive de communication. Elles produisent plaquettes, se positionnent sur les réseaux sociaux de l’internet, ouvrent des comptes sur Youtube ou Dailymotion. Elles produisent des petits films vidéo promotionnels, souvent joliment bien faits. Mais que véhiculent ces supports? Est-il possible d’exercer un “arrêts sur images”, à moins que l’exercice ne soit vain? Premier exemple avec une vidéo postée sur la page Facebook du Théâtre de Gennevilliers dirigé par Pascal Rambert. Quatre minutes et dix-huit secondes qui ont suscité une réaction critique de Pascal Bély, du Tadorne. Un débat s’est alors engagé (dont nous vous proposons une synthèse, puisqu’il s’est engagé avec de nombreux interlocuteurs) avec Neige Mélanie Chereau (metteuse en scène et blogueuse théâtre), Gilles Groppo (comédien et assistant à la mise en scène de Pascal Rambert sur sa dernière création) et Pierre-Jérôme Adjedj auteur et metteur en scène. Au cœur du débat: que révèlent la forme et le fond de cette communication institutionnelle?

Pascal Rambert dans le film: Le théâtre de Gennevilliers, un lieu simple, pas prétentieux…je crois que c’est le futur des lieux comme çà, des lieux ouverts, chaleureux, où on se dit que si on n’y va pas, on a raté quelque chose…et ça peut être super agréable d’y passer du temps…c’est là dessus que je travaille, sur le désir, toujours je travaille sur le désir

Pascal : Et des lieux qui n’ont pas besoin des ficelles de la com. pour susciter le désir!

Neige Mélanie: devant la profusion d’information, il est normal que les lieux culturels  utilisent les mêmes ficelles que les autres pour se faire connaître. C’est de bonne guerre…

Pascal: Si je prends au pied de la lettre ce que tu écris, c’est à désespérer des artistes. Ils n’ont pas à utiliser les ficelles qui enferment la pensée (que je sache, la communication, c’est de la propagande) mais au contraire, ils doivent les transcender! Dans cette vidéo, on peut enlever TDG et le remplacer par un lieu de consommation. L’effet est le même. Cette vidéo me désespère, car j’ai besoin que les artistes résistent. Et non qu’ils se fondent dans un moule qui, de toute façon, n’est pas fait pour eux.

Neige Mélanie: je comprends bien. Franchement on ne peut qu’être d’accord avec ce que tu dis. Mais à ce moment-là on arrête les affiches et les tracts… et c’est terminé. On est bien obligé aussi de se battre avec les armes de son ennemi parfois… On peut aussi voir ça comme un acte de résistance.

Pascal : ce n’est pas sérieux! Ce film n’est en rien un acte de résistance. C’est de la publicité. On peut aussi arrêter les affiches et les tracts et travailler les réseaux à partir d’une communication sur le sens et les valeurs.

Neige Mélanie: Le réseau c’est aussi une manière de ne jamais rester qu’entre soi. Or, j’aime la politique d’ouverture de Gennevilliers qui essaye de faire venir au théâtre des gens qui n’y vont pas… Mais ce n’est pas un film destiné aux Parisiens… le T2G communique énormément avec le public de Gennevilliers, mais il est utopique de penser que ça suffit. Il faut buzzer pour que les choses se fassent connaître dans le brouhaha d’infos. Et ce genre de film est adressé à tous, les franciliens et les autres… Après il sera toujours temps de créer du buzz avec des objets artistiques, et c’est le cas avec ces photographes et auteurs invités à créer autour de Gennevilliers et de ses habitants.

Pascal : A quoi sert cette énergie pour communiquer ainsi, alors que tout le monde sait que c’est insuffisant pour faire venir du public? Ce clip, n’est-il pas un objet “narcissique” où le TDG se fait du bien, se renvoie un beau miroir. Peut-on en 2010 résumer un théâtre à son dirigeant ? Un théâtre c’est une équipe, des réseaux, des spectateurs: ils sont cruellement absents dans ce film. C’est un film qui reproduit le schéma vertical du pouvoir et nous empêche de voir et de penser les horizontalités. Ce clip n’est destiné qu’aux tutelles. On instrumentalise la communication vers les spectateurs à d’autres fins. D’autre part, Pascal Rambert nomme dans ce film des processus, comme s’il voulait se convaincre lui-même de leur validité. À titre d’exemple, ai-je besoin de communiquer sur la confiance si j’ai confiance en vous ?

Gilles: Et si vous arrêtiez de critiquer les directeurs qui osent encore nous proposer des programmations aussi variées, et qu’enfin vous vous concentriez sur ce gouvernement qui ne cesse de baisser les subventions. Proposer une telle diversité est un challenge auquel peu de directeurs s’essaient de nos jours avec des budgets aussi faibles.

Pierre-Jérôme : pitié, arrêtez de tous sortir l’argument budgétaire à chaque fois qu’il y a polémique : c’est vraiment devenu un bouclier anti-discussion dans tout le monde culturel français. Chaque critique se termine par “c’est ça, continuez, de toutes les façons bientôt on sera morts, et vousaurez tout gagné”! Figurez-vous que je connais plutôt bien tout ça : je suis en train de monter une production, et c’est tout sauf facile en dépit de partenaires assez sympathiques. Mais comme je suis par ailleurs entre Paris et Berlin, la différence sur le ratio créativité/moyen est tellement frappante que je trouve indécent de se plaindre!

Gilles: Le théâtre de Gennevilliers est devenu un lieu ouvert et chaleureux, le public rajeuni augmente chaque année, c’est un lieu unique par sa conception et qui nous propose des artistes de tout horizon qui sont de vrais créateurs ! Si vous êtes si malin, trouvez-nous de vraies solutions pour amener de l’argent !

Pascal: Gilles, est-ce possible de poser le débat là où il est ? Je réclame le droit à la critique, et cela n’entache en rien la qualité de la programmation du théâtre de Gennevilliers. Le pouvoir en place rêve de ce type de vidéo, où le théâtre est une “marque”, au même titre que d’autres services publics. D’autre part, la personnalisation du pouvoir politique entre en résonance avec ce film où l’on n’entend que “je”.

Gilles: cher Pascal, posons le débat calmement, je suis d’accord… Le théâtre se meurt ! Pourquoi ? Parce que c’est un art qui n’est plus médiatisé, parce que c’est un art dont on ne parle qu’au sein d’une communauté de plus en plus restreinte…Qui descend encore dans la rue pour défendre nos droits? Se servir aujourd’hui des mêmes moyens de communication me paraît tout simplement vital, et cette vidéo ne me choque en rien, je préfère parler du contenu de la programmation, c’est tout…Encore une fois, Pascal, ne nous trompons pas de débat et conservons nos forces pour la bonne cause !

Pierre-Jérôme : Je rejoins Pascal sur le fait que ce film est une forme d’auto-promo assez narcissique. Rambert dit : “un lieu simple et pas prétentieux”, c’est comme les gens qui s’autoproclament “généreux”, “bons”, charitables” etc. je trouve toujours ça un peu curieux et décalé. Et effectivement, où est l’équipe, où est le public, où sont les gens sinon à travers le prisme des œuvres produites? Je suis toujours extrêmement circonspect sur les personnes qui proposent un projet de proximité, de simplicité et de décloisonnement et qui se sentent tout de même obligées de le crier sur les toits, au-delà de leur périmètre d’action. Cela soulève trois hypothèses, dont aucune n’est exclusive de l’autre : la première, c’est que Rambert ne croit pas tout à fait à ce qu’il dit. La deuxième c’est qu’il ne peut pas se contenter de la réalité du projet (et des difficultés inhérentes à cette ambitieuse et louable entreprise), pas assez belle à l’oeil parisien; il lui faut donc maîtriser son image en produisant un beau film auto-célébrant la générosité de sa démarche. La troisième, c’est que ce film est destiné au Ministre de la Culture et aux diverses tutelles…

Gilles: Vous rendez compte de la difficulté de faire venir le public parisien à Gennevilliers? Pascal Rambert a réussi a transformé un lieu froid et vide, en un véritable lieu de rencontre et un espace chaleureux … Montrer que ce lieu est unique par sa conception n’est pas à négliger !

