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FESTIVAL D'AVIGNON FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES

Au Festival d’Avignon, Federico León: no future.

Voilà une oeuvre qui provoque de nombreux débats: agacements et enthousiasmes s’entrechoquent. Il en est ainsi des oeuvres complexes. Avec « Yo en el futuro », le jeune cinéaste et metteur en scène argentin Federico León trouble. Même quand on en sort vide,  à l’image d’une proposition qui se jouerait en dehors de vous. Mais où a-t-elle bien pu se nicher? Trois enfants, trois adolescents et trois personnes âgées regardent un écran de cinéma, télécommande à l’appui. Ils se ressemblent étrangement et l’on imagine aisément qu’ils sont de la même famille, d’une tribu identique. Un film familial des années 50 tourné par le patriarche (lui-même projeté dans la famille des années 70) finit par être vu sur la scène du théâtre. C’est une mise en abîme sans fin, à l’image d’un miroir dans le miroir. Le cinéma s’invite donc au théâtre : pluridisciplinarité, transdisciplinarité ?

La note d’intention du spectacle pose quelques questions passionnantes: « Que se passe-t-il lorsque des jeunes d’aujourd’hui actent à l’identique, ce que leurs ancêtres ont acté avant eux » ; « Qu’est-ce qui change réellement et qu’est-ce qui se répète ? » ; « Qu’est-ce qui se transforme et qu’est-ce qui s’oublie ? ».

Aux interrogations prometteuses, Federico León ne répond pas (ou si peu). Empêtré dans cet enchevêtrement, il semble préoccupé pour donner du sens à sa mise en scène alors que le film (de toute beauté) transcende à lui seul les générations avec une force incroyable. Le théâtre finit donc par regarder le cinéma, mais ne s’y projette pas. Les corps sur scène se statufient, comme tétanisés en l’absence d’une direction d’acteurs à la hauteur des intentions de l’auteur.  Un chorégraphe aurait peut-être pu travailler la dynamique du changement et de la  transformation. Mais ici, le théâtre est un écran (de fumée) qui nous isole du film : symboliquement, nous aurions pu protester pour que le rideau se lève!

La scène est autre chose que le prolongement linéaire d’un plan de cinéma : elle donne à voir le « jeu », “l’implicite”  dont la transmission des codes culturels. Au lieu de cela, les acteurs passent leur temps dans les coulisses. Federico León ne sait plus quoi nous dire à partir de cet enchevêtrement, parce qu’il ne pose jamais un contexte aux différents cycles vitaux de la famille. Tout semble hors du temps en l’absence d’un propos qui traverserait les époques.

Federico León a fait un très beau film et a réussi à positionner de très attachants spectateurs sur scène. Quant au public, il m’est apparu exclu du théâtre, perdu dans cette articulation.

Que ferons, de ce processus, la future génération de spectateurs  ?

Pascal Bély

www.festivalier.net

“Yo en el futuro” de Federico Leon a été au Festival d’Avignon du 20 au 23 juillet 2009.

   Crédit photos: ®Wim Pannecoucke

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, le « Ciels » terrorisé de Wajdi Mouawad.

Wajdi Mouawad, l’artiste associé du 63ème festival d’Avignon, a laissé durablement son emprunte dans l’imaginaire des spectateurs lors d’une nuit à la Cour d’Honneur, où il nous proposa sa trilogie « Littoral », « Incendies », « Forêts ». Il nous manquait la quatrième partie du quatuor qui forme « Le sang des promesses » : « Ciels ». Nous aurions préféré ne jamais l’avoir vue et n’attendre qu’une promesse.

À l’intérieur du bâtiment de Châteaublanc, nous entrons dans un espace d’expérimentation où les spectateurs, au centre, s’assoient sur des tabourets. Ils finissent par former « le jardin des statues ». Nous n’avons plus qu’à pivoter pour suivre la déambulation des acteurs sur sept scènes, telles des bulles d’une bande dessinée sans profondeur. Vidéo et art dramatique se relient dans une forme artistique hybride menacée de réductionnisme aiguë.

Ce dispositif scénique inexploité donne l’étrange impression que les acteurs  sont incrustés dans le décor d’un parc d’attractions, à défaut de s’incarner dans un imaginaire théâtral. Nous naviguons entre « Da Vinci Code » (les musées sont décidément des cibles bien utiles), « 24 heures chrono » (des terroristes manipulant la poésie et l’art menacent), et « Plus belle la vie » (quand l’intrigue se relâche). Ainsi, la forme ne soutient plus le fond, mais l’absorbe.

Pour faciliter cette hiérarchisation, Stanislas Nordey occupe le rôle de l’agent Clement Szymanowski et l’espace plus qu’il n’en faudrait. Son corps épouse le décor : lourd, droit, avec appui sur les articulations (genoux, bras). Il déclame le texte comme un mauvais Shakespeare et écrase de son regard mortifère les autres acteurs, réduits au silence à moins qu’ils ne rivalisent maladroitement avec lui. Le jeu de Stanislas Nordey abime la poésie de Wajdi Mouawad. Il incarne ce terrorisme du texte sur le corps dont souffre tant le théâtre français. Ainsi, comme dans les meilleurs moments de « 24 heures chrono », la troupe de comédiens est infiltrée par l’ennemi. L’intensité dramaturgique en pâtit et certains spectateurs sont gagnés d’un rire nerveux, signe d’un malaise qui ne fait que croître. Seule la vidéo (quel paradoxe !) permet à deux acteurs de s’échapper d’une telle main mise (impressionnant Gabriel Arcand et touchant Victor Desjardins dans le rôle du jeune Victor).

Alors que « Ciels » devait clôturer  le quatuor commencé avec « Littoral » par « un vagissement inarticulé », nous n’entendons qu’un vacarme, une bombe, posée par ceux qui n’ont pas fini de nous imposer leur jeu terre-à-terre.

Sauf que nous avons tant besoin de relever la tête pour voir d’autres archipels.

Pascal Bély Le Tadorne

“Ciels” de Wajdi Mouawad au Festival d’Avignon du 18 au 29 juillet 2009.

Crédits photo : AFP

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Au Festival d’Avignon, Pippo Delbono se rend aux fous et nous sauve.

Il s’installe au fond des gradins, bafouille quelques mots en français puis se reprend : «je dois parler italien sur recommandation du consulat». Premier accent de vérité. Rires crispés dans la cour du lycée Saint Joseph. Le metteur en scène Pippo Delbono revient au Festival d’Avignon avec «La menzogna» (Le mensonge). Le décor impose une bâtisse au long mur gris avec au centre, une ouverture de porte qui conduit dans le noir. À gauche, des vestiaires d’usine ; à droite, un cimetière avec des caveaux transparents. Au centre, plusieurs petites scènes pour assurer le spectacle et la torture. On pense immédiatement à un camp de concentration; une vision de l’enfer. La vérité ne tarde pas à venir: nous sommes à l’usine, celle de Thyssen-Krupp où en décembre 2007, sept ouvriers sont morts brûlés vifs dans un incendie. L’enquête révélera la vétusté des lieux. En Italie, trois travailleurs meurent chaque jour d’un accident du travail. À défaut d’être triste, Pippo Delbono ressent de la pitié pour toutes ces disparitions comme lors de la mort de son père.

Après un cérémonial magnifique où des ouvriers entrent dans ce four crématoire dont ils ne sortiront jamais, un film est projeté où l’on voit un aumônier italien discourir sur la financiarisation de l’économie. Le discours est implacable. Le ton est donné. Pippo redescend sur scène pour accompagner la démonstration. Au cas où nous n’aurions pas compris. N’est-ce pas la fonction de l’artiste que de descendre dans la cage aux lions ? Habillé d’un costume cravate noir, d’une lampe de poche et d’un appareil photo numérique, il se transforme en Monsieur Loyal cynique, dénonçant « le système » tout en profitant de ses largesses. Il n’oublie pas de nous y inclure en nous mitraillant en permanence. Les flashs sont autant de preuves à charge. Nous en sommes. Malaise.