Pierre-Jérôme : Certes Gilles… Pour être venu au T2G avant Pascal Rambert je ne peux que confirmer que le lieu a été pris “à bras le corps”, et de façon tout à fait pertinente. Et concernant le projet, d’accord aussi : même si personnellement j’avais été agacé par le rapport aux amateurs dans “la micro-histoire”, ça ne m’empêche pas de reconnaître la validité globale du projet, qui détonne effectivement par rapport à pas mal d’autres théâtres…Vous parlez de la difficulté à faire venir le public de Paris ? Est-ce un but en soi ? Le public de Gennevilliers et ses environs ne vous suffit pas ? Ces foutus Parisiens n’ont pas besoin qu’on leur déroule le tapis rouge : ce serait tellement préférable qu’ils entendent le “bruit” qui gronde à Gennevilliers, sans com’ tapageuse, et qu’il se dise “mince, je suis en train de louper un truc, ou bien…”. Je suis peut-être un peu extrémiste, mais je me dis que le public du coin a mérité d’être le centre du monde (ce qui se produit apparemment dans le réel).

Neige Mélanie: mais voyons, ce n’est pas un documentaire sur Gennevilliers ou un court métrage artistique…! C’est un film sur le théâtre et ses activités. Et personnellement la présence de Rambert ne me dérange pas, car cela donne une image intime personnelle et accueillante du théâtre. Cette personnalisation n’est pas sans rappeler ce que font les Américains. D’ailleurs, ce film n’est-il pas destiné à l’étranger? Pour cela il faut faire quelque chose d’assez simple aussi, de clair et présentable.

Gilles: Aujourd’hui, le véritable problème aussi touche la difficulté de faire vivre sur la durée un spectacle dans le monde de l’art contemporain propre à faire vivre les artistes qui se défendent tant bien que mal depuis 2003… Nous autres, artistes de surcroît, ne sommes jamais cités ou mis en avant et les spectacles se construisent sur le nom du metteur en scène ou du chorégraphe et il devient de plus en plus très difficile de survivre…

Pierre-Jérôme : Pourquoi ne pas faire un film qui fasse la part belle aux gens dont parle Rambert ? Pourquoi ne pas concevoir des objets filmiques étranges, pourquoi pas sous forme de série, qui mette en scène ce qui se joue, dans tous les sens du terme, au T2G ? Ca ça créerait du buzz, interpellerait le parisien, qui se dirait tout à coup “et moi alors, on ne m’a pas invité ?”. Sous cet angle, le T2G se poserait en “place to be”, sur la base d’une réalité exposée de manière créative; et le mélange dont tu parles se ferait sur une base pour une fois équitable, les parisiens venant enfin en banlieue sans leur casque colonial. Or, que voyons-nous là? un film dont le titre pourrait être “Rambert, ce héros” (tu apprécieras le jeu de mot j’espère :-) ), où il se montre, se surmontre. Ceux qui connaissent PR assurent que c’est quelqu’un de simple, étranger à toute vanité. Soit, mais alors, il s’est fait avoir par les personnes qui ont tourné ce film ! Car ce truc trimballe dans son inconscient tout ce qui me fait dire qu’il est tourné vers les Parisiens et les tutelles…

Gilles: “un film qui fasse la part belle aux gens dont parle PR “, existe déjà et sous différentes formes… Que dire des films qui sont tournés in situ à Gennevilliers, avec des gens de Gennevilliers…Que dire des Ateliers d’écritures ouverts à tous les gens de Gennevilliers gracieusement… Que dire des multiples spectacles où on a vu des gens de Gennevilliers présent sur scène et il y en aura d’autres très bientôt (et croît moi leur témoignage est poignant)… Enfin tout ça !

Pierre-Jérôme :  pardonnez-moi, mais le film produit une impression inverse de la réalité que vous décrivez.Vous dites “oubliez un peu l’homme”, mais comment faire à la vision d’un film Ramberto-centré ? À mon avis, le film ne raconte pas votre travail, il fait vitrine, de la manière la plus classique qui soit.

Pascal: ce débat pose pour moi une question essentielle. Peut-on longtemps enfermer le lien spectateur –structure culturelle dans  une approche de la communication de masse?  Je reconnais à Pascal Rambert de louables efforts pour ouvrir ce lien. Mais ce “clip” est venu annuler la représentation que je me faisais de ce théâtre. Tout change parce que rien ne change! J’aurais presque envie de lancer un défi aux structures culturelles: baissez de moitié vos budgets communication et développez vos relations humaines. Car le théâtre n’est pas une marchandise. C’est parce que les structures changeront le lien, que la relation avec le politique évoluera. Sinon, elle est condamnée durablement à se fossiliser dans un schéma infantilisant.

Merci à Neige Mélanie, Gilles et Pierre-Jérôme pour leur participation à ce débat et d’avoir accepté sa retranscription sur le Tadorne.

 Pascal Bély – Le Tadorne

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES PAS CONTENT Vidéos

Anne Teresa de Keersmaeker ne fête pas les 30 ans de Montpellier Danse.

“C’est une pièce culte”; “A ne pas manquer”; “comment ça, tu ne l’as pas encore vue?”. La pression est forte à la veille de “Rosas Danst Rosas” d’Anne Teresa de Keersmaeker, jouée au Festival Montpellier Danse. Cette pièce, créée en 1983 pour quatre danseuses (dont la chorégraphe) est une oeuvre majeure du répertoire de la danse contemporaine. Car, comme le précise Wikipédia , “certains aspects de cette oeuvre marqueront les bases chorégraphiques des pièces d’Anne Teresa De Keersmaeker notamment quant aux circulations élaborées et l’utilisation du motif de la spirale”.  Vingt-sept après, elle est toujours là, avec trois danseuses de la compagnie.

Je suis au premier rang, métaphore du premier de la classe, bien décidé à passer l’examen avec succès. Mais, au fond de moi, une certitude: le lien avec une oeuvre de danse ne se commande pas. Je sais par expérience que c’est un art qui laisse chez chacun de nous des empreintes, où le spectateur élabore son histoire, loin d’être linéaire. Je pressens aussi que “Rosas Danst Rosas” vient un peu tard dans le lien que j’ai tissé avec Anne Teresa de Keersmaeker . Sa création “the Song, vue à l’automne dernier, résonne encore. Je sais ce soir que je ne suis pas là où le festival Montpellier Danse m’attend. Je sais que je suis ailleurs. 