C’est ainsi que pendant plus d’une heure, la troupe va défiler pour nous faire vivre cette « maison de fous », notre maison commune. Le plus étonnant des paradoxes, c’est qu’avec Pippo Delbono, la folie est une parade émouvante de corps marqués, où le cabaret ressuscite les âmes damnées pour nous expliquer ce que nous savons déjà. Mais alors, pourquoi écrire cet article ?  Qu’importe. Pipo Delbono poétise ce que Jan Fabre dégueulait la semaine dernière dans ce même lieu. C’est un système où l’on n’a de cesse d’amuser la galerie par une société du divertissement toujours plus omniprésente, prompte à répudier aussi sec ceux qu’elle a encensé. C’est un système où la seule sortie est d’emprunter le chemin qui mène vers ce trou noir. Qui plus est si vous êtes une femme où l’Eglise vous remet au placard. Ici, point de justice : une fois «inexploitable», vous disparaissez à moins que vous n’aboyiez avec les loups. Et encore. Le système aura toujours raison de votre audace et de vos lâchetés.  Dans ce monde globalisé, les artistes tels des anges jouent au chat et à la souris (à l’image du Festival d’Avignon ?) mais finissent par entrer dans le rang parce que la culture a aussi son économie  et son système d’exploitation. Tout ceci, Pippo Delbono le danse avec sa troupe inimitable de gueules cassées. Le ton monte souvent, effroyablement,  comme s’il suffisait de gueuler pour se faire entendre : est-ce le signe d’impuissance de l’artiste ?

Il faut attendre l’arrivée de Bobo (qui a vécu plus de cinquante ans dans un hôpital psychiatrique) pour que cesse le vacarme. Il a l’expérience des fous et fini par ne plus les voir. Son analphabétisme est sa protection ! Il est la figure du sage et du sauveur. Après avoir vérifié que les morts sont aussi dans les placards, Bobo nous fait don d’une parade inoubliable et s’en va chercher Pippo, nu, à terre. En le priant de se rhabiller, il lui offre la possibilité de se relever alors que le père en son temps est resté à terre. En enfilant les habits du poète, ils s’avancent vers nous pour poétiser le monde. C’est leur vérité face au pouvoir berlusconien et sûrement la nôtre. Avons-nous le choix ?

Pascal Bély – Le Tadorne.

"La menzogna" de Pippo Delbono du 18 au 27 juillet 2009 dans le cadre du Festival d'Avignon. En tournée dans toute la France en 2010 (Marseille, Paris, Bayonne, Sérignan, Caen, Toulouse, Rennes, Strasbourg).
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FESTIVAL D'AVIGNON

Rire d’amour pour la danse.

Peut-on rire de la danse ? Oui, mais pas avec n’importe qui. Avec les Chicos Mambo, vous serez en bonne compagnie. D’abord parce que ces quatre danseurs sont des acteurs hors pairs, généreux, engagés, respectueux d’un art que leur comique ne disqualifie jamais. Alors que la chorégraphe Maguy Marin nous invite à prendre la parole même si la norme l’interdit, ces quatre-là s’affranchissent des cloisons avec superbe : l’acteur danse. Tel un jardin des délices, vous passerez de l’enfer au paradis sans même vous en apercevoir parce que ce collectif est au-dessus de tout cela : la danse est avant tout une célébration de la vie.

Vous serez surpris de leur ingéniosité à se transformer pour métamorphoser votre rire en masque apaisant sur vos petites plaies du quotidien. Vous serez rassuré par ce collectif parce qu’il fait bien attention à ne jamais vous perdre : ici un souvenir d’enfance (ah, les majorettes !), là un rêve d’adolescent (devenir danseur), plus loin un secret d’adulte (je ne suis pas celui que vous croyez). Avec leurs trouvailles, ils vous aideront à réécrire votre histoire de danse.

Votre rire sera alors une explosion jubilatoire parce que vous aurez confiance : même quand il s’amuse de la danse contemporaine, il ne la caricature jamais. Vous ressentirez la présence de Zouc, c’est pour dire. Avec des airs de ne pas y toucher, ils relient tous les courants de la danse comme si tout n’était qu’une question d’amour.

Mais ne croyez pas qu’ils soient des enfants de cœur : ces quatre-là ont une histoire dont on devine à peine les chapitres. Ils ont travaillé pour être là. Faire rire pour nous éclairer sur un art fragile demande une culture, un désir d’ouverture, une croyance inébranlable dans le collectif.

Plus que jamais nous avons besoin de ces acrobates parce que la danse mérite son cabaret, pour qu’on y célèbre l’orgie de la tolérance.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Méli-mélo 2 Le retour” par la Compagnie Chicos Mambo, jusqu’au 31 juillet au Collège de la Salle. Réservation recommandée au 04 32 70 01 32

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, François Chaignaud et Cecilia Bengolea, concepteurs cherchent chorégraphe.

François Chaignaud et Cecilia Bengolea sont appréciés des Festivals. Après Uzès Danse où ils ont dernièrement présenté « Self and Others » d’Alain Buffard, ils seront à l’affiche de la 30ème édition de Montpellier Danse en 2010 (répondront-ils au souhait de son directeur, Jean-Paul Montanari qui, en les programmant ,souhaite renouveler la danse contemporaine ?). En attendant, ils doivent se contenter de la « 25ème heure » lors du Festival d’Avignon, c’est-à-dire une programmation à minuit, à l’Ecole d’Art.

Ce couple avait déjà fait parler de lui en 2008 avec « Pâquerette » en faisant le plein d’audience à Berlin et Paris ainsi que sur les blogs. Leurs « stratégies de pénétration » avaient pourtant provoqué un débat un peu mou parmi les spectateurs et la critique, faute d’un propos suffisamment fort et lisible. Même si « l’introduction d’un godemiché ne fait pas encore une danse », j’avais applaudi leur audace. Leur deuxième proposition, « Sylphides », présentée ce soir, est un concept. Saluons le projet novateur de ce duo qui se nomme « concepteur » plutôt que « chorégraphe », pour « fabriquer » de la danse. Si les mots ont un sens, rendons hommage à cette autocritique.

Qu’attendre d’un concepteur si ce n’est qu’il nous propose des formes moins esthétisantes, porteuses de sens et de vision ? Or, « Sylphides » n’est qu’une très belle esthétique du corps. Difficile donc d’évoquer ce concept sans entrer dans une description un peu laborieuse. Ici, le corps est aérien puis perd toutes ses articulations, avant de devenir quasiment liquide. Par une étrange alchimie, il se transforme jusqu’à se métamorphoser en forme dansante sur un air de Madonna. L’ambiance est totalement mortifère (la série « Six feet under » aurait-elle inspiré ?) et l’on sourit lorsque nos trois danseurs, en état de larve, cherchent une issue de secours.  Le corps est dansé de l’intérieur, mais il ne véhicule que sa propre image. C’est elle qui fait sens et confère au propos une pauvreté déconcertante. J’observe une « recherche », je recherche une « poétique «  et me voilà positionné comme évaluateur d’un  concept (il en serait sûrement tout autrement dans un espace d’art contemporain).  Conceptuellement, « Sylphides » se regarde, mais sa programmation dans un festival qui nous a proposé en son temps les plus grands chorégraphes est en soi un aveu d’échec.

Cette esthétique a de quoi inquiéter au moment où le corps est traversé par la fureur du monde.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Sylphides» de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué les 18 et 19 juillet 2009 au Festival d’Avignon.

Photo: ©Alain Monot.

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FESTIVAL D'AVIGNON LES JOURNALISTES!

Pourquoi ai-je quitté la Cour d’honneur durant (A)pollonia? Les réponses de Libération et La Croix.