Pendant plus d’une heure trente, mes émotions sont à distance. Cela ne passe pas alors que l’oeuvre est un chef d’oeuvre. Mais précisément, c’est de là où je la regarde. Je me sens écrasé par ces quatre femmes sublimes. J’observe leur danse comme si j’objectivais tout, à la recherche de ce qui fait “chef d’oeuvre”. Je ne m’en sors pas. Mais Anne Teresa de Keersmaeker n’est pas avec nous. Une intuition. Son visage est souvent fermé comme si elle ne pouvait pas être là. Comme si les 30 ans de Montpellier Danse la statufiaient au moment où elle prépare sa nouvelle création pour le Festival d’Avignon. À mesure que “Rosas Danst Rosas”  avance, le climat est de plus en plus lourd dans la salle. J’entends des soupirs d’exaspération, mon voisin somnole et je ne vois qu’elle. Son visage. Son corps. Je me remémore son répertoire, “The song” vu à Nîmes, “Steve Reich Evening à Cavaillon en avril 2007, deux folies de danse, deux empreintes. Mon premier article sur le blog, c’était pour elle, en 2005. À chaque mouvement du quatuor, je feuillette notre livre d’histoire. 
Ce soir, elle danse mécanique, je les regarde calculateur. Elle paraît souffrir, je n’ai aucune empathie. Elle non plus. Le quatrième et dernier tableau où elles dansent pendant plus de trente minutes quasiment un même mouvement qui se déploie du carré au circulaire, finit par ouvrir une brèche: je referme le livre.
Je commence à bouger.
Pascal Bély– Le Tadorne
“Rosas danst Rosas” d’Anne Teresa de Keersmaeker. Les 25 et 26 juin 2010 au Festival Montpellier Danse.
Crédit photo: Tristram Kenton
Catégories
LES JOURNALISTES!

Ecoutez la différence.

v10_logo.jpg

Le jeudi 10 juin sur IDFM 98.0 FM , Gaëlle Piton  et Maxime Fleuriot (journaliste pour le magazine Danser) ont abordé, dans leur émission ?les fourmis dans les jambes ?, les “sites et blogs de danse?quand la presse tisse sa toile“.

Étaient invités,

Cédric Chaory, site www.umoove.fr

Jérôme Delatour, http://imagesdedanse.over-blog.com/

Et moi-même.

Cette émission donne une image assez juste des positionnements de chacun et des questionnements qui nous traversent.

L’émission est à écouter ici: http://files.me.com/gaelle.piton/uso1oc.mp3

À noter que l'émission de Gaëlle Piton a lieu tous les 2ème jeudi du mois. Même la radio peut danser.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

Catégories
LA MUSIQUE EST DANSE LE GROUPE EN DANSE Vidéos

Au Festival de Marseille, la danse K.O. debout.

C’est le premier rendez-vous de la 15ème édition du Festival des Arts Multiples de Marseille dans ce lieu symbolique, la Salle Vallier, si bien imagé par Apolline Quintrand , la directrice: “Dédiée à la boxe, au sport, aux combats politiques, temple des grands concerts rock/pop et de la danse dans les années 80, la Salle Vallier affiche deux messages, l’un venu du ring: se relever très vite quand on tombe, le second inhérent à la scène : transformer en de nouvelles arborescences des contraintes à répétition”. Je découvre le cadre et l’ambiance plutôt conviviale, à l’image des théâtres bruxellois pendant le KunstenFestivalDesArts. Cette atmosphère n’est pas sans influence sur le spectateur, prêt à entrer en résonance avec la danse, en confiance, avec ces danseurs “fous” et ces chorégraphes qui jouent de nos imaginaires.

la_vie_qui_bat-c-guy-borremans-3.jpg

Ce soir, c’est la Canadienne Ginette Laurin qui, avec “La vie qui bat”, affronte sa première rencontre avec le public marseillais! Neuf danseurs et pas moins de douze chanteurs et musiciens de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée pour jouer en continu la partition répétitive et envoûtante de Steve Reich. La métaphore du ring s’avère alors passionnante: comment la musique se laisse-t-elle explorer pour vivre sa métamorphose tandis qu’un chef d’orchestre et qu’un chorégraphe mouvemente?

Les voilà qui arrivent pas à pas, de derrière de grandes lamelles en plastique (les coulisses seraient-elles l’entrepôt de notre société de consommation?) avec leurs cheveux rouges et roux qui créent la filiation, leurs vêtements gris et chauds qui les étouffent en ce mois de juin et leurs chaussures noires qui les plombent au sol. À première vue, ils ne paraissent pas très légers, alourdis par le poids d’une charge, en total décalage avec un tempo africain inspiré par l’expérience de Reich au Ghana.

Le combat peut commencer. Sans qu’elle n’épouse la musique, la danse va l’explorer en convoquant la poésie, omniprésente, pour créer tout à la fois le désordre et la précision. En détachant parfois un danseur du groupe, Ginette Laurin nous offre l’opportunité d’entrer seul dans la musique, pour isoler certaines notes et ressentir  autrement le mouvement dansé. Le groupe peut continuer en fond de scène, il ne nous perd pas. Entre Reich et Laurin, il y a  comme du coton afin que les corps ne se fracassent pas sur ce tempo endiablé et ensorcelant. Les chaussures amortissent les sons et évitent que les mouvements partent en “live”. Le temps de l’écoute s’installe peu à peu pour que le corps du spectateur soit en éveil permanent tout en lui offrant des espaces pour contempler sans scruter.

Progressivement, la danse nous aide à poser notre regard sur le mouvement là où il nous est imposé, tant de fois ailleurs. Elle s’ouvre même au langage des signes, à la danse classique, à des cadences du corps social qui amplifient le son (sens) de la poésie.  Ici, les duos explorent le lien sans tomber dans la fusion, le groupe danse le lâcher-prise sans se laisser aller. Ensemble, ils prolongent la musique: ça porte et ça vous déporte! On finit par être impressionné par cette danse de l’amorti alors que la musique intensifie le chaos, que la lumière accompagne plus qu’elle n’éclaire un espace profondément habité.

Alors que le groupe contient la musique pour nous la restituer moins répétitive, nous voilà emportés par cette danse de l’égarement. Tandis que la fin approche, je me sens plongé dans un liquide amniotique et rêve de les voir nus, débarrassés de leurs déguisements, pour que le corps musical me déplace. Au loin.

K.O couché.

Pascal Bély  – www.festivalier.net

“La vie qui bat” de Ginette Laurin a été jouée les 17 et 18 juin 2010 dans le cadre du Festival de Danse et des Arts Multiples de Marseille.

Crédit photo: © Guy Borremans.

Catégories
L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

La belle odyssée du théâtre des idées.

Le bonheur au théâtre est chose rare. Il existe quand il nous embarque dans une histoire commune, où se joue ce qui nous rassemble, où se constitue dans la salle une assemblée de spectateurs prête à écrire une constitution pour un nouveau contrat culturel et social! « La Petite Odyssée », mise en scène par Grégoire Callies du Théâtre Jeune Public de Strasbourg, épopée en trois tableaux d’une heure chacun, est l’acte politique et artistique que nous attendions en ces temps de perte totale des valeurs et des repères.

Imaginez, un théâtre de marionnettes, qui convoque petits et grands pour nous entraîner dans la folle histoire des idées (du Moyen-Age à la fin de la deuxième guerre mondiale) où les innovations, l’art et les  conflits s’enchevêtrent tandis que la mise en scène et les décors font la fête pour que l’intelligence du spectateur mobilise tout “le sensible disponible”!