Il est 1h du matin. Je quitte la Cour d’Honneur bien avant la fin de la représentation d’« (A)pollonia » de Krzysztof Warlikowski. En y entrant à 22h, je n’étais pas prêt. Bruno Bouvet de « La Croix » ressent le désarroi de certains festivaliers dont je suis: « Comment retrouver la Cour d’Honneur après l’avoir laissée sur le souvenir inoubliable de l’épopée nocturne de Wajdi Mouawad… ?». Avec élégance, il précise : « L’émotion unique de ces onze heures et demie de théâtre ressurgit régulièrement dans les conversations des festivaliers, comme s’ils voulaient prolonger le sentiment rare d’une communion théâtrale, public et artistes unis dans la même (folle) aventure ».

De son côté, René Solis de Libération ne s’embarrasse pas de cet aspect et pose immédiatement l’enjeu : «(A)pollonia» est une épreuve: « Attention, danger. Peut-être faudrait-il installer un panneau à l’entrée de la cour d’honneur. Pas parce que le spectacle de Krzysztof Warlikowski est long (4 h 30). Mais car il exige une attention permanente. (A)pollonia nous balance en terrain miné, et jamais sûr du chemin à emprunter. Si le thème a de quoi «faire peur» – Juifs, Polonais, guerre, Shoah – le traitement rassure encore moins, qui manie le paradoxe et trouve dans l’inconfort moral une ligne de conduite ».

Ce n’est pas tant le thème qui inquiète (nous avons vu d’autres en Avignon) mais bien l’inconfort dans lequel Warlikowski nous plonge. L’attention réclamée est au dessus de bien des forces. Le mistral glacial ce soir là, la visibilité réduite dès que l’on dépasse le 10ème rang, la multiplication des sources (la vidéo, deux scènes de théâtre, un concert rock, deux décors mobiles, le surtitrage) ont eu raison des meilleures volontés. A moins d’avoir une culture classique, d’être placé au centre et d’être préparé en lisant trente minutes avant la foisonnante feuille de salle distribuée à l’entrée. Ce que reconnaît René Solis : « La dispersion découle de la multiplication des sources ».

L’agencement de différents textes contemporains dont le récit d’Hanna Krall sur Apollonia Machzynska – Swiatek (mère de famille qui a été exécutée par les Nazis après que son père qui l’a caché ait refusé de se dénoncer) avec des anciens (tirés de la tragédie Grecque avec le sacrifice d’Iphigénie et Alceste) ont pour commencement une pièce de Rabindranath Tagore, « Le bureau de poste », incarnée par deux marionnettes (jouée en 1942  dans un orphelinat du ghetto de Varsovie où enfants et personnels furent gazés à Treblinka). Le spectateur est immédiatement sidéré par la beauté de l’acte artistique de Warlikowski. La suite glace la Cour quand vient se mêler des extraits des « Bienveillantes » de Jonathan Littel incarnés par Agamemnon.

Dans son article, René Solis décrit les différents tableaux. S’il salue le prologue (« pas l’once de pathos »), sa critique se complique à vouloir nous expliquer la suite comme s’il était gagné lui aussi par « l’incertitude » de l’écriture de Warlikowski puis revient sur le processus: « La force des acteurs n’empêche pas qu’on lâche le fil, dans une forêt de références cryptées. L’obscurité avant l’aveuglante lumière de la deuxième partie ».

Or, plus de la moitié des spectateurs se sont perdus ce soir-là dans cette forêt, sans clef de décryptage. À la résonance personnelle, est venu se substituer l’écho entre les époques qu’offre l’imposante scène de la Cour. Nous sommes donc quelques-uns à pointer un problème d’échelle : Warlikowski a privilégié le temps historique au détriment d’un temps de l’humain, seulement suggéré par la musique mélancolique jouée avant l’entracte par un orchestre rock. Dit autrement, Bruno  Bouvet trouve que  « ce montage impressionnant, présenté sur la scène en une suite de tableaux, laisse l’impression mitigée des oeuvres que l’on ne parvient pas totalement à cerner, faute d’en embrasser toute la cohérence. Warlikowski entraîne le spectateur dans une réflexion aussi personnelle que foisonnante, nourrie de multiples références et inscrite dans l’histoire de la Pologne, mais rechigne à en donner les clés ».