Tout commence avec Odyssée, une jeune fille qui vient de perdre son père. Nous sommes au Moyen-âge. Alors que son petit monde s’apitoie sur elle, elle va parcourir le Monde, le traverser de siècle en siècle, comme un remède au  malheur, à l’isolement, à l’analphabétisme. Son émancipation est à ce prix. Sur sa route, elle rencontre Bernie, jeune castra à la voix d’or. Enfant de la balle, il occupera bien des emplois, croisera tant de penseurs et de chercheurs qu’il finira par incarner l’évolution de notre condition sociale. Ces deux personnages mettront bien du temps à se déclarer, car leur relation complexe est un alliage subtil entre le coeur et de la raison, la culture et l’intuition, l’engagement politique et la lutte sociale. Le spectateur peut imaginer toutes les alchimies.

Nous voilà donc embarqués pour trois tableaux, où la mise en scène épouse les siècles et les courants. Incontestablement, Grégoire Callies est l’homme de son temps, prêt à révéler dans le deuxième tableau  ce qu’il cachait dans le premier (du Siècle des Lumières à l’époque des mécaniques, mais chut!). En convoquant Leonard de Vinci, Diderot, Rousseau, Delacroix, il nous émerveille à partir de dialogues et de décors foisonnants. Le cinéma s’incruste dans le jeu d’acteurs pour mobiliser notre regard d’enfant, notre créativité comme si nous étions toujours propulsés au croisement du « moi » (mon théâtre d’enfant) et du « nous » (ce qui nous relie quand nous allons au spectacle). C’est si beau que tout semble possible parce que tout se croise, s’enchevêtre, se débat et s’ébat. On croirait les marionnettes danser tandis que le corps se libére peu à peu au fil des siècles.

Les décors se succèdent les uns après les autres et je suis submergé par le souvenir des images des “Éphémères, épopée familiale de plus de six heures d‘Ariane Mnouchkine. Grégoire Callies a trouvé son “théâtre du soleil”. Les dialogues sont merveilleux parce qu’ils sont habités par une utopie qui se diffuse dans toute la salle! Nous voilà embarqués avec Harriet Tubman qui sauve les esclaves noirs pour les emmener au Canada. Nous sommes estomaqués par le courage de Flora Tristan qui soustrait Odyssée de la prostitution alors qu’elle se trouve à Londres. Heureux spectateurs que nous sommes d’entrer en résonance avec ces héros dont on parle si peu et qui pourtant incarnent nos valeurs d’aujourd’hui!

odyssee1.jpg

En même temps que nous traversons ces trois tableaux, notre regard de spectateur évolue à l’image de la composition de la salle. Les enfants présents dans le public au premier épisode se font plus rares quand est abordée la Deuxième Guerre mondiale qui voit débarquer un groupe de jeunes scouts! Les enjeux se complexifient, le théâtre est alors moins visuel et plus cérébral. La vision est plus pessimiste à mesure que l’on plonge dans les horreurs de l’humanité. La mise en scène finit par s’alourdir pour ensommeiller l’enfant qui en nous. Comment raconter l’inimaginable aux enfants? Il semble alors évident que Grégoire Callies fait un théâtre pour adultes destinés aux enfants. Il convoque tant de personnages (Albert Einstein, Sigmund Freud, Hitler, Germaine Tillion, Milena Jesenská et Margaret Buber, ..) que cela devient étourdissant! L’emballement de l’Histoire jusqu’à nos jours est un appel presque désespéré du théâtre à nous ressaisir alors que le monde peine à trouver une voie, un combat commun contre un oppresseur invisible (le marché financier).

C’est alors que l’on quitte notre “petite Odyssée” sonné. Mais plus courageux qu’en y entrant pour sauver Odyssée et Bernie de leur triste condition, oppressés par les logiques de la dictature des médias et de leurs financeurs.

Oubliés par le politique qui pense que les idées ne sont plus un théâtre.

Pascal Bély– www.festivalier.net

“La petite Odyssée”, trilogie, mise en scène par Grégoire Calliés; Théâtre Jeune Public de Strasbourg: le 12 juin 2010 au Théâtre Massalia (Marseille).

Crédit photo: Anémone De Blicquy.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Pina Bausch et sa Cour d’Honneur des spectateurs d’Avignon.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=24OGMYw8CTE&w=287&h=230]

Nuit, le jour ne s'est pas encore levé. 12 juin, une heure du matin,presque le silence dans les rues d'Avignon, mais on entend quelques voix de noctambules?Dans quelques heures, le Festival ouvre sa billetterie aux habitants d'Avignon.

La ruelle de l'Hotel du Cloître Saint-Louis est éclairée par quelques lampadaires et de loin, on devine dans une pénombre humide quelques silhouettes  debout, d'autres  assises, il y a même quelqu'un couché sous une couverture écossaise. Certains  parlent à voix basse pour ne pas réveiller les locataires et les résidents de l'hôtel, d'autres s'assoupissent?Le temps pour eux ne semblera pas trop pénible.

La fin de la nuit va être longue, mais nous sommes tous là pour le plaisir et « parce que nous le voulons bien ». Animés par la passion du Théâtre depuis plus de 10 ans, ce samedi de juin devient un rituel.

Nous sommes là pour la grande messe : salut Vilar, salut la Cour d'Honneur, salut Faivre d'Arcier, salut Crombecque, salut les actuels dirigeants, salut Pina, salut tous ces moments inoubliables, salut Flower, salut « Dans les eaux glacées du calcul égoïste“, salut “Venise sauvée des eaux“, salut Jean Pierre Bisson, salut Jean-Marie Willing, salut Ariel Garcia Valdès,  salut tous ces fantômes, salut les salles inconfortables, salut la chaleur, salut l'étouffement, salut les sous-titres, salut les files d'attente,  salut les applaudissements, salut l'ennui, bonjour la découverte, salut les textes, salut les comédiens, standing ovation pour l'inconnu 2010 ou les houlalala d'une mauvaise représentation, salut ces quelques jours de juillet, salut l'éblouissement, salut , on attend?

Nous sommes tous là dans l'expectative. À la fois heureux, optimistes, réjouis, mais néanmoins inquiets. Tous un peu brumeux dans nos têtes, mais toujours fidèles,  nous nous saluons, prenons de nos nouvelles (« ah bonjour, déjà un an, cela fait plaisir de vous voir, et la dame, petite frisée, elle n'est pas là, oh je vois là-bas la dame qui vient toujours à la pointe du jour?.Et le monsieur avec la barbe, et tiens on a changé de meneur de revue ? »)

J'entends la personne bénévole qui s'occupe de noter scrupuleusement les noms des gens par ordre d'arrivée. Nous sommes tous là, comme sur le plateau de la Cour d'honneur, spectateurs soudain devenus comédiens d'un jour, jouant notre propre rôle pour une pièce dont nous pouvons être les jouets.

Il y N?, belle femme aux cheveux gris, qui se ballade avec des dossiers  très lourds, des chemises et des comptes-rendus. Elle vient tous les ans et cette fois-ci, arrivée à minuit, elle est 4ème dans la file d'attente. Elle n'a pas dormi et ne cesse de parler. Son enthousiasme nous fait un bien terrible. Elle a vu tellement de choses, tellement de spectacles. Elle assiste à toutes les conférences, écoute tous les débats, c'est sa cure d'Avignon, Contrexéville de la culture, sa cure de Jouvence, sa source Hépar de bonheur. Elle se souvient de tout et même si on somnole un peu, elle continue à nous bercer de ses souvenirs?.On lui demande néanmoins de se taire un peu?.