Les deux critiques terminent leur propos en saluant l’audace de Warlikowski. Pour René Solis, « il brouille les cartes, pointe où cela fait mal – le présent, la guerre israélo-palestinienne -, mais ne mélange ni ne justifie rien, porté par une colère qui risque tout » tandis que Bruno Bouvet est plus lyrique comme transporté par l’hybridité artistique de Warlikowski : « Avait-on jamais entendu Agamemnon lire un discours sur l’arithmétique guerrière, tiré des Bienveillantes ? Avait-on jamais entendu Clytemnestre lire un fragment de La Mère, le conte d’Andersen ? Et surtout, avait-on jamais assisté à la transformation de la cour d’honneur en salle de rock, grâce aux intermèdes d’une chanteuse énergique, portée par un orchestre très en verve ? »

Je reste convaincu d’être passé à côté d’une oeuvre majeure qui s’apaisera dans une salle de théâtre. La démesure de la Cour a freiné cet élan comme si ce lieu historique et symbolique produisait différentes hiérarchies (ceux qui savent et les autres ; ceux qui sont bien placés et l’arrière banc) alors qu'(A)pollonia mérite un espace plus démocratique, plus ouvert et pour tout dire, plus accessible.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“(A)pollonia” de Krzysztof Warlikowski a été joué les 16, 17, 18 et 19 juillet 2009 dans la Cour du Palis des Papes en Avignon
Photo: Christophe Raynaud de Lage.
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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au Festival Off d’Avignon, «Naître à jamais», une oeuvre exigeante.

Le Théâtre hongrois de Cluj, basé en Roumanie, présente une oeuvre forte, exigeante, dans la salle du chapitre au Théâtre des Halles. Naître à Jamais” est une histoire de survie. Survivre après les camps de concentration, survivre aux autres, à ses souvenirs,  à soi. Sur fond de Shoah, András Visky raconte l’histoire de l’homme sans nom, à l’identité non reconnue, incarne le « nous », les innocents de Guantanamo, Florence Cassez emprisonnée au Mexique.

Naître à jamais” résonne dans le monde contemporain que nous construisons, comme si l’histoire se répétait.

La découverte du théâtre hongrois vous emmènera dans des contrées non encore explorées. La barrière de la langue s’efface derrière la danse, la gestuelle, le chant et la prière de ces corps fantômes. Ils ne sont que l’ombre d’eux-mêmes, âmes errantes pour trouver un coupable à leur tragique destin.

Naître à jamais” est une oeuvre qui donne à réfléchir sur la condition des peuples, sur ce que nous laissons en héritage, sur la place de la religion dans notre rapport au monde, sur ce que nous sommes et surtout pourquoi nous en sommes arrivés là.

Un théâtre pour panser les plaies, penser nos plaies.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Naître à jamais” de Andras Visky au Théâtre des Halles en Avignon. Jusqu’au 30 juillet 2009.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

À l’École d’Art d’Avignon, les retours pacifiques des spectateurs illuminent Maguy Marin.

Maguy Marin est au rendez-vous, avec tous ses danseurs. L’École d’Art affiche complet pour cette rencontre inoubliable. Alors que la dernière représentation de « Description d’un combat » dans le Festival d’Avignon approche, le public présent fait preuve d’un beau regard critique. Une heure d’échanges qui permet à Maguy Marin et à son collectif de se poser, d’écouter, loin de Paris et des grandes métropoles.