N?.la parlote facile, le débit du souvenir?.Elle ne veut jamais aller aux premières, elle déteste Duras, elle a une passion pour Warlikovsky, n'aime pas les Deschiens et leur critique facile?..Elle nous parle de « Cocaïne » avec un souvenir ému, mais fatiguée, elle se prépare pour son propre marathon. Elle veut des places, échange des idées, veut absolument obtenir un tarif réduit, elle a raison, elle va prendre des réservations pour quelqu'un. Elle aura ainsi le quota souhaité?.25 places minimum et ce sera moins cher. C'est toujours trop cher, mais nous sommes obligés de comprendre la situation.

M?. elle reste discrète. Elle est lovée dans ses écharpes ?doudous, elle a amené son Thé-Biscuits sans beurre, elle est porcelaine à franges, elle a du mal à se réveiller, mais elle semble heureuse. Pour elle, c'est le moment de quitter son Ipod, ses oreilles de fortune qui sont l'écho de France-Culture. Elle va enfin assister, elle va se délecter, elle va être contente. Il ya un an qu'elle attend. Elle a ses idées, n'en démord pas, elle veut ne pas perdre de temps, et refuse certains spectacles. Elle ne s’attend pas à des miracles, mais elle sait garder le sourire.

Il a la petite dame frisée- 70 ans -cheveux blonds, tellement guillerette, sourire aux lèvres, pétillante qui ne prend jamais de place pour elle mais pour ses amis. « Cette année, me dit-elle, je vais quand même aller à la Cour d'Honneur?pour une fois, je vais me faire plaisir ! ». Entre parenthèses, c'est comme si la Cour était gage d'excellence et de qualité?

Soudain?..une dame avec sa couverture de laine écossaise fait les cent pas?elle est âgée, avec des lunettes et un fichu pour se protéger de l'humidité. Elle ne cesse de faire des allers-retours. À pas comptés, tête baissée, comme dans un marathon?

Pina-Bausch-1.JPG

C'est là qu'une idée me traverse l'esprit?.ET SI ELLE MARCHAIT  ainsi  DE LONG EN LARGE  sur le Plateau de la Scène de la Cour d'honneur?Voilà, c'est ça, je vois tout. C'est enfantin. Le spectacle est presque fait. Ne manque que les paroles. Le son est là?et, à vrai dire faut-il des mots pour sous-titrer ce que nous vivons à l'instant présent.

C'est là encore que je vois Pina Bausch qui apparaît dans un songe et nous devenons alors en une seconde, sa troupe, ses comédiens. La dame fait ses allers-retours, les autres prennent leur petit-déjeuner, les autres somnolent, râlent et discutent?Tout est LA .

En ce lieu, en ce temps, à cette heure, avec eux?Il y a tout pour faire un spectacle.

Chaque personne  sera LE COMEDIEN Il ne faut pas les habiller, il faut les laisser tels qu'ils sont.

Ils sont EXCACTEMENT comme on les aurait souhaités.

Il y a cet homme, sur son tabouret, cette femme sous un ?linceul de laine tricotée, il y a ces gens qui font un pique-nique, thermos, biscuits, assiettes et leur chien qui mange les miettes.

Monsieur barbe blanche nous évoque un souvenir de Télérama, une dame n'arrête pas de râler contre le directeur de la liste des noms, l'autre l'engueule lui disant qu'il faut savoir apprécier de tels moments, qu'il faut positiver?

Il y a ce mec qui va acheter des croissants pour tout le monde, l'autre qui veut aller faire pipi?Il y a ceux qui arrivent trop tard, déçus d'être le 80ème, ceux qui sont étonnés, ceux inquiets?
Tout le monde se joint, s'agglutine, commence à parler fort. Les éboueurs aussi sont là, le vacarme de leur voiture, des volets qui s'ouvrent, pas de musique, mais quelques oiseaux se réveillent.

Tout est là et rien ne manque à ce décor.

L'Hotel devient le Mur du Palais, le chien des pique-niqueurs est le Berger allemand de Pina, la dame à la couverture est Godot?.C'est formidable, tout a l'air fabriqué, et malgré tout, tout est vrai. Mais, tous, autant que nous sommes, restons à la merci d'un homme, un seul homme qui règne  sur nous comme un despote?En maître de cérémonie, il prend notre nom, nous regarde avec circonspection et nous inscrit sur une feuille blanche ?LA FAMEUSE LISTE d'ATTENTE.

D'un ton autoritaire, il nous oblige à rester sur place et nous  interdit de quitter les lieux avant 7 heures du matin sous peine d'être rayé, effacé, supprimé de la liste, annihilant ainsi tous nos efforts.?.

Nous devons attendre, attendre, attendre jusqu'à l'heure fatidique où Le Cloître Saint-Louis ouvrira ses portes et nous donnera le sésame si convoité : ce numéro dans la file d'attente qui nous permettra d'accéder aux ordinateurs-donneurs de billets.

Ainsi, munis du notre numéro (on se croirait a la sécurité sociale) nous pouvons enfin quitter ce lieu magnifique à la condition d'y revenir à 9 heures précises, heure qui sonne le début de la délivrance.

À neuf heures, nous voilà tous à nouveau réunis.

Nous attendons, fébriles, l'allocution de la directrice de la billetterie.  Un accueil très chaleureux. Un a un, nous rentrons dans la salle des ordinateurs?Chacun se trouve dans « sa bulle »?..et ressort avec parfois des liasses de billets impressionnantes. Avec le jour qui s'est levé,  revient très vite la réalité.

La lumière du jour fait tomber le décor. Nous sommes bien au Cloître Saint-Louis, Pina a disparu, les gens partent, chacun de leur côté?Nous avons quitté les Comédiens d'un matin,  nous avons repris nos habits de tous les jours. Nos yeux sont fatigués, mais  les gens sont heureux?..ils on ENFIN en main, les portes du Théâtre.

Il faut attendre maintenant quelques semaines pour entendre les trompettes de Maurice Jarre, on ne verra pas Pina, mais?

L'année prochaine, même lieu, même heure si vous le voulez bien.

Francis Braun – www.festivalier.net

 

 

Catégories
L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

Camille poétise ma “scène d’amour’.

C’est Félix le chat qui chipe la flûte du charmeur de serpents pour réconcilier les amoureux.

C’est un vieux clown anglais qui joue avec des bulles de savon.

C’est un scarabée qui fait du vélo dans une assiette.

C’est un gospel interprété par des chiens avec une dresseuse de caniches en justaucorps.

C’est un concert de verres en cristal avec à l’écran une mouche qui fait l’acrobate.

C’est trois boulons et une capsule de Heineken qui font le spectacle sur une boîte à musique.

C’est Camille enceinte qui fait du hula hoop sur scène.

C’était hier, dans un Paris désert pour cause de foot : la cinquième et dernière carte blanche de la chanteuse Camille  à l’auditorium du Louvre avec toujours pour consigne : associer pour le temps d’un ciné-concert, cinéma muet et musiques actuelles. Cette fois le thème choisi était le cirque, et le partenaire Clément Ducol (son acolyte sur la tournée de Music Hole) La soirée fut sans doute moins hilarante qu’en mars où l’on traita de fantômes, mais atteint ?en témoignent mes frissons sur la peau- des sommets de poésie. Car le plaisir ne fut pas cérébral, mais émotionnel. De l’ordre de la première gorgée de bière, de la broutille qui attendrit, du futile qui rend sens à nos vies.
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=bOOn9n6jja4&w=410&h=218]
Pour en être convaincu, il suffit d’écouter Edgar Morin qui déclare dans une récente interview au Monde: « Dans la résistance à la cruauté du monde et à la barbarie humaine, il y a toujours un oui qui anime le non, un oui à la liberté, un oui à la poésie du vivre ».

scenedamourmaximeruiz.jpg

À des années lumière de la fragilité des ailes de mouches, des bulles savons et du cristal des verres de Camille ; la puissance et la force d’être soi de Juha Pekka Marsala qui présenta « Scène d’Amour (in cut) » dans le cadre de June Events , le festival de la chorégraphe Carolyn Carlson. Le spectacle est accompagné pour la première fois en live par le groupe de pop The Dø dont Olivia Merilahti, la chanteuse, est d’origine finlandaise tout comme Juha Pekka Marsalo.