C’est précisément du public dont il est question dès le départ. « Comment expliquer la violence de certains spectateurs pendant ou  à l’issue des représentations ? ». Ces comportements ont longtemps « abasourdi » Maguy Marin : « pourquoi cela déchaîne-t-il du terrible ? ». Il se trouve que le public se ressent « expert » en danse et ce statut lui donne de l’assurance. « Le prix du billet lui procure des droits ». Il y a donc « une responsabilité partagée entre artistes – public- directeurs de salle dans cette violence qu’il nous faut travailler ». Une spectatrice avance une autre hypothèse : « Le jour où je me suis demandé « quand est-ce que cela commence » à propos d’Umwlet, j’ai commencé à m’interroger. Vous n’êtes jamais sur le consensus et cela nous oblige à changer de regard ». Or, c’est ce changement qui provoque la tension, la rage. Il en est un autre, tout aussi brutal : « Aujourd’hui, le problème,  c’est le cloisonnement. Pourtant, ce qui relie les disciplines, c’est l’Acteur. À Avignon, on apprend tout cela et c’est Pina Bausch qui a commencé cet apprentissage ».

Pourtant, le public et les institutions continuent à cloisonner. C’est une autre sauvagerie. En réponse, Maguy Marin précise : « Il est important que des artistes, des techniciens du jeu, s’emparent d’une parole qu’une norme empêche de prendre  dont celle qui est de permettre à des acteurs étrangers, danseurs de surcroît, de s’emparer d’un texte français  classique ! ». Un spectateur ajoute : « Le public doit cesser de mettre les artistes dans des fonctions. Le combat d’aujourd’hui, c’est lutter contre la spécialisation ».

La force de « Description d’un combat » est d’être au-dessus des cases et de procurer une force étonnante : « La façon dont vous traitez les images fait son effet à long terme. Cette ?uvre est un enchevêtrement de mots et d’images qui m’aide à voir les images de guerre et de combat » ; « Je pourrais en parler autant qu’il a duré…C’est un chant funèbre pour tous les morts et toutes les guerres » ; « La lumière amplifie le sens comme si elle prenait la parole. Nous sommes dans le cheminement avec vous ».

Cette «sauvagerie » du public est bien sûr en résonance avec le sujet de la pièce, rappelé par Maguy Marin : « Il y a des hommes qui se sont engagés pour des causes et ont laissé leurs vies. Aujourd’hui, c’est un gâchis, car nous sommes constamment en guerre. La question est de savoir comment nous vivons avec le passé, la mémoire ? Comment transmettons-nous à notre jeunesse ? ». À quoi un spectateur répond : « Le mot qui me revient au sujet de votre pièce, c’est la sauvagerie. Elle est partout, même à la Cour d’honneur où les spectateurs sont prêts à prendre votre place à l’entracte ! En Europe, on se bagarre tout le temps et l’on se parle mal. Maguy Marin est notre miroir à la différence d’un musée qui n’a pas cette fonction. Vous êtes sans arrêt sur l’invention or, celle-ci est rarement recevable. C’est important que le théâtre s’empare de cette boucherie. Vous y arrivez parce que vous êtes un corps vivant à plusieurs têtes ». Le public relie la danse et le théâtre jusqu’à souligner la « très grande dignité des interprètes : ils parlent de l’horreur sans jamais nous éclabousser ».

Alors bien sûr, on aurait pu attendre que Maguy Marin déclare la paix en toute fin du spectacle, mais cela aurait supposé un autre espace, un autre temps, car « la lenteur du spectacle est l’acception de la violence inéluctable du monde. C’est assumé », affirme un spectateur.

Assumons avec Maguy Marin.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Description d’un combat”, par Maguy Marin 8 au 16 juillet 2009 au gymnase Aubanel dans le cadre du Festival d’Avignon.

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

 

 

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HIVERNALES D'AVIGNON PAS CONTENT

Aux Hivernales d’Avignon, le Hip Hop s’affranchit du sens.

“L’inéluctable solitude de l’homme, voilà le point de départ de cet étonnant duo“, telle est la présentation de “Seuls, ensemble” de la compagnie Clash 66. A l’issue de cette représentation,  ce sera aussi le point d’arrivée pour bon nombre de spectateurs à l’exception du public jeune, enthousiaste, qui acclame ce duo de hip-hop.

L’histoire est celle de la confrontation à l’autre. Elle prend place ici et là-bas, grâce aux techniques de projections sur écran. Le tout a un côté kitsch assez déconcertant. Le savoir-faire de ces deux danseurs de hip hop (Raphaël Hillebrand et Sébastien Ramirez) est au rendez-vous, il n’y a rien à redire.