Il débute avec la ronde de trois danseurs. Avec rage et brutalité, ils n’ont de cesse de projeter leurs corps sur le sol. Pourtant dès qu’ils le touchent, comme victimes d’électrochocs, ils se raidissent et repartent dans la ronde. Je repense alors à une autre chorégraphe, Julie Nioche pour qui « Toutes ces activités qui ne produisent que de la perte représentent et transpirent tout ce qu’il y a de plus humain en chacun de nous : courir à sa perte*».

En effet, plus tard, en pleine discussion, ils seront atteints d’un syndrome similaire : alors qu’ils échangent avec les autres, l’un d’eux est soudain pris d’une douleur aiguë au niveau du c?ur. Ils s’effondrent puis reprennent tout naturellement part à la discussion. Le coup de foudre ? Ils l’ont pour les trois danseuses qui les accompagnent et revêtent pour un temps leurs chemises trempées de sueur. Parmi elles, la petite fée Sara Orselli, danseuse prodigieuse par son énergie et sa capacité à interpréter. Quand elle entre dans le carré de lumière qui définit la « scène d’amour », on lit dans son visage la gourmandise d’être courtisée et quand elle traverse avec majesté le rideau de perles qui sépare les danseurs des musiciens de The Dø, Sara paraît ne plus toucher le sol, elle glisse littéralement jusqu’à nous.

Le spectacle fini, nous participons à une improvisation collective, buvons du champagne pour fêter les 10 ans du festival et regardons se consumer dans la nuit de fines bougies qui crépitent.

À mille lieux de ceux qui font le monde, de ceux qui perdent et de ceux qui gagnent, je trace un lien invisible entre la fragilité des bulles de savon de Camille et la puissance des danseurs de Juha.

S’éblouir devant presque rien ou ressentir la brutalité d’être soi, tout semble avoir le même but, juste se sentir vivants. Si les danseurs s’effondrent de tout leur poids, ils se relèvent pour reprendre leur place dans la ronde. Dans « Scène d’amour » comme dans la vie, il semble qu’il faille lâcher prise pour éprouver le bonheur d’être soi.

Elsa Gomis – www.festivalier.net

 « En piste ! » de Camille était la 5e et dernière soirée de sa Carte Blanche à l’Auditorium du Louvre le vendredi 11 juin 2010 et « Scène d’amour (in cut) » Juha Pekka Marsalo avec The Dø, était présenté le samedi 5 juin 2010 dans le cadre du festival June Events à La Cartoucherie de Vincennes.

Crédit photo: Maxime Ruiz.

————————————

*Citation extraite du DVD La Sisyphe, Les Sisyphes.

 

Catégories
DANSE CULTE LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES Vidéos

Le Tadorne a cinq ans : Bel anniversaire.

Trois blogueurs dialoguent suite à la pièce du chorégraphe Jérôme Bel,  « The Show Must go on ».  Jérôme Delatour d’Images de Danse et Guy Degeorges d’Un soir ou un Autre assistèrent à la représentation au Théâtre de la Ville à Paris en mai 2010, Pascal Bély du Tadorne au Théâtre des Salins de Martigues en février 2005. Avec un étrange dénouement pour ce dernier…


Jérôme
Delatour : « The Show Must go on », de Jérôme Bel, est une pièce créée en 2001 que je devais avoir vue et qui, en effet, est importante. On l’associe à la “non-danse”, un hypothétique courant de la danse contemporaine qui fait crier certains. Et encore plus quand la chose est interprétée, comme depuis 2007, par les danseurs du ballet de l’Opéra de Lyon !

Aucune importance.

Pascal Bély : C’était important. Le 4 février 2005, au Théâtre des Salins de Martigues, la salle est clairsemée. Dès les premières minutes du spectacle, la tension est palpable, alors que nous sommes plongés dans le noir, pour une attente interminable. A cette époque-là, je vais au spectacle pour me divertir et je ne saisis pas encore que la danse est un acte politique. Quand au courant de la « non-danse », j’en ignore son existence…

bel.jpg

Jérôme Delatour : Que voit-on ? Sur un plateau nu, 30 jeunes gens en habit de ville, dont seize garçons, debout face à nous, les bras ballants. Quand une chanson survient, ils dansent, quand elle s’arrête ils s’arrêtent. Les chansons se succèdent jusqu’à la fin, à la manière d’un jukebox.
Les spectateurs qui s’en tiennent à ce premier degré de lecture sont évidemment déçus. Ceux qui admettent qu’un spectacle puisse être politique y voient une métaphore ; une métaphore du totalitarisme moderne, du fascisme libéral planétaire. Voilà des individus sans volonté qui obéissent au doigt et à l’oeil. C’est glaçant, parce qu’ils nous ressemblent trait pour trait. Oh ! plus d’uniformes ni de canons, plus de morts ni de larmes ; plus que jamais, l’horreur se joue en coulisses, à l’insu de notre plein gré.


Guy Degeorges : Tu métaphorises, et c’est symptomatique. Tu réagis à ta façon. Tu n’as pas le choix.

Plutot que de manipulation, je parlerai ici de provocation. Dans une logique de performance. Tu interprètes à un niveau politique. D’autres spectateurs du théâtre réagissaient selon leurs moyen propres: à voix haute, en chantant, riant, en écrivant des sms, etc… L’intérêt de cette proposition  est de créer une relation inhabituelle entre spectacles et spectateurs. Comme l’on dit souvent “le spectacle était dans la salle”. Puisque Jérôme Bel prenait le partie de ne pas présenter de danse “dansée”, ni signifiante, que de l’absence d’action ou de la danse pauvre et de refusait de répondre à toutes nos habituelles attentes. Je ne vais pas jouer le rôle du râleur ou du reac de service. Il se passait des choses intéressantes. Une dame chantait très bien. Mais, à la vérité, je me suis ennuyé. Car la situation pouvait paraitre libératrice dans un première mouvement, mais devant au fond manipulatrice et enfermante: nous perdons la possibilité de critiquer car nous sommes devenus partie prenante du spectacle. Il devient impossible de se situer “à l’extérieur” 

Pascal Bély : Oui, pour la première fois, j’étais dedans. Et c’était là le plus extraordinaire. Pour la première fois, un chorégraphe m’interpellait : « tu fais partie du jeu ». Non que je puisse monter sur scène, mais que la danse était une interaction entre le spectateur et le danseur où circule le désir. Quelle découverte ! Je me souviens encore de la salle : des sifflets, des hurlements, des cris de joie. Je  m’enfonçais dans mon fauteuil, intimidé, joyeux, apeuré, ?Pour la première fois, je me sentais exister comme spectateur parce que j’étais TOUCHE et qu’un artiste venait chercher le « ça », le « surmoi » et tout le « tralala ».

Jérôme Delatour : Jérôme Bel se livre à un exercice de manipulation malicieux. Il opère un choix ouvertement tendancieux dans l’immense réservoir des tubes planétaires, les détourne avec ironie. Chaque refrain devient un slogan, une injonction à faire, à être, à rêver, pense à notre place, nous berce, nous tue. La pop héritière de la fanfare militaire, et nous bons petits soldats de la consommation, marionnettes marchant au doigt et à l’oeil, le doigt sur la couture d’un jeans Diesel. Et post musicam, animal triste.

Guy Degeorges  : C’est cet aspect qui est douteux, jusqu’à toucher au procédé. Je cite la feuille de salle (complaisante comme toutes les feuilles de salle) “Le DJ enchaine les rengaines des quinze dernière années qui soudain se répandent en effluves de souvenirs et picotent au coin du coeur” Autrement dit, l’effet “radio nostalgie”?

Pascal Bély : Il fallait ce procédé pour travailler la posture du spectateur. Qui n’a pas dansé sur ces tubes ? Qui n’a pas désiré en écoutant ces ritournelles ? Oui, cela picotait mais au-delà de cette sensation, il y a avait cette question : « que fais-tu là dans cette salle de spectacle ? ». C’est à partir de ce processus, que les spectateurs ont commencés à s’engueler dans la salle. « Mais ce n’est pas de la danse » me lance une femme furieuse ! Et moi, de lui répondre : « mais madame, la danse ce n’est pas que du mouvement ». Je me souviens encore de cette réponse ! Mais où étais-je allé chercher ça ?!

Jérôme Delatour : Evidemment, la musique n’est pas en cause. Ni John Lennon ni Céline Dion, dont le crime essentiel serait la mièvrerie ou le bon sentiment (et la compatibilité totale avec la société mercantile), ne sont des dictateurs en puissance, mais celui qui exploite, organise, systémise, transforme leurs fleurs en pilules et en munitions. Qui est-il ? Où se cache-t-il ? C’est alors seulement qu’on le remarque, tapi dans la fosse d’orchestre. Une espèce d’Ubu de l’ombre qui passe les disques. Nous ne tenons qu’à un disque. Le DJ est un dieu, “Killing me softly with his song“. Dieu est un DJ. A ce point de sa démonstration, Jérôme Bel lâche un peu les danseurs et se met à jouer insidieusement avec les nerfs du public.

Guy Degeorges  : CA faisait un bout de temps qu’il jouait avec les nerfs…dépuis le début.

Jérôme Delatour : Oui, c’est bien de nous dont il s’agit dans cette pièce, au cas où nous ne voudrions pas l’avoir remarqué. Dès le début, histoire de nous conditionner, il nous avait plongés dans le noir en nous distillant des chansons entraînantes ou niaises. Soudain, lumière rouge et Piaf. Puis retour au noir complet avec “The Sounds of Silence” (“Hello, darkness my old friend…“).

Guy Degeorges  : Avoue que les ficelles sont un peu grosses, et les jeux de mots faciles! “let the sun-shine“: et la lumière monte, “Yellow Submarine“: les danseurs disparaissent dans les cintres sous une lumière jaune, tout à l’avenant. On serait plus sévère en écoutant ça sur une scène de café-théâtre. Mais une fois de plus, on se situe hors tout jugement esthétique possible, hors de l’esthétique.   

Pascal Bély : Oui, on est hors de l’esthétique. C’est au niveau du processus que l’on peut lire cette pièce, sinon c’est l’ennui assuré (quoique s’ennuyer est aussi un positionnement défensif). Bel ne vient chercher aucun savoir, mais intranquilise une posture, celle du spectateur, que bien des programmateurs ont confortablement installé dans un fauteuil moelleux. C’était la première fois que le public de Martigues vociférait de la sorte et ses cris étaient un acte politique. Je me souviens avoir fait le lien avec les protestations du public quand, en 2003 en Avignon, il n’avait pas eu ce qu’il voulait.

Jérôme Delatour : Et rebelote. Chanson. Lumière. Silence. Noir. Chanson. Silence. Lumière. Ces méthodes ne vous rappellent rien ? Le public est électrique, désarçonné. Il voudrait maîtriser la chose, mais il est pris au piège. Alors ça trépigne, ça crie des bêtises, ça pianote sur les portables, ça prend des photos… Le premier qui publie sur Facebook a un prix !

Guy Degeorges  : Je l’ai fait, je l’ai fait! J’ai posté 50 commentaire sur facebook en direct et qu’ai je gagné? Rien du tout. A part avoir faire rire Pascal peut-être. Et ça m’occupait les doigts. Cette tentative pour me situer hors du jeu et inventer une nouvelle réaction était vouée à l’échec. J’étais manipulé; Dans ce contexte, tout comportement inhabituel devient légitime, récupéré, partie intégrante du système spectaculaire. Sur le coup cela m’irrite; mon premier réflexe est de dire “on m’a déjà fait le coup” du non-spectacle. J’ai eu la même réaction face à certaines propositions performatives (cf. les gens d’Uterpan). Sans que cela n’explique les raisons de mon irritation car je peux réagir favorablement à la répétition d’autres procédés spectaculaires…  

Pascal Bély : En 2005, il n’y avait pas de Smartphone…

Guy Degeorges : En refléchissant à ta réaction, lorsque que tu étais un “jeune” spectateur, cela n’implique-t-il pas que cette proposition n’a d’intérêt que pour un public relativement vierge, habitué à des codes de représentation plus conventionnel? Pourrais tu revoir cette piece?

Pascal Bély : Encore aujourd’hui, en écrivant sur ce « show », l’émotion me submerge car c’est mon acte de naissance de « spect’acteur ». La revoir, serait de vivre un « dedans-dehors » jubilatoire.

Jérôme Delatour : Ca reprend les refrains en coeur, ça sa dandine un peu, ça agite son portable à défaut de briquet (jamais vu autant de portables allumés), histoire de ne pas perdre la face.

L’apprenti tortionnaire poursuit ses expérimentations. Que se passe-t-il si chacun emporte sa musique avec soi, casque aux oreilles ? Jérôme Bel a prévu le coup. Hé bien il ne se passe rien de plus.

Guy Degeorges  : Non il ne se passe jamais sur scène- c’est fait exprès, c’est le concept. Il se passe des choses dans le système salle-scène.

Jérôme Delatour : Les individus ne sont pas libérés, juste isolés, en prise directe avec des pensées préfabriquées, emmurés dans le paradis artificiel des égos hypertrophiés. “Should I stay or should I go? » “I’m bad“. “Je ne suis pas un héro“. “J’adore“. “I’m gonna live forever“. “I’ve got the power“.
Entretemps, le DJ aura dansé lui aussi. Finalement, ce n’était qu’un sous-fifre. Mais alors, qui est le grand manipulateur ? Allons allons, nous nageons en pleine théorie du complot. Nous ne sommes manipulés que parce que nous le voulons bien. The Show must go on, sinon il nous faudrait regarder la réalité en face, avoir du courage, la volonté d’être et de faire quelque chose.
Et si on essayait ? Ne serait-il pas grand temps de nous secouer, plutôt que de bouger notre anatomie ? 

Guy Degeorges  : You’ve got to move it, move it? C’est le mot de la fin, façon dessin animé ?

Pascal Bély : « You’ve got to move it, move it ». En quittant le théâtre, je chante points serrés. « Mais pourquoi vas-tu au spectacle ? Pourquoi gueulaient-ils ? Je suis un spectateur. Je suis un spectateur »
. Emancipé ? Le 22 mai 2005, je créais le Tadorne.