Mais, mais…

L’écriture dramaturgique est épaisse comme une brindille. C’est un enchaînement de bravoure hip hopienne et l’on finit par lâcher prise. Les prouesses techniques sont là, mais le hip hop, en se déplaçant de la rue au théâtre, se doit d’être exigeant avec lui-même. Il devrait s’affranchir du geste pour aller au-delà. Le discours retenu (la confrontation à l’autre puis l’entraide) aurait mérité un travail de fond pour dépasser les images toutes faites (celles des ombres qui se donnent la main, par exemple).

En s’adressant à la jeunesse, qui est le futur public de danse, les programmateurs doivent faire preuve de plus de discernement. Avec “Seuls, ensemble”, Clash 66 laisse place à une danse sans fondement et valide l’idée que le hip hop n’a plus rien à dire.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

“Seuls, ensemble”, au Studio des Hivernales, jusqu’au 26 juillet à 15h30. Relâche le 21 juillet.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

“Ode maritime” de Claude Régy : d’Avignon, les bateaux à voiles soulèvent les âmes.

Nous avons enfin trouvé les mots bleus. Ils ont arrêté le flot de paroles assourdissantes de ce festival. Jean-Quentin Châtelain s’avance vers nous, sur ce ponton métallique, vers cet océan de spectateurs prêt à vivre une expérience poétique inoubliable. Le décor est en soi un poème. À peine les vers de Fernando Pessoa résonnent que son visage, bleu, illumine, tel un phare. Comme avec Maguy Marin dans « Description d’un combat », la lumière amplifie le sens, prend la parole, et rend mystérieux cette poésie éclaireuse.

Cet homme est navire et nous devenons brume. Nous nous apprêtons à renaître, à nous plonger dans ce liquide amniotique de mots, fluidifiés par la voix de l’acteur dont le son rappelle la vague qui s’échoue. L’homme se tient droit pour puiser nos forces et nous emmener au large. Avec lui, nous retrouvons la vue des marins, nous ressentons l’air des pêcheurs, et entendons le bruit des bateaux alors que son râle traverse nos corps. Cet homme sur ce quai mélancolique nous dépossède de nos oripeaux, appareille avec nos désirs de voyages et nous accoste lentement par ses gestes doux pour qu’on apprivoise ses terres inconnues.

La mise en scène crée des archipels où sons et lumières prolongent la poésie de Pessoa : «tout se révèle multiple». Il faut toute l’ingéniosité, voire la malice de Claude Régy (quand le son monte, nous sursautons ; quand la lumière baisse, nous plongeons) pour nous attacher à cet acteur tout en nous déplaçant : ici, le dialogue est à deux, sinon rien. Car la mer charrie tant d’histoires et d’évolutions (de l’enfance à la mort, des bateaux à voiles au paquebot, de l’esclave à l’homme moderne,…) que nous ne pouvons baisser pavillon.

Et nous voilà accrochés à cet acteur qui divague parce qu’un tel voyage n’arrive qu’une seule fois dans une vie.

« Ah, n’importe comment, n’importe où, s’en aller !

Prendre le large, au gré des flots, au gré du danger, au gré de la mer,

Partir vers le Lointain, partir vers le Dehors, vers la Distance Abstraite,

Indéfiniment, par les nuits mystérieuses et profondes,

Emporté, comme la poussière, par les vents, par les tempêtes !

Partir, partir, partir, partir une fois pour toutes !

Tout mon sang rage pour des ailes !

Tout mon corps se jette en avant !

Je grimpe à travers mon imagination en torrents !

Je me renverse, je rugis, je me précipite !…

Explosent en écume mes désirs

Et ma chair est un flot qui cogne contre les rochers ! »

Fernando Pessoa – « Ode Maritime ».

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Ode maritime” de Fernando Pessoa mise en scène de Claude Régy, au Festival d’Avignon jusqu’au 25 juillet 2009 à 22h.

Photo: Pascal Victor.