Jérôme Bel, sans rien savoir de mon histoire, fut le premier chorégraphe à mettre le lien du blog sur son site.

Guy Degeorges, Jérôme Delatour, Pascal Bély.

Catégories
PAS CONTENT

En France, en 2010, un élu est intervenu pour déprogrammer une oeuvre chorégraphique.

En 2009, au Festival Off d’Avignon, je découvrais stupéfait,Méli-mélo 2 Le retour” par la Compagnie Chicos Mambo emmenée par le chorégraphe Philippe Lafeuille:  «…même quand il s’amuse de la danse contemporaine, il ne la caricature jamais. Vous ressentirez la présence de Zouc, c’est pour dire. Avec des airs de ne pas y toucher, ils relient tous les courants de la danse comme si tout n’était qu’une question d’amour. Mais ne croyez pas qu’ils soient des enfants de coeur : ces quatre-là ont une histoire dont on devine à peine les chapitres. Ils ont travaillé pour être là. Faire rire pour nous éclairer sur un art fragile demande une culture, un désir d’ouverture, une croyance inébranlable dans le collectif. Plus que jamais nous avons besoin de ces acrobates parce que la danse mérite son cabaret, pour qu’on y célèbre l’orgie de la tolérance ».

À l’époque, je me doutais que l’oeuvre aurait quelques difficultés à s’imposer auprès des programmateurs, tant la danse est devenue un sujet sérieux. La semaine dernière, à Saint-Germain-en-Laye, au lendemain de la première des Chicos Mambo, l’élu à la culture UMP Benoit Battistelli fait pression pour faire annuler une représentation prévue en matinée. Il obtiendra gain de cause tandis que la séance du soir fut maintenue.

Alerté par cette situation, l’auteur et metteur en scène Pierre-Jérôme Adjedj  envoya un mail au maire de Saint-Germain-en-Laye, Emmanuel Lamy.

Une lettre essentielle, qui rappelle aux élus leur rôle à l’égard de la culture et aux spectateurs que le spectacle vivant est aussi là pour nous déplaire…

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

“Monsieur le Maire,

J’ai appris aujourd’hui avec émotion que vous étiez intervenu pour demander l’annulation d’une représentation de la compagnie Chicos Mambo, au seul motif que le contenu vous a choqué / déplu / incommodé (rayer la mention inutile s’il y en a, et compléter si besoin).

Je me permets de vous dire qu’une telle attitude relève pour le moins de l’ingérence dans le travail de l’équipe du Théâtre de Saint-Germain, et un désaveu sur ses choix. Je dois cependant admettre que de telles situations sont loin d’être rares; partout en France, des salles municipales aux réseaux nationaux, du nord au sud et de l’est à l’ouest, ce triste spectacle se reproduit. J’y vois trois raisons principales, symptomatiques d’une déviance quant à la façon de positionner la culture:

– Trop souvent, le payeur (vous) se sent le droit de vie ou de mort sur les choix artistiques (qui relèvent de l’équipe que vous mandatez).

– Trop souvent aussi, la culture n’est utilisée par les élus que comme un mieux-disant à visée électoraliste, ce qui entraîne un alignement des choix artistiques sur “ce qui plaît”.

– Trop souvent enfin, le payeur (vous toujours) peut finir par confondre son goût particulier avec le goût général.

Or, le rôle d’une institution culturelle est justement de proposer au public ce qu’il ne sait pas encore qu’il aime; c’est à cette seule condition qu’on peut sortir de cette logique de consommation qui finit par gangréner le spectacle vivant et l’aligner sur la télévision et le cinéma commercial.

Je n’ai aucun conseil à vous donner, mais de mon point de vue, vous avez tout à gagner à laisser entrer dans votre ville la surprise, l’inattendu, le déroutant, le choquant pourquoi pas… C’est comme un bon froid sec : ça fouette le sang et ça aide à se sentir vivant, ça pousse à parler à l’autre, à le rencontrer au lieu de le côtoyer seulement dans la promiscuité en velours de la salle de théâtre. Cette vie dans la cité n’a pas de prix, elle stimule la capacité à inventer l’avenir !

 A l’inverse, si votre objectif est de laisser vos administrés se confire dans le conformisme des idées reçues, alors ne dépensez plus un euro dans la culture, c’est de l’argent gâché ! Le conformisme, nous y glissons toutes et tous sans même nous en apercevoir si rien ne vient nous réveiller. Supprimez le budget culture, les élus chargés de la voirie et des bacs à fleurs vous béniront, ainsi qu’une grande partie de vos administrés.

Comptant sur votre bon sens et votre sens des responsabilités, je vous prie d’agréer, Monsieur le Maire, l’expression de ma considération distinguée…

Pierre-Jérôme Adjedj, 

Auteur / Metteur en scène

Catégories
PETITE ENFANCE

Allons enfants de la fratrie…

 En ce samedi ensoleillé, le village de Fuveau près d’Aix en Provence, résonne de cris d’enfants et de sons du bout du monde. On danse sur la place, on joue avec des morceaux de bois, on modèle, on pétrit. Le festival “Des étoiles plein la malle“, organisé par un collectif de parents, accompagne les éducateurs du jeune enfant à faire entendre une musique différente de celle du divertissement « industrialisé » proposé par la télévision et les parcs de loisirs.  Alors que je déambule dans les rues du village, je ressens tous ces enfants sous ma responsabilité?

Nous sommes nombreux à nous rendre à l’école primaire pour le spectacle « p’tites formes pour p’tits bouts » de Charlotte Smither. En entrant, elle dort recroquevillée dans sa roulotte en bois. Elle ne tarde pas à se réveiller pour emmener parents et enfants au coeur d’une épopée poétique en pays fraternel. Car la fraternité ne se décrète pas et le rôle de l’artiste auprès du tout-petit est peut-être là : le guider à ressentir ce lien puissant, mais fragile, lointain et pourtant accessible, mais qui lui donnera l’énergie pour appréhender avec sécurité les aléas d’un monde ouvert et multiple.

roulotte.jpg

Cette roulotte est notre espace de divagations qui permet à Charlotte Smither de créer un univers entre sommeil et éveil, entre terre fleurie et ciel d’étoiles, entre paroles « espérantées » et danse des profondeurs de l’âme. Elle fait l’éloge de la lenteur (celle du temps nécessaire à l’émerveillement), joue avec l’espace pour nous faire tourner la tête, et s’illumine de petites lucioles pour nous redonner espoir alors que tant de bruits nous aveuglent. Les enfants crient parfois, ensorcelés par sa danse. Car ce voyage au c?ur de l’Europe (il fait penser aux déplacements du peuple tzigane, berceau de notre culture métissée) n’est pas de tout repos : il faut partir, rester un peu, puis s’en aller à nouveau. Elle n’a pas de papier, si ce n’est cette carte postale d’un amoureux transi, qu’elle nous tend comme un geste d’amour.

Charlotte Smither réussit à réunir parents et enfants dans un lien qui va bien au-delà de se divertir ensemble : elle nous projette pour illuminer notre conscience collective d’êtres solidaires.

Parents, artistes, professionnels : unissez-vous. C’est avec des petits bouts que l’on construit les grandes roulottes pour nos migrations fraternelles.

Pascal Bély, le Tadorne

« p’tites formes pour p’tits bouts » par la Compagnie Bout d’Ôm a été joué le 5 juin 2010 à Fuveau (13) dans le cadre du festival “Des étoiles plein la malle”